dimanche 25 avril 2021

Je préfère le respect au mépris !

La hantise de la chicane compte parmi les reliquats les plus incrustés de notre passé catholique-canadien-français. Combien de fois, jadis, nous sommes-nous privés de parler politique ou religion pour éviter de «faire de la chicane» dans la famille ou un groupe d'amis?

Combien de fois, au nom de la sacro-sainte «bonne entente», avons-nous cessé de parler français parce qu'un anglophone venait de se joindre à la discussion? La seule crainte d'une possible confrontation linguistique suffisait pour nous mettre à genoux...

Tenez compte, ici, que mes souvenirs sont ceux d'un ancien Franco-Ontarien de la région d'Ottawa. Peut-être les choses se passaient-elles différemment dans les régions québécoises où francophones et anglophones se côtoyaient quotidiennement. Peut-être...

Au début des années 1960, je fréquentais l'école secondaire de l'Université d'Ottawa, une institution bilingue privée appartenant aux Oblats de Marie Immaculée (il n'y avait pas d'écoles secondaires françaises publiques en Ontario).

La grande majorité des élèves, issue des régions d'Ottawa et de Hull, était francophone mais il y avait dans notre école environ 200 anglophones. Bien sûr, quand les deux groupes se croisaient, la langue de communication était le plus souvent l'anglais...

À l'automne 1963, j'étais fraîchement inscrit aux sciences sociales de l'Université d'Ottawa, mais j'ai appris que les relations entre francos et anglos à mon ancienne école secondaire se détérioraient après des décennies d'une «bonne entente» dont nous faisions les frais.

Au conseil étudiant, les membres francophones avaient décidé qu'ils parleraient exclusivement français aux réunions. Le problème, évidemment, c'était la présence d'un étudiant anglophone. Soit il ne comprenait pas le français, soit il ne voulait pas parler français.

Toujours est-il qu'il n'était pas très heureux de la situation. École catholique oblige, un prêtre (conseiller moral) participait aux réunions du conseil étudiant. Devant ce germe de conflit, qu'avait-il fait? Avait-il incité le membre anglo à apprendre ou utiliser le français?

Non! Il avait plutôt fait des remontrances aux francophones et leur avait proposé de se montrer, en bons catholiques soumis, «plus accueillants» envers leur collègue de langue anglaise. De faire preuve de charité chrétienne à son endroit...

Normalement, compte tenu de l'époque, les francophones seraient rentrés dans le rang, mais pas cette fois. Ils ont refusé d'obtempérer, ont continué à délibérer en français. L'étudiant anglo, offusqué, n'est plus revenu aux réunions du conseil. Le conseiller moral non plus...

Autre incident du même type. Au milieu des années 60, j'occupais un emploi d'été à la bibliothèque de Statistique Canada, à Ottawa. Nous étions trois étudiants, deux francophones et un anglo unilingue. À toutes les pauses, à tous les lunchs, assis ensemble, la conservation se déroulait en anglais.

Un bon jour, l'autre étudiant francophone et moi avons décidé que nous en avions assez de toujours parler anglais entre nous parce qu'un anglophone était présent. Un midi, nous avons tout bonnement commencé à échanger en français. L'autre est resté planté là, en silence, et n'est pas revenu par la suite à notre table...

Si ces événements se sont logés dans ma mémoire, c'est qu'ils étaient rares, exceptionnels même. Presque à tout coup, le vieux réflexe de soumission, d'éviter la chicane, d'être «charitable» remontait la surface. On parlait anglais parce qu'un anglophone était là, puis à la longue, on parlait anglais entre nous, même quand il n'y avait pas d'Anglais aux alentours...

Quand je regarde aujourd'hui le groupe Facebook de mon ancien quartier d'Ottawa, la quasi-totalité des participants, en grande majorité francophones, communiquent entre eux en anglais. Même dans ma famille, j'ai des cousins et cousines qui, en dépit d'une excellente connaissance du français, s'échangent des messages en anglais...

Je ne les blâme pas d'agir ainsi. Je constate, tout simplement. Comme je constate que dans le Pontiac, région québécoise voisine de mon ancien chez-moi où l'on se croirait quasiment en Ontario, les prénoms anglais avec nom de famille français sont légion, résultat du même «bon-ententisme» entre anglophones et francophones...

Dans son livre sur l'histoire des francophones du Pontiac, l'auteur Luc Bouvier résumait ainsi l'érosion implacable de la langue et de la culture françaises dans cette région de l'Ouest du Québec: «La bonne entente entre francophones et anglophones dépend de la soumission des premiers.» 

Nos élites et notre clergé nous avaient dressés à nous montrer accueillants et à faire preuve de charité chrétienne, mais le plus souvent, nous finissions à genoux, incapables de nous relever, prêts à tout pour éviter la chicane. On sait ce que cela donne à long terme.

La morale de cette histoire? Dans un coin de notre cerveau il y a toujours eu, et cela existe encore aujourd'hui, une appréhension que l'affirmation du français - même polie, avec des gants blancs - puisse froisser l'interlocuteur anglophone, crainte fondée sur une perception historique que les Anglais ne nous aiment pas, et n'aiment pas le français.

