mardi 10 décembre 2024

En 1944... Pas de femmes en pantalon à l'église...

Ma mère, Germaine Jubinville, en pantalon (ou en culottes comme on disait), en 1940, à l'âge de 16 ans

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Je ne saurai jamais comment mon grand-père Wilfrid Jubinville et ma grand-mère Eva Longpré ont réagi en prenant connaissance du billet En culottes jusqu'à la Sainte Table dans l'édition de février 1944 du bulletin Contact de la paroisse Saint-François d'Assise (quartier francophone de l'ouest d'Ottawa, aujourd'hui disparu).

Quatre années plus tôt, ma mère, Germaine Jubinville, alors âgée de 16 ans, avait réussi de peine et de misère à vaincre les réticences de ses parents pour obtenir la permission de s'acheter un pantalon, qu'elle a immortalisé dans la photo ci-dessus au début de l'automne. L'an dernier, quelques mois avant son décès à l'âge de 99 ans, elle se disait toujours fière de sa petite victoire.

J'en avais déduit qu'il était mal vu à l'époque pour une femme de porter un vêtement habituellement réservé aux hommes, mais avant de lire la diatribe des pères Capucins dans le feuillet paroissial, je n'aurais pas deviné à quel point cette opposition pouvait émaner du clergé d'ici. Le texte de Contact (non signé) va même jusqu'à menacer de refuser la communion à une fille ou une femme qui oserait se présenter en pantalon à la Sainte Table durant la messe...

Il faut rappeler le contexte. Nous sommes en 1944 et des milliers de femmes ont quitté le foyer à temps plein depuis quelques années pour des emplois dans les usines de guerre... contre la volonté de l'Église catholique (qui s'opposait même au droit de vote des femmes). Les prêtres de mon ancienne paroisse ne manquent pas de le rappeler sans détours: «Nos chefs spirituels avaient dit aux dames, aux demoiselles de ne pas travailler aux usines parce que ce m'était pas leur place. Elles y sont allées quand même. Première erreur et combien lourde!»

Et la seconde erreur? La tenue vestimentaire bien sûr! «Pour faire du travail d'hommes, parmi les hommes, elles se sont habillées comme des hommes, en culottes. Ce fut une deuxième erreur... et très grosse.» Ainsi, «elles sont arrivées à croire que c"était aussi bien de s'habiller comme cela qu'autrement. L'habitude de la culotte se prend comme les autres mauvaises habitudes.»

Pire, poursuit l'auteur scandalisé, «elles poussent l'audace jusqu'à s'approcher de la Sainte Table, jusqu'à venir communier avec ce costume affreusement laid pour elles.» Il ajoute ce conseil: «Ne restez jamais habillées comme ça, même chez vous, dans la maison.» Et pourquoi pas, une ultime menace: «Et qu'on sache bien, que nous n'endurerons personne, ni petites, ni grandes filles en culotte à l'église, ni encore moins à la Sainte Table.»

En conclusion, l'éditorial de Contact précise que «"la femme en culottes", c'est un mot d'ordre venant de la franc-maçonnerie»... Au cas où vous ne l'auriez pas su...

La page 2 du bulletin Contact de février 1944


lundi 2 décembre 2024

L'Ontario français sur les plages de Dunkerque...

Le militant franco-ontarien Basile Dorion

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Un peu comme les valeureux assiégés de Dunkerque, luttant à dix ou vingt contre un pour protéger les leurs et en acheminer le plus grand nombre possible en lieu sûr, des milliers de Franco-Ontariens mènent un combat à la fois désespéré et essentiel pour sauver ce qui peut l'être de la langue et de la culture françaises en Ontario. 

Un patriarche de l'Ontario français, Séraphin Marion, prévoyait déjà l'ultime défaite au début des années 1960, tout en clamant que des vieux comme lui poursuivraient la lutte jusqu'au bout. Il était friand de cette citation attribuée à Guillaume d'Orange: «Il n'est pas nécessaire d'espérer pour entreprendre ni de réussir pour persévérer

Pourtant, au moment où M. Marion énonçait ce sombre pronostic, les Franco-Ontariens formaient toujours une collectivité ayant des assises territoriales et communautaires appréciables. En dépit d'un demi-siècle de persécutions scolaires et d'une assimilation croissante, on pouvait reconnaître l'Ontario français dans plusieurs villes et villages du Nord et de l'Est ontarien, ainsi que dans les enclaves de Welland et Penetang (1) plus au sud. Le français y demeurait largement langue d'usage à la maison, dans la rue, à l'école, à l'église paroissiale.

En 2024, c'est un champ de ruines! Les quartiers urbains francophones - Ottawa, Cornwall, Sudbury notamment - n'existent plus. Les églises franco-ontariennes se vident ou ferment leurs portes. Dans des régions où le français domine toujours comme langue maternelle, l'anglais est devenu langue commune (travail, loisirs, médias, famille). Les taux d'anglicisation dépassent 40%. Les couples exogames où l'anglais règne au foyer sont majoritaires. Le territoire franco-ontarien rétrécit dans le Nord et recule vers la frontière du Québec à l'est d'Ottawa.

Restait le scolaire comme lieu de francophonie, surtout depuis que l'Ontario ait consenti à la création d'un vaste réseau d'écoles primaires et secondaires françaises à la fin des années 1960. En ce début de 21e siècle, dans la plupart de ces écoles, le caractère véritablement français se résume à la langue d'enseignement. Hors de la salle de classe, dans les couloirs, dans la cour d'école, les élèves échangent surtout en anglais. On en parle peu, mais tout le monde en est conscient...

À la mi-novembre, devant le comité de la Chambre des communes sur les langues officielles, un militant franco-ontarien de longue date en provenance de la région de Penetanguishene (près du lac Huron), Basile Dorion, est venu donner cette heure juste que l'immense majorité des dirigeants franco-ontariens balaient sous le tapis. Les écoles franco-ontariennes, chez lui et ailleurs, sont devenues des lieux d'anglicisation où le français «langue naturelle» s'entend rarement (2).

Les élèves de familles francophones se retrouvent dans des classes où souvent, la majorité des écoliers est issue de milieux anglais ou anglicisés, recrutés par les conseils scolaires pour assurer la survie de leurs écoles dans un contexte constitutionnel (article 23 de la Charte) où leurs droits sont liés au fameux «là où le nombre le justifie». «On force les conseils scolaires à se prostituer pour obtenir des nombres. (...) Le petit francophone est négligé. S'il veut se faire des amis, il doit faire comme la majorité et parler en anglais, sinon il est ostracisé», explique M. Dorion.

À une époque où l'on fignole les statistiques du recensement en combinant les concepts de «langue maternelle», de «langue d'usage», de «première langue officielle parlée» ou même de «langue officielle» tout court, l'expression «langue naturelle» employée par M. Dorion est rafraîchissante. Elle n'apparaît nulle part à Statistique Canada mais on la comprend très bien. Dans mon vieux quartier franco-ontarien aujourd'hui disparu à Ottawa, il était tout à fait «naturel» de parler français chez soi, dans les rues et ruelles, à l'école et à l'église. Le français faisait partie de notre «nature» culturelle dans un milieu social qui l'engendrait et le nourrissait. À l'exception de l'Est ontarien rural et d'un chapelet de villages ou petites villes dans le Nord de la province, le français «naturel» se fait très rare en 2024...

L'Assemblée de la francophonie de l'Ontario (AFO) ne l'avouera jamais mais l'Ontario français qu'on a connu jadis agonise. Depuis les années 1960, des dizaines de milliers de Franco-Ontariens se sont installés au Québec. Les ultimes îlots de résistance ont pour capitales Hawkesbury et Hearst, Ailleurs, y compris à Ottawa, il faut aller dans les résidences pour personnes âgées pour trouver des milieux vraiment francophones. Surtout pas dans les écoles. Mais comme l'affirmait si bien Séraphin Marion, il faut continuer la lutte, faire en sorte que les efforts des Basile Dorion n'aient pas été vains. Il faut réchapper le plus grand nombre possible de jeunes, et ainsi permettre à ceux et celles qui le désireront d'aller s'épanouir dans leur langue au Québec, qui en a bien besoin!

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(1) La crise scolaire de Penetanguishene: au-delà des faits... - https://danielmarchildonauteur.wordpress.com/wp-content/uploads/2019/01/la-crise-scolaire-livrel-2019.pdf

(2) Lien à l'article d'ONFR sur le témoignage de Basile Dorion au comité des Langues officielles de la Chambre des communes - https://onfr.tfo.org/anglophones-ecoles-francophones-ontario-conseils-scolaires/

jeudi 28 novembre 2024

Une nuit blanche à l'urgence...

