Dans une lettre récente (9 mars 2021) au Journal de Montréal, la ministre ontarienne des Affaires francophones Caroline Mulroney affirme que «la francophonie ontarienne est plus forte que jamais» et que les déclarations voulant que le français régresse en Ontario «ne reflètent pas la réalité» (voir bit.ly/3eP7RhM).
Je vais lui accorder le bénéfice du doute. Peut-être est-elle vraiment convaincue de ce qu'elle avance... Alors de deux choses l'une: ou elle est fort, fort mal renseignée, ou elle vit, comme Alice, au pays des merveilles... J'aimerais mieux croire qu'elle ment, comme le font souvent nos politiciens, qu'elle endosse un pieux mensonge pour donner l'image d'un gouvernement plus sympathique aux Franco-Ontariens, ou encore qu'elle désinforme délibérément les Québécois, peu renseignés sur la situation en Ontario et donc susceptibles d'avaler ses couleuvres...
S'il s'agit d'un mensonge, c'est le mensonge parfait. Qui, dans les hautes sphères publiques et associatives, oserait dénoncer cette fausseté au risque de passer pour pisse-vinaigre? Sûrement pas les grandes organisations franco-ontariennes, peu habituées aux marques de tendresse, surtout en provenance de la bande de Ford... Sûrement pas la ministre fédérale Mélanie Joly qui vient de pomper 63 millions $ dans le projet de campus universitaire de langue française à Toronto... Sûrement pas le gouvernement Legault, qui n'a aucun intérêt à rabattre publiquement des Franco-Ontariens déjà méfiants envers le Québec...
Et pourtant il est important de remettre les pendules à l'heure et de dire à Mme Mulroney qu'elle ne vit pas sur la même planète que nous. La situation du français en Ontario n'est pas loin d'être catastrophique dans plusieurs régions et même les bastions traditionnels - Ottawa, Sudbury, l'Est et le Nord-Est ontarien - s'anglicisent à vitesses variables. Et ce n'est pas en hissant le beau drapeau vert et blanc de la Franco-Ontarie devant l'Assemblée législative à Toronto qu'on y changera quelque chose...
Les collectivités francophones de l'Ontario étaient plus fortes il y a 50 ans, et encore davantage il y a 100 ans quand elles luttaient contre le Règlement 17 interdisant l'enseignement en français dans les écoles de la province. Les recensements fédéraux brossent un tableau implacable des ravages de l'assimilation au cours du dernier demi-siècle. Les données sur la langue d'usage (la langue parlée le plus souvent à la maison) ne laissent aucune place au doute. En 1971, sur une population de 7 700 000 habitants en Ontario, 352 000 déclaraient parler surtout français au foyer. En 2016, sur une population de près de 13 500 000 habitants, on dénombre à peine 310 000 personnes indiquant le français comme langue d'usage.
Au-delà des recensements, le portrait de la minorité franco-ontarienne publié en 2010 par les analystes de Statistique Canada identifie avec une précision chirurgicale les causes de ce déclin. On y découvre une population qui consomme en forte majorité des médias de langue anglaise (télé, radio, journaux, Internet, etc.); une population vieillissante où la majorité des jeunes vivront en couples exogames (avec un conjoint qui ne parle pas français) qui transmettront encore moins la langue française à la génération suivante; et un constat final: une population de langue maternelle française qui s'assimile plus rapidement à l'anglais que les allophones...
Le texte de Mme Mulroney dans le Journal de Montréal était suivi de commentaires dont celui de Gérald Dupuis, un ex-Franco-Ontarien vivant au Québec: «Je suis Franco-Ontarien de naissance et j'ai encore un frère et une multitude de neveux et nièces dans la région de Sudbury. Lorsque je vais en visite et que l'on a des réunions familiales, 75% de ceux-ci et pratiquement 100% de leurs enfants conversent en anglais entre eux. Alors Mme Mulroney, ne venez pas me faire croire que la francophonie se porte bien en Ontario».
À ceux et celles qui seraient tentés de croire qu'il s'agit d'un cas d'exception, j'estime que c'est plutôt la règle. Pas dans les pourcentages proposés dans le commentaire de M. Dupuis, mais de façon très perceptible, on voit un peu partout en Ontario - y compris à Ottawa où j'ai grandi - des familles où les grands-parents sont francophones, la génération suivante bilingue jusque sur le plan identitaire, et les petits-enfants à toutes fins utiles anglophones. Les pages Facebook en sont une illustration frappante. Des milliers d'Ontariens francophones communiquent entre eux en anglais.
