mardi 13 décembre 2022

Moi mes souliers ont beaucoup... tapé!


Le Vent du Nord

«C'est une langue aux quatre vents, laissant des traces et des enfants   
Un peu de France, beaucoup de temps, notre Amérique aura vu grand.»        - Amériquois (Album 20 printemps, Le Vent du Nord)     

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À quelques mètres de la scène, les yeux rivés sur les violons, l'accordéon, la vielle à roue, et le tapage obsédant des pieds, je les voyais presque dans le brouillard à l'arrière-scène - coureurs des bois, explorateurs, colons, bûcherons, défricheurs, musiciens, patriotes, écrivains, poètes et clochers qui ont enfanté au fil des siècles notre petit peuple français métissé d'Amérique.

Si l'au-delà existe, je comprendrais que ces millions d'ancêtres tapant du pied veuillent s'accrocher à la charrette musicale du groupe Le Vent du Nord, qui garde vivantes nos traditions menacées, les transportant avec lui à travers le Québec - et autour la planète toute entière - avec la même énergie et fermeté que l'infatigable Pélagie d'Antonine Maillet. 

Dans un monde où les Spotifiy et autres plates-formes numériques nous servent un attrayant hachis au sein duquel les saveurs d'ici restent trop souvent dans l'ombre, où les radios y compris les nôtres font bien pire, le portail entre les nouvelles générations et les rythmes ancestraux se rétrécit. Pas parce que les jeunes n'aiment pas la musique traditionnelle. Plutôt, parce qu'ils ne l'entendent pas. Mais au fond d'eux-mêmes, ils la connaissent...

Promener Le Vent du Nord et d'autres comme eux dans les écoles secondaires et cégeps du Québec enflammerait des braises enfouies dans les tripes collectives depuis des centaines d'années. La musique reste un important chaînon de l'ADN québécois. À partir d'anciens airs de France garnis d'apports autochtones, irlandais, écossais et autres, enrichis d'un «tapage de pieds» qu'on ne trouve nulle part ailleurs sur la planète, nos innombrables auteurs-compositeurs-interprètes ont créé un répertoire original issu de l'âme populaire.

Dans les chansons à répondre, chants folkloriques et gigues, interprétés à l'aide de guimbardes, violons, accordéons, musiques à bouche, on peut sans doute déceler des influences d'un peu partout, mais il reste un élément qui soit exclusivement de chez nous, que l'on reconnaît, que l'on ressent même: le tapage de pied typique (aussi appelé podorythmie) qui accompagne la prestation de nos violoneux, accordéonistes et chanteurs en musique traditionnelle.

Dans son livre Les racines de la musique populaire québécoise (1990), Christian Côté opine: «Notre musique traditionnelle, contrairement à un préjugé largement répandu, n'est pas un sous-produit médiocre des musiques écossaise et irlandaise. Dès le 19e siècle, il s'est créé un style "canayen", caractérisé par un swing bien particulier, auquel le tapement des pieds n'est certainement pas étranger.» Et ce style serait relié «aux particularités rythmiques de la langue française».

Peut-être n'est-ce pas un hasard qu'un des premiers succès de Félix Leclerc soit Moi, mes souliers. Nos chaussures ont en effet beaucoup voyagé, du bassin du Saint-Laurent à travers le continent, arpenté les champs et marché dans nos villes et villages. Mais elles sont aussi devenues un instrument de musique, marquant la cadence dans nos veillées. Ce tapage de pieds que Le vent du Nord et semblables amplifie sur les scènes d'ici et d'ailleurs porte en lui le vécu de n’ose) ancêtres, leurs voyages, leurs labours, leurs chants, leurs petites rébellions, leurs joies et leurs peines. Il est imprégné dans nos mémoires corporelles.

J'entrais à peine dans l'adolescence quand j'ai entendu pour la première fois (fin années 1950) la chanson La parenté de Jacques Labrecque. Je demeurais en milieu urbain, à Ottawa par surcroit, et vivais intensément la révolution du rock and roll américain. Et pourtant, je réécoutais sans trop savoir pourquoi ce 45 tours, mon seul en français à cette époque. J'étais attiré par le rythme, par la podorythmie, par le tapement de pieds qui faisait office de batterie. Je ne crois pas aujourd'hui que c'était l'effet du hasard.

Devant le violoneux Olivier Demers au spectacle du Vent du Nord,  la semaine dernière, j'avais les oreilles et les yeux fixés sur le mouvement rythmique des pieds, bien plus que sur ses habiles acrobaties d'archet. J'y ai longuement réfléchi et je sais maintenant pourquoi. Il ne me reste qu'à apprendre à taper du pied. Mais à cet égard, je suis peut-être une cause désespérée.

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Voici un lien à une excellente vidéo sur le tapage de pieds québécois. https://www.youtube.com/watch?v=aD-JY8wl4Ys


2 commentaires:

  1. Moi aussi, monsieur Allard, j'ai écouté plusieurs fois Jacques Labrecque chanter « La parenté » (une chanson écrite par Jean-Paul Fillion) quand j'étais petit. C'était au tout début des années 60 et nous l'avions sous forme de 78 tours. J'ai malheureusement brisé ce disque en le laissant échapper par terre (les 78 tours, contrairement aux 45 tours et 33 tours, étaient fragiles) et c'est ainsi que nous avons perdu « La parenté » de même que « Monsieur Guindon », chanson comique qu'on retrouvait sur l'autre face.

    Aujourd'hui heureusement, on peut écouter ces deux chansons sur internet.

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    1. Ce fut sans doute un de mes premiers 45 tours. Jusque là, je n'avais que des 78 tours que j'ai conservés mais pour lesquels je n'ai plus de table tournante. (La mienne ne joue que les 33 et 45 tours). Cela rappelle de bons souvenirs.

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