Où étais-je, du début jusqu'à la fin de cette nuit blanche de samedi à dimanche? Dans une grande salle morose, sombre, aux couleurs fades... Sur les sièges, ça et là, des personnes souffrent en silence... D'un côté, un grand mur vitré laisse entrer les lueurs d'une froide nuit de novembre... De l'autre, une douzaine de portes fermées, interdites sauf par invitation... Inconfort généralisé, impossible de s'étendre pour fermer l'oeil... Aucun membre du personnel soignant visible... Seul un gardien de sécurité, là pour discipliner les souffrants, s'assurer qu'ils restent bien assis, ne haussent pas le ton et ne rodent pas trop près des portes interdites... Aucune petite musique ou écran télé, rien pour rassurer, réconforter ou se sustenter sauf quelques machines distributrices, où boissons et collations sont vendues à prix usurier... Bienvenue (!!!) à la salle d'attente (qui porte bien son nom) de l'urgence (qui porte mal son nom, parfois) de l'hôpital de Gatineau...

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Je n'ai aucunement l'intention de critiquer les préposés, infirmiers et médecins qui oeuvrent derrière les portes interdites de cet endroit lugubre. Ils font sûrement leur possible et dispensent d'excellents soins. Je veux plutôt m'en prendre à un système qui, chez nous à Gatineau et sans doute ailleurs, a transformé ce qu'on persiste à appeler une «urgence» en un lieu infernal où des citoyens (dont les impôts ont bâti ces centres de soins aigus) doivent attendre huit, douze, seize voire 24 heures et plus à l'occasion pour recevoir les traitements requis ou se faire dire d'aller ailleurs...

Samedi 9 novembre 2024, vers 17 h 15... Mon épouse chute dans notre garage et se blesse aux deux pieds... Le pied droit semble le plus touché... Impossible de se tenir debout et douleurs aiguës... N'ayant plus de médecin de famille (et de tout façon les bureaux seraient fermés), elle n'a plus qu'une option: se rendre à l'urgence de l'hôpital de Gatineau, à cinq minutes en voiture. Vers 18 h 30, on se décide. Arrivée à l'urgence vers 18 h 45 dans un grand couloir où. bien sûr, aucun humain ne vous accueille. Seulement un écran qui vous dit de presser sur le bouton pour obtenir un billet avec un numéro... (Surtout ne vous avisez pas d'oublier cette étape).

Je pousse mon épouse dans un fauteuil roulant jusqu'à la salle d'attente décrite ci-haut pour attendre qu'un haut-parleur appelle notre numéro de loterie. Aucun écran n'affichant les numéros appelés au triage ou aux salles d'examen, j'ai l'impression qu'un malentendant arrivant seul y serait foutu... Un malade, assis, perdant connaissance ou subissant une grave arythmie cardiaque, pourrait mourir sans qu'un seul membre du personnel soignant s'en rende compte... Enfin, ce n'est pas notre cas et de toute façon, en moins de 10 minutes nous voilà convoqués à l'une des salles de triage où l'infirmière conclut très vite à la nécessité d'une radiographie du pied.

Le service de radiologie de l'urgence étant inaccessible, il faudra se rendre au service principal de radiologie de l'hôpital, à l'étage, avec une requête à présenter au préposé. L'endroit est quasi désert. L'accueil est fermé et on nous conseille de nous rendre au bout d'un couloir adjacent. Pendant 10 ou 15 minutes, il n'y a absolument personne (sauf nous). N'importe qui aurait pu entrer et saccager l'endroit. Aucun gardien de sécurité ici. Finalement, la personne responsable nous retrouve et en quelques minutes, la radiographie du pied est complétée. Il n'est que 19 h 50 et déjà, une heure après notre entrée à l'urgence, l'hôpital a en mains l'image qui permettra à un médecin d'établir un diagnostic et, advenant une fracture, de transférer le dossier au service de l'orthopédie, à l'hôpital de Hull où nous retournerons lundi. C'est là que le calvaire commence...

Quelques heures plus tard, n'ayant toujours pas été convoqués à une salle d'examen, l'infirmière nous revoit à la salle de triage (ça semble être une procédure habituelle pour s'assurer de l'état des patients, ou pour savoir s'ils n'ont pas quitté, découragés). Nous sommes déjà fatigués, il est près de 23 h et nous savons que quoiqu'il advienne, on va nous renvoyer à la maison, avec ou sans plâtre. Nous indiquons notre volonté de rentrer chez nous s'il n'y a pas de fracture mais l'infirmière, qui voit la radiographie, n'a pas le droit de nous donner cette information. C'est le privilège du médecin et clairement, notre dossier n'a rien d'urgent. Devrait-on rester ici ou peut-on partir, demande mon épouse. «Vous devriez voir le médecin», lui répond-elle. Il y a donc fracture et on nous dit clairement que nous sommes à la bonne place...

Pendant les prochaines six ou sept heures, personne ne sera convoqué à une salle d'examen pour voir le médecin (après 11 h ou minuit il ne semble y avoir qu'un seul médecin à l'urgence d'un grand hôpital de la quatrième ville du Québec!) À l'oeil, dans la salle d'urgence, environ une douzaine de personnes attendent, espérant être traités. Certains sont arrivés bien avant nous, d'autres après. Combien de patients se trouvent derrière la douzaine de portes? Impossible de le dire, l'accès aux lieux est interdit aux simples détenteurs de billets numérotés. Ce qu'on sait, c'est que la patience a ses limites et que plus la nuit avance, certaines personnes qui auraient dû être vues, examinées et traitées par un médecin jugent préférable d'aller souffrir ailleurs. À la prochaine convocation au triage, des numéros appelés resteront sans réponse...

Je comprends pourquoi à l'hôpital, du moins à l'urgence, on devient des «patients». Il faut faire preuve d'une quantité substantielle de patience et à juger par les gens que j'ai côtoyés durant cette nuit blanche, nous sommes sûrement l'un des peuples les plus patients de la terre. Je comprends, au fond, que personne n'ait chialé ou élevé la voix. Qui ne craint pas de mettre en péril sa chance de recevoir des soins en confrontant un employé de l'hôpital? Mais il y a des limites et faut croire que je les atteint plus rapidement que d'autres. Un peu après minuit, je me suis risqué dans un couloir où se trouve le guichet «Inscription» (je ne sais pas qui s'inscrit là et pour quoi...). J'explique notre situation à la personne, qui semble submergée de paperasse, en ajoutant qu'on nous avait indiqué que nous n'aurions pas à passer la nuit à l'urgence pour obtenir le résultat d'une radiographie... Elle n'a aucune information utile à m'offrir et je commente: «Ça n'a pas de bon sens». C'est ça, «le système est pourri», dit-elle...

Nouvelle conversation de même type quelques heures plus tard au service de triage (notre troisième visite) avec un autre infirmier. On a beau plaider notre âge (septuagénaires), notre épuisement, mon état de santé (cardiaque), rien ne bouge. Semble-t-il qu'on devrait s'adresser au gouvernement, nous dit-on, plutôt qu'au personnel (oui, sans doute, mais avez-vous déjà essayé de rencontrer un humain du gouvernement pour porter plainte, en pleine nuit dans une salle d'urgence?). De toute façon, nous dit-on, vous n'êtes ici que depuis huit ou neuf heures. D'autres ont attendu jusqu'à 30 heures... Début de panique à l'idée de devoir passer une seconde nuit blanche devant les portes interdites!

Finalement, vers 6 heures du matin, plus de 10 heures après la radiographie, mon épouse commence à trouver que c'en est trop. Au bout du corridor «Inscription», elle réclame son dossier (qui lui appartient) à l'infirmier du triage précédent, qui nous avertit promptement de ne pas élever le ton! On aimerait bien lui parler comme si on jasait autour d'un bon café relax au resto, mais... Comme l'infirmier est occupé, nous attendons devant la porte de sa salle de triage où sans tarder, le gardien de sécurité vient nous demander ce que nous faisons là... Avant qu'il ait la chance de nous discipliner, et avant que la porte interdite s'ouvre de nouveau, on entend le nom de mon épouse, enfin invitée à se rendre à l'une des salles de traitement! Il est 6 h 30... Nous sommes ici depuis près de 12 heures.

D'autres personnes sont maintenant convoquées à des salles de traitement. Je dois en conclure qu'un ou quelques médecins se sont ajoutés aux effectifs. À partir de là, le processus interrompu pendant plus de 10 heures suit son cours. Examen par un médecin, fracture confirmée au pied droit, autre radiographie pour s'assurer qu'il n'y a pas fracture au pied gauche, pose d'un plâtre, renvoi à un orthopédiste à l'hôpital de Hull, ordonnance de médicament anti-douleur et nous voilà de retour à la maison vers 10 heures du matin, dimanche. Il s'est écoulé plus de 15 heures depuis notre départ pour l'hôpital la veille, dont 11 heures pour attendre le résultat d'une radiographie...

