lundi 8 août 2022

D'où viendra la relève franco-ontarienne?

Gisèle Lalonde (photo YouTube)

Dans son commentaire sur les funérailles récentes de la militante franco-ontarienne Gisèle Lalonde, le journaliste Sébastien Pierroz (ONFR+, Le Droit) a évoqué la relative absence de représentants de la relève de l'Ontario français à la cérémonie, tenue à Ottawa (voir bit.ly/3d3SDXu).

La question sous-entendue n'était pas seulement: «pourquoi ne sont-ils pas venus»... À l'arrière-plan flottait, entre les lignes, une interrogation plus sombre: existe-t-il toujours chez les Franco-Ontariens une relève pour remplacer les Gisèle Lalonde sur les barricades?

Mes anciens compatriotes de l'Ontario français seront sans doute en désaccord, mais tout me porte à croire que la francophonie ontarienne, comme collectivité du moins, se dirige vers les soins palliatifs. À l'époque de ma jeunesse, années 1950 et 1960, à Ottawa, j'aurais sans doute porté un jugement plus optimiste.

Mais voilà, le monde était différent, et davantage propice à la formation d'une dynamique relève en Ontario français. Comme la plupart des Franco-Ontariens des années 1950 (et même des 1960), j'ai grandi dans une collectivité essentiellement francophone.

Bien sûr, on parlait français à la maison, mais aussi dans la rue. Le quartier était très majoritairement de langue française. L'école primaire était franco-ontarienne, l'église paroissiale aussi. Des associations canadiennes-françaises locales de tous genres offraient des activités et lieux de rencontres aux jeunes et moins jeunes.

Des quartiers comme le nôtre permettaient aux francophones d'Ottawa (et à ceux et celles d'autres villes de l'Ontario y compris Vanier, Sudbury, Cornwall, Welland) de survivre et de vivre dans leur langue. Ce sont de tels milieux, ainsi que des nombreux villages et petites municipalités franco-ontariennes, qu'ont jailli les Gisèle Lalonde et de nombreux éléments de la relève francophone, de génération en génération.

Mais depuis cette époque, le plancher s'est dérobé sous les pieds de la Franco-Ontarie urbaine. Tous les quartiers urbains francophones, sans exception, ont disparu. Dans la Basse-Ville d'Ottawa, château-fort de la francophonie dans la capitale, près de 80% des résidants parlaient français jusqu'au début des années 1970. Aujourd'hui c'est 20%...

La communauté canadienne-française de mon ancien quartier, St-François d'Assise, s'est disloquée. Au cours du dernier demi-siècle, les taux d'assimilation ont doublé et parfois triplé dans des localités comme Cornwall, Sudbury et Welland. Et l'expansion de la capitale fédérale vers l'est anglicise à vue d'oeil des villages et municipalités jadis franco-ontariens.

La conséquence? La langue de la rue, dans les villes, est partout l'anglais. Les jeunes parlent français (quand ils le parlent) avec un accent de plus en plus anglais. La plupart des associations canadiennes-françaises de l'époque ne sont que des souvenirs. La majorité des mariages (deux tiers?) sont désormais exogames, et les trois quarts des enfants issus de ces unions auront l'anglais comme langue maternelle. Les écoles françaises résistent tant bien que mal à une vague qu'elles qu'elles peinent à endiguer.

Faute de faire face à cette réalité, on gonfle les effectifs pour faire croire au dynamisme de la langue française en Ontario. La FCFA, qui compte tous les anglos bilingues comme francophones, lance le chiffre farfelu de 1 390 000... L'AFO propose 744 000, l'Ontario 622 000, le fédéral 550 600 avec sa PLOP (première langue officielle parlée), tandis que le dernier recensement dénombre 529 000 Ontariens de langue maternelle française ou, chiffre plus réaliste, 310 000 Ontariens ayant le français comme langue d'usage (langue la plus souvent parlée à la maison).

Selon l'ancienne Commission B-B, la langue d'usage constituait le critère le plus opportun pour mesurer la santé linguistique des collectivités. Sauf exception, un francophone qui n'utilise jamais ou peu le français ne deviendra pas le successeur de Gisèle Lalonde. Or, selon une étude de Statistique Canada de 2010, à peine 20% des Franco-Ontariens écoutent la télé ou la radio ou lisent des livres surtout en français. Pour la presse écrite c'est 13% et seulement 8% des francophones de l'Ontario consomment l'Internet en français.

Les milieux urbains qui ont produit les militants actuels de 60 ans et plus n'existent tout simplement plus. Et une majorité de Franco-Ontariens vivent dans des villes. Au lieu d'être des pépinières de combattants pour l'avenir, les anciens quartiers francophones des grandes villes seront des foyers d'assimilation.

Bien sûr il y aura toujours des militants, des centaines, des milliers même, venus des localités toujours franco-ontariennes ou même du Québec, pour défendre les barricades en cas de crise. Un vieux fond de combat, des braises toujours chaudes.

On les admirera. On les appuiera. Ils brilleront comme des étoiles dans la nuit. Mais ce sera, de plus en plus, la nuit. Les Gisèle Lalonde, les Séraphin Marion, les Jean Poirier, les Yves Saint-Denis et semblables ont grandi et combattu en plein jour, au soleil.

D'où viendra-t-elle, la relève?


1 commentaire:

  1. (Commentaire concernant l'article suivant, sur les Franco-Ontariens. Le système ne me permet pas de le placer là, je le place donc ici...) La Ville (lire le conseil municipal et les principaux fonctionnaires) doivent faire un examen de conscience: quelle ville veulent-ils laisser à leurs enfants? La Ville de Gatineau ou Gatineautown? Nous avons le droit de défendre notre culture, dont la langue n'est que l'élément le plus visible. Si quelqu'un ne se donne même pas la peine de faire des efforts pour apprendre quelques phrases en français, dans le milieu de vie qu'il adopte volontairement, il envoie le message qu'il considère ses nouveaux concitoyens comme non-importants et faisant partie d'un simple décor. Il m'arrive de penser que brûler quelques drapeaux canadiens de temps en temps, sur la place publique, aurait tout de même l'avantage, sans tuer personne, de lancer un message très clair concernant ce pays, ce royaume canadien qui nous englobe depuis un quart de millénaire et nous considère comme une simple minorité ethnique qui finira par s'assimiler comme les autres. Nous ne sommes pas une minorité appelée à disparaître, mais une minorité qui droit protéger ses droits et sa culture. Sans culture, que sommes-nous? Si nous perdons la nôtre, nous deviendrons tout simplement des English Canadians de seconde zone.

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