Les chemins d'été... Quand, en 1970, Steve Fiset avait propulsé au sommet des palmarès québécois ce super tube signé Luc Plamondon et André Gagnon, je n'avais que 24 ans. Jeune scribe issu des contestations étudiantes et identitaires des années 1960, je rêvais parfois de prendre le volant d'une Thunderbird 1955, ou d'une Corvette 1962, pour aller à la découverte du monde...
Ayant à peine entamé avec enthousiasme une turbulente carrière en journalisme - et en syndicalisme - je savais que ces rêves resteraient... des rêves. Je ne pouvais même pas me payer une voiture. Mais à chaque écoute envoûtante des Chemins d'été, je continuais de voir ces rubans d'asphalte sans fin sur lesquels je n'aurais jamais la chance de rouler...
«Dans ma Camaro je t'emmènerai sur tous les chemins d'été
«Dans ma Camaro je t'emmènerai à San Francisco
«Dans la nuit noire à cent milles à l'heure je t'en ferai voir de toutes les couleurs
«Et au matin sur notre chemin il pleuvra des fleurs» (bit.ly/3OHyC71)
Beaucoup, beaucoup d'eau a coulé sous les ponts depuis le début des années 70. Plusieurs de ces ponts se sont même écroulés... J'ai 76 ans depuis quelques jours et je n'ai plus l'âge de filer en bolide vers San Francisco ou de mettre des fleurs dans mes cheveux devenus calvitie. Et pourtant, l'attrait des «chemins d'été» demeure aussi intense... urgent même si je mijote le temps limité qui me reste...
Alors quand l'occasion s'est présentée à mon épouse et à moi d'aller - en excellente compagnie par surcroit - explorer le Saguenay-Lac-St-Jean, coin de pays que nous connaissions peu ou pas, nos valises ont été vite bouclées, les batteries de l'appareil photo rechargées et le réservoir de notre vieille Mazda 6 rempli à ras bord d'or noir à 2,11 dollars le litre...
Et ce matin attendu du 4 juillet 2022, notre petite expédition de quatre personnes (Claude Tremblay, Jacqueline Lavoie, mon épouse Ginette Lemery et moi) en deux véhicules s'est mise en route. S'échapper d'abord de l'Outaouais, ce qui mène trop souvent à la 50, demi-autoroute de la honte qu'on ne cesse de construire depuis plus d'un demi-siècle. Qui a déjà négocié cet épuisant slalom en montagnes russes n'a pas besoin qu'on en raconte l'ennui et les pièges. Suffit de dire qu'après en avoir contourné l'ultime affront visuel, le sinistre complexe aéroportuaire fantôme de Mirabel, on débouche enfin sur l'autoroute des Laurentides où le Québec roule à toute vitesse, sans compromis...
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(parenthèse... il y en aura plusieurs) La dernière fois que j'ai voyagé en caravane remonte à 1987 - en juillet également - quand Ginette et moi, mon frère et son épouse et nos six enfants avions traversé en voiture le Québec et les Maritimes (sauf Terre-Neuve). Pour communiquer entre les deux voitures, il fallait klaxonner ou agiter la main... Et on avait toujours nos cartes routières à la main...
Aujourd'hui avec nos téléphones cellulaires on communique audio-vidéo d'une auto à l'autre en tout temps, sans oublier l'apport le plus souvent opportun de «Georgette», c'est ainsi que j'appelle la voix féminine du «GPS» qui, de son orbite géostationnaire dans l'espace, nous guide d'un ton monocorde... «Faites demi-tour dès que possible»...
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Jour 1
L'étoffe du pays
Le premier de nos 12 jours sur les chemins de cet été 2022 commence par un détour au village de St-Sévère, en Mauricie, où «l'étoffe du pays» effectue une remontée remarquée à Rien ne se perd, tout se crée (www.rienneseperd.com/). Nous sommes loin ici des capots, tuques et ceintures fléchées des Patriotes de 1837, mais les vêtements conçus et usinés au Québec demeurent aujourd'hui, comme à l'époque, à la fois une affirmation des talents d'ici et un moyen de protestation contre les abus économiques et environnementaux du grand capital étranger.
Extrait de L'étoffe de la liberté, par Francis Bach, 2002
Ginette avait déjà vu des produits de St-Sévère à la boutique Le Local de Gatineau, où comme son nom le suggère, l'achat local est privilégié. Des achats en ligne avaient suivi. Cette fois, l'occasion était belle d'aller voir de nos propres yeux l'entreprise qui semble être devenue le moteur économique de ce village mauricien de 300 quelque habitants.
Alors vivement, sortie de l'autoroute 40 à Yamachiche, jolie petite municipalité dont les origines remontent au lendemain de la grande paix de Montréal (1702), située sur le chemin du Roy, ayant accueilli dans les années 1760 près de 200 Acadiens déportés. Un de ses ressortissants, Antoine Gérin-Lajoie, y a composé en 1842 la chanson Un Canadien errant, à la mémoire de Patriotes de 1837, déportés eux aussi.
Quittant Yamachiche en direction nord, une affiche annonce un pont fermé dans 6 km... Pas rassurant, étant donné que St-Sévère se trouve à 8 km mais les voitures semblent contourner la barrière allègrement. De fait, nous n'avons jamais vu ce pont fermé. Le village d'un peu plus de 300 habitants, qui se résume essentiellement à une proprette rue principale dominée par le traditionnel clocher, faisait jadis partie de Yamachiche mais s'en est détaché au milieu du 19e siècle.
