Si j'étais professeur de journalisme, je plaquerais au tableau ou à l'écran le titre ci-dessus et le texte qu'il annonce (voir bit.ly/3omPXrn), publiés dans le quotidien Le Droit et sans doute ailleurs, et j'inviterais les étudiants et étudiantes à m'en donner une appréciation critique. En supposant que je ne sois pas automatiquement congédié sur-le-champ par un doyen ou un recteur devenu zombie de la rectitude politique, la discussion pourrait s'avérer intéressante.
Je leur demanderais d'examiner le processus de rédaction, d'acheminement et de publication de l'article. Le fait que l'article provienne de la Canadian Press, qu'il ait donc été rédigé en anglais puis traduit en français pour les membres de la Presse canadienne, influence-t-il un contenu qui aurait pu être différent si le scribe avait été francophone? Je connais déjà la réponse à cette question mais j'aurais été curieux d'entendre l'avis des étudiants.
Une fois le texte reçu au journal, par qui a-t-il été lu et, sait-on jamais, corrigé? S'est-on questionné sur le contenu de l'article, sur l'exactitude des faits, sur les concepts qu'il accrédite et transmet au public, ou a-t-on tout simplement considéré qu'il s'agissait d'un compte rendu factuel, totalement digne de confiance? S'est-on, même brièvement, intéressé à l'auteur du texte, Main Alhmidi, journaliste militant d'origine arabe qui a courageusement combattu pour la liberté journalistique en Syrie et en Turquie avant de s'installer au Canada?
Il y a fort à parier qu'une proportion substantielle, voire majoritaire, des étudiants - et même des journalistes - auraient vu dans ce texte un reportage somme toute banal, peu susceptible de susciter quelque controverse. Mais j'espère qu'au moins certains d'entre eux auraient relevé dans cette publication des éléments importants qui manquent de clarté ou qui sont de nature à nous inciter à gratter un peu sous la surface avant de donner le feu vert à son insertion dans l'édition numérique du quotidien (il n'y a plus de version imprimée).
Commençons par les deux premiers paragraphes de l'article de la Canadian Press:
«Les élèves et les enseignants de l'Ontario ont désormais accès à un ensemble de ressources en ligne pour combattre l'islamophobie dans les écoles.
«L'Association musulmane du Canada, une organisation nationale à but non lucratif, a lancé un site web qui propose trois cours, quatre ateliers et six heures de vidéos éducatives pour aider à lutter contre les préjugés anti-musulmans que les enseignants et les élèves peuvent avoir.»
Premier mot du texte. L'emploi de l'article «Les» signifie que «l'ensemble des ressources en ligne» dont on parle est accessible à la totalité des élèves et enseignants. Or ce n'est pas le cas. L'individu qui a traduit le texte original anglais indique plus loin que le site Web n'est disponible qu'en anglais. Il aurait fallu écrire «les élèves et les enseignants anglophones»... Pour un journal aux origines franco-ontariennes, cela aurait dû être un automatisme.
Ces ressources en ligne, écrit-on par ailleurs, servent à «combattre l'islamophobie dans les écoles» de l'Ontario. Au-delà du fait que l'islamophobie n'est pas définie, on affirme comme si cela était une évidence l'existence en milieu scolaire d'un grave problème nécessitant une stratégie de combat. Mais on ne s'appuie sur aucune donnée (existent-elles?) ou référence à des événements justifiant ce constat.
Dans le second paragraphe, on attribue le programme en ligne à l'Association musulmane du Canada, qu'on dit être «une association nationale à but non lucratif». Mais est-bien le cas? Doit-on nuancer un peu? Cette organisation a été récemment dénoncée par les fédérations juives du Canada pour avoir invité à l'une de ses conférences un «prêcheur extrémiste notoire associé aux Frères musulmans». L'historien Frédéric Bastien a fait état de cette controverse dans une chronique récente au Journal de Montréal.
Un journaliste avisé aurait sans doute remarqué que dans l'image illustrant le programme de sensibilisation à l'islam, toutes les femmes sont voilées. Pourtant, la moitié au moins des femmes musulmanes au Canada ne se voilent pas. Sur le site Web du programme en question, une photo (voir ci-bas) publicitaire montre une trentaine de femmes, toutes voilées. Cet apparent manque d'ouverture envers la diversité au sein de l'islam est de mauvais augure pour une association qui dit se porter à la défense de la diversité au pays...
Le ministre ontarien de l'Éducation, Stephen Lecce, cité dans l'article, affirme - sans élaborer - que de nombreux élèves musulmans sont victimes de discrimination dans les écoles de la province et que l'Ontario collabore avec avec «des dirigeants communautaires» pour soutenir les musulmans. Ainsi les meneurs d'une association qui invite un extrémiste haineux à une conférence et qui privilégie dans ses images les femmes voilées seraient des «dirigeants communautaires»?
Ailleurs dans l'article de la Canadian Press, on apprend que l'Association musulmane a préparé ses ressources «éducatives» avec une subvention de 225 000 $ du ministère ontarien de l'Éducation. Avec des fonds publics... Au-delà de la question éthique de confier à une organisation religieuse le soin de préparer des ressources pour des écoles laïques, ces fonds publics solidifient la crédibilité de l'Association musulmane aux yeux de la population. On lui confie des fonds publics, en faisant ainsi l'exécutante d'un mandat du gouvernement...
Ainsi, un texte d'un journaliste professionnel, aguerri, présente l'Association musulmane du Canada sous un oeil très favorable, comme une organisation quasiment caritative, oeuvrant au bien public... Et la controverse avec les Juifs? Pas un mot. Et l'omniprésence du voile chez les femmes à l'AMC, dans un pays où l'égalité des sexes est pourtant garantie par la Constitution? Pas un mot. Et les prises de position anti-laïcité de l'Association, contre la Loi 21 du Québec? Pas un mot.
Enfin, un journaliste de langue française, me semble-t-il, aurait pu scruter un peu le comportement du gouvernement ontarien. Les musulmans sont-ils les seuls à recevoir des fonds publics pour nous «éduquer»? Non. Les juifs, beaucoup plus souvent victimes de discrimination que les musulmans, ont aussi préparé des ressources éducatives. Et on a aussi entrepris des campagnes contre le racisme en milieu scolaire. Mais le ministère a-t-il déjà financé une campagne pour mettre fin à la francophobie endémique qui sévit dans le réseau scolaire ontarien depuis plus d'un siècle? Si cela s'est déjà produit, je n'en ai jamais entendu parlé...
Enfin, tout cela peut paraître excessif, mais ce ne l'est pas. Ou ce ne devrait pas l'être, du moins pas pour les journalistes qui ont pour mission de choisir les textes du jour, de les titrer et de les mettre en page. Pas seulement parce que le métier l'exige, mais parce que les lecteurs, en bout de ligne, ont eux aussi le droit de l'exiger. La crédibilité de la profession et des médias en dépend.
Aucun commentaire:
Publier un commentaire