lundi 5 juillet 2021

Gatineau assaillie par des journaux bilingues...

En cessant de publier son édition papier le 24 mars 2020, le quotidien Le Droit a laissé un immense cratère dans le paysage médiatique de l'Outaouais. Et comme le veut la bonne vielle théorie du trou, il était inévitable que «quelque chose» le remplisse. Les presses des autres n'arrêteront pas de tourner parce que Le Droit a largué les siennes.

Dans les kiosques, dans les restos, sur les présentoirs, dans les résidences, on ne voit désormais que les deux quotidiens anglais d'Ottawa, le Journal de Montréal, Le Devoir, le Globe and Mail de Toronto, des publications sérieuses, mais qui ne reflètent en rien la culture et l'actualité de Gatineau et des vallées environnantes.

La disparition du Droit imprimé avait aussi laissé le champ libre à l'hebdo bilingue Bulletin d'Aylmer/Aylmer Bulletin, distribué dans le secteur Aylmer, au tiers anglophone. Les éditeurs du Bulletin lorgnent maintenant l'est de Gatineau, à plus de 90% francophone, avec un second journal publié aux deux semaines - encore bilingue -, le Bulletin de Gatineau.

Non seulement ces imprimés vont-ils accaparer une partie des revenus publicitaires locaux qui seraient jadis allés à l'édition papier du Droit, ils offriront au public de langue française un produit de qualité inférieure, véhiculant dans leur mixture bilingue leur profonde allergie au Québec français, déguisée en un soi-disant bon-ententisme.

Le premier numéro de ce Bulletin de Gatineau/Gatineau Bulletin donne le ton. L'éditorial en page 4 est publié en français et en anglais sous la plume de l'éditrice Lily Ryan. L'original est en anglais. L'édito français est traduit. Le gouvernement québécois paie pour quatre pages de pubs sur la vaccination, dont deux en anglais! Scandaleux!

Une seule journaliste signe des textes en français, et elle semble avoir pour tâche additionnelle de traduire dans sa langue des textes de nouvelles rédigés en anglais... On y propose un méli-mélo de publicités anglaises, françaises et bilingues. La page de dos, payée par un ancien annonceur du Droit, indique les prix des voitures à la française, avec un descriptif des véhicules en anglais seulement...

Tout cela n'est guère surprenant quand on sait que les deux Bulletin d'Aylmer et Gatineau font partie du groupe qui publie aussi l'hebdo anglais West Quebec Post et le Pontiac Journal/Journal de Pontiac, qui a eu maille à partir avec l'Office québécois de langue française (OQLF).

Éditorial du Pontiac Journal du Pontiac, 2015

En 2015, un conflit avait surgi entre l'OQLF et «Pontiac Journal du Pontiac». Une injonction demandée et obtenue par l'OQLF en vertu de la Loi 101 aurait obligé le journal à avoir une section française du journal, avec sa propre publicité en français, et une section anglaise du journal, avec sa pub en anglais. La Loi 101, plutôt obscure en cette matière, ne parle que du placement de la publicité.

Mais ce qui frappe le plus dans cette affaire, c'est le ton qu'a pris, surtout dans les textes anglais (reportages et éditorial), le Pontiac Journal du Pontiac. Le titre français à la une? «L'OLF sévit contre le Journal». Le titre anglais? «Language police clamp down on The Journal»… L'OLF en français, la language police en anglais…

En page éditoriale, dans l'édition du 6 mai 2015 (voir photo ci-dessus), le titre de langue française parlait d'inquisition et affirmait, comme le texte anglais, que l'OLF «adopte des pratiques réglementaires proches de celles du Moyen-Âge»… et que le bilinguisme «nous définit, nous enrichit et nous accompagne dans notre vie quotidienne même si cela déplaît à certaines personnes à Québec». Fausseté évidente étant donné que seuls les francophones sont massivement bilingues dans le Pontiac où l'anglais reste la langue dominante… Et le journal se lamentait qu'on remette en question ses efforts «à établir une harmonie entre nos deux langues communautaires»…

Voilà pour le texte modéré… Le ton s'est enlaidi quand l'éditeur émérite du journal, Fred Ryan, a pris la plume dans la page d'opinion. Sous le titre A sorry day, il a commencé par s'en prendre à l'auteur de la plainte à l'OQLF, qu'il traite de vipère et de froussard, et à qui il reproche d'avoir appelé à l'aide «les gangsters de Montréal», ces «wannabe goose-steppers» (traduire par: ces apprentis Nazis)…

Cette idéologie a été exportée dans le Bulletin d'Aylmer/Aylmer Bulletin. On peut lire sur le site Web: «L’énoncé de mission du Bulletin est "Vivre en harmonie/Living in harmony". Ceci reflète bien la réalité d’Aylmer; un lieu où deux héritages ont créé une communauté vibrante et en plein essor.» Et où les Gatinois francophones se font assimiler en nombres croissants...

Et les voilà maintenant à l'assaut de l'est de Gatineau, le secteur le plus francophone de la ville, par le biais des publi-sacs. Entre Aylmer et l'est de la ville, les deux Bulletin contaminent déjà près de 50 000 foyers. Ils peuvent dire merci au Droit, qui leur a laissé toute la place.

