samedi 29 mai 2021

Cher M. Jolin-Barrette...

Cher M. Jolin-Barrette,

Je sais que même avec les meilleurs arguments du monde, je ne pourrais convaincre votre gouvernement d'appliquer la Loi 101 aux cégeps. Vous avez peut-être déjà vous-même essayé, sans succès, en discutant du projet de loi 96 derrière les portes closes des réunions ministérielles. 

Les motifs de cette inaction sont sans doute multiples, mais je crains surtout que cela puisse découler, tant chez notre premier ministre que chez vos collègues, d'un refus de voir la réalité en face. Quelle réalité? Celle de cohortes de finissants francophones du secondaire arrivant au cégep «avec de sérieuses lacunes en français» (voir bit.ly/3p2s2Mh).

Pendant que François Legault parle d'accentuer les programmes d'anglais intensif dans les écoles primaire de langue française et qu'on miroite un nombre quelque peu réduit de places dans les cégeps anglais pour l'élite francophone du secondaire, le message devient clair au sein de la jeune génération: pour l'avenir, c'est l'anglais qui compte le plus...

Et le français, la langue officielle, la langue commune apparemment, fait figure de parent pauvre. «Les élèves arrivent (au cégep) avec une série de lacunes qu'on doit essayer de rattraper au collégial. J'ai l'impression qu'on diplôme des analphabètes fonctionnels au secondaire. Il y en a plein au cégep», raconte la professeure Éléonore Bernier-Hamel dans un texte à la une du Devoir.

Plus de la moitié des étudiants dans sa classe de littérature québécoise ont échoué à la dissertation finale! «Plusieurs élèves n'avaient pas les compétences de base en littératie. Ils avaient d'énormes difficultés à comprendre un texte simple», insiste Mme Bernier-Hamel.

Bien sûr, la pandémie avec son lot de cours à distance n'a pas aidé la performance des étudiants, mais cela fait maintenant dix ans, dans le cheminement scolaire, que l'accent est mis sur la nécessité de devenir bilingue pour réussir, même au Québec. Philippe Couillard voulait que tous les jeunes Québécois apprennent l'anglais, et n'a pas hésité à appuyer un projet de faculté de médecine de McGill à Gatineau dans lequel la totalité des cours auraient été donnés en anglais... aux francophones! Quant à notre députée libérale de Hull, Maryse Gaudreault, elle voulait même ouvrir l'école primaire anglaise aux jeunes francophones...

Les jeunes écoutent les nouvelles comme vous, M. Jolin-Barrette. Ils savent que l'usage du français recule en milieu de travail, notamment dans la région montréalaise où il est toujours possible de vivre et travailler sans connaître un mot de français. Dans la région de Québec et Lévis, la majorité des élèves francophones passent déjà par l'anglais intensif en 6e année, sachant désormais que l'anglais est important au point d'interrompre pendant cinq mois leur apprentissage toujours fragile du français, cette langue commune qu'on dit vouloir protéger...

Pendant ce temps, les élèves anglo-québécois ont-ils l'obligation de suivre un programme équivalent de français intensif? Saviez-vous, M. le ministre, qu'en Ontario les jeunes Franco-Ontariens doivent réussir le même programme d'anglais que les anglophones? «L'anglais est enseigné (dans les écoles françaises) avec autant de rigueur que dans les écoles de langue anglaise, et ce, de l'école élémentaire jusqu'à la 12e année. (...) Tous comprennent l'anglais», précise le ministère ontarien de l'Éducation. Pas les deux tiers, pas les trois quarts, pas 90%, TOUS!

Alors voilà ce qui m'inquiète. Votre projet de loi contient nombre de mesures susceptibles de renforcer l'utilisation du français dans l'administration publique, devant les tribunaux et même en entreprise. Mais à quoi serviront ces efforts si la nation québécoise produit de jeunes générations massivement bilingues au français appauvri? Ce Québec français que tous semblent désespérément espérer, qu'en restera-t-il «au bout du chemin»?

Bonne chance, M. le ministre.



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