J'ai bien rigolé en lisant, dans l'édition du samedi 6 mars du quotidien Le Droit, que la viabilité des magasins grandes surfaces à ciel ouvert était remise en question. Je n'avais jamais compris pourquoi on avait misé sur une formule de méga centres commerciaux en plein air qui obligeaient les clients à prendre leur voiture (même d'un commerce à l'autre) et à passer, après chaque magasinage, d'un intérieur chauffé ou climatisé à un moins 20 glacial sous la neige ou à l'humidité étouffante d'un + 32 en été...
Enfin, sans doute cette mode s'inscrivait-elle dans la tendance plus que cinquantenaire de tout grossir. Depuis le milieu du 20e siècle, les centres commerciaux puis les mails intérieurs avaient sonné le glas des rues commerciales des centres-villes, et avec l'Internet, les Amazon et semblables - grands comme la planète tout entière - semblent menacer ce qui reste du commerce de proximité. On magasine de plus en plus devant un écran, sans se déplacer, sans toucher au produit, sans parler ou côtoyer d'autres humains, pour ensuite attendre que l'achat soit livré à notre porte.
Dans un monde où l'on j'a jamais tant parlé de «communauté» dans les médias, dans les publicités, tout ce qui favorise l'appartenance communautaire s'effrite à vue d'oeil. Les commerces locaux (à l'exception des dépanneurs) ont disparu, les caisses pop de quartier ont été fermées, les églises paroissiales sont vendues, les petites villes ont été fusionnées puis refusionnées, les services et soins de santé ont été méga centralisés, etc. Tout grossit, tout s'éloigne des «communautés». Pire, on voudrait nous faire croire qu'il s'agit là de tendances logiques, irrépressibles alors qu'elles vont carrément contre nature.
Je suis tombé avant-hier, par hasard, dans mes recherches Internet, sur l'édition du 27 août 1969 de l'ancien hebdo La Revue de Gatineau, disponible sur le site Web de Bibliothèque et Archives nationales du Québec. Évidemment, le Gatineau dont il est question ici n'est pas celui du monstre géographique de 2021, formé en 2002 après le plus récent regroupement. Ni même celui d'avant, lui-même issu d'une première fusion à l'est de la rivière Gatineau en 1975. La ville de Gatineau de 1969 s'était formée autour de l'usine de pâtes et papier de la CIP (prononcer Ci-aille-pi)) et atteignait à la fin des années 1960 une population d'environ 20 000 habitants.
C'est là que je demeure aujourd'hui.
Revenons à la Revue de Gatineau. Il n'y avait pas beaucoup de nouvelles au sens propre. Le contenu privilégiait les activités communautaires et la Revue était devenue, depuis une dizaine d'années, un véhicule privilégié pour les commerces qui ne voyaient pas grand intérêt à s'annoncer dans un quotidien qui touchait l'ensemble de l'Outaouais urbain, la ville d'Ottawa et l'Est ontarien. Et c'est essentiellement en glanant ces publicités que cette édition du 27 août 1969 devient un important témoin de l'histoire locale.
Le passé de ce qu'on appelait alors Gatineau (ou Gatineau Mills pour les plus vieux) ressemble sans doute à celui d'innombrables localités du Québec et d'ailleurs, bâties le long d'un cours d'eau et traversées par des rues principales qui suivaient le parcours des routes traditionnelles vers Montréal. Dans le Vieux Gatineau ces rues s'appellent Notre-Dame et St-André. L'ancienne route 8. C'était avant les boulevards de contournement, avant l'autoroute 50. Le coeur de la ville battait aux abords de l'église-cathédrale St-Jean-Marie-Vianney et la Caisse populaire de Gatineau, toutes deux sur la rue Notre-Dame.
En 1969, l'effet de la construction, dans les années 1950, d'un grand boulevard à quatre voies (le boul. Maloney) reliant Gatineau à Pointe-Gatineau, Hull et Ottawa commençait à se faire sentir, notamment avec l'ouverture d'un petit centre commercial, la Plaza Gatineau, et d'un supermarché, mais les vieilles rues avaient conservé jusque là leur cachet.
Elle abritaient des magasins familiaux pour la plupart. Pas de grandes chaînes. Commerçants et clients se connaissaient, de génération en génération. L'un des derniers à quitter, Willie Assad (de la mercerie qui portait son nom au 400 Notre-Dame), m'avait confié en 2009 qu'il continuait à déverrouiller ses portes une heure avant l'ouverture pour accueillir des amis qui venaient prendre un café avec lui, et qu'il avait conservé son «Rolodex» pour les clients qui lui demandaient encore «de mettre ça sur leur compte»...
Aujourd'hui, à part la librairie Fréchette qui commence à prendre de l'âge, il ne reste à peu près rien de ce quartier qui, s'il avait été mieux protégé, aurait certainement acquis un caractère patrimonial et même, touristique. À la place on trouve loin du Vieux Gatineau des Wal-Mart, un Costco, de grandes bannières nationales et mondiales où personne ne vous connaît, toutes situées à l'extérieur du centre-ville de ce qui fut jadis Gatineau.
Quand je consulte les 28 pages tabloïd de la Revue de Gatineau d'août 1969, je trouve une douzaine de publicités de commerces situés sur les rues Notre-Dame et St-André. Cinq magasins de vêtements pour jeunes et adultes, hommes et femmes, un magasins de chaussures, une pharmacie, une bijouterie, une épicerie (qui livre jusque dans les municipalités voisines), un centre de l'électronique et un resto. En 2021, la rue Notre-Dame a triste mine, et le plus gros commerce semble être une centre de liquidation...
Les plus vieux se souviendront peut-être d'Adam et Ève (vêtements pour enfants et ados), du Paradis des jeunes (vêtements) qui acceptait la carte Chargex (ancêtre de Visa), de la mercerie Greg Landry (qui a déménagé sur le boulevard St-René et qui fermait ses portes l'an dernier), du magasin de chaussures J. Desaulniers, de la Bijouterie Bériault, de la «Groceteria» Généreux (qui proposait ses oeufs à 1$ pour trois douzaines, ou 10 livres d'ailes de dinde pour 2,95$)...
À distance de marche, sur les rues Main (aussi appelée Principale en 1969) et le boul. Maloney, les commerces qui prospéraient à l'époque ont aussi disparu. Le supermarché A.L. Raymond, le magasin à rayons R. Farmer (avec son petit resto comme les Woolworth et Zeller's), Ameublement Yves-Rollin (mobilier de cuisine à 90$ avec 1000 timbres Gold Bond), Bourbonnais Motor Sports (Ski-Doo à partir de 695$), la pharmacie Lanthier devenue Familiprix. J'ai bien connu M. Lanthier, un Franco-Ontarien originaire de la région de Sturgeon Falls.
Je persiste à croire que le coin Notre-Dame/St-André du Vieux Gatineau pourrait devenir un pôle commercial attrayant en privilégiait des commerces de proximité qui pourraient aussi intéresser les circuits touristiques. La plus belle rue du grand Gatineau de 2021 se situe dans le quartier (la rue Poplar), avec ses coquettes maisons construites il y a un siècle pour les anciens contremaîtres américains de la CIP. Si le seul effet était de retirer quelques clients à Amazon et aux grandes surfaces impersonnelles, tout en favorisant une renaissance communautaire, cela vaudrait l'effort.
Bof... De toute façon, dans quelques années, nous serons tous morts et personne ne s'en souviendra...
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