Ça n'a pas d'(série de jurons) de bon sens! Je répète: je ne blâme aucunement le personnel en devoir à l'urgence. Mais la configuration de ce qu'on appelle salle d'attente, à l'urgence de l'hôpital de Gatineau, démontre une absence totale d'humanité et de respect pour les usagers (qui se font dire, eux, d'être respectueux). Vous voulez que je mette des points sur les «i»? Voici quelques horreurs constatées en une nuit:

- l'accueil à l'entrée par une machine qui crache des billets numérotés, plutôt que par un être humain qui pourrait établir une communication sensorielle avec les usagers

- une salle d'attente impersonnelle où le seul humain visible rattaché à l'hôpital est un gardien de sécurité en uniforme, là pour discipliner les usagers et non pour les réconforter ou les informer

- vue constante d'un grand mur avec une douzaine de portes donnant accès aux soins, interdites aux usagers (sauf si expressément convoqués), assurant une séparation physique totale entre les souffrants détenteurs de billets numérotés et le personnel soignant

- l'impossibilité d'obtenir quelque renseignement fiable sur la durée probable ou possible de l'attente. Le système est ainsi fait. (Et surtout n'insistez pas; les membres du personnel, fatigués eux aussi, ne sont pas tenus d'être aussi patients que vous)

- l'impossibilité, si l'on doit passer une nuit entière en attente à l'urgence, de trouver un endroit où s'étendre pour fermer l'oeil. (N'allez pas improviser, le personnel de sécurité vous rappellera à l'ordre)

- des machines distributrices dont les prix sont exorbitants... dans une institution publique de santé québécoise - 3$ pour une bouteille d'eau, 4,50$ pour un biscuit à l'avoine. Scandaleux!

- la présence, pendant la nuit, d'un seul médecin à l'urgence d'un hôpital de grande ville; c'est en apparence le principal facteur de paralysie de ce service essentiel pour les personnes en salle d'attente. Pourquoi un seul médecin? Bonne question...

Si j'en avais le pouvoir, je traînerais le ministre de la Santé, le grand patron de Santé Québec et le PDG du CISSS de l'Outaouais (incognito bien sûr) jusqu'à l'urgence de l'hôpital de Gatineau pour y passer une nuit blanche en fin de semaine à observer l'absence de personnel soignant dans l'aire d'attente, à jaser avec les détenteurs patients et souvent découragés de billets numérotés, à fixer le mur des portes interdites, fermées pendant des heures, à compter les personnes qui finissent par quitter sans avoir été traitées, à constater l'efficacité disciplinaire du personnel de sécurité. Je ne suis pas expert, mais j'ai la conviction qu'ils n'auraient pas le sourire en sortant le matin suivant...

Toute l'attention, l'empathie, la diligence, la compétence et l'empressement de l'ensemble du personnel soignant, qu'ils auraient été à même de constater dans l'aire de soins, derrière les murs interdits, sont totalement absents de la grande salle murée et vitrée où des personnes malades, blessées ou souffrantes peuvent passer jusqu'à 12, 18 ou 24 heures accrochées à l'espoir que la voix métallique des haut-parleurs prononce leur nom et leur donne enfin accès au personnel médical...


lundi 4 novembre 2024

Voilà à quoi ressemble une ville sans journal quotidien...

Page une récente du seul «journal» qui reste chez nous, la feuille bilingue/bilingual «Bulletin de Gatineau». Mais cette «une» est tout de même percutante et fort opportune, surtout après la disparition du quotidien Le Droit... Gatineau, une ville de 300 000 personnes sans quotidien de langue française !!!
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Si mon ancien quotidien, Le Droit, publiait toujours une édition papier, je me plais à imaginer la manchette spectaculaire en gros caractères qui aurait sans doute orné les étalages de journaux dans les kiosques le lendemain de la publication d'une étude spéciale sur le déclin du français dans la région de Gatineau, ce 31 octobre 2024 (voir lien au texte de Radio-Canada en bas de page).

Avoir repris mon ancien poste de chef des nouvelles, j'aurais réservé le haut de la une à un titre qui se serait lu à peu près comme suit:

   À GATINEAU                                                                                                               «Plus facile pour un anglophone qu'un                                                             francophone de travailler dans sa langue!»

L'histoire n'est pas banale. Vous souvenez-vous de la dernière fois que Québec ait préparé et publié une étude portant spécifiquement sur la situation linguistique et la langue de travail à Gatineau? Moi pas. Et il y a aussi le fait que cette analyse provienne de Benoît Dubreuil, le tout nouveau Commissaire à la langue française du Québec, nommé en 2023. Qu'il se soit penché sur la problématique de Gatineau aussi rapidement rehausse l'impact de cette publication.

J'aurais affecté au moins deux ou trois journalistes (peut-être plus) à la rédaction de la nouvelle principale et des multiples suivis qui s'imposaient. Le résumé des données et conclusions de l'étude aurait été coiffé d'une entrevue en profondeur avec le Commissaire et l'un de ses experts pour dégager le sens des colonnes de chiffres accablantes.

D'autres reporters seraient allés chercher des réactions de députés (fédéraux et québécois), du maire de Gatineau, des conseillers municipaux et des personnes dans la collectivité gatinoise qui s'intéressent de près aux enjeux linguistiques. Sans oublier un bon vieux vox pop dans les rues de Gatineau... De quoi remplir au moins trois ou quatre pages du journal... avec un éditorial incisif et une caricature de l'éternel Bado...

Mais voilà. Le Droit n'a plus d'édition quotidienne imprimée. Même pas d'édition quotidienne numérique. Il reste un babillard en temps réel sur le Web avec une équipe amaigrie de journalistes, excellents par ailleurs. Mais quatre jours (4 novembre) après la diffusion du rapport du Commissaire à la langue française, rien n'indique qu'un reporter au Droit ait lu et décortiqué le rapport. Aucun texte maison n'a été publié, sauf par Radio-Canada, et même ce dernier laissait nettement à désirer. Jamais l'image de la une du «Bulletin de Gatineau» (bi-mensuel bilingue) illustrée en haut de cette page ne m'aura paru si opportune: «Voilà à quoi ressemble une communauté sans journal local»... 

Le résultat, c'est que cette importante étude est tombée à plat. Une petite déclaration ça et là, et vite le chemin des oubliettes. Personne ne verra cette page une qui aurait existé jadis, ni dans les kiosques, ni dans les restos et hôtels, ni sur les tables de cuisine. Et Gatineau, du moins son centre-ville, continuera de se transformer en Ottawa-Nord... 

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Lien au texte de Radio-Canada - https://ici.radio-canada.ca/nouvelle/2116894/commissaire-langue-francais-recul-fonction-publique-federale

Lien au texte de la Presse canadienne, reproduit sur le site du Droit - https://www.ledroit.com/actualites/2024/10/31/le-francais-recule-de-maniere-preoccupante-au-travail-et-dans-la-culture-SUQW2OGHGZF2PMIWN2ZYP75W5I/

Lien au rapport du Commissaire à la langue française du Québec - https://www.commissairelanguefrancaise.quebec/wp-content/uploads/2024/10/Situation-francais-etudes-complementaires.pdf


lundi 28 octobre 2024

Mary Simon... Habituez-vous...

Mary Simon


Dans cette fédération ficelée contre notre gré en 1867, dans cette Constitution de 1982 enfoncée comme un poignard, dans ce pays où, minoritaires, nous n'avons jamais pu décider de quoi que ce soit, l'égalité de deux langues «officielles» continue d'orner les façades à Ottawa.  Mais ces jours-ci, excusez l'anglicisme, les craques fissurent de plus en plus les façades, même aux plus hautes sphères de l'État.

La nomination en 2021 d'une gouverneure générale incapable de prononcer même quelques phrases en français, et encore moins de les comprendre, aurait été impensable durant la Révolution tranquille ou dans les années suivant l'échec de l'Accord du Lac Meech. Ce l'est, désormais. À cause du contexte politique: le Canada anglais, sous Harper et bientôt avec Poilièvre, sait qu'il n'a plus besoin du Québec pour gouverner le pays. Secundo et de manière plus importante, le contexte démographique: la proportion de francophones, et bientôt leur nombre absolu, connaît une chute dramatique qui va s'accélérant.

Au milieu du 20e siècle, parlant des langues officielles, près d'un citoyen du Canada sur cinq connaissait seulement le français. Aujourd'hui,  cette proportion s'approche de 10%. Bientôt un sur dix! Le bilinguisme ne progresse qu'au Québec et principalement chez les francophones. Les Anglo-Canadiens hors-Québec, à 90%, ne parlent pas notre langue et ne la parleront jamais. Cela fait, au Canada de 2021, environ 4 000 000 d'«unilingues» français pour plus de 25 millions de citoyens qui ne comprennent que l'anglais, l'autre langue officielle. Ça laisse, sur une population totale de 36 ou 37 millions, à peine six millions et demie de «bilingues»: 18% de la population...

Les médias faisaient récemment état de l'embarras* du gouvernement Trudeau parce que la gouverneure générale Mary Simon, après trois ans de cours, ne maîtrisait pas un français même rudimentaire. C'est pourtant une femme intelligente, experte des questions de l'Arctique et ancienne ambassadrice du Canada. Tout à fait capable d'acquérir l'autre langue officielle du pays. Alors pourquoi ne l'a-t-elle pas fait avec tous les moyens mis à sa disposition? Pour deux motifs qui devraient crever les yeux: elle n'a pas besoin du français pour exercer l'essentiel de sa fonction de chef d'Etat et, de toute façon, elle ne veut pas vraiment l'apprendre.