Dans un petit coin adjacent de notre cerveau s'ajoute un sentiment diffus de culpabilité de ne pas avoir le courage d'affirmer notre langue et notre culture face à l'anglais, et un germe de frustration en songeant que de se mettre constamment à genoux suscite peut-être un certain mépris de notre peuple et de notre langue chez les anglos.

Alors on fait quoi? Faute de se taire, le moindre geste devient risqué. La confrontation peut surgir même quand il n'existe aucune intention d'offenser... Il a suffi à Michel Thibodeau, un Franco-Ontarien, de demander un 7up en français dans un avion d'Air Canada pour déclencher un conflit qui lui a valu un torrent de colère haineuse au Canada anglais... Ça ne prend vraiment pas grand-chose...

Alors si on a souvent de la difficulté à insister pour se faire servir en français dans un magasin de Montréal ou d'ailleurs au Québec ou même dans les régions plus francophones du Canada, imaginez l'obstacle individuel et collectif qu'il faudra surmonter pour mettre en œuvre une mesure telle que l'application de la Loi 101 aux cégeps...

À lire les textes de journaux et les commentaires, je me vois revivre les mêmes scénarios que les francophones hors Québec de ma jeunesse (et à plus fort titre ceux d'aujourd'hui). C'est nous qui devons apprendre à parler l'anglais, pas à eux de s'intégrer. Être plus accueillants, charitables, ne pas les froisser, même si cela risque d'attiser le mépris que plusieurs ont déjà pour nous, et de favoriser, à long terme, notre disparition...

L'éditorial de Stéphanie Grammond dans La Presse du 24 avril 2021 (bit.ly/2Pk7Xnv) aurait pu être écrit au début des années 1960 dans mon petit quartier francophone d'Ottawa. «Le bilinguisme est une richesse à cultiver», écrit-elle. Décodé, cela veut dire: apprenez l'anglais. On se consolait dans mon jeune temps en prétendant que nous étions meilleurs que les Anglais parce que nous parlions deux langues, alors qu'en réalité ce bilinguisme collectif n'était qu'une étape vers l'abandon éventuel du français...

Et Mme Grammond de poursuivre en craignant que l'application de la Loi 101 aux cégeps aurait pour effet de dégarnir les collèges montréalais Dawson et Vanier, qui se trouveraient «ghettoïsés»... «Pas fameux pour le vivre-ensemble», conclut-elle. Elle aurait pu écrire «pas fameux pour la bonne entente». Cet air est connu, on nous le chante depuis deux siècles. Trop de gens cherchent toujours un moyen de protéger le français sans froisser les Anglais... Un Québec indépendant dans un Canada uni, aurait dit Yvon Deschamps...

À un certain moment, il faudra nous rendre compte que peu importe ce que nous faisons ou ce que nous ne faisons pas, qu'on s'affirme pour de bon comme francophones ou qu'on s'aplatisse pour de bon devant le rouleau compresseur anglo-américain, les Anglo-Québécois ne nous aimeront pas davantage. Alors s'il faut choisir, je préfère le respect au mépris.



4 commentaires:

  1. Le Pontiac est une bombe a retardement pour les francophone car les anglais sont bien déterminer a resté sur leurs position et au Canada. A ne pas prendre avec des pincettes.

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  2. Pour toutes les églises, elles ont une mission beaucoup plus importante que de sauver la langue et la culture… mais bien de sauver des âmes ! La langue et la culture ne sont que des instruments de contrôle et de domination pour eux !

    Le role de l’Église catholique pour les Orangistes!!!

    L'évêque catholique FALLON de London, ON a appuyé les Orangistes pour implanter le règlement 17, qui interdisait l’enseignement en français en Ontario.

    Je vous rappelle le rôles des évêques catholiques , surtout irlandais, dans toutes les régions du Canada. Ex. les Acadiens sous le contrôle d’Halifax, la Trahison des Métis à Bâtoche, le rôle du clergé lors des excommunions des patriotes, sans parler de l'évêque FALLON de London, ON qui a appuyé les Orangistes pour implanter le règlement 17, qui interdisait l’enseignement en français en Ontario.

    Je vous suggère « Les Sacrifiés de la bonne entente » qui raconte l'histoire des francophones du Pontiac Québécois, où l'anglicisation a fait des ravages, grâce aux services de leurs évêques anglais de Pembroke en Ontario.
    http://www.imperatif-francais.org/?s=Les+Sacrifi%C3%A9s+de+la+bonne+entente+

    http://www.imperatif-francais.org/bienvenu/articles/2002/les-sacrifies-de-la-bonne-entente.html

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  3. Je suis entièrement d'accord avec vous, M. Allard. Dans ma propre famille, mes enfants pensent que l'anglais est plus important que le français, même si cette dernière langue est leur langue maternelle et celle qu'elles utilisent entre elles et avec moi. Le prestige de l'anglais est à son zénith. Le bon côté, c'est que ce prestige ne peut que bâtir devant la montée du chinois, le Brexit (l'allemand et le français en profiteront), la perte de vitesse de l'économie américaine, la prise de conscience que la culture américaine est de plus en plus malsaine, l'effet repoussoir de Trump et des trumpistes de plus en plus influents et nombreux au sein du Parti républicain, etc.

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