Pourquoi l'avoir appelé St-Sévère? Cela me chicote toujours de connaître l'origine des noms, parfois exotique. Il existe un Saint Sévère, ancien patriarche d'Antioche né en Turquie au 5e siècle. Grand théologien de son époque, ses écrits ont été interdits après sa mort et quiconque était trouvé en leur possession pouvait avoir sa main droite coupée. Un pensez-y bien! Mais le St-Sévère de la Mauricie n'honore par la mémoire de l'ancien patriarche du Moyen-Orient.
C'est bien plus simple que cela. Le curé de la paroisse depuis 1825 s'appelait Sévère Joseph Nicolas Dumoulin et c'est en son honneur que la paroisse (et le village) a pris le nom St-Sévère en 1855. Le problème, évidemment, c'est que ce Sévère de St-Sévère n'est pas un saint. Du moins, pas officiellement... En passant, pour ceux et celles que cela pourrait intéresser, les gens de cette localité sont des Sévérois.
Et nous voilà, un peu avant l'heure du lunch, ce 4 juillet 2022, devant le nouvel et imposant atelier-boutique Rien ne se perd, tout se crée, au 91 de la rue Principale aussi appelée Rang-de Saint-François-de-Pique-Dur! Construit en 2017, l'édifice abrite l'entreprise fondée en 2003 par Évelyne Gélinas et Marie-Claude Trempe. Ayant appris le tissage sur des métiers traditionnels, elles ont développé leur propre marque de vêtements mode pour femmes.
Outre ses propres collections de prêt-à-porter Rien ne se perd tout se crée propose aujourd'hui plus de 7000 produits fabriqués par environ 130 artisans québécois. À la maison-mère de St-Sévère s'ajoutent plus de 80 points de vente au Québec (nous en avons visité un à l'Anse Saint-Jean, au Saguenay), en Ontario, au Nouveau-Brunswick et même en Colombie-Britannique! Ginette et Jacqueline s'en sont donné à coeur joie. Nous n'y sommes pas arrêtés en vain!
Alors que nous envisagions de dénicher un resto à Yamachiche ou le long de la 40, on nous a recommandé un petit virage au Domaine Gélinas, un vignoble situé tout près qui sert des repas à son Bistro Midi. Je ne pourrais commenter sur la qualité des vins produits, mais le Bistro valait bien le détour. Menu agréable sur terrasse extérieure par beau temps. Que peut-on vouloir de plus?
J'étais un peu surpris de trouver un vignoble au coeur des terres agricoles mauriciennes, mais à bien y penser il m'a semblé me souvenir de productions vinicoles locales dans plusieurs régions y compris la mienne, l'Outaouais. On produit même des vins dans la région de Rimouski (Carpinteri)... En comptant l'innombrable suite de vignobles en Estrie, je me suis demandé combien de vignerons mettent leurs étiquettes sur des bouteilles de vin québécoises... Réponse de Wikipédia: 238!
Retour à l'autoroute 40 direction Québec. Longue et plate mais rapide. J'aime bien mieux le chemin du Roy. Arrivée en milieu d'après-midi aux embouteillages de la capitale nationale, puis le virage nord sur la 73 vers le Saguenay-Lac-St-Jean. Une première pour Ginette, une seconde pour moi (mais ça remonte à 1971...) et une nième pour Jacqueline (originaire de Jonquière) et Claude, vieux habitués de ce trajet routier.
Pour qui n'est jamais passé en voiture de Québec, où il fait 22 degrés sous le soleil, au Lac Saint-Jean, où il fait également 22 degrés sous le soleil, l'expérience de la traversée du Parc des Laurentides peut réserver des surprises. Tout à coup les nuages sombres s'amoncellent, suivis d'une forte pluie glaciale qui fait chuter le mercure à 11 degrés... Arrêt heureux et espéré à L'étape où il ne pleut plus mais où, à 13 degrés, on aurait souhaité des manches longues... Par la suite, comme notre destination est Alma (condo locatif au complexe Dam-en-Terre), on saute sur la 169 vers le nord-ouest à travers des paysages encore montagneux, dominés par des épinettes noires et des sapins, avec l'occasionnel bouleau à papier. Entre les feuillus de Québec et du Lac, nous sommes ici en pleine forêt coniférienne boréale.
Finalement, c'est la descente vers le secteur du Lac Saint-Jean et sa principale ville, Alma, dont la population dépasse le seuil des 30 000. En quittant la forêt une première maison apparaît, puis d'autres, et tout à coup c'est la plaine à perte de vue. De beaux champs agricoles, des érables, tilleuls, bouleaux et autres feuillus remplacent les sombres pessières et sapinières du parc des Laurentides. Après un premier village frôlé, Hébertville, on fonce sur le centre de villégiature Dam-en-Terre, et un premier souper reposant au centre-ville d'Alma, en bordure de la grande décharge (là où le lac Saint-Jean devient la rivière Saguenay dans un tourbillon de rapides).
Alma sera notre quartier général pour 12 jours, le point d'ancrage de nos pérégrinations entre Dolbeau-Mistassini et Tadoussac...
À suivre...