Quand on veut on peut! J'avais interviewé dans les années 1990 un major anglophone dans l'aviation canadienne parlant un français fort acceptable, avec un accent issu de la rue et non des couloirs scolaires. Je lui demandé comment il avait appris. Originaire de la Nouvelle-Écosse, unilingue anglais, il avait été stationné à Bagotville et vécu quelque temps à Jonquière où il lui fallait évoluer au quotidien en français. En quelques mois à peine, il se débrouillait. Avoir obligé Mary Simon à vivre en appart à Rimouski pendant trois ou quatre mois, le problème serait déjà résolu... Enfin...

Je peux tout de même comprendre le point de vue des anglos. Apprendre une langue seconde parce qu'on le veut est un plaisir, un enrichissement. Se faire imposer une autre langue que la sienne est un irritant majeur, que les francophones du Québec et du reste du Canada connaissent bien, qu'ils subissent en grands nombres à chaque minute de chaque heure de chaque jour depuis que ce pays existe. Nous y sommes habitués avec un Canada à forte majorité anglaise et un voisin anglo-américain omniprésent. Mais l'Anglo-Canadien peut vivre en anglais seulement un peu partout de Whitehorse à Yarmouth, y compris à Ottawa et même à Montréal (Michael Rousseau l'a dit). Pourquoi apprendre le français, une langue qu'ils n'utiliseront pas?

Quand on défend le droit pour la majorité franco-québécoise de demeurer majoritairement unilingue française dans un Québec appelé, espérons-le, à devenir souverain, on ne peut du même souffle réclamer une bilinguisation de masse dans un Canada où l'unilinguisme anglais restera la règle, avec ou sans le Québec. De toute façon, au rythme actuel, d'ici deux générations, une forte majorité de francophones connaîtront l'anglais. C'est déjà fait hors Québec (à 90%) et ce le sera bientôt dans le bassin du Saint-Laurent. Quand seul un Canadien sur 20 sera unilingue français et que le Québec en voie de s'angliciser deviendra officiellement bilingue, on ne se posera plus de questions. Il y aura des Mary Simon partout et ce sera normal. Les anglos se sentiront chez eux partout dans leur langue. C'est leur pays.

Alors le scénario est clair. Au recensement de 1971, près de 4 millions de répondants francophones (sur une population totale de 21 millions de Canadiens) ne comprenaient pas l'anglais. En 2021, ça stagne toujours autour de 4 millions, mais sur une population totale de 36 millions! Entre-temps, le nombre d'anglophones qui ne comprennent pas le français est passé de 14 millions en 1971 à 25 millions en 2021. Il devient de plus en plus ardu de dire à ces dizaines de millions d'anglos qu'ils devront apprendre une langue en déclin pour devenir juges de la Cour suprême, gouverneur général, haut fonctionnaire ou ministre... Mary Simon n'est que la pointe d'un iceberg. Remarquez qu'on pourrait toujours, pendant son règne, demander à Charles III de lire les Discours du Trône à Ottawa. Le roi, lui, parle assez bien français.

Il ne reste qu'une voie réaliste pour sauver la langue et la culture française en Amérique du Nord: créer notre pays français. Entre l'immigration incontrôlée et une dénatalité massive qui menacent désormais l'existence même de ce «nous» français que nous avons mis 400 ans à bâtir et auquel nous voudrions intégrer les nouveaux arrivants, il ne reste plus grand temps pour agir de façon décisive. Le prochain recensement sera désastreux. Les façades bilingues fissurées finiront par s'écrouler...

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* Lien au texte du Devoir - https://www.ledevoir.com/politique/canada/820533/incapacite-mary-simon-parler-francais-embarrasse-gouvernement-trudeau


mercredi 23 octobre 2024

Pourquoi le drapeau du Canada devant nos hôtels de ville?



Devant la Maison du Citoyen à Gatineau


Le drapeau officiel d'un État, c'est bien plus qu'un chiffon... Il identifie l'État, ainsi que son territoire et son peuple, à l'intérieur comme à l'extérieur de ses frontières. Le graphisme et les couleurs symbolisent son histoire et ses valeurs. Il marque aussi la présence, l'appartenance et l'autorité de l'État qui le déploie.

À Ottawa où j'ai grandi, le gouvernement fédéral arbore l’unifolié rouge sur la multitude d'édifices qu'il occupe et il n'est pas rare de voir le drapeau du Canada flotter sur des terrains ou maisons de particuliers. Le 1er juillet, Fête du Canada, la ville est littéralement tapissée de drapeaux rouges et blancs à feuille d'érable. Cette masse d'unifoliés déborde un peu sur Gatineau, notamment près des tours remplies de fonctionnaires fédéraux qui trônent sur le centre-ville. Ça donne un peu à la rive québécoise de l'Outaouais une allure «Ottawa-Nord», bilingue-à-l'anglaise. 

Le gouvernement du Québec a aussi pignon dans le vieux Hull, mais son modeste édifice Jos Montferrand sur la rue Hôtel-de-ville, avec ses trois drapeaux québécois, reste dans l'ombre des tours fédérales adjacentes de Place du Portage. On aurait pu s'attendre que l'hôtel de ville de Gatineau, de l'autre côté de la rue, vienne en renfort à titre d'institution publique du Québec mais non: sur les trois mats devant notre «Maison du citoyen» municipale flottent le drapeau du Canada, le fleurdelisé au centre et la bannière municipale...

Cela m'a étonné. Je ne l'avais jamais vraiment remarqué. Combien de passants jettent.un coup d'oeil aux mats sur la terrasse devant l'hôtel de ville de Gatineau? Offusqué, je me suis dit que cela valait bien un texte de blogue, qu'il y avait là une des preuves que Gatineau soit inféodée au fédéral depuis que ce dernier ait pris pied sur la rive québécoise vers 1970 et éviscéré à coups d'expropriations un quartier ayant abrité les humbles maisons de résidents francophones.

Quelle ne fut pas ma surprise de découvrir, à l'aide de Google Street View, que le drapeau canadien est déployé devant les hôtels de ville de la quasi-totalité des villes que j'ai arpentées numériquement: ailleurs en Outaouais y compris Maniwaki, Thurso, Montebello; mais aussi dans notre métropole, Montréal; dans notre capitale nationale, Québec; à Sherbrooke, Saint-Hyacinthe, Rivière-du-Loup, etc. Je ne comprends pas... Ottawa n'ajoute pas de fleurdelisé devant ses bureaux de poste. Québec déploie le seul fleurdelisé devant les écoles publiques, les centres hospitaliers et autres édifices publics. Alors pourquoi l’unifolié devant les mairies québécoises?

Les lois et règlements du Québec stipulent: «Le drapeau du Québec doit être déployé de façon officielle par une institution publique ou un établissement relevant de l'Administration gouvernementale afin d'identifier son appartenance à cette dernière. Le drapeau a pour fonction, au même titre qu'une signature gouvernementale, de permettre au citoyen de reconnaître la juridiction du service qui lui est offert. Les institutions publiques relevant de l'État du Québec doivent observer les règles relatives au déploiement institutionnel.» Or, les municipalités font expressément partie de ces institutions publiques!

Hisser le drapeau du Canada sur nos mats municipaux constitue un manque de respect pour la loi québécoise en laissant croire à une juridiction partagée avec Ottawa qui n'existe pas, ou une appartenance quelconque au gouvernement fédéral, également inexistante. Les institutions municipales sont des créations du seul État québécois. Et c'est sans oublier que le drapeau du Canada représente la majorité anglo-canadienne et l'État fédéral, celui-là même qui nous a imposé la Constitution de 1982 sans notre accord et qui se sert de ses tribunaux pour désavouer les lois du Québec sur la langue française et la laïcité.

Il serait grand temps que le gouvernement québécois rappelle aux municipalités qu'elles sont soumises aux mêmes lois et règlements que les autres institutions publiques - les ministères, les écoles et centres de services scolaires, les établissements de santé, etc. - et qu'elles doivent s'afficher - même par le drapeau - comme des institutions québécoises. Vivement qu'on retire l'unifolié de nos hôtels de ville et mairies!

Devant l'hôtel de ville de Sherbrooke...


lundi 14 octobre 2024

10, 20, 50 Saint-Léonard...

La bataille de Saint-Léonard de Félix Rose tombe pile! En plus d'étaler avec doigté sur grand écran un moment clé de l'histoire - oublié des plus vieux, inconnu des plus jeunes - ce film rappelle le coeur d'un affrontement, scolaire en apparence mais touchant la fibre sociale entière du Québec. Et qui se poursuit en 2024...

