Je suis né et j'ai grandi à Ottawa. Pour l'immense majorité des Québécois et des Canadiens, cette ville est la capitale du pays. Pour moi c'est autre chose. J'ai arpenté ses rues dans mon enfance, j'ai fréquenté l'école du voisinage, j'y voyais tous les jours la grande famille... des quatre grands-parents aux nombreux cousins et cousines. J'étais chez moi.
La tour du Parlement était bien visible de notre petit quartier francophone. On pouvait facilement s'y rendre en vélo. À la limite, à pied... L'édifice n'avait rien d'exotique. Ça faisait partie du décor quotidien, comme les clochers de l'église St-François d'Assise sur la «grand-rue» (la rue Wellington, celle du Parlement).
On ne faisait guère la distinction entre des événements paroissiaux et ceux d'envergure nationale ou internationale. S'ils avaient lieu à Ottawa, c'était un peu local... La grande procession de la Fête-Dieu, en juin, était l'un des faits saillants de l'année. Les maisons des rues de la paroisse étaient pavoisées de drapeaux du Sacré-Coeur et du Saint-Siège et il y avait foule...
Mais mon plus ancien souvenir d'un défilé, suivi par des milliers de personnes, remonte au mois d'octobre 1951. J'avais cinq ans et ma mère m'avait emmené voir le passage de la princesse Elizabeth et du prince Philip, près du canal Rideau, sur la promenade qui porte aujourd'hui le nom de la reine. Autre que l'image du couple royal dans une décapotable par une belle journée automnale, il me reste peu de choses en mémoire de cette visite officielle.
Je suis donc retourné dans les archives du quotidien Le Droit et j'a retrouvé les comptes rendus dans l'édition du 10 octobre 1951. En voici un extrait, dans le style de l'époque bien sûr. Aucun journaliste n'écrirait de cette façon aujourd'hui:
«La nature automnale de la Capitale s'était surpassée sur le parcours long de huit milles que suivirent Leurs Altesses Royales la princesse Elizabeth et le duc d'Édimbourg.
«D'une Cadillac décapotable, qui le transporta d'Island Park Drive au parc Lansdowne puis ce cette enceinte au monument des morts de la guerre, le jeune couple princier fut en effet témoin d'une spectacle féérique et grandiose.
«Les arbres qui flanquent cette superbe avenue q'est le Driveway (aujourd'hui prom. Reine Elizabeth) avaient revêtu pour l'occasion leurs plus belles teintes automnales. Un soleil éclatant, dans un ciel sans nuage, se reflétait sur les eaux calmes du canal.
«Une foule se chiffrant par près de 150 000 personnes (la population totale d'Ottawa et Hull ne dépassait guère 200 000) prit place sur ce parcours du cortège royal pour acclamer la princesse souriante et son consort.»
Je me souviens bien mieux de la visite suivante d'Elizabeth et Philip, en octobre 1957. Elle était reine depuis cinq ans, et les autorités avaient organisé un grand rassemblement de 15 000 écoliers d'Ottawa au stade du parc Lansdowne en l'honneur du couple royal. Nous en étions bien heureux, puisque cela nous évitait une journée de classes.
Mais cette visite revêtait aussi un caractère spécial. Deux élèves (un des écoles publiques, l'autre des écoles catholiques) devaient présenter des fleurs à la reine et une boutonnière au prince Philip. Or, notre école (Notre-Dame des Anges) avait été choisie et l'élève élu pour faire la présentation au prince Philip était mon frère Robert (âgé de 10 ans).
Le matin de l'événement, il y avait du brouillard et la température était douce. Mes parents avaient (pour la première fois je crois) une ciné caméra pour capter des images de la cérémonie. Il me semble me souvenir de voir, dans le petit film, le pouce de mon père devant l'objectif de la caméra...
Encore une fois, j'ai plongé dans les archives du Droit pour trouver le compte rendu en manchette de la page une, dans l'édition du 16 octobre 1957. Je suis resté ahuri en lisant l'article signé par un des plus célèbres reporters de l'histoire du Droit, Jean-Charles Daoust. J'en reproduis quelques extraits:
«Un petit camelot et enfant de choeur, Robert Allard, fils âgé de 10 ans de M. et Mme Aurèle Allard, 153, rue Hinchey, et élève en 6e année de l'école Notre-Dame des Anges, avenue Forward, n'oubliera jamais le mercredi 16 octobre 1957.
«En effet, le gosse aux boucles châtaines et aux pétillants yeux bruns foncés, élu "François" de sa classe encore tout récemment (je ne sais plus ce que signifiait être nommé "François"), avait l'honneur de représenter les enfants de nos écoles séparées.
«Parmi ses nombreux compagnons dans la grande estrade du parc Lansdowne, il y avait son frère aîné, Pierre Allard, 11 ans et élève de septième année.
«Portant un veston sport bleu marine avec couronne d'or, garnie de pourpre, et un pantalon gris, le petit porteur de journal faisait honneur à ses parents, Aurèle Allard et Germaine Jubinville Allard, qui l'avaient accompagné à la manifestation royale.
«En excellent français, il présenta la fleur pour garnir la boutonnière du prince Philip, pendant que la jeune Gail Cook (représentant les écoles publiques), qui ressemblait à un bouton de rose, eut remis un corsage à Sa Majesté.
«À la maison, au 153 Hinchey, Jocelyne Allard, six ans, et bébé Hélène, un an, ont vu Robert présenter la boutonnière à Son Altesse grâce à la télévision.»
Quelques années plus tard, rendu à l'école secondaire de l'Université d'Ottawa, j'ai découvert l'histoire et la politique. Je suis devenu anti-monarchiste et le suis jusqu'a ce jour.
Mais ce matin, 9 avril 2021, quand j'ai appris le décès de Philip Mountbatten, j'ai ressenti de la tristesse parce qu'il avait meublé, avec Elizabeth Windsor, quelques beaux souvenirs de mon enfance...
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