samedi 3 décembre 2022

La Rotonde: la révolution des années 60

À gauche, La Rotonde en 1963; à droite, en 1967... Tout avait changé...

Le reportage récent sur le 90e anniversaire du journal étudiant La Rotonde de l'Université d'Ottawa, diffusé sur les pages Web du réseau ontarien ONFR+, a ravivé de vieux souvenirs. Le texte rappelle quelques jalons importants de l'histoire du journal grâce à la mémoire toujours fiable de l'archiviste et historien Michel Prévost, mais ne dit rien de l'ébullition des années 1960, la décennie qui a marqué un point tournant pour le journalisme étudiant d'ici.

Ce qu'il faut d'abord comprendre, et ça, le texte le passe sous silence, c'est que l'Université d'Ottawa était jusqu'à 1965 un établissement catholique dirigé de main plutôt ferme par les Oblats de Marie Immaculée. Ce n'était pas «le recteur» mais bien le «père recteur»... Et ce contrôle des religieux s'étendait au contenu de «La Rotonde», dont la marge de manoeuvre pouvait être fort limitée, comme le souligne M. Prévost, avec la censure d'un reportage spécial sur la visite de la Reine Elizabeth à l'automne de 1964.

Quand je suis officiellement arrivé sur le campus à titre d'étudiant universitaire en septembre 1963 (j'avais y déjà fait mon secondaire de 1959 à 1963)* , à la faculté des Sciences sociales, j'ai conservé le premier numéro de l'année de La Rotonde. La manchette annonce que le «père recteur» a modifié le nom de l'association étudiante, on voit en page une la photo de la reine de l'initiation (de la faculté des «sciences domestiques») et les deux pages centrales sont consacrées à un pèlerinage religieux, la Montée Saint-Benoit. Le rédacteur n'est pas un Oblat, mais il aurait bien pu l'être. «Le Christ est la route. Le Christ est ma route. Le Christ est la route de l'humanité», écrit-il. Il faut avoir été là, en temps réel, pour comprendre que ce genre de texte, à l'époque, ne faisait guère sourciller. Il était héritier d'une longue tradition.

J'ai aussi conservé le numéro du 20 octobre 1967 de La Rotonde pour montrer à quel point, en quatre années seulement, le milieu universitaire avait viré sens dessus dessous. Dans le bannière du journal en haut de la une, à côté de «La rotonde» on lit: «viva che!» et la page entière est occupée par l'immense photo classique de Che Guevara, dédiée à sa mémoire. «On ne tue pas une légende. Le Che ne pouvait donc pas mourir», écrit-on. On publie un texte sur un fonds d'entraide aux victimes de la guerre du Vietnam, et deux pages sur le départ fracassant de René Lévesque aux assises du Parti libéral du Québec. Deux reporters de La Rotonde, Paul Terrien et Henri Bradet, s'étaient rendus à Québec... Ce journal étudiant n'a vraiment rien à voir celui de 1963 ou 1964.

Pourquoi? Je n'ai fréquenté que la faculté des sciences sociales, où en 1963, l'immense majorité des étudiants étaient québécois et partisans de l'indépendance, notamment du RIN, parfois du FLQ. À cette époque, l'Université d'Ottawa élisait à chaque année un Parlement étudiant largement fondé sur les partis fédéraux traditionnels. J'avais 17 ans, j'étais franco-ontarien et - Dieu me pardonne - libéral. Quel ne fut pas mon choc de voir mes collègues québécois aux sciences sociales rejeter «en bloc» les vieux partis fédéraux pour fonder le «Front lumineux». Si on avait ajouté «du Québec» c'aurait été le FLQ... Le résultat au Parlement étudiant: Parti libéral 41, Front lumineux 31, et les autres des miettes. Les pères oblats savaient que leur mainmise achevait.

Le texte sur les 90 ans de La Rotonde ne le dit pas - personne n'est assez vieux pour s'en souvenir - mais la vie étudiante francophone de l'époque était très fortement marquée par la présence québécoise, souvent plus agitée et rebelle que les jeunes Franco-Ontariens. À cette dynamique de changement créée par la Révolution tranquille (et parfois pas tranquille) du Québec s'est ajoutée la révolution sociale et musicale déclenchée par les Beatles en 1964, l'engagement croissant de la jeune génération en faveur des droits des Noirs américains et contre la guerre au Vietnam, et aussi le départ officiel des Pères Oblats (sauf au poste de recteur) en 1965 avec la transformation de l'Université d'Ottawa en établissement laïc et public. Les vannes étaient tout à coup grandes ouvertes. La rectitude politique a pris le chemin de la poubelle. Y compris dans La Rotonde.

Quant à savoir si La Rotonde a été un pilier de la francophonie ontarienne et de la francophonie à l'Université d'Ottawa, je me souviens qu'à la fin des années 1960 il y a eu un fort mouvement au sein de la population étudiante franco-ontarienne en faveur de l'unilinguisme français à l'Université d'Ottawa. Et la Rotonde y a fait écho, largement. Mais dès le début des années 1970, les francophones ont perdu leur majorité à l'Université d'Ottawa et aujourd'hui, ne forment plus que 30% de la population étudiante. Tout cela s'est passé sous les yeux de La Rotonde, et je n'ai pas souvenir d'interventions fracassantes susceptibles d'ébranler les colonnes du temple. L'équipe actuelle en est rendue à oeuvrer pour ce qui reste de bilinguisme et se plaint que les institutions francophones sont en voie de disparition sur le campus...

La seule planche de salut pour les 13 000 francophones, québécois comme ontariens, qui y étudient serait que l'Université d'Ottawa crée un campus de langue française qui deviendrait le coeur d'une véritable «Université de l'Ontario français». Si La Rotonde s'engageait à fond de train dans une telle revendication, on ne sait jamais... Peut-être mon ancien journal étudiant réussira-t-il à fêter ses 100 ans...

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* L'Université d'Ottawa avait une école secondaire privée bilingue, l'École secondaire de l'Université d'Ottawa, située sur le campus et dont l'objectif avoué était de former des candidats (c'était une école de gars) susceptibles de s'inscrire à l'université après l'obtention de leur diplôme d'études secondaires. Ce fut mon parcours, de 1959 à 1963.


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