dimanche 16 mai 2021

Un suicide culturel assisté...



Comme la plupart des Québécois, je trouve François Legault sympathique. J'aime sa façon très humaine de communiquer avec les gens. Et jusqu'à la semaine dernière, je croyais qu'en dépit de lacunes, il comprenait la dynamique linguistique qui mine les assises du français au Québec, et avait l'intention ferme d'apporter certains correctifs.

Je m'étais trompé. Notre premier ministre ne favorise pas ouvertement l'anglicisation des Québécois francophones comme ses prédécesseurs Jean Charest et Philippe Couillard, mais son incompréhension des véritables enjeux ne fera que freiner légèrement notre glissade collective, de plus en plus rapide, vers le précipice.

Les scribes, analystes, chroniqueurs, éditorialistes et commentateurs ont savamment décortiqué dans nos médias le projet de loi 96 (la Loi sur la langue officielle et commune du Québec, le français), cherchant à déterminer si oui ou non, les multiples mesures qui en découlent auraient l'effet escompté de renforcement de la langue française, notamment dans la région montréalaise.

J'ai lu de bons textes. D'excellents, même. Mais personne ne semble avoir relevé un commentaire pourtant essentiel de François Legault pendant la conférence de presse qui a suivi, jeudi matin, la présentation du projet de loi de Simon Jolin-Barrette à l'Assemblée nationale. Il était interrogé par l'éditorialiste Robert Dutrisac, de journal Le Devoir. Celui-ci évoquait la situation des élèves francophones hors Montréal qui pourraient choisir d'aller à un cégep anglais pour acquérir une meilleure connaissance de l'anglais.

Voici ce que le premier ministre a répondu:

«On a un défi au primaire et au secondaire de mieux enseigner l'anglais. Il y a une méthode qui a fait ses preuves, c'est l'anglais intensif en 5e ou 6e année. Je sais que ça s'implante de plus en plus dans les écoles. Je pense qu'on est rendu à 20 ou 25% (des écoles françaises). Il faut continuer à travailler à l'amélioration de l'enseignement de l'anglais au primaire et au secondaire. Je pense que c'est important.»

J'étais abasourdi. J'ai dû le réécouter pour m'assurer d'avoir bien entendu. La solution pour réduire l'intérêt que portent nos élèves de langue française aux cégeps anglais, c'est de commencer à les angliciser dès le primaire? Un moyen de franciser le Québec serait une immersion totale en anglais pendant quatre ou cinq mois, à un âge où l'apprentissage du français est incomplet et fragile chez nos élèves, surtout dans le contexte nord-américain?

Plus de la moitié des jeunes Québécois francophones sont déjà bilingues. Enfin, aux fins des recensements, on les juge capables de se débrouiller en français et en anglais. Mais quelle est la qualité du français parlé et écrit? Le plus souvent faible, avec un vocabulaire pauvre et des tas d'anglicismes ou de mots anglais. Près de la moitié des nôtres sont analphabètes fonctionnels. Et on veut mettre l'accent sur l'anglais dans nos écoles primaires et secondaires?

C'est un suicide culturel assisté, financé par l'État. Heureusement, seulement le quart de nos écoles ont mis en place l'anglais intensif depuis son lancement par l'ignoble Jean Charest en février 2011 (voir mon éditorial dans Le Droit du 25 février 2011 intitulé Fossoyeurs du français bit.ly/2Rn7phv). Mais c'est déjà trop. Et voilà que François Legault veut étendre ce funeste programme qui dit, clairement, à nos élèves, que l'anglais est assez important pour interrompre l'enseignement en français pendant une demi-année scolaire!

Le message, c'est qu'ils auront besoin de l'anglais au Québec dans leur vie quotidienne, au travail, dans leurs loisirs, dans le commerce. Et moi qui croyait qu'on voulait ériger un Québec où la langue commune serait le français, où l'on parlerait et écrirait un français de qualité qui servirait à la maison, dans la rue, à l'école, et qui serait essentiel au travail.

N'allez pas croire que je ne suis pas conscient de l'importance de l'anglais sur le continent nord-américain. Je suis né et j'ai grandi en Ontario. Et ce que j'ai appris, c'est que le jour où une collectivité canadienne-française est entièrement bilingue, les générations suivantes sont de plus en plus anglaises et évoluent vers l'unilinguisme anglais. Voilà ce qui arrivera au Québec dans quelques générations si on ne crée pas un milieu qui impose le respect de la langue française.

Ce n'est pas vrai que tous les Québécois doivent apprendre l'anglais et devenir bilingues. L'ensemble de la population - la majorité du moins - doit pouvoir vivre en français seulement. Et la qualité de cette langue doit s'améliorer. Si cela paraît irréalisable, alors aussi bien arrêter tout de suite de prolonger l'agonie. Si, cependant, l'objectif semble atteignable, alors il faudra un projet de loi autrement plus «costaud» que celui qui nous est présenté.

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Et si, un jour, nous finissons par perdre notre combat, nous pourrons méditer les mots d'Omer Latour, écrivain franco-ontarien de la ville de Cornwall qui, exaspéré par la situation des francophones dans son patelin, avait brièvement joint les rangs du FLQ à Montréal en 1964:

«Dieu merci, le combat est presque fini.

L'assimilation totale apporte enfin le repos

et la paix à tous ces gens obscurs qui ont

lutté dans un combat par trop inégal.


Vous me demandez pourquoi ils sont morts?

Je vous demande comment ils ont fait

pour résister si longtemps.»


(Omer Latour, Une bande de caves, Les éditions de l'Université d'Ottawa, 1981)



4 commentaires:

  1. Ce commentaire a été supprimé par un administrateur du blogue.

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  2. « We are in Canada, everybody should speak english ». –gérante du restaurant McDonald's du Marché central, à Montréal, Elle a raison… réveillons-nous !


    « La carte du bilinguisme au Canada. Maintenant, dites-moi qui apprend la langue de l'Autre ? » - Gilles Laporte

    Dans le Nord de l'Ontario et au NB : le bilinguisme est attribuable à ceux d'origine francophone. On appelle aussi cela l’assimilation ou le génocide culturel ! La brisure entre Ottawa et Gatineau est éloquente ! Stat. Can.2006

    https://www.facebook.com/laurent.desbois2/posts/10157273212573140

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  3. Pour moi, et indirectement pour acquérir un certain talent, j'ai fait des efforts incessants pour améliorer mon français écrit, je respecte ma langue autant que n'importe quelle autre, dans son intégralité, toujours surpris de ses capacités.

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  4. Excellentes réflexions M. Allard
    Legault veut sauver la chèvre et le choux ; ne pas déplaire ni à l'un ni à l'autre !

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