De 1967 à 1969, Italiens et Canadiens français de Saint-Léonard-de-Port-Maurice (devenu l'arrondissement Saint-Léonard à Montréal) se sont fait la guerre: italophones exigeant d'envoyer leurs enfants à des écoles anglaises ou bilingues, francophones voulant imposer l'école française. C'est plus complexe que ça mais enfin...

Réunions publiques houleuses, occupation étudiante de l'école Aimé-Renaud, manifestations parfois violentes, interventions policières musclées, accusations de sédition! Boum! Le gouvernement de l'Union nationale fait adopter en 1969 la Loi 63 permettant le libre choix de la langue d'enseignement pour tous les parents. Victoire des Italiens. Le ressac chez les Québécois de langue française devait mener à l'élection du PQ en 1976 et l'adoption rapide de la Loi 101.

Le grand mérite du cinéaste est d'avoir tendu le micro à une famille de chaque camp: les Barone et les Lemieux. L'Italo-Québécois Mario Barone était constructeur et conseiller municipal. L'architecte Raymond Lemieux, fondateur du Mouvement pour l'intégration scolaire, pilotait la coalition francophone. On les voit, ainsi que leurs enfants, dans des clips d'époque et des enregistrements plus récents. Et si on se donne la peine d'écouter, tout est là!

Les immigrants italiens se considèrent autant, sinon plus, Canadiens que Québécois. Ils veulent voir leurs enfants sur les bancs des écoles anglaises (ou bilingues), ayant perçu avec justesse la dominance de l'anglais et des anglos à Montréal, au Canada et en Amérique du Nord. Pourquoi miser sur la langue des quartiers pauvres et de la misère? Qui peut les en blâmer?

De leur côté les francophones, propulsés par une révolution pas toujours tranquille, ont pris conscience de leur infériorité économique et entendent mettre leur majorité linguistique au service d'un projet national de société à leur image. Le Québec ne sera pas bilingue ou anglais: il sera français. Dans le film, Raymond Lemieux, président du Mouvement d'intégration scolaire de Saint-Léonard, est très clair: on ne devrait même pas avoir à apprendre l'anglais au Québec!

Cette affirmation, qui passe en clin d'oeil dans le documentaire, reste pourtant la plus importante recueillie par Félix Rose dans les archives de la fin des années 1960. Faut-il, faudra-t-il connaître l'anglais pour bien vivre au Québec? Clairement, après un demi-siècle, on n'a qu'à écouter Michael Rousseau, PDG d'Air Canada, et la gouvenore-djènerale du Canada, Mary Simon, pour savoir qu'on peut encore aujourd'hui, au Québec, viser le sommet sans apprendre un mot de français...

Et comme si cela ne suffisait pas, les deux plus récents premiers ministres libéraux, Jean Charest et Philippe Couillard, ont exprimé clairement leur désir de voir tous les jeunes Franco-Québécois devenir bilingues. L'anglais intensif dans les écoles françaises! Le Parti libéral du Québec, plutôt silencieux lors de la bataille de Saint-Léonard, serait monté sur les barricades avec les Italiens dans les années 2010...

Le documentaire de Félix Rose reste plutôt discret sur le rôle des autres partis d'opposition. C'est l'une des rares faiblesses du film. Les chefs de l'Union nationale sont à l'avant-plan mais c'est logique. L'UN, sous Daniel Johnson puis Jean-Jacques Bertrand, était au pouvoir. Pourtant, en mars 1968, à un congrès spécial du RIN (Rassemblement pour l'indépendance nationale), Pierre Bourgault - qu'on aperçoit sans plus à l'écran à quelques reprises - avait appelé les membres à se mobiliser pour les parents francophones de Saint-Léonard et organisé une assemblée de 600 personnes au mois de mai 1968.

René Lévesque, chef du Mouvement Souveraineté-Association devenu Parti québécois à l'automne 1968, oscillait entre sa volonté d'intégrer les immigrants au Québec français et sa répugnance d'ordonner leur francisation. Il s'était rendu en pleine nuit (pour éviter les médias) à l'école Aimé-Renaud en guise d'appui aux parents francophones mais quand Raymond Lemieux s'est avancé pour le saluer, le chef du PQ l'avait mis en garde contre toute association avec des «fanatiques», visant notamment Reggie Chartrand des Chevaliers de l'indépendance, qu'il venait de croiser sur les lieux.

La crise scolaire et linguistique vécue à Saint-Léonard laissait présager d'autres conflits dans la grande région montréalaise et ailleurs, là où, dans un contexte de libre choix entre l'école française et anglaise, l'immigration croissante combinée à une proportion appréciable d'anglophones créerait des situations similaires. Raymond Lemieux le pressentait quand il a exhorté les milliers de militants du MIS à créer «10, 20, 50 Saint-Léonard» à travers le Québec. Des comités avaient été formés à Anjou, Jacques-Cartier, Outremont, Hull, Rouyn, Matagami et même à Trois-Rivières. Il n'y a finalement pas eu d'autres Saint-Léonard avec la crise d'octobre de 1970, l'élection du PQ en 1976 et la Loi 101 en 1977, mais la question de M. Lemieux demeure: faut-il vraiment apprendre l'anglais à Montréal, à Gatineau, au Québec?

La réponse doit absolument être NON! Si l'immense majorité des Québécois ne peut espérer vivre et travailler uniquement en français, la bataille de Saint-Léonard et la Loi 101 n'auront rien donné. Si les partisans du bilinguisme collectif au Québec l'emportent, nous n'avons pas d'avenir comme peuple. Un Torontois trouve-t-il normal de vivre et travailler en anglais seulement dans la Ville-Reine? Bien sûr! Et un Danois d'évoluer dans sa langue à Copenhague? Et un Brésilien de s'attendre à être servi en portugais dans les commerces? Et à un Suisse de Zurich de passer sa vie en allemand? Bien sûr! Les immigrants apprennent partout la langue du pays. C'est normal. Ce doit l'être aussi dans un Québec résolument français! Voilà le message de Saint-Léonard.

Félix Rose se plaignait avec raison que la bataille de Saint-Léonard avait été oubliée. Son documentaire fait oeuvre utile en initiant les générations actuelles à quelques pièces clés du casse-tête linguistique québécois. Rien n'a été réglé depuis 1967. Les écoles françaises feront de nos prochaines générations des «bilingues» baragouinant un français appauvri farci d'anglicismes et de mots anglais. Des milliers d'étudiants francophones s'inscrivent aux cégeps et universités anglaises... au Québec. Et s'anglicisent. Et à Saint-Léonard, la moitié ou plus des Italo-Québécois et autres collectivités issues de l'immigration continuent de choisir de vivre en anglais, parce qu'ils le peuvent, parce qu'ils l'estiment plus nécessaire que le français.

Depuis la fin des années 1960, à Montréal, la proportion d'unilingues français a chuté de façon dramatique! Les Montréalais francophones sont massivement bilingues, désormais. Cette anglicisation en marche deviendra irréversible à moins de créer «10, 20, 50 Saint-Léonard»... Quand les «Bonjour-Hi» se diront sans «Bonjour», il sera trop tard. Notre contribution de plus de 400 ans à la diversité culturelle mondiale ne sera guère plus qu'une page dans les manuels d'histoire. Ou encore quelques films documentaires comme «La bataille de Saint-Léonard» accumulant la poussière sur les tablettes numériques de nos grandes bibliothèques...


lundi 7 octobre 2024

Si les Québécois se mettaient dans la peau d'un Franco-Ontarien de Greenstone...

En septembre, plus d'une centaine de particuliers et d'organisations ont offert des drapeaux franco-ontariens aux résidents de la petite ville de Greenstone, dans le nord de la province, pour que ces derniers puissent pavoiser leurs maisons en guise de protestation contre la décision du conseil municipal de retirer du mat de l'hôtel de ville l'étendard blanc et vert de l'Ontario français qui y flottait depuis une dizaine d'années.

À mon grand désespoir, cette nouvelle n'a pas percé l'éternel mur d'indifférence des médias québécois. Mais, dira-t-on, pourquoi s'intéresser au combat d'une poignée de francophones hors Québec contre le mépris habituel d'une majorité anglaise dans un bled isolé de la forêt boréale sur l'interminable route 11, direction lac Supérieur? Parce qu'un jour, au train où vont les choses, nous, Québécois, serons peut-être aussi réduits à mobiliser une base citoyenne si des anglos devenus majoritaires décident de retirer le fleurdelisé d'un mat et hisser leur unifolié rouge à sa place...

Une telle situation est difficile à envisager au Québec dans le contexte où une majorité francophone - solide mais déclinante - nous permet d'occuper le haut du pavé. À condition de vouloir occuper le haut du pavé bien sûr, ce qui ne semble pas du tout clair. Chaque recensement brosse un portrait chirurgical de l'affaiblissement du français, au Québec comme ailleurs, et du renforcement de l'anglais, même chez les francophones. Dans les régions à forte présence anglophone et allophone, un racisme anti-français se manifeste ouvertement, dans la société, les écoles, les boîtes de scrutin. Ne leur manque que la majorité pour nous faire suer comme les Franco-Ontariens...