Le temps est venu de sensibiliser les citoyens de Gatineau à la vraie nature de ces publications bilingues et à l'importance de retrouver un journal papier d'information de langue française, de qualité, préférablement quotidien, préférablement Le Droit. Et aussi, de faire savoir aux institutions publiques, dont le gouvernement du Québec et la Société de transport de l'Outaouais, qu'ils trahissent l'esprit (et la lettre?) de la Loi 101 en s'annonçant en anglais dans une ville française, la quatrième ville du Québec!

J'ai l'intention de leur écrire, ainsi qu'à certains commerces qui participent par leur présence à l'expansion de journaux bilingues dans une ville et une région où la langue française est menacée.


6 commentaires:

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  2. J'ai lu votre chronique avec beaucoup d'intérêt et je suis d'accord sur bien des points. Il faut cependant souligner que le remplacement des journaux papier par des journaux numériques n'est pas inévitable dans tous les cas. Un journal bien implanté dans son milieu, bien enraciné, peut résister aux assauts de l'Internet. Les deux petits hebdos de Maniwaki ont disparu, mais un autre a vu le jour il y a des mois et semble bien se développer, avec suffisamment de publicité pour vivre, selon toutes apparences. C'est aussi le cas de petits journaux anglophones desservant au Québec des bassins de lectorat petits mais vivaces: The Low Down To Hull And Back en est un bon exemple. À l'inverse, des journaux de plus grande taille arrivent à tirer leur épigle du jeu, comme LeDevoir, tout comme le Journal de Montréal et son petit frère de Québec. Le contenu d'un journal doit plaire au lecteur (et à la lectrice), suffisamment pour qu'il se donne la peine de se le procurer. Je ne sais pas exactement pourquoi LeDroit a dû cesser sa publication papier. L'opinion des gens du Droit sur la qualité de leur propre journal était possiblement surestimée. Les orientations éditoriales ne correspondaient peut-être plus aux courants sociaux et politiques actuels. Créé pour défendre les droits des Franco-Ontariens menacés dans leurs droits linguistiques, LeDroit a pris une tangente ouvertement et proactivement fédéraliste et non-nationaliste, dans un environnement complexe où la dominance du Parti libéral du Québec en Outaouais était remise en question. Il y a un rédacteur en chef que vous connaissez bien qui, à la fin des années 80, a 'stuffé' et 'paqueté' la salle de nouvelles avec ses amis personnels, tous du même bord politiquement, réussissant à faire de ce journal la marionnette de ses préférences politiques, incarnées dans le Parti libéral du Canada, dont il était très sympathisant. Vous savez de qui je parle. À l'automne 1989, selon mes calculs, il avait réussi à combler 30 % des postes existants à la salle de nouvelles et il est resté encore bien plus longtemps, suivi ensuite par son mentor, de la même allégeance. (voir la suite)

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  5. (Suite du commentaire)
    LeDroit a très possiblement pâti de tout cela, perdant lentement contact avec son plus grand bassin de lecteurs, à Gatineau, surtout que l'éditorialiste en chef du journal, dans les dernièrs décennies, avant se retraite, un ancien journaliste sportif que vous connaissez aussi, était plus connu pour ses reportages sur la fine gastronomie que sur la situation linguistique ou nationale. Pour lui, il importait surtout de faire des comparaisons entre les restaurants de Gatineau et ceux d'Ottawa. Encore aujourd'hui, LeDroit est complètement absent du débat sur l'anglicisation de Montréal et réticent d'aborder ce genre de sujets allant à l'encontre de son évangile pro-Rocheuses. Pour ce qui est du Bulletin d'Aylmer, ses choix idéologiques sont une chose dans le secteur d'Aylmer, avec une forte minorité anglophone datant d'il y a longtemps et renforcée par de nouveaux arrivants d'Ottawa, tout comme ceux du journal bilingue du Pontiac, région majoritairement anglophone. Les propriétaires, s'ils veulent réussir dans leur entreprise, devront tenir compte de la nature de leur lectorat dans le secteur Gatineau/Gatineau, très différent par sa composition ethnolinguistique. La vieille fable du bilinguisme enrichissant et payant, dans un pays où ce sont surtout les francophones qui se bilingualisent et s'exposent ainsi de plein fouet à l'influence de cette langue très prestigieuse et dominatrice, est à mettre au même rang que la fable du parfait bilingue. Les deux favorisent l'assimilation à long terme. S'ils veulent s'implanter dans un secteur massivement francophone, les éditeurs du Bulletin d'Aylmer devront mettre de l'eau dans leur vin et modérer leur réthorique. Ils n'auront simplement pas le choix. Il est possible qu'une queue ne puisse branler un chien, comme aimait dire vous savez qui, mais il reste les choix politiques d'un journal ne peuvent être dictés à des lecteurs supposément obligés de le suivre et de lui obéir sans mot dire. LeDroit d'antan se caractérisait peut-être un peu trop par une mentalité de monopole ayant une tendance à pontifier et à se croire supérieurement supérieur au plan de l'intellect. La vérité, c'est que la population a toujours le dernier mot. Au plan économique, surtout dans les entreprises du secteur privé, on dit que le client a le dernier mot. C'est vrai. En politique, toutefois, c'est le citoyen qui prime et qui doit primer. La tournure d'esprit n'est pas la même.

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