vendredi 23 avril 2021

C'est bien une pomme, pas une orange!

Voici le texte de l'article 23 de la Loi constitutionnelle de 1982 (aussi appelée Charte canadienne des droits et libertés):


Lisez bien le titre : «Droit à l'instruction dans la langue de la minorité».

C'est clair, non? C'est un texte constitutionnel, un article de la plus haute loi du pays, mesuré et pesé dans ses plus infimes détails dans le but d'éviter toute confusion sur le sens et l'application.

A-t-on écrit «Droit à l'instruction dans la langue et dans le respect des cultures de la minorité»? Non!

A-t-on écrit «Droit à l'instruction dans la langue et dans le respect des religions de la minorité»? Pas du tout!

Si les rédacteurs de la Loi constitutionnelle de 1982 avaient voulu élargir les droits linguistiques scolaires à la (aux) culture(s) et à la (aux) religions(s), ils l'auraient spécifié.

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Dans le vieil Acte de l'Amérique du Nord britannique de 1867, toujours en vigueur, l'article 93 accorde une protection constitutionnelle aux écoles catholiques de l'Ontario.

C'est une protection strictement religieuse. En 1912, le gouvernement ontarien a supprimé l'enseignement en français dans les écoles catholiques et la constitution n'a pas protégé la langue. La religion, ce n'est pas la langue...

Si les écoles confessionnelles existaient toujours au Québec, elles bénéficieraient elles aussi du bouclier de l'article 93 de l'AANB mais cet article a été modifié en 1998 pour permettre la création de commissions scolaires linguistiques, françaises et anglaises.

L'Assemblée nationale a légiféré en l'an 2000 pour confirmer le caractère laïque des réseaux scolaires publics québécois, dans le cadre d'un régime fondé sur la neutralité religieuse de l'État.

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Revenons à l'article 23, qui ne protège explicitement que «la langue d'instruction de la minorité», c'est-à-dire l'anglais au Québec, le français ailleurs au Canada. 

Le texte constitutionnel est pourtant limpide. Ce qu'il consacre, c'est le droit pour les francophones ou les anglophones en situation minoritaire «de faire instruire tous leurs enfants, au primaire et au secondaire» dans leur langue, et ce, dans leurs écoles, «là où le nombre le justifie».

Les causes célèbres tournant autour de l'article 23, et il y en a eu, ont toutes eu comme enjeu la langue d'instruction et le droit de gestion lié à la langue d'instruction.

Or, voilà que les commissions scolaires anglo-québécoises, ointes d'un multiculturalisme débridé et outrées qu'on leur impose d'assumer leur laïcité, décident de contester la Loi 21 pour tenter de modifier fondamentalement le sens de l'article 23 de la Charte canadienne des droits et libertés.

L'article s'intitule «Droit à l'instruction de la langue d'enseignement de la minorité»? Peu importe. Langue, culture, religion, c'est tout relié, disent-elles, et c'était au fond, suggèrent-elles, l'intention des rédacteurs constitutionnels.

N'importe quel juge aurait dû les renvoyer à leur table de travail, dictionnaire en main, pour refaire leurs devoirs. Pour comprendre qu'une pomme c'est une pomme, qu'une orange c'est une orange. Que le droit d'enseigner en anglais dans leurs écoles ne s'accompagne pas du droit d'exhiber des signes religieux en enseignant (du moins pas en s'appuyant sur l'article 23 de la Loi constitutionnelle de 1982).

Et voilà qu'on tombe sur un juge qui partage la même foi multiculturelle que que les commissions scolaires anglaises. Il ne s'en cache même pas dans ce paragraphe qui n'a rien, mais absolument rien de juridique: 

«Pour le Tribunal (c.-à-d. le juge), il ne fait aucun doute que la diversité des appartenances culturelles et religieuses participe à l'élaboration de programmes didactiques qui visent à bonifier l'éducation multiculturelle et que la participation réelle de personnes représentant ces différentes appartenances constitue un atout, non seulement pour l'élève, mais également pour le corps professoral.»

Il dit essentiellement: je suis d'accord avec votre idéologie.

Et croyez-moi, conclut-il, cette pomme est une orange. Les législateurs ont écrit pomme mais si vous y pensez un peu, on acquiert la certitude qu'ils voulaient écrire orange. Ils ont écrit «langue d'instruction» mais au fond, ils voulaient inclure la religion. Ils ont tout simplement oublié de l'inclure. Une petite faute d'omission que je corrige...

Mais cela n'a aucun sens! Et je ne comprends pas que cet aspect du jugement Blanchard n'ait pas suscité un tollé au sein de la collectivité juridique québécoise (et même canadienne).

Les médias ont scruté avec raison le sens politique de la décision et ses effets sur le droit de Québec de gouverner, sur l'esprit partitionniste et francophobe d'une frange de l'anglophonie montréalaise, sur l'influence indue du judiciaire en matière constitutionnelle, et plus.

Mais, est-ce par crainte de s'immiscer dans l'expertise judiciaire, personne n'insiste suffisamment sur le fait qu'un juge vient de commettre une grave erreur judiciaire, qu'il vient de nous dire qu'une pomme est une orange, que protéger la langue d'instruction à l'école signifie aussi protéger les signes religieux que portent les enseignants.

Le juge Blanchard a pris l'article 23 de la Charte de 1982 et l'a réécrit. Rien de moins. En y mettant une bonne pincée de Québec-bashing juridique.

Relisez le texte de l'article 23. C'est bien une pomme. Ce n'est pas une orange.



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