samedi 31 juillet 2021

Trois quarts de siècle...



Je suis né le 30 juillet 1946. J’ai donc eu 75 ans. Hier, 30 juillet 2021.


Ces trois quarts de siècle étant passés à la vitesse de l’éclair, et le nombre d’années à venir étant plus qu’incertain, j’ai songé un instant à dresser un bref bilan des temps forts de l’enfance, des années scolaires, de la carrière, de la vie familiale, de la retraite, etc. Et puis non, me suis-je dit, ne serait-il pas plus intéressant de recenser quelques moments fortuits, en apparence banals, qui ont fini par avoir un effet considérable sur la suite des choses.


Cette recherche de souvenirs a renforcé ma conviction que des événements clés surviennent, des carrefours décisifs surgissent sans qu’on s’en rende compte, et que les virages - pris ou pas – ont parfois des conséquences durables, marquantes même.


Alors en voici cinq. Je ne les ai jamais oubliés…


1.     À l’âge de huit ans, vivant dans le quartier St-François d’Assise, à Ottawa, je me suis rendu pour la première fois à la succursale du coin de la bibliothèque municipale, où il y avait quelques rayons de livres en français. J’ai pigé au hasard un Tintin, L’étoile mystérieuse, que j’ai rapporté à la maison. Je connais aujourd’hui la charge politique de cet bande dessinée, rédigée en Belgique occupée durant la Seconde Guerre mondiale, mais à l’époque (1954) j’y ai découvert les aventures internationales d’un héros qui exerçait le métier de reporter – celui que je choisirais plus tard. J’ai cherché sur des cartes les pays d’Europe dont il était question et développé une passion pour la géographie. J’ai aussi été fasciné par les énormes champignons découverts par Tintin et ses compagnons. Est-ce un hasard que je sois plus tard devenu mycologue amateur ?


2.     En 1955, à l’âge de 9 ans, mes parents ont acheté un atlas du monde. Le gros Atlas Hammond, en anglais, que j’ai toujours et que j’ai signé de mon écriture d’enfance. Déjà amateur de Tintin que j’avais accompagné dans ses albums en Inde, en Chine, en Afrique, en Amérique et sur les mers, ce grand livre rempli de cartes géographiques de l’ensemble de la planète, de pages descriptives des pays et continents, des populations, des capitales avait de quoi me captiver. Malgré mon hésitation en anglais, je crois l’avoir appris par cœur. Je pouvais nommer tous les pays du monde, les provinces canadiennes et les États américains, ainsi que leur capitale et leur population. Ma passion pour la géographie m’a aidé à l’école, dans ma profession et encore aujourd’hui, je ne peux résister à l’attrait d’une carte ou de «voyages» numériques sur Plans et Google Maps. J’ai bien d’autres atlas de langue française dans ma bibliothèque, mais celui-là occupera toujours la place de choix…


3.     L’année suivante, en 1956, mon voisin Pierre Carrière, qui livrait le quotidien Ottawa Journal dans le quartier, avait offert à mon frère et moi de prendre la relève. Quelques semaines plus tard, portant chacun un sac contenant une quarantaine de journaux, nous avons commencé à arpenter les rues et adresses, livrant le quotidien d’après-midi à l’heure du souper. En soi, cela aurait dû être une activité banale, juste bonne pour offrir un peu d’argent de poche et quelques egg rolls le samedi matin (jour de paie). Mais c’était 1956, j’avais déjà Tintin et mon atlas Hammond en poche, et la une du journal me transportait quotidiennement d’un continent à l’autre. J’y ai développé un goût prononcé pour l’actualité politique canadienne et internationale, et pour les journaux imprimés. J’ai toujours en mémoire la rébellion hongroise de 1956 que j’ai suivie comme un feuilleton, rempli d’espoir pour les rebelles, apprenant à connaître des noms comme Gomulka, Boulganine, Molotov et Khrouchtchev…  Pas surprenant que j’achète toujours, quand je le peux, Le monde diplomatique...


