J'écris ce billet deux journées complètes après la publication des données linguistiques du recensement fédéral de 2021. Pour ceux et celles qui ne le sauraient pas, je vis à Gatineau. Quatrième ville du Québec, la métropole de l'Outaouais s'anglicise à vue d'oeil et le déclin rapide du français est présenté dans les colonnes de chiffres du plus récent recensement avec une précision chirurgicale.
Le tableau ci-dessous (que vous ne trouverez pas ailleurs parce que personne, même pas les médias, ne se donne la peine de faire les calculs qui s'imposent) brosse un tableau des proportions, mais parfois les chiffres à l'état brut sont plus assommants. J'y reviendrai. Ce que je tiens à dire dès le début c'est qu'aucun suivi en profondeur sur la situation linguistique de Gatineau n'a paru dans nos grands médias.
On n'a proposé aucun portrait détaillé des données, aucune analyse, et aucune réaction des autorités municipales. Ni la maire France Bélisle, ni les membres du conseil municipal, en particulier ceux des quartiers où le français est ou deviendra le plus en péril. On va toujours au plus facile: interroger Jean-Paul Perreault, président d'Impératif français, toujours accessible et bien renseigné. Cette fois, j'ai lu une réaction du député de Chapleau, Mathieu Lévesque. Et? Rien!
Les salles de rédaction ont beau être dégarnies, certains dossiers s'imposent. Celui-ci, notamment. Le jour où la dégringolade du français ne s'arrêtera plus, les médias de langue français vont perdre leur raison d'être et fermeront leurs portes. Les directions des salles des nouvelles en sont-elles conscientes? Ont-elles au moins fait l'effort d'ouvrir les pages du recensement pour l'Outaouais, et de les lire? Ne pensent-elles pas que la survie de la langue et de la culture française à Gatineau constitue un sujet digne d'y affecter quelque ressource, au moins à tous les cinq ans lors de la divulgation des données du recensement?
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Quelque mots d'explication (que les médias devraient utiliser à l'occasion) sur les termes employés dans le tableau ci-dessus:
Langue maternelle - la première langue apprise à la maison dans l'enfance et encore comprise par la personne au moment où les données sont recueillies.
Langue parlée le plus souvent à la maison (aussi appelée langue d'usage) - la langue que la personne parle le plus souvent à la maison au moment de la collecte des données.
(Source: Statistique Canada
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Les proportions présentées dans le tableau comparatif des quatre plus récents recensements sont suffisamment claires pour que tous, toutes en saisissent immédiatement la portée. Mais quelques chiffres à l'état brut permettent d'accentuer l'effet.
En 2006, au chapitre des langues officielles, sur une population totale de 240 000 environ, 74 690 Gatinois ne connaissaient que le français et 12 910 l'anglais seulement. Quinze années plus tard, sur une population totale de 287 510, à peine 74 420 habitants de Gatineau sont «unilingues» français, alors que le nombre d'«unilingues» anglais est passé à 24 200! Le nombre d'anglophones qui ne connaissent pas le français a doublé en 15 ans!
Quant au nombre de bilingues français-anglais, il est passé de 151 160 en 2006 à 186 955 en 2021. Cet accroissement du nombre de bilingues ne provient pas de la minorité anglaise, qui reste en forte proportion unilingue, mais surtout de la population de langue française, qui se bilinguise massivement, en route vers l'assimilation éventuelle.
La comparaison des données sur la langue maternelle et de la langue d'usage est l'outil traditionnel de mesure du pouvoir d'assimilation d'une langue, de son pouvoir d'attraction. Si le nombre de locuteurs du français à la maison est supérieur au nombre de francophones qui ont appris le français à l'enfance (langue maternelle), on déduira que le français attire une partie de la population anglophone ou de langues tierces. S'il est inférieur, on déduira que des francophones s'assimilent à une autre langue, principalement l'anglais.
Je me contentera ici des données de 2021, mais les résultats sont comparables (en pire) à ceux des autres recensements. Il y a à Gatineau 210 753 personnes de langue maternelle française et 214 244 qui parlent le plus souvent français à la maison. Donc un très léger pouvoir d'attraction du français. Par contre, on compte 39 293 personnes de langue maternelle anglaise et 49 871 personnes parlant le plus souvent l'anglais à la maison! Un gain de 1,6% pour le français, mais un bond de de 22,2% pour l'anglais! On sait où cela mènera.
Je pourrais continuer longtemps, mais je crois qu'il y a ici matière à réflexion, matière à enquête et surtout matière à interroger les autorités municipales sur l'identité linguistique et culturelle de leur ville. Il est important de savoir si Gatineau sera la portée d'entrée d'un Québec français ou la «cour arrière» d'une capitale de plus en plus anglaise sur la rive ontarienne de l'Outaouais.
Je trouve encourageant que le français demeure attractif à Gatineau, même si ce n'est que par la peau des fesses. J'ai l'impression très nette que le sort du français, ici, va dépendre en bonne partie du comportement linguistique des immigrants. Plus ils auront une connaissance du français en arrivant au Canada (que ce soit en provenance du Sénégal, de l'Algérie, etc.), plus nous augmenteront nos chances de bien réussir l'intégration et d'augmenter le degré de cette attractivité. La nécessité d'avoir un plus grand pouvoir décisionnel sur la composition de l'immigration me semble incontournable. L'élection de deux éventuels candidats caquistes à Hull et dans Pontiac serait également utile, ce parti étant plus nationaliste et plus soucieux de la question linguistique que le PLQ. S'il advenait que QS, un parti officiellement indépendantiste, devienne l'opposition officielle (c'est loin d'être inconcevable), cela pourrait envoyer un message subtil aux anglophones de souche, quant à la désirabilité de s'établir ici, voire d'y rester.
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