dimanche 21 novembre 2021

Jouer à l'autruche...



«un jour, prédit le dernier des franco-ontariens,                                                                                                      il y aura peut-être le dernier des québécois»

(Pierre Albert, poète, Le Dernier des Franco-Ontariens, Éditions Prise de parole, Sudbury, 1992)

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Quand je vois le gouvernement de François Legault proposer des demi-mesures dont l'effet sera, tout au mieux, de ralentir le rythme d'une anglicisation qui sonnera inévitablement notre glas comme nation, j'ai la malheureuse impression de revivre ma jeunesse franco-ontarienne...

Il y a 50 ans, l'érosion du français était là, devant nos yeux, s'accélérant d'une génération à l'autre. C'était clair comme de l'eau de roche. Des mesures urgentes et draconiennes s'imposaient pour endiguer ou, sait-on jamais, renverser tant soit peu le processus d'assimilation. Et qu'ont font les chefs de file de l'Ontario français? Ils ont joué à l'autruche...

À la fin d'octobre et au début de novembre 1973, j'étais journaliste au quotidien Le Droit, affecté à la couverture ontarienne. Armé de récentes données du recensement de 1971 où apparaissait pour la première fois la question sur la langue d'usage (langue la plus souvent parlée à la maison), j'avais préparé une série de quatre analyses détaillant, région par région, les chiffres de l'anglicisation des Franco-Ontariens.

Ces statistiques percutantes, présentées avec tableaux pour les comtés et villes du Nord, de l'Est et du Sud de l'Ontario, étaient indéniables et sombres. Leur publication a-t-elle eu l'effet escompté? A-t-elle provoqué une prise de conscience du besoin d'actions urgentes en faveur du français? Bien sûr que non! Au lieu de regarder la réalité en face, on a sorti les lunettes roses...

La réaction la plus invraisemblable est venue de Laurent Isabelle, alors président du Collège Algonquin d'Ottawa (bilingue) et seul membre francophone de la Commission d'enquête ontarienne sur l'éducation post-secondaire (y compris en langue française), qui avait soumis son rapport en 1972. Homme respecté et intègre, M. Isabelle était un incorrigible optimiste et son opinion était sans doute un fidèle reflet d'une partie des élites franco-ontariennes.

Dans l'édition du Droit du 2 novembre 1973, le jour même où était publiée la 3e des quatre analyses, Laurent Isabelle a abordé le sujet lors d'une conférence à un Club Richelieu de la région d'Ottawa. Sans nier l'exactitude des données du recensement, il a annoncé à ses auditeurs que l'assimilation des Franco-Ontariens avait été endiguée mais qu'on ne pourrait pas en avoir la preuve avant le recensement de 1981!

Sur quoi se fondait cette affirmation? Aucune étude, aucune preuve, seulement sa conviction personnelle que les écoles primaires et secondaires françaises acquises depuis 1968 en Ontario allaient former de nouvelles générations pleinement francisées, et que preuve de telle francisation ne serait pas disponible avant le dépouillement des données du recensement de 1981... M. Isabelle a même avancé que l'on verrait en 1981 «augmenter les pourcentages de francophones qui conservent leur langue»...

N'importe quel sociologue aurait pu démontrer l'absurdité d'un telle prédiction, l'assimilation étant le résultat de nombreux facteurs dont le milieu scolaire ne constitue qu'un des éléments (important, soit). N'étant pas à une illusion près, M. Isabelle avait pris position contre la création de collèges et universités de langue française en Ontario, ne croyant pas qu'il y avait pas un bassin suffisant de francophones. Il était donc partisan d'établissements post-secondaires bilingues...

Mais la réalité a toujours le dessus. Non seulement les écoles primaires et secondaires françaises n'ont-elles pas enrayé l'assimilation, mais les recensements subséquents ont démontré une accélération du phénomène d'anglicisation. Et on a fini par créer deux collèges de langue française, notamment en scindant le collège Algonquin dont il était le président. Quant au projet d'université de langue française, il piétine toujours en 2021, l'immense majorité des étudiants franco-ontariens fréquentant encore des universités bilingues ou anglaises...

Évidemment, MM. Legault, Mme Anglade et autres d'avis semblables, confrontés aux premiers symptômes graves de transferts linguistiques et identitaires au Québec, ont peu de points de repère. Chacun, chacune y va de son diagnostic et imagine l'efficacité de sa solution sans avoir de preuve concrète à l'appui. Ils ont pourtant à leur disposition bien plus d'études et d'expertises que les Franco-Ontariens des années 1970 et 1980. Elles expriment toute l'urgence de la situation face à l'érosion du français, notamment dans la région montréalaise, et brossent des projections catastrophiques pour les 25 prochaines années.

Dans un tel contexte, poursuivre les programmes d'anglais intensif dans le primaire francophone et ouvrir (même partiellement) les cégeps anglais aux francophones (et allophones) relèvent du suicide culturel. Mais comme pour les Franco-Ontariens d'il y a un demi-siècle, les dirigeants québécois semblent incapables de tirer les conclusions et surtout, de prendre les décisions qui s'imposent. Le gouvernement de François Legault, face à l'évidence d'appliquer la Loi 101 aux cégeps, par exemple, n'osera jamais le faire, même pour sauver la nation. En haut lieu on a peur de mobiliser contre nous les Anglo-Québécois et le reste du Canada. 

Dans une cinquantaine d'années, la nation québécoise sera en pleine décomposition et on pourra écrire, comme Omer Latour (Une bande de caves, Les Éditions de l'Université d'Ottawa, 1981):

«Dieu merci, le combat est presque fini                                                                                                            L'assimilation totale apporte enfin le repos»...


2 commentaires:

  1. Je partage entièrement vos opinions sur la question, M. Allard, et je ne suis certainement pas le seul, même si la jeune génération (je n'ai qu'à regarder mes filles) n'est absolument pas sensibilisée à tout cela... Je pense encore, toutefois, qu'il n'est pas trop tard ou, du moins, je l'espère fortement.

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  2. Moi aussi, je l'espère mais je commence à être plutôt pessimiste pour l'avenir du français au Canada, puis à Montréal et, finalement au Québec, comme un jeu de dominos !!! Je partage votre opinion monsieur Allard !!! Il semble que nos héritiers n'ont pas le même courage et la même fierté que nos ancêtres !!!

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