4.     Avance rapide en 12e année, à l’École secondaire de l’Université d’Ottawa, quelques semaines avant la diplomation… C’était au printemps 1963, j’avais 16 ans et aucune idée de ce que je voulais faire dans la vie… J’avais l’intention de m’inscrire à la faculté des Arts de l’Université d’Ottawa à l’automne, en vue d’études de droit ou d’architecture… sans conviction. Or, les Oblats de Marie Immaculée, qui dirigeaient l’école, nous obligeaient à consulter un prêtre qui devenait conseiller moral et conseiller d’orientation (ne riez pas…). Le mien, c’était le bibliothécaire, le père Lemieux, et je ne l’avais jamais consulté pour quoi que ce soit. Comme la fin du secondaire approchait, j’ai décidé d’au moins aller le saluer avant de quitter pour de bon. Il m’a demandé ce que j’avais l’intention de faire à l’université et quand je lui ai parlé de mes choix, il m’a immédiatement rabroué, affirmant que je perdrais mon temps en Arts et qu’il me croyait au contraire destiné pour les sciences sociales. C’est là, disait-il, que je serais chez moi. Je n’y avais jamais pensé, mais j’ai suivi son conseil. En septembre 1963, je me suis retrouvé dans un milieu peuplé d’étudiants québécois indépendantistes. Le grand débat commençait. Tout ça grâce à une rencontre qui n’aurait pas dû avoir lieu avec le père Lemieux…


5.     Le choix d’étudier en sciences sociales, puis de me spécialiser en science politique, avait été le bon mais en mai 1969, ayant complété ma scolarité de maîtrise et sur le point de rédiger une thèse, je n’avais toujours aucune idée de la suite des choses… Enseigner, étudier en droit, carrière diplomatique ? Rien de cela ne m’attirait vraiment… Un bon matin, marchant sur la rue Rideau, au centre-ville d’Ottawa pour je ne sais quel motif, je suis passé devant l’édifice du quotidien Le Droit. Comme je n’avais pas d’emploi d’été, je me suis demandé si le journal avait besoin de rédacteurs de juin à septembre. Je suis entré, on  m’a dirigé vers la salle des nouvelles où le directeur de l’information, Christian Verdon, un ancien de Montréal-Matin, m’a proposé de rédiger une nouvelle, question de mesurer ma vitesse à la machine à écrire et la qualité de mon français. Trois quarts d’heure plus tard, après lui avoir remis un feuillet racontant un vol de banque tout à fait sanguinaire, je me suis retrouvé au bureau du directeur du personnel pour négocier un salaire. Je n’avais pas parlé d’emploi d’été. J’ai obtenu un poste permanent. Et au premier jour de travail, je savais ce que je ferais jusqu’à l’âge de la retraite… et que je ne retournerais pas finir ma thèse en fédéralisme canadien…


Voilà. Cinq moments en apparence sans importance. Ils ont changé ma vie. Et pas seulement sur le plan professionnel. C’est grâce à mon emploi comme journaliste au Droit que j’ai rencontré, quelques années plus tard, celle que j’ai épousée en juillet 1975 et qui m’endure toujours à l’aube de mes 75 ans…


4 commentaires:

  1. Réponses
    1. Tintin passe par l'Inde dans Les Cigares du Pharaon et peut-être dans Tintin au Tibet, avant d'atterrir au Népal, mais je n'ai pas ces albums sous la main pour tout vérifier.

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    2. Vous avez tout à fait raison, monsieur Trudel : toute la dernière moitié des «Cigares du Pharaon» se déroule aux Indes (alors colonie britannique pas encore divisée entre Inde, Pakistan et Bangladesh). Puis, dans «Tintin au Tibet», Tintin et Haddock font escale à New Delhi (Inde) dans les planches 6 à 9, avant d'atterrir à Katmandou (Népal) d'où ils gagneront le Tibet.

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  2. Une belle carrière! Vous avez raison d'en être fier! Et oui, le temps passe vite! Charles Le Blanc

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