Le diable est dans les détails, y compris - et peut-être surtout - pour la Loi 101, aussi appelée Charte de la langue française. Le principe de notre Charte semble assez clair à l'article 1: «Le français est la langue officielle du Québec.» Puis de détail en exception en décision judiciaire, la belle bannière française se tache, se lézarde et finit par s'écrouler.
Prenons en exemple l'article 15 de la Charte que voici:
Clair et net, non? L'«Administration» (l'État, les municipalités, etc.) travaille en français et rend public son travail en français. On énonce trois exceptions. Celle sur laquelle je veux m'attarder est la deuxième. L'obligation du français seul ne s'applique pas «à la publicité et aux communiqués véhiculés par des organes d'information diffusant dans une langue autre que le français».Le gouvernement québécois, la Ville de Montréal peuvent ainsi insérer des publicités en anglais dans la Gazette de Montréal ou sur les ondes de CBC ou CTV, par exemple. Ou en italien dans le Corriere Italiano. À l'article 29, la Loi 101 prévoit aussi que les municipalités à majorité anglaise, les commissions scolaires anglaises, entre autres, peuvent utiliser l'anglais et (pas ou) le français.
Jusque là, ça va. Sauf ces exceptions, l'«Administration» «rédige et publie» en français seulement. Du moins, c'est ce que je croyais, jusqu'à ce que je m'aperçoive que la Ville de Gatineau (à 80% francophone) publie des avis en français et en anglais dans l'hebdo «bilingue» d'un quartier à majorité francophone (ils le sont tous) de la municipalité (bit.ly/3qXSAj7). Ce qui m'amena à poser la question suivante - voir les échanges Twitter ci-dessous avec la Ville de Gatineau):
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Cet échange avec la Ville m'a permis de découvrir des choses:
1. L'Office québécois de la langue française permet à une municipalité à majorité francophone de publier «simultanément en français et en anglais» dans des «publications anglophones», ce qui semble conforme au texte de l'article 15.
2. Cependant, l'Office québécois de langue française et la Ville de Gatineau définissent comme «anglophone» les médias dont le contenu est à la fois français et anglais. Ça ce n'est pas ce que dit l'article 15, qui vise des organes publiant «dans une langue autre que le français» et non des organes d'information qui publient dans deux langues dont le français. Si cet hebdo «bilingue» est considéré «anglophone», il peut tout aussi bien être défini comme «francophone».
3. Ainsi, non seulement l'OQLF et la Ville de Gatineau ont-ils étiré l'élastique des exceptions de l'article 15 en «publiant de façon bilingue dans une publication bilingue», mais il appert que cette façon de procéder «avait été demandée par l'OQLF»! Et moi qui croyait que l'Office avait pour mandat de protéger la langue française...
Par ailleurs, il ressort que ni l'OQLF ni la Ville n'ont établi de critères pour définir à quoi correspond le statut «bilingue» d'une publication. Il me semble qu'un journal bilingue, s'adressant à des publics en partie unilingues, doive normalement présenter les informations en parallèle, dans les deux langues. Ainsi les publicités du Québec et la Ville de Gatineau dans le Bulletin d'Aylmer/Aylmer Bulletin étaient identiques en français et en anglais.
Mais cet hebdo ne fait pas les choses ainsi. Ses textes peuvent être présentés dans une langue ou dans l'autre, sans traduction, laissant entendre que son contenu s'adresse à un public qui connaît, dans son immense majorité, l'anglais et le français. Pourquoi, alors, une municipalité francophone ne se limiterait-elle pas à publier des avis en français, pour respecter l'esprit de la Loi 101, pour affirmer le caractère francophone de la Ville de Gatineau, dans un hebdo où l'immense majorité des lecteurs comprend le français?
Par ailleurs, vu l'absence de définition du caractère bilingue d'une publication, n'importe quel quotidien ou hebdo - à Rimouski, Saguenay - pourrait insérer quelques textes en anglais dans ses pages, se déclarer bilingue, et réclamer des publicités additionnelles en anglais de la municipalité et du gouvernement québécois... Tant qu'à tordre l'article 15, aussi bien le réduire en miettes...
On me dira que cette affaire de pub bilingue dans un hebdo de Gatineau n'est qu'un détail. Mais il arrive souvent qu'un détail ici et là ébranle la fondation même d'un édifice. Le message, ici, c'est que l'OQLF permet à des municipalités françaises en vertu de la Loi 101 de se comporter comme des municipalités bilingues à majorité anglaise, et que la présentation d'une façade bilingue de ces municipalités incitera les anglophones et allophones à considérer le français comme optionnel...
En insistant pour exiger, jusque devant les tribunaux, la connaissance de l'anglais pour combler un poste de fonctionnaire qui pouvait fort bien s'en passer, la Ville de Gatineau a réussi en 2016 à faire tomber un pan entier de la Loi 101, au chapitre du français langue de travail. Il aura suffi d'un débat sur un poste de commis aux finances (voir bit.ly/3gYOiV7)...
Chaque petit pas vers la «bilinguisation» dans des municipalités or organismes de langue française mine l'esprit et la lettre de la Loi 101, déjà charcutée par les tribunaux fédéraux. Malheureusement, cela ne semble intéresser personne... Certains jours, découragé par la piètre performance de nos protecteurs linguistiques à l'Office de la langue française, je me demande s'il ne faudrait pas le renommer l'OQLA...
Cette situation risque d'empirer avant de s'améliorer, avec l'afflux de nouveaux résidents anglophones, attirés par le coût moins élevé du logement.
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