lundi 15 février 2021

Prix Omer-Héroux 2021. Merci au Rassemblement pour un pays souverain !

Voici mon discours d'acceptation du prix Omer-Héroux 2021 du Rassemblement pour un pays souverain (RPS). Ce prix veut reconnaître un indépendantiste québécois qui a déjà exercé ou qui exerce encore la profession de journaliste ou chroniqueur avec intégrité, talent et professionnalisme. Encore une fois, un grand merci au RPS!

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Permettez-moi d’abord de remercier les membres du Rassemblement pour un pays souverain de m’avoir attribué le prix Omer-Héroux.

 

Issu d’un modeste quartier franco-ontarien, auquel je suis toujours attaché,  j’ai traversé la rivière des Outaouais à 28 ans sans aller plus loin que Gatineau, et toute ma carrière journalistique au Québec s’est déroulée dans cette région frontalière où je suis enraciné. Voilà sans doute pourquoi je reste toujours un peu surpris d’apprendre que mes textes puissent être lus et appréciés ailleurs au Québec.

 

Et croyez-moi, j’en suis profondément reconnaissant. 

 

Après un demi-siècle de journalisme sous toutes ses formes, si j’ai acquis une certitude, c’est qu’un peuple libre et bien informé finira toujours par prendre les bonnes décisions… Ce n’est pas l’effet du hasard si les régimes autoritaires et les dictatures censurent les médias et emprisonnent les journalistes.

 

Même dans des démocraties comme le Canada, la libre circulation de l’information peut parfois constituer une menace pour les détenteurs du pouvoir. La crise d’octobre 1970, que J’ai suivie comme journaliste du début à la fin, offre un exemple saisissant.

 

Entre l’enlèvement du diplomate James Cross par le FLQ, le 5 octobre, et l’imposition des mesures de guerre, onze jours plus tard, les médias ont pu faire leur boulot sans entraves. Il régnait dans nos salles de rédaction une fébrilité rarement vue. L’information abondante permettait aux Québécois de faire la part des choses, au grand déplaisir d’Ottawa, qui craignait toujours un glissement nationaliste de l’opinion.

 

Puis, à 4 heures du matin, le 16 octobre, ce fut la Loi sur les mesures de guerre. Fini les libres débats sur la place publique, fini la liberté de presse des jours précédents. Des gens qui discutaient la veille en toute quiétude des nouvelles de dernière heure et des moyens de régler la crise se sont retrouvés derrière les barreaux, sans mandat, sans recours. Quand, le lendemain, Pierre Laporte a été assassiné, l’opinion publique a achevé de basculer pendant que les médias instauraient un régime d’autocensure.

 

Mon militantisme en faveur d’une presse forte et libre remonte à cette époque. L’édifice était déjà lézardé. En octobre 1971, nous étions 10 000 à goûter aux matraques de la police de Montréal pour avoir voulu défendre avec nos collègues de La Pressel’avenir de leur journal, qu’ils estimaient en péril sous le joug de Power Corporation. Cinquante ans plus tard, j’ai l’impression que les journalistes eux-mêmes sont devenus «une race en péril», pour reprendre les paroles de Claude Gauthier.

 

La concentration de la propriété des médias, conjuguée aux avancées technologiques et l’appétit vorace de profits excessifs, a eu pour effet de réduire le personnel, rapetisser l’espace nouvelles et fragiliser la qualité du produit. Comme syndicaliste, courriériste parlementaire, éditorialiste, chef des nouvelles et même comme rédacteur en chef, j’ai mené pendant des décennies – sans trop de succès - un combat de franc-tireur contre des forces manifestement plus puissantes que moi.

 

Que reste-t-il aujourd’hui de cette salle de rédaction que j’ai connue en 1969, où une quarantaine de journalistes se côtoyaient sept jours sur sept sous la mitraille des machines à écrire ? En 2021, rares sont les journalistes de la presse écrite qui pourraient tenir dans leurs mains un exemplaire tout chaud du produit de leur rédaction, fraîchement tiré des presses. Le toucher, flairer l’odeur du papier journal, se tacher les doigts d’encre, entendre le froissement des pages, regarder l’étalage soigné de cinq, six ou sept nouvelles à la une. 

 

Aujourd’hui, seuls Le Devoir, le Journal de Montréal et le Journal de Québec garnissent les kiosques de nos dépanneurs et épiceries. Les autres journaux y compris La PresseLe Soleil et le mien, Le Droit, n’ont plus d’édition quotidienne imprimée. Leurs œufs sont désormais dans le panier numérique. Les salles de rédaction ont rétréci et devant l’assaut brutal de l’Internet et ses dérivés, un climat de «chacun pour soi» ébranle la traditionnelle solidarité et la combativité de la classe journalistique.

 

Quel lien tout cela peut-il avoir avec le projet inachevé d’indépendance du Québec ? Pour moi, c’est très clair. Choisir la souveraineté constitue une décision informée. Pour bien saisir les enjeux, il faut connaître l’histoire du Québec. Lire les journaux. Écouter les nouvelles. Rester à la fine pointe de l’actualité. J’ai la conviction que nous, les journalistes, sommes les historiens du présent. Or, un grand nombre de nos historiens du présent ont vu leur véhicule traditionnel, l’imprimé, s’effacer en faveur d’un univers numérique fragmenté où se côtoient information sérieuse et escroqueries, et sur lequel ils exercent peu de contrôle..

