lundi 5 décembre 2022

«Who are these people?»


Cet après-midi, je suis allé au bureau de poste logé au fond d'un Jean Coutu, sur le boulevard Maloney Est (la route 148) à Gatineau.

En sortant, j'ai jeté un coup d'oeil de l'autre côté de la rue, où se dressait jusqu'à récemment l'imposante enseigne de la librairie «Réflexion», une des seules bannières à jeter quelques rayons de culture française sur ce boulevard d'une laideur consommée.

Mais à Gatineau, fief des Tim Hortons et Dollarama, les adresses littéraires n'ont jamais été choyées, et c'est sans grande surprise que cette librairie du boulevard Maloney a fermé ses portes il y a quelques années. Il y avait certes là matière à réflexion...

Toujours est-il qu'en levant les yeux vers l'emplacement que je croyais toujours déserté, j'ai noté une nouvelle enseigne et ce n'était pas édifiant.  À la place des étagères de livres et magazines on trouve maintenant un centre de liquidation. Et comme si cela, en soi, n'était pas suffisamment déprimant, une grosse annonce illuminée dévoile le nouveau nom du commerce: Quick Pick.

Encore une fois, sous la barbe de l'Office québécois de langue française, une raison sociale unilingue anglaise remplace un nom français.  Une succursale d'une entreprise d'Ottawa, si je peux me fier au site Web unilingue anglais de l'entreprise... Ce qui me désespère, c'est que cette anglicisation des noms de commerce ne soulève à peu près aucune réaction au sein du public francophone et surtout pas chez les élus.

Le dernier recensement fédéral, celui de 2021, est un miroir chiffré de ce que l'on voit et entend dans les rues de la quatrième ville du Québec. Entre 2016 et 2021, le nombre de Gatinois qui ne parlent que l'anglais comme langue officielle a bondi de plus de 5000 ! Pendant ce temps, le nombre d'unilingues français a diminué de 3000. Faites le calcul, il est fort simple. Tous les indicateurs témoignent d'un déclin du français.

Et surtout ne demandez pas aux gens d'en devenir conscients, encore moins de s'inquiéter de l'avenir leur langue commune et officielle. Un petit nombre de francophones crie dans le désert. Même les médias constatent dans l'indifférence totale, attaquant même au passage ceux, comme le président d'Impératif français, Jean-Paul Perreault, montent aux barricades.

Arrive un anglophone dans un quartier? Trop souvent, les voisins francophones, la plupart du temps bilingues, lui parleront en anglais. L'habitude de vivre à genoux à l'ombre d'Ottawa. Quand un restaurateur de Gatineau qui ne parlait pas français a mis M. Perreault à la porte parce qu'il demandait à être servi en français, de nombreux clients francophones étaient assis tout autour. Se sont-ils portés à la défense de M. Perreault? Non, ils ont gardé le silence, en baissant la tête...

Les 5000 nouveaux unilingues anglais qui se sont établis à Gatineau depuis cinq ans sont sans doute concentrés dans certains quartiers riverains, mais d'autres sont éparpillés un peu partout, jusque dans l'est beaucoup plus francophone de la ville. Ils fréquenteront les commerces locaux en s'adressant en anglais comme s'ils étaient chez eux, sans même se poser de questions. Dans mon quartier, jusqu'à ces dernières années, je n'entendais jamais d'anglais dans les rues. Aujourd'hui, les choses changent... vite.

Il y a quelques jours, un couple avec deux enfants d'environ 8 à 10 ans marchait sur notre rue et s'approchait de chez moi. Je m'affairais dans l'entrée, près de l'auto et m'apprêtais à les saluer, comme on salue tout le monde, jusqu'à ce que le plus âgé des enfants lance à ses parents, en me regardant: Who are these people? Je n'ai pas entendu la réplique, mais je me suis tout à coup senti un peu étranger dans mon pays. La question était pertinente, cependant, et il est grand temps qu'on y réponde. Qui sommes-nous? Même, y a-t-il toujours un «nous»?

Clairement, à Gatineau, l'ambiance est à la liquidation...

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