Alors faites un moment l'effort de vous imaginer à Greenstone, petite ville de 4000 habitants où habitent près de 900 francophones (la proportion baisse tous les ans). Vous n'avez aucun pouvoir décisionnel avec moins de 25% de la population et ne pouvez espérer d'appui du gouvernement provincial à Toronto, ni du fédéral où la majorité anglo-canadienne exerce 100% du pouvoir. La municipalité décide de retirer votre drapeau vert et blanc avec fleur de lys et trille du mat à l'hôtel de ville et de lui accorder cinq jours par année, dont le 25 septembre, Jour des Franco-Ontariens. 

Vous n'avez aucune force politique suffisante. Vous amassez donc des drapeaux de l'Ontario français et pavoisez les maisons pour protester. Vous boycottez la cérémonie du 25 septembre à l'hôtel de ville. Et puis? Rien! Sans le bon vouloir des anglos, vous êtes cuits. Reste l'influence des médias de langue française, qui ne rejoignent qu'une faible proportion des Franco-Ontariens, ainsi que la force plus imposante des médias québécois, capables de propulser la misère d'une petite collectivité francophone ontarienne sur la scène nationale, québécoise et canadienne. Mais la presse québécoise est en plein désarroi. Six des dix quotidiens de langue française sont disparus et ce qui reste de la presse écrite et des médias électroniques au Québec ne vous connaissent même pas! La population restera dans l'ignorance!

Pouvez-vous imaginer la frustration devant une situation où vous subissez une injustice sans avoir la capacité de la redresser, d'être à la merci d'une majorité hostile (celle-là même qui commet l'injustice), de n'avoir aucun recours à une instance où les vôtres sont en position de prendre une décision, et de ne pouvoir mobiliser l'opinion publique à cause d'une indifférence médiatique généralisée? Voilà le quotidien des Franco-Ontariens.

Maintenant tentez de transposer une telle impuissance dans le Québec de vos petits-enfants ou arrière-petits-enfants. Vous aurez vite fait de comprendre pourquoi il faut léguer aux générations à venir un pays français exerçant tous les pouvoirs de la souveraineté. Un pays où nous aurons le droit de décider, où nous ne serons plus obligés de quêter, de quémander, de supplier pour obtenir les miettes qu'une majorité étrangère consentira...

Alors, je lance un appel, probablement futile, à mes collègues de la presse québécoise. Faites une place à la une pour des conflits comme celui de Greenstone. Et suivez-les. Jusqu'au dénouement. Une meilleure compréhension de la façon dont les francophones sont traités ailleurs informera les décisions que nous sommes appelés à prendre comme collectivité, comme nation.

Si les élus de Greenstone recevaient en grands nombres des commentaires de citoyens ou de groupes de citoyens québécois, ou des résolutions de conseils municipaux ça et là, ou la visite de journalistes de La Presse ou du Journal de Montréal, peut-être ne changeraient-ils pas leur décision de se défaire du drapeau franco-ontarien, mais ils auraient au moins conscience qu'ils font partie d'une problématique qui a des répercussions ailleurs que sur la route 11, peut-être même des conséquences pour l'avenir de leur pays...

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Lien au texte de Radio-Canada, «Plus de 100 drapeaux franco-ontariens flottent à Greenstone en solidarité» https://ici.radio-canada.ca/nouvelle/2107317/dons-drapeaux-solidarite-francophones

Lien au texte du journal Le Voyageur, «La riposte en vert et blanc de la communauté francophone à Greenstone!» https://levoyageur.ca/actualites/francophonie/2024/10/02/la-riposte-en-vert-et-blanc-de-la-communaute-francophone-a-greenstone/


samedi 5 octobre 2024

Que reste-t-il de l'esprit des allumettières?

Ç'a l'air gros mais il faut presque une loupe pour le trouver... Les allumettières méritaient mieux...

Les commémorations du centenaire du célèbre grève-lock-out des allumettières à l"usine E.B. Eddy, à Hull, à l'automne 1924, laissent un goût doux-amer. Non pas que la lutte de ces femmes courageuses ne mérite pas d'être célébrée. Au contraire! Elles constituent de fait une pièce essentielle de notre casse-tête identitaire.

Non, l'arête dans la gorge, c'est que ces braves syndicalistes aient ultimement échoué, qu'elles aient perdu leur emploi quand Eddy a déménagé son entreprise à Ottawa, et qu'au cours du siècle suivant, la solidarité sociale suscitée par ce conflit ait aussi disparu, comme une grande partie des maisons allumettes qu'elles habitaient, démolies sous l'oeil indifférent de nos élus par des entrepreneurs plus soucieux de leurs profits que d'un précieux patrimoine bâti et de l'histoire du coeur de l'ancienne ville de Hull.

Cela fait penser un peu à ces monuments de la francophonie érigés par les Franco-Ontariens dans des villes comme Ottawa, Sudbury, servant davantage à rappeler un passé révolu que l'espoir du présent dans des quartiers urbains jadis francophones. La Ville de Gatineau a dévoilé le 23 septembre 2024 un modeste (j'aurais été tenté de dire minuscule) monument commémoratif aux allumettières, tout près du pont des Chaudières, dans un quartier qui deviendra vite - comme l'ensemble de la rive québécoise au centre-ville - une espèce d'Ottawa-Nord.

Les allumettières ont déjà leur boulevard au coeur de l'Île de Hull, alors qu'E.B. Eddy a dû se contenter d'une rue. Une succursale de la bibliothèque municipale porte aussi le nom de la plus célèbre des allumettières syndicalistes, Donalda Charron. Mais que reste-il de l'esprit de ces femmes canadiennes-françaises catholiques (oui, c'était un syndicat catholique) et de la solidarité de la collectivité hulloise (des députés au conseil municipal à l'ensemble de la population) qui les a soutenues contre le capitalisme sauvage (et anglo) d' E.B. Eddy?À peu près rien!

Dans l'édition du 2 octobre 1924 de l'ex-quotidien Le Droit, sous le titre «Toute la population sympathise sincèrement avec les ouvrières», le journaliste Henri Lessard raconte avec émotion la forme que prend cette sympathie: des propriétaires de garage prêtent des voitures aux allumettières, des commerçants leur fournissent des vivres sur la ligne de piquetage, des propriétaires leur permettent de pensionner sans frais tout près de l'usine et des citoyens mènent une souscription publique pour amasser des fonds destinés à soutenir les allumettières. En 2024, cela ne se produirait pas.

Au cours du dernier demi-siècle, le quartier ouvrier du Vieux Hull a été défiguré par les gouvernements fédéral, québécois et municipal, victime de multiples expropriations et démolitions, notamment de maisons allumettes qui étaient l'âme du patrimoine bâti, remplacées par des gratte-ciels fédéraux où l'anglais est la langue de travail et par des tours d'habitation riveraines qui anglicisent le vieux Hull à vitesse grand-V, transformant un quartier autrefois à 90% francophone en un Ottawa-Nord bilingue... 

À Gatineau, la population a subi depuis trop longtemps le règne de la peur des libéraux (peur des séparatistes, peur d'offusquer l'employeur fédéral, peur des conséquences de s'exprimer publiquement, etc.). Vivre à genoux est aujourd'hui la règle sur un territoire qui, au lieu d'être la fière porte d'entrée au Québec, est devenu un entonnoir où tout est aspiré vers la capitale fédérale ontarienne.

E.B. Eddy avait bien compris les enjeux en 1924. C'est le Québec français (et catholique à l'époque) qui se dressait contre lui, pauvre mais fier et combatif. Sachant qu'il ne gagnerait pas contre les allumettières, l'entreprise a plié bagages et emménagé ses ateliers de misère à quelques centaines de mètres, sur la rive ontarienne.

Les allumettières de Hull ont été des pionnières du syndicalisme chez les femmes, des combattantes qui auront marqué l'histoire de la région et du Québec, des défenseurs de la dignité humaine contre le mépris du grand capital. Un exemple dont il faudrait tâcher de s'inspirer dans notre société en perdition. 

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Le texte sur le monument...


Lien au texte «La mémoire des allumettières commémorée à deux pas de leur ancienne usine» par Mathieu Bélanger dans Le Droit - https://www.ledroit.com/actualites/actualites-locales/2024/09/23/la-memoire-des-allumettieres-commemoree-a-deux-pas-de-leur-ancienne-usine-U7CNVHG7VFH2XGKRCNVF2S2LJU/

Lien à la série du Droit sur le conflit des allumettières - https://www.ledroit.com/actualites/actualites-locales/2024/09/21/un-feuilleton-historique-du-emdroitem-pour-souligner-le-centenaire-de-la-greve-des-allumettieres-NOS43ARPRVGPVDYENPHZXEWSQE/

Lien au journal Le Droit du 2 octobre 1924 à BAnQ - https://numerique.banq.qc.ca/patrimoine/details/52327/4148067

mercredi 2 octobre 2024

Recruter des Franco-Ontariens pour la médaille de Charles III?

