Dans l’ultime offrande publiée de son vivant, L'allume-cigarette de la Chrysler noire(1), Serge Bouchard clame sa «colère contre les publicités qui non seulement nous prennent pour des imbéciles, mais nous représentent à l'écran comme de parfaits crétins.»
C’est, à n’en pas douter, un sujet d’actualité en 2021. Depuis seize mois, la pandémie nous a davantage branchés sur nos téléviseurs, où l’on nous bombarde de 20 ou 30 publicités à l’heure... même durant les bulletins de nouvelles de Radio-Canada.
Les auteurs de ces pubs, visant à vendre produits et services, ou à nous passer des messages, ont à leur disposition des centaines de milliards de dollars et une armée de sondeurs experts qui décortiquent les moindres failles à exploiter dans les publics cibles.
Ces gens, mus par les algorithmes qui coulent dans leurs veines, croient nous connaître mieux que nous nous connaissons nous-mêmes. Ils nous étudient, nous épient jusque dans nos moindres battements Facebook, ou autres de même genre… Et puisqu’ils continuent à nous inonder de pubs, je dois conclure que ça marche...
Que faut-il donc penser quand on nous montre à cœur de jour cette publicité imbécile des Crosstrek de Subaru (bit.ly/3kpngZ4), où un couple adulte se comporte comme si trois véhicules étaient réellement leurs enfants. «On en voulait deux, mais le troisième, c’était une surprise», commentent-ils en voyant leur «progéniture».
Puis ce couple – comment dire ? – de crétins vante les mérites de leurs «enfants» sur pneus (le 2e a «tout un caractère»), leur vie active («ils ne végètent pas dans les centres d’achats». Et quand les voitures reviennent à la maison (sans humain au volant), le «père» et la «mère» des trois Subaru les grondent et exigent de savoir où elles ont passé la fin de semaine...
Misère... Mais je pense aussi à cette publicité télévisée de Crédit Karma Québec (bit.ly/3B1LP4p) où l'on voit le logement du client potentiel se transformer à mesure que sa cote de crédit s'élève... Le point culminant survient quand, atteignant son apogée, la cote de crédit fait disparaître la colocataire humaine et la remplace par un chien... Le sens profond de ce message qui se termine par «Vive le progrès», peu importe comment on le retourne, ne dit pas grand bien de l'humanité...
Ces deux pubs - et autres du genre - nous proposent des gens qui, d'une part, pensent que leurs voitures sont de vrais enfants, et, d'autre part, une personne type qui, ayant atteint un niveau de revenu (ou de crédit) supérieur, préférera la compagnie d'un chien à celle d'un humain... Et n'oublions pas que ces messages sont livrés par des experts ayant étudié leur marché et croyant ainsi toucher aux véritables aspirations de leur clientèle cible.
Serge Bouchard se met en colère - moi itou - contre ces pubs qui nous prennent pour des imbéciles et nous représentent en crétins. Il y a peut-être pire, cependant. Se peut-il que les auteurs de ces publicités, forts de leurs banques de données, aient conclu que la masse de clients qu'ils veulent embrigader est réellement peuplée d'imbéciles et de crétins? Qu'ils croient nous représenter tels que nous sommes, ou tels que nous sommes en train de devenir?
Que voyons-nous dans les deux pubs ci-haut? Un couple à l'aise financièrement, sans enfants, avec trois voitures Subaru, et une personne qui, devenue «riche», choisira de vivre seule dans un décor luxueux. Une société sans enfants (visibles), avide de confort et de biens matériels, consommant sans réserve, à crédit s'il le faut, pour engraisser les profits des puissantes entreprises qui financent à coups de milliards des publicités qu'elle croient efficaces...
Ces pubs sont à la fois amorales et immorales. Et elles disent que nous sommes des imbéciles et des crétins. Je n'entends pas grand-monde protester... En tout cas, je vais en glisser un mot à ma vielle Mazda 6 tantôt... À huit ans, elles doit être assez vieille pour comprendre...
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(1) Bouchard, Serge, L'allume-cigarette de la Chrysler noire, Éditions Boréal, 2021, p. 49
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RépondreEffacerJ'aime bien vous lire, M. Allard. Je ne suis pas toujours d'accortd avec vous, mais vous avez l'instinct au bon endroit. En sociologie (et dans la vie de tous les jours), on apprend que, plus une population est riche et plus elle tend à avoir peu d'enfants et inversement. Ce n'est pas toujours vrai, bien sûr, il y a toujours des exceptions, des cas particuliers, etc., mais c'est suffisamment vrai suffisamment souvent pour que cela puisse compter comme une règle très générale. C'est certainement le cas en Amérique du Nord, là où les Anglo-Canadiens, Franco-Canadiens et Anglo-Américains sont relativement riches (nous pas autant, mais l'écart se réduit tout le temps et finira éventuellement par s'inverser) et ont insuffisamment d'enfants pour se maintenir en nombre, d'où le besoin d'une forte immigration. Cela pose problème aux États-Unis, puisuqe les migrants sont souvent des hispanophones assez nombreux pour ne pas s'assimiler complètement, et au Québec, car les migrant y ont fâcheusement tendance à parfois préférer s'assimiler aux Anglo-Québécois... Les publicités dont vous parlez sont, dans le fond, le simple reflet de la société canadienne et de la société américaine en général: de plus en plus matérialiste, de plus en plus individualiste, de plus en plus superficielle. L'avenir de la vie humaine ne se trouve pas là où les gens sont les plus riches, mais là où leur descendance seront à terme les plus nombreux. Boston s'est transformée en quelques décennies, d'une ville anglo-protestante à une ville irlando-catholique. La démograpĥie est difficilement contournable. La fortune, au décès, ne sert pas à grand-chose. Elle se lègue, il est vrai, mais ce n'est pas vraiment le pouvoir de l'argent qui compte en bout de ligne, c'est le pouvoir de la présence et de l'existence. Dix personnes pauvres comptent plus qu'une personne riche, en réalité, ne serait-ce qu'en votes et en impôts, c'est-à-dire en pouvoir politique.
RépondreEffacerBien dit !!!
EffacerLa pollution sonore créé par le niveau sonore pourtant réglememté est delus en plus agressante.
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