Certains jours, tiens, pourquoi pas tous les jours, Desjardins nous fournit la preuve que l’esprit coopératif, ou ce qui en reste, agonise. Que les caisses se distinguent de plus en plus difficilement des banques qu’elles concurrencent.
Récemment, en retournant à ma voiture dans le stationnement de la Caisse jadis populaire de Gatineau, une dame qui semblait avoir eu des problèmes (dont je n’ai rien su) m’a dit que les caisses devraient mieux traiter «leurs clients». Un commentaire révélateur… «Nous ne sommes pas des clients, lui ai-je répondu. Nous sommes membres. C’est une coopérative!» Son regard laissait entendre que cette pensée ne lui avait pas effleuré l’esprit.
Quand j’étais petit, je déposais 10 ou 15 cents par semaine dans mon compte scolaire à la Caisse populaire St-François d’Assise, à Ottawa. Cette caisse a été fusionnée et refusionnée à répétition et demeure aujourd’hui un petit centre de service d’une méga caisse, tout comme les caisses autrefois paroissiales ou de quartier des anciennes villes d’Aylmer, Hull et Gatineau, elles-mêmes méga fusionnées depuis une vingtaine d’années.
Loin de moi de favoriser le maintien de mini-coopératives dans des paroisses qui n’existent plus de toute façon, mais une coopérative suppose la présence, l’engagement et l’autorité des membres qui la constituent. Et la démocratie coopérative, comme toute démocratie, doit reposer sur un juste équilibre entre proximité et distance. Les caisses – ne dites plus populaires – trop immenses rendent la participation et l’engagement des membres ardus, pour ne pas dire impossibles.
Les décisions trop souvent prises au siège social sont imposées, comme dans une banque, et le pouvoir de contestation des membres devenus clients n’est guère plus efficace que celui des usagers des grandes banques. Quand, il y a 30 ans, j’assistais à une assemblée annuelle de la Caisse populaire Notre-Dame de Gatineau (alors caisse de quartier), il était déjà difficile de percer la muraille des administrations en place. Aujourd’hui, à la Caisse de Gatineau (couvrant le secteur est d’une ville de près de 300 000 habitants), le pouvoir d’un membre de cette méga coopérative est quasi inexistant.
Quelque part, on a décidé d’éliminer l’expression «caisse populaire» et son diminutif «caisse pop» pour ne retenir que le concept plutôt vide et froid de «caisse»… Puis on a modifié unilatéralement, sans consultation dont j’aie eu connaissance, le beau vieux logo avec l’abeille, remplacé par un cadre hexagonal vide… Les membres auraient-ils, invités à voter, accepté cet appauvrissement des symboles et ce rejet d’une centaine d’années d’histoire? Je ne crois pas… Si Desjardins se transformait un jour en banque, on n’aurait besoin de modifier ni l’appellation, ni le logo…
L’éloignement des centres de décision, conséquence inévitable de la taille accrue des caisses, oserais-je dire «locales», et de la consolidation des pouvoirs au sommet de la pyramide organisationnelle, favorise la clientélisation des membres et permet de saboter l’esprit coopératif jusque dans le quotidien des opérations financières de «nos» caisses.
Que dire de cette pratique infecte d’imposer des frais administratifs de 9,95$ par mois à tous les membres dont le solde du compte chèque n’atteint pas 4000$? De la part d’une coopérative, c’est vraiment champion… On pénalise les petits épargnants n’ayant pas les moyens de conserver des soldes importants dans leurs comptes et on récompense ceux qui ont les moyens de le faire. On vole des pauvres pour donner aux plus riches. Robin des Bois, au secours!
Récemment, j’ai manqué de chèques et voulu en obtenir de nouveaux de ma Caisse Desjardins jadis populaire de Gatineau. On m’a rappelé que les caisses ne fournissent plus de livrets de chèques, qu’il faut passer par un fournisseur extérieur (non coopératif) à qui il faut payer des sommes extravagantes pour une centaine de chèques qu’on peut expédier dans une toute petite enveloppe à peine plus épaisse que certaines des pubs gratuites qu’on reçoit dans notre «super boîte» postale…
Je peux faire imprimer jusqu’à cent photos différentes pour une dizaine de dollars à une pharmacie, je peux acheter un livre de 500 pages pour 25$ à une librairie, mais pour deux petits carnets de 50 chèques personnalisés utilisant un gabarit préexistant, ma coopérative me jette dans les griffes d’un entrepreneur privé qui m’oblige à payer plus de 50$... Permettez-moi de trouver cela scandaleux, et de continuer à croire que l’émission de chèques papier (même dans une ère où on a déifié le numérique) devrait être un service offert par nos caisses, par nos coopératives, à peu de frais, voire sans frais.
Et je passe sur l’épisode, apparemment sans fin, de la fermeture des guichets Desjardins – seuls témoins de ce qui fut autrefois dans des localités plus petites. La rentabilité et le profit - seuls critères acceptables pour les grandes banques à charte – semblent être devenus le leitmotiv de nos institutions coopératives, bâties pierre sur pierre depuis 100 ans par des collectivités souvent modestes, aujourd’hui kidnappées par des capitalistes qui les rebâtissent, pierre par pierre, à l'image des banques…
Le dommage est fait. Il est trop tard pour freiner la progression d’une maladie qui ronge les tripes et le cœur du mouvement coopératif fondé par Alphonse Desjardins… La même maladie qui ronge les tripes et le cœur de nos démocraties, au Québec, ailleurs au Canada, partout sur la planète.
Et pourtant, peut-être faut-il encore et encore essayer…