 

Doit-on y voir l’effet de pénuries de personnel? D’un virage des priorités? Quoiqu’il en soit, nos journaux de langue française proposent trop souvent à leur lectorat une couverture aussi fragmentée que le Web, que les historiens de l’avenir auront peine à rapiécer. Deux exemples de 2020, fort pertinents pour le débat sur l’avenir du Québec. Le rapport de l’Office québécois de la langue française (l’OQLF) sur l’érosion du français langue de travail, l’été dernier, et le récent procès de la Loi 21 sur la laïcité de l’État, en novembre.

 

L’OQLF a rendu public son rapport le 11 août 2020. Aucun des six anciens quotidiens de Gesca / Capitales Médias n’a couvert l’histoire. Les quotidiens imprimés de Montréal ont publié la nouvelle sans lui accorder l’importance qu’elle méritait. Personne n’a assigné de reporters à vérifier sur le terrain les données inquiétantes transmises par l’OQLF.  Les chroniqueurs de Québecor ont animé le débat mais c’étaient des textes d’opinion, pas d’information. Il y a 50 ans, une nouvelle de cette ampleur aurait mobilisé les salles de nouvelles et les équipes éditoriales (qui ont largement disparu).

 

Passons au procès de la Loi 21 en Cour supérieure du Québec. À n’en pas douter, il s’agit d’un affrontement judiciaire de première importance pour l’avenir de la laïcité de l’État et le droit du Québec de suivre, dans sa langue, une voie autre que celle du multiculturalisme pancanadien. La décision du juge Blanchard fera bientôt la manchette… d’un océan à l’autre.

 

Or, à l’exception du Journal de Montréal, aucune direction de l’information n’a affecté de journaliste à la couverture des trois ou quatre semaines d’audiences. Ni La Presse ni Le Devoir n’ont suivi l’ensemble des témoignages et, pour le faible nombre de textes publiés, ont accordé plus d’espace aux adversaires de la Loi 21 qu’à ses défenseurs. Une majorité de journaux n’ont même pas publié les textes diffusés occasionnellement par la Presse canadiennesous la plume de Stéphanie Marin.

 

Le rapport de l’OQLF et le procès de la Loi 21 ne sont que deux pièces d’un gigantesque casse-tête d’information que doivent assembler les Québécois pour prendre collectivement des décisions informées. À chaque fois que nos journalistes - faute d’effectifs ou pire, faute de vision - sont privés d’exercer leur boulot d’historiens du présent, les enjeux s’obscurcissent et le Québec francophone devient un terreau fertile pour toutes les propagandes.

 

Si nous ne parvenons pas enfin à créer ce pays de langue française à notre image, des chercheurs de l’avenir se pencheront sans doute sur ce début du 21esiècle pour établir une chronologie de nos ultimes sursauts linguistiques et nationaux. Ils constateront que le déclin national et le déclin de la presse québécoise ont évolué en parallèle.

 

Les Québécois qui nous ont précédé ont bûché courageusement pendant quatre siècles pour nous offrir une fenêtre historique où, enfin, les prises de décision nous appartiennent.

 

Cette fenêtre se refermera bientôt si nous restons les bras croisés devant la détresse de nos médias de langue française. Sans les plumes libres d’une presse vigoureuse, il n’y aura pas de pays.

 

Heureusement, il n’est pas trop tard. Mais il n’y a plus de temps à perdre.

 

Je vous remercie. Ce petit buste de Louis-Joseph Papineau aura une place d’honneur dans ma bibliothèque.

3 commentaires:

  1. En octobre 70, j’étais étudiant à l’University of Toronto

    En octobre 70, j’étais étudiant à l’University of Toronto, jeune père de famille, membre du ‘’French Club’’.

    J’ai été escorté par au moins deux ‘’pans de mur’’ et mon téléphone a été sous écoute.

    Plusieurs cas hors Québec m’ont été rapportés. Les annonceurs de Radio-Canada étaient les premiers suspects.

    Après avoir subi ce beau Canada pendant un quart de siècle, j’ai réalisé que je faisais partie d’une société distincte et que ce n’était pas normal d’avoir à me battre chaque jours pour exister.

    C’est à ce moment que le Québec est devenu mon pays et que j’ai décidé de réintégrer la terre de mes ancêtres, qui s’étaient exilés dans ce beau Canada bilingue.

    J’ai pu ainsi éviter le lot de mes cousins qui sont restés au Canada…. l’assimilation!!!

    Pour ce réveil brutal, je remercie ce XXX de Trudeau!!!!

    Laurent Desbois
    ex-franco-Ontarien,

    fier Québécois depuis quarante ans
    et canadian… par la force des choses et temporairement …. sur papiers seulement!

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    1. Bravo Monsieur Allard pour votre initiative. Un de plus pour combattre ce fédéraliste qui est entrain d'écraser le peuple Québécois Francophone avec tout
      leurs entourloupettes remplis de mépris....
      Le bilinguisme à l'extérieur de notre province,n'existe pas....

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  2. Félicitations monsieur Allard, vous le méritez pleinement !!! La guerre n'est pas terminée, et elle ne le sera qu'avec la victoire du OUI QUÉBEC !!! Bon courage !!!

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