Les notions de «gauche» et de «droite» sont galvaudées au point de ne plus avoir de sens ou de définition précis. On les garroche un peu partout de manière (pardonnez le jeu de mots) gauche et maladroite.
Quand je fréquentais la très québécoise faculté des sciences sociales de l'Université d'Ottawa dans les années 1960, c'était beaucoup plus clair: la gauche gravitait autour du concept de socialisme, tandis que la droite s'associait au capitalisme.
La cause de l'indépendance du Québec, en plein essor, suscitait des appuis dans ces deux camps, habituellement opposés. Et un débat qui ressemble beaucoup à celui qui oppose aujourd'hui Québec Solidaire au Parti québécois s'est immédiatement engagé.
La gauche du temps, largement issue des jeunes générations, avait une nette préférence pour une indépendance réalisée par un parti socialiste. Plusieurs refusaient d'envisager l'idée de travailler en collaboration avec des gens de droite - enfin, avec des gens plus à droite qu'eux - pour la cause de l'indépendance.
Peut-être parce que les enjeux étaient mieux définis à cette époque, on s'est assez vite aperçu que la gauche était dans un cul-de-sac. La revue Parti Pris, alors porte-étendard de la gauche québécoise plus radicale, a fait le point là-dessus au début de 1967 et son analyse demeure actuelle cinquante-cinq ans plus tard.
Intitulé l'indépendance au plus vite!, l'éditorial de la revue (dont le comité de rédaction comptait, entre autres, Gaston Miron et Raoul Duguay) livre un message sans ambiguïtés que l'on pourrait facilement adapter au contexte actuel en éliminant le mot «socialisme» qui semble être devenu tabou au sein de la gauche contemporaine.
Voici quelques extraits du texte de l'édition de janvier-février 1967:
«Toute la gauche s'entend sur le but de la libération du Québec. Cependant, «libération» signifie pour nous indépendance et socialisme, alors que d'autres n'acceptent que le lutte pour le socialisme. Nous savons bien que l'indépendance n'est qu'une étape dans la libération du Québec, mais nous savons parfaitement bien aussi que le socialisme est impossible à réaliser ici sans l'indépendance. Nous croyons que les socialistes qui ne font pas la lutte pour l'indépendance immédiate du Québec font fausse route, que leur opposition est stérile et leur stratégie inappropriée à la situation.
«...Le socialisme ne peut être réalisé dans un Québec qui ne serait d'abord indépendant; les Québécois doivent d'abord pouvoir vouloir, c'est-à-dire qu'ils doivent se mettre en situation d'agir, avant de seulement songer à établir le socialisme au Québec. En ce sens, il ne fait plus de doute pour nous que l'indépendance est une nécessité prioritaire au Québec. C'est l'étape décolonisatrice, pré-requis à toute prise de conscience collective ultérieure. (...) Il est en effet impossible que les travailleurs aient une conscience nette de l'opposition des classes tant que la situation coloniale entretient la confusion entre l'exploitation du travail et la domination des canadiens-anglais sur les québécois.
«Pour nous, ça signifie que l'indépendance est un préalable au socialisme, qu'elle est une condition nécessaire, mais non suffisante, à la libération du Québec. (Selon l'ancien argumentaire), la réalisation du socialisme amène nécessairement l'indépendance; donc luttons pour le socialisme et l'indépendance viendra par surcroit. On avait simplement oublié que si l'indépendance n'amène pas nécessairement le socialisme, elle rend sa réalisation possible; on avait oublié aussi que s'il était bien vrai que le socialisme amènerait nécessairement l'indépendance, ce socialisme n'était pas possible sans l'indépendance.
«L'idéal serait que ce soit un parti socialiste qui fasse l'indépendance mais cette possibilité nous semble improbable dans l'Immédiat et dans un proche avenir. Et parce que nous avons un pressant besoin de l'indépendance, il faut que ce parti socialiste accepte de joindre ses forces à un parti comme le RIN par exemple, pour faire l'indépendance le plus à gauche possible, mais la faire au plus tôt. (...) Il faut se poser de sérieuses questions sur l'opportunité de lutter au sein d'un parti socialiste québécois qui ne veut pas intégrer l'indépendance à sa stratégie, se cantonnant ainsi dans une opposition stérile..»
Ceux et celles qui sont capables de traduire le langage «1967» en langage «2022» décoderont facilement le message que ces jeunes (et moins jeunes) indépendantistes de gauche des années 1960 lanceraient à Québec Solidaire au 21e siècle. En 1968, le RIN (Rassemblement pour l'indépendance nationale) se faisait hara-kiri afin de lutter au sein du Parti québécois pour «faire l'indépendance le plus à gauche possible». Sans cette unité indépendantiste, la cause leur apparaissait perdue. Le dilemme reste le même aujourd'hui.
Voici ce que j'écrivais en octobre dernier sur la question de l'indépendance du Québec qui est l'aboutissement du processus du peuple québécois exercant son droit à l'autodétermination. Je critiquais la position de Québec solidaire sur cette question:
RépondreEffacerConcernant l'exercice du droit à l'autodétermination, on peut exprimer une préférence mais il ne faut pas faire de nos préférence(sic) une condition sine qua non. Car QS explique que l'indépendance doit se faire àgauche, eh bien NON, on ne pose pas de conditions à l'exercice d'un droit démocratique. (Québec solidaire, quelques réflexions post-électorale, Presse-toi à gauche, 11 octobre 2022. Publié dans la section Opinions)
Concernant la question de l'unité des forces indépendantistes, soit PQ-QS, c'est une solution qui peut paraître attrayante, mais pour le moment impraticable. Et voici pourquoi: Le Parti québécois est un parti indépendantiste, universaliste, républicain et pour la laïcité. Québec solidaire est un parti de "gauche" racialiste, communautariste, multiculturaliste. De plus ce parti adhère à la théorie du racisme systémique, trouve le nationalisme québécois répugnant et condamne la laïcité québécoise. Vu l'état des forces actuelles (11 députés QS contre 3 PQ) à l'Assemble nationale, les valeurs péquistes seraient diluées pour ne pas dire dévorées par le discours racialiste et communautariste de QS.