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L'Assemblée de la francophonie de l'Ontario (AFO) est-elle tombée sur la tête? Après tous les crimes commis au nom de la monarchie britannique contre les francophones du Québec, de l'Acadie et de l'ensemble du Canada (de la déportation de 1755 à la pendaison de Louis Riel au Règlement 17 en Ontario, et bien plus), voilà que l'organisme parapluie des Franco-Ontariens collabore au recrutement de candidats et candidates dans le cadre de la remise de la «Médaille du Couronnement du Roi Charles III». Non mais...

Près de deux ans après que l'Assemblée nationale du Québec ait mis fin au serment d'allégeance obligatoire au monarque, quelques mois à peine après que des députés franco-ontariens aient appuyé un projet de loi acadien au Parlement fédéral pour être dispensés d'un serment de loyauté à Charles III, et au moment même où les employés de TFO (télé franco-ontarienne) sont sommés de prêter serment au roi, sous peine de perdre leur emploi, l'AFO a le culot de s'associer à ce programme de médailles déjà dénoncé pour honorer le couronnement de celui qu'elle appelle «Sa Majesté le roi Charles III».

J'espère au moins que les rédacteurs du communiqué de l'AFO (voir ci-haut) ont avalé quelques Gravol avant de le publier sur Internet ce mercredi 2 octobre 2024, car ils oeuvrent désormais aux côtés d'une foule d'organisations surtout anglophones, y compris la Ligue monarchiste du Canada, dans cet effort a mari jusque ad mare pour rendre hommage à la Couronne britannique. Et s'ils se sont donné la peine de lire les critères d'admissibilité, ils verront que ce n'est pas destiné aux défenseurs les plus militants de la francophonie, acculés au fil des ans à lutter contre des injustices créées ou tolérées par les gouvernements de l'Ontario et du Canada. On les offrira aux collabos.

En avril 2024, quand la Chambre des communes a rejeté le projet de loi (du député acadien René Arseneault) permettant aux députés de ne pas jurer sa loyauté au roi Charles III pour avoir le droit de siéger au Parlement, et que de nombreux députés conservateurs anglophones s'étaient mis à chanter le God Save the King en signe de mépris, le député franco-ontarien Marc Serré, outré, s'était publiquement demandé «quel francophone» pourrait bien vouloir conserver l'obligation de prêter un tel serment... L'AFO pourrait se montrer solidaire, tout au moins en n'encourageant pas les Franco-Ontariens à vouloir une «médaille» du couronnement de Charles...

À bien y penser, peut-être ne devrait-on pas se surprendre de cette génuflexion collective devant la monarchie. Quand le député Francis Drouin, de l'Est ontarien, avait traité un témoin de «plein de marde» pour avoir établi un lien entre les études en anglais et l'anglicisation, l'AFO, par la voix de son président, s'était couverte de honte en se portant à sa défense... contredisant 110 ans d'une lutte fondée sur les constats d'un lien direct entre l'éducation en anglais et l'assimilation. 

Au prochain incident, car il y en aura d'autres, le président de l'AFO pourra se présenter devant la presse en portant sa petite médaille du couronnement de Charles III. Il l'aura bien méritée.

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Lien au communiqué de l'Assemblée de la francophonie de l'Ontario - https://mailchi.mp/aa462a983151/sondage-pour-les-priorits-budgtaires-provinciales-5436821?e=523eaa6be6

Lien au texte du J de Mtl - «Des millions en médailles pour honorer Charles III» - https://www.journaldemontreal.com/2024/06/13/des-millions-en-medailles-pour-honorer-charles-iii

Critères d'admissibilité à la Médaille du couronnement - https://api.monassemblee.ca/wp-content/uploads/2024/10/LGO-Guide-de-nomination-la-médaille-du-couronnement-du-roi-Charles-III.pdf


mardi 1 octobre 2024

Du temps perdu à la recherche…

La mémoire, c'est bien connu, est cette faculté qui trop souvent oublie... ayant la fâcheuse habitude d'effacer ce dont on voudrait se souvenir, mais conservant pour l'éternité une foule de petits riens qu'on aurait autrement relégués aux oubliettes... Pour le journaliste que je suis, la mémoire peut être à la fois alliée précieuse et ennemi mortel...

Ce problème avait une solution à l'âge d'or des quotidiens papier. Avec ciseaux et stylo, on pouvait éplucher et annoter le journal, accumulant au fil des ans les coupures de presse, conservées par thème dans des chemises et rangées en classeur. Aujourd'hui, avec la disparition rapide de l'imprimé et l'accélération du passage au tout-numérique, il faut se débrouiller avec le fouillis de l'Internet en espérant que l'immense toile ait attrapé dans ses filets les repères essentiels qu'on cherche, et qu'elle les régurgite sur un plateau convivial...

J'offre un exemple, valable autant que d'autres. L'Université McGill avait annoncé en 2014 la création à Gatineau d'une faculté satellite de médecine où la totalité de l'enseignement magistral serait dispensé en anglais! Je vous fais grâce des idioties qui se sont dites dans le sillage de cette nouvelle mais pendant six ans, le débat sur cet enjeu s'est poursuivi jusqu'à son aboutissement en 2020. J'ai dans une chemise environ 70 coupures de presse (principalement du Droit) et divers documents qui permettent, en une heure ou deux, de reconstituer le déroulement de l'affaire, du début à la fin.

Sans un dossier semblable, il est devenu quasi impossible de retrouver toutes les pièces du casse-tête avec une recherche Web. Les journaux imprimés et leurs archives papier n'existent plus dans la plupart des régions du Québec y compris l'Outaouais. De plus, certains de ces textes ont disparu de l'Internet ou ont été modifiés. Par ailleurs, le choix et la séquence des mots clés choisis pour orienter la recherche sur Google ou quelque autre plate-forme donneront des résultats variables et fort incomplets. Du temps perdu à la recherche d'un temps perdu. À moins d'être prêt à utiliser de multiples combinaisons de mots clés et d'ouvrir des milliers de fichiers, ce que la plupart des rédacteurs actuels n'ont pas le temps de faire, les trous de mémoire proliféreront. 

Dans son édition du 10 février 2020 (un mois et demi avant qu'on mette fin au quotidien papier), Le Droit titrait à la une en majuscules REMÈDE POUR LE FRANÇAIS, annonçant la fin du litige et la décision d'enseigner la médecine en français à Gatineau, de l'année préparatoire au diplôme. Le dernier texte conservé dans ma chemise sur McGill à Gatineau remonte au 16 mai 2022, un article de Radio-Canada sur l'inauguration officielle du campus satellite de McGill en Outaouais. Le texte, sans doute rédigé par des reporters qui n'avaient pas suivi les six années de débats sur la langue d'enseignement, n'y font aucune allusion! Comme si la chose n'avait jamais eu lieu!

En quelques années seulement, le souvenir de six ans de débats linguistiques était disparu de plusieurs radars régionaux et à moins d'imprimer tous les jours des textes de nouvelles sur Internet, il en sera de même à l'avenir pour l'ensemble des dossiers d'actualité, faute de preuves papier conservées en bon ordre dans des classeurs. Seuls les écrits imprimés restent. L'Internet est essentiel mais on ne peut s'y fier. La mémoire collective se troue et se corrompt. Cela augure très mal pour l'avenir du journalisme et pour notre petite nation privée de sources d'information fiables. Cette glissade vers l'ignorance n'aura pas de fond.


vendredi 27 septembre 2024

Le mot «francophone», un trou noir...

Macaron franco-ontarien de 1966 ou 1967...

En vidant une boîte de macarons laissée par ma mère (décédée à l'été 2023), j'en ai découvert certains que j'avais moi-même cueillis et conservés durant ma jeunesse à Ottawa, et que maman avait ajoutés à sa collection, y compris celui que nous voyez-ci-dessus : «ÉCOLE SECONDAIRE FRANÇAISE? OUI!»  

Pourquoi me suis-je particulièrement intéressé à ce macaron? D'abord parce qu'il me rappelle l'époque, pas si lointaine que ça, où les Franco-Ontariens devaient se contenter d'écoles «bilingues», tant au primaire qu'au secondaire, mais aussi à cause de l'emploi très correct du mot «française», aujourd'hui en voie de disparition, remplacé par l'utilisation erronée et omniprésente du terme «francophone» (voir image ci-dessous et le lien en bas de page).


Au milieu des années 1960, nous connaissions le mot «francophone» et son vrai sens, toujours associé à une ou plusieurs personnes dont la langue parlée ou écrite est le français. C'était un mot plutôt objectif, inoffensif, aseptisé, ayant une charge identitaire ou culturelle négligeable. Un Québécois, un Suisse, un Marocain et un Libanais pouvaient avoir des identités et des cultures fort différentes, et n'être liés que par l'usage commun de la langue française. Sans plus.

