mardi 6 avril 2021

Le 25 mars 2021, le jour où le Canada a (un peu) cessé d'être une fédération...



Hé les fédéralistes... Vous qui êtes si prompts à monter aux barricades quand Québec tente de se renforcer aux dépens d'Ottawa, où êtes-vous quand le fédéralisme que vous chérissez (apparemment) se trouve menacé par un abus de pouvoir du gouvernement central? J'écoute... Le silence est assourdissant.

Un jour, dans les cours de science politique, les profs pourraient bien enseigner que le régime fédéral canadien a pris fin le 25 mars 2021 quand une décision de la Cour suprême (celle au sujet de la taxe carbone) a tordu la Constitution du pays pour rompre l'équilibre entre Ottawa et les provinces, affirmant clairement la suprématie du gouvernement central sur les autres États membres de la fédération.

Cela est clairement contraire au principe même du fédéralisme. Dans un régime fédéral, les pouvoirs sont répartis entre le gouvernement central et les autres États membres, chacun exerçant un pouvoir souverain à l'intérieur de ses compétences. En vertu de ce principe, au Canada, le gouvernement fédéral et les 10 provinces sont égales. Chaque province devient à toutes fins utiles un pays indépendant dans ses champs de compétence.

En pratique, tout le monde sait la réalité est bien plus complexe mais ce principe demeure le fondement de toute fédération réelle.

Or, notre Cour suprême, où, rappelons-le, les juges sont nommés par le premier ministre fédéral, vient de démolir l'édifice d'un trait de plume, en inventant le concept constitutionnel de «l'intérêt national» pan-canadien dont Ottawa serait le gardien officiel. Ne cherchez pas cela dans un article de l'AANB de 1867 ou de la Loi constitutionnelle de 1982. Vous ne le trouverez pas.

Comment le plus haut tribunal de pays, de plus en plus notre Tour de Pise juridique, a-t-elle réussi ce tour de passe-passe? En décrétant que le droit général d'Ottawa de légiférer «pour la paix, l'ordre et le bon gouvernement» (POBG), tel que stipulé à l'article 91 de l'AANB, peut constituer un tremplin vers cet «intérêt national» (de toute évidence pas la nation québécoise), en vertu duquel le gouvernement fédéral a le droit de piétiner les compétences des provinces.

La Cour suprême a beau prétendre que cette virevolte est «compatible avec l'approche moderne concernant le fédéralisme, qui favorise la souplesse et un certain degré de chevauchement des compétences», c'est pure fantaisie. Elle crée une hiérarchie jusque là inexistante, avec Ottawa au sommet de la pyramide. Et ne vous trompez pas, «l'effet de la reconnaissance d'une matière en tant que matière d'intérêt national est permanent et confère compétence exclusive au Parlement (fédéral) sur cette matière».

Et à ceux qui pourraient penser que cette baguette magique fédérale ne peut s'appliquer que dans les champs de compétence fédéraux ou non attribués dans la Constitution, détrompez-vous. Ottawa vient de s'en servir dans un domaine qui relève entièrement des compétences attribuées aux provinces dans la Constitution canadienne.

Un des juges dissidents, Russell Brown, l'a noté clairement dans son explication: «Accepter que l'attribution de cibles nationales ou de normes nationales minimales puisse servir de fondement à la reconnaissance qu'un certain aspect d'un domaine de compétence provinciale est (...) de portée nationale et que, de ce fait, il outrepasse la compétence provinciale, revient à créer un modèle de fédéralisme de supervision par lequel les provinces peuvent exercer leur compétence comme elles le veulent, tant qu'elles le font d'une manière autorisée par les lois fédérales.»

Qu'arriverait-il si Québec, invoquant ce même principe, décrétait qu'il y va de son «intérêt national» (celui de la nation québécoise bien sûr) d'occuper un champ de compétence fédérale? La Cour suprême ferait comme elle l'a fait auparavant. Pour elle, le Québec c'est local, pas national. Je serais quand même curieux de voir comment les juges et leurs traducteurs s'en tireraient dans un affrontement juridique entre deux «intérêts nationaux» dans le même pays...

Quoiqu'il en soit, Ottawa vient de gagner le gros lot à la 6/49 constitutionnelle. Désormais, si Justin Trudeau veut soumettre le Québec à des normes fédérales minimales dans les CHSLD parce qu'il juge la santé des vieux d'intérêt dit «national», la porte est ouverte. Grâce à six juges de la Cour suprême (dont deux Québécois) qui viennent de passer la scie à chaîne dans la Constitution du pays (voir le texte du jugement du 25 mars à bit.ly/3w5vd9e).



1 commentaire:

  1. Le Canada devait être une CONFÉDÉRATION en 1867... Ce que les Orangistes n'ont jamais permis!!!!!

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