Plein de journalistes auraient dû suivre à la loupe la réunion du mardi 9 mars 2021 du Comité permanent des langues officielles à Ottawa. Pour la première fois depuis l'adoption de la Loi sur les langues officielles en 1969 sous Pierre Elliott Trudeau, les députés fédéraux se penchaient sur le déclin du français... au Québec! Jusque là, ils ne s'étaient intéressés qu'au sort des «minorités» de langue officielle... c'est-à-dire les francophones hors Québec et les Anglo-Québécois...
Mais cette soi-disant symétrie entre anglophones minoritaires au Québec et francophones minoritaires ailleurs au Canada se disloque depuis quelques années. En novembre 2019, la ministre québécoise Sonia Lebel demandait que la Loi sur les langues officielles, en attente d'une réforme majeure, reconnaisse le français comme «seule» langue minoritaire au Canada. «Le Québec a une réalité différente avec sa minorité qui n'en est pas une au Canada», avait-elle déclaré en entrevue avec le quotidien Le Droit.
Le 23 novembre 2020, le discours du Trône du gouvernement Trudeau ouvrait la porte à chambarder l'une des prémisses du bilinguisme fédéral, inchangée depuis plus de 50 ans. «Le gouvernement du Canada doit aussi reconnaître que la situation du français est particulière. (...) Le gouvernement a la responsabilité de protéger et promouvoir le français non seulement à l'extérieur du Québec, mais également au Québec.» Et Ottawa s'engageait à tenir compte de cette «réalité particulière du français» dans une nouvelle mouture de la Loi sur les langues officielles.
Deux jours plus tard, le député du Bloc québécois Mario Beaulieu réussissait à faire adopter par le Comité permanent des langues officielles une motion comprenant, entre autres, une modification majeure du mandat traditionnel des députés siégeant à ce comité. Désormais, ils examineraient aussi la détérioration du français au Québec, ainsi que l'effet de la politique linguistique fédérale sur la Loi 101. Ce changement de cap n'a pas fait la une des journaux et des bulletins de nouvelles, mais les médias en ont parlé.
La disparition de l'immense majorité des journaux imprimés, combinée au rétrécissement général des salles de rédaction, a eu un effet désastreux sur la quantité et la qualité de l'information au Québec. Faute d'effectifs, faute de vision, des moments historiques passent sous le radar des directions de l'information. Ainsi en est-il de cette réorientation des fondements du «bilinguisme» fédéral, conséquence d'une prise de conscience générale du péril que court le français dans la métropole québécoise. À force de fixer les arbres, nos médias ont perdu de vue la forêt.
Nous voilà donc au soir du 9 mars 2021. Trois témoins importants comparaissent devant le Comité fédéral des langues officielles: Jean-Pierre Corbeil, spécialiste des données linguistiques à Statistique Canada; Charles Castonguay, professeur de mathématique à la retraite de l'Université d'Ottawa, auteur du livre Le français en chute libre (2020); et le démographe québécois Patrick Sabourin. La table était mise pour une toute première discussion, en présence d'experts, de la problématique du français au Québec. Les délibérations du comité sont diffusées sur Internet et accessibles à tous, toutes.
Cette réunion, je l'ai visionnée en direct, de 18 h 30 à 20 h 30.
Ces deux heures d'échanges ont rempli toutes les attentes. Les députés libéraux, conservateurs, bloquistes et néo-démocrates plongeaient dans un univers qui leur avait été auparavant interdit. On y parlait de la Loi 101, de l'effet de l'immigration sur la dynamique linguistique au Québec (et ailleurs au Canada), du bilinguisme et de l'anglicisation croissants des francophones du Québec, du déclin démographique des Québécois de langue française, de la stabilité ou de la croissance de l'anglais (au Québec), de l'effet des politiques fédérales sur la situation du français au Québec, et bien plus.
Le député conservateur Stephen Blaney a qualifié les interventions de MM. Castonguay et Sabourin de «témoignages-choc» et vu dans la réunion du 9 mars une «sortie de placard» pour le comité fédéral des langues officielles, qui examinait pour la première fois «la situation du français au Canada, mais aussi au Québec». Les membres du comité étaient clairement en eaux troubles. Plus habitués aux interventions des minorités acadiennes et canadiennes-françaises, qui alternent entre les S.O.S. et un optimisme rassurant, ils semblaient un peu déstabilisés, voire pris de court, par les analyses inquiétantes d'experts qui fondent leurs conclusions sur les données très officielles des recensements de Statistique Canada.
Quoiqu'il en soit, l'événement méritait d'être consigné aux premières pages des journaux et aux bulletins nationaux à la télé. Mais il n'y avait personne... C'est à se demander si quelqu'un, quelque part dans nos médias, suit de près ce dossier pourtant si important pour l'avenir du Canada et du Québec. On aurait pu tout au moins écrire que sans la présence du Bloc québécois, rien de cela n'aurait eu lieu...
Awignahan !
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