Il ne nous serait jamais venu à l'idée de définir comme «francophone» un objet ou une bâtisse (p. ex. un livre, un journal, une école) comme cela se fait couramment en 2024. J'ai fréquenté des écoles bilingues en Ontario de la maternelle à l'université, de 1951 à 1970. Je comprenais bien le concept de l'école dite bilingue. Vers la fin du primaire, comme pour tout mon secondaire, la moitié de l'enseignement était dispensé en anglais aux élèves franco-ontariens.

À l'approche du centenaire de la Confédération, sur fond de turbulence québécoise, un mouvement se dessinait dans la collectivité franco-ontarienne pour réclamer le remplacement des écoles dites bilingues par des écoles françaises, pas des écoles francophones. Cette revendication visait de façon plus aiguë le secondaire, où seuls quelques établissements privés dispensaient un enseignement bilingue ou français aux Franco-Ontariens de la région de la capitale. C'est à cette époque que le macaron en haut de page est apparu.

Dans son édition du 6 septembre 1968, à la une, le quotidien Le Droit annonçait la disparition officielle des écoles «bilingues», à Ottawa, désormais appelés «écoles françaises» et réservées «aux écoliers francophones». Et l'article se donne la peine de définir francophone: «les jeunes qui parlent couramment le français». Cela ne pouvait être plus clair: les établissements sont français, les étudiants francophones.

Avec l'avènement du gouvernement de Pierre Elliott Trudeau et du multiculturalisme d'État,  les appellations traditionnelles ont été écartées du langage officiel. Les Canadiens français sont devenus des Canadiens francophones. Dans un discours à une association de jeunes Franco-Ontariens, le 8 mars 1969, le Secrétaire d'État fédéral Gérard Pelletier utilisait le mot «francophone» une vingtaine de fois, affirmant que la force de la langue française, ici et ailleurs, serait de la «"dénationaliser" pour (la) transformer en culture mondiale».

Une francophonie éviscérée, vidée de ses tripes culturelles et nationales, était désormais le mot d'ordre des multiculturels fédéraux. La notion de biculturalisme, un des principes fondateurs de la Commission B-B dans les années 1960, fut reléguée aux livres d'histoire. Ne resta dans la nouvelle constitution de 1982 qu'une masse à peine différenciée de Canadiens, anglophones et francophones, vus comme individus et non comme membres de collectivités nationales.

Et c'est ainsi qu'au fil des ans, le mot «francophone» est devenu un trou noir, avalant tout ce qui était français dans son entourage. Mon ex-quotidien de langue française, Le Droit, était devenu un journal «francophone». La nouvelle Université de l'Ontario français, micro-campus torontois, et l'Université de Hearst (Nord ontarien) se présentent comme universités «francophones». Les auteurs franco-ontariens tiennent désormais un salon annuel du livre «francophone». La ministre fédérale Mélanie Joly est allée plus loin, comme si cela était possible, en évoquant «la langue francophone»... Quelle barbarie!

Au rythme imposé par des multiculturels fédéraux fanatisés, même le mot «francophone» risque de devenir une cible, éventuellement. Déjà, au Commissariat fédéral des langues officielles, on ne parle plus des minorités francophones hors-Québec, mais de «communautés de langue officielle en situation minoritaire», les CLOSM. On applique même cet acronyme plus que douteux aux Anglo-Québécois, extension de la majorité anglo-canadienne qui n'ont rien d'une minorité...

Que la plupart de nos politiciens s'empêtrent en matière de langage n'a rien de surprenant. Nous y sommes habitués. Les bulletins de nouvelles nous livrent à tous les jours des déclarations en «français» truffées d'erreurs, d'anglicismes, voire d'anglais tout court...  Mais que des journalistes, professeurs et administrateurs d'établissements scolaires de langue française tombent dans le panneau, voilà une tout autre affaire. Quand des professionnels de la rédaction écrivent des fautes à répétition sans s'en apercevoir et que personne ne les corrige avant de les publier, il y a lieu de s'inquiéter. 

Le dépérissement de la langue entraînera dans son sillage une gangrène culturelle fatale. Mais allez convaincre les gens de ça...

...«le quotidien francophone d'Ottawa-Gatineau»...
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Voir mon texte de blogue «Francophone... Un adjectif galvaudé...» à https://lettresdufront1.blogspot.com/2021/02/francophone-un-mot-galvaude.html


vendredi 6 septembre 2024

Pourquoi pas un Conseil linguistique?


Cette année, en 2024, la Ville de Gatineau a créé un Conseil scientifique, formé de six chercheurs de l'Université du Québec en Outaouais (UQO), qui aura pour mandat d'analyser des sujets relevant de leurs compétences et de proposer aux élus municipaux une liste de priorités d'action. Parmi les thèmes prioritaires assignés au nouveau Conseil scientifique on compte l'intelligence artificielle, les changements climatiques et l'itinérance. (voir liens ci-dessous) Cette initiative, dit-on, constitue une première au Québec. Elle projette l'image d'un conseil municipal prévoyant et proactif.

Mais il existe un domaine primordial où la classe politique de Gatineau n'est ni prévoyante ni proactive: la situation périlleuse de la langue française sur le territoire de la quatrième ville du Québec. D'ici une dizaine d'années, le centre-ville de Gatineau (l'île de Hull), jadis francophone à 90%, pourrait bien avoir une majorité anglaise. La Loi 101 est bafouée quotidiennement dans cette ville devenue banlieue d'Ottawa. Selon une étude de l'OQLF, rendue publique en 2024, 12% des francophones de Gatineau (c'est au moins 25 à 30 000 personnes) affirment qu'il leur arrive souvent ou très souvent de ne pas pouvoir se faire servir en français dans un commerce.

Le conseil municipal, connu pour son indifférence linguistique et sa peur d'être étiqueté nationaliste ou pire, séparatiste, s'est fait condamner récemment pour la tournure anglaise de son slogan «On passe au bold»... Et on se tait quand quelqu'un ose soulever sur la place publique l'anglicisation rapide de la «porte du Québec» en Outaouais. Pourtant, la population est sensible au danger et serait réceptive à un engagement accru des élus pour protéger et promouvoir la langue française. Selon la même étude récente de l'OQLF, pas moins de 92% des francophones de Gatineau jugent «importante» ou «très importante» la protection du français dans l'espace public.

Sans nier la pertinence de créer un Conseil scientifique, il y a lieu de s'interroger sur l'utilité, voire l'urgence de créer un Conseil pour décortiquer les enjeux relatifs à notre langue commune et officielle sur les rives urbaines de l'Outaouais, avant qu'il ne soit trop tard. Entre l'UQO et l'Université d'Ottawa, il existe une quantité largement suffisante d'expertise pour dresser un portrait précis du déclin actuel de la langue française ici et proposer au moins quelques priorités d'intervention aux élus de Gatineau. Le gourou québécois de la démo-linguistique, le professeur Charles Castonguay, demeure à Gatineau et ses compétences seraient un précieux atout pour un comité de spécialistes.

Ces dernières années, un groupe d'une vingtaine de professeurs, principalement de l'Université d'Ottawa mais aussi d'ailleurs, a analysé l'évolution du fait français à Ottawa, où c'est la catastrophe. Dans certaines recherches, on a même évoqué l'existence d'un «ethnocide» dans la capitale fédérale, plus précisément dans la Basse-Ville, ultime bastion franco-ontarien d'Ottawa. La proportion de francophones y est passée de près de 80% à un peu plus de 20% en moins de 40 ans... Les recherches nous en apprennent beaucoup, mais ce n'est plus le temps. Le dommage est fait. Ces interventions universitaires auraient dû avoir lieu dans les années 1960, quand il restait un territoire francophone à protéger.

À Gatineau il n'est pas trop tard, mais il est minuit moins une. Le point de bascule approche et nos élus à bouche cousue ont les deux pieds dans la même bottine...

Quand, dans une cinquantaine d'années, des scientifiques et des universitaires - démographes, sociologues, statisticiens, historiens - se pencheront sur le début du 20e siècle pour analyser l'inertie des décideurs et du public au moment où le déclin du français n'était pas irréversible à Gatineau, ils s'interrogeront: ne voyaient-ils pas la réalité, ne s'informaient-ils pas auprès d'experts, n'en discutaient-ils pas aux instances municipales, n'étais-ce pas un enjeu prioritaire? Et ayant constaté l'évidence d'une indifférence collective devant l'agonie identitaire, ils se gratteront la tête... Avec raison!

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Liens aux textes du Droit et de Radio-Canada sur les priorités du nouveau Conseil scientifique de Gatineau - https://www.ledroit.com/actualites/actualites-locales/gatineau/2024/09/03/la-science-occupera-une-plus-grande-place-dans-les-decisions-des-elus-de-gatineau-VVBLF6HJ3RD6DNJOMSTIBV63HI/ et https://ici.radio-canada.ca/nouvelle/2101733/conseil-scientifique-gatineau-ia-changements-climatiques