De là à conclure que le français y est à l'agonie partout, il y a un trop grand pas à franchir. Le noyau dur de 300 et quelque mille véritables Franco-Ontariens compte toujours des concentrations viables dans certaines régions et le réseau institutionnel et associatif, sans être complet, demeure robuste et dynamique. Dans ces milieux, plus encore qu'ailleurs, on sait qu'il y a déclin et les manches sont retroussées en vue d'une résistance de tous les jours. On le voit notamment dans les médias sociaux, où les pages Facebook franco-ontariennes militantes regroupent des dizaines de milliers de membres.
Mais si les dirigeants franco-ontariens semblent entretenir de bonnes relations avec la ministre Mulroney, ils n'endosseront sûrement pas les coups d'encensoir qu'elle balance en direction du gouvernement Ford. La situation a empiré durant la pandémie. En raison de la COVID-19, «la vie en français est devenue pratiquement impossible en Ontario», a déclaré en décembre 2020 Carol Jolin, président de l'Assemblée de la francophonie de l'Ontario (AFO). Près d'une quarantaine d'organismes franco-ontariens étaient alors menacés de fermeture. «Ça pave la voie vers l'assimilation», concluait M. Jolin.
L'année précédente, en octobre 2019, l'AFO avait rendu public un livre blanc démontrant que la proportion d'aînés, 65 ans et plus, était plus élevée chez les francophones que dans le reste de la population de l'Ontario. M. Jolin y voyait des «données alarmantes» pour la collectivité franco-ontarienne.
Sur le plan scolaire, les Franco-Ontariens ont mangé une claque avec la création d'un petit campus universitaire à Toronto (qui n'a pas encore ouvert ses portes) alors que plusieurs auraient souhaité une institution provinciale «par et pour» les francophones regroupant tous les programmes universitaires de langue française, y compris ceux de l'Université d'Ottawa et l'Université Laurentienne, deux établissements à forte majorité anglaise où sont regroupés l'immense majorité des étudiants francophones à l'universitaire.
Enfin, j'aimerais bien savoir si les véritables porte-parole de la Franco-Ontarie apprécient que Mme Mulroney s'érige auprès des Québécois en représentante officielle de la collectivité francophone de l'Ontario. Après avoir déclaré que «la communauté francophone n'a reculé devant rien», elle poursuit en écrivant: «Malgré les défis, nous avançons, optimistes face à l'avenir, convaincus que le français continuera à s'épanouir sur notre terre ontarienne. Nous sommes et nous serons toujours de fiers Franco-Ontariens.» On dirait tout à coup qu'elle est devenue présidente de l'AFO... Pas sûr que M. Jolin en soit très heureux. Il ne dira probablement rien, mais...
En passant, Mme Mulroney, ça va plutôt mal au Québec aussi...
Il y a très longtemps, aux débuts de la télévision, j’écoutais Trudeau avec mon grand-père, qui était un libéral tricoté serré, lorsqu’il me fait remarquer : « Il ne dit pas la même chose en français et en anglais… il doit être un menteur !!!! ». Cette sagesse m’a toujours guidé !
RépondreEffacerCette Québécoise d’origine doit être prise de la même maladie fédéraliste!!!!
L’ex-Minister Madeleine Meilleur des Francophone Affairs en Ontario se contredit!!!
http://pierreyallard.blogspot.ca/2015/04/francophonie-sonner-lalarme-gatineau-et.html
Dans The Ottawa Citizen du Monday, January 07, 2008, elle dit :
« Ontario francophones threatened, Meilleur says »
« Les francophones d’Ontario sont en péril, dit la ministre !!! »
http://www.canada.com/ottawacitizen/news/story.html?id=5f4d16bc-7e0d-4434-8651-9d76e9739969
Dans l'édition 2005 des Profils statistiques sur les francophones en Ontario, du 27 septembre 2005, elle conclut :
« Soyez assurés, je suis très optimiste. J'ai la ferme conviction, plus que jamais, que l'avenir appartient aux francophones de l'Ontario. »
http://www.ofa.gov.on.ca/francais/stats.html
Laurent Desbois
Ex-franco-Ontarien, un autre cas d'exception,
fier Québécois depuis quarante ans,
et canadian… par la force des choses et temporairement …. sur papiers seulement!