Michael Rousseau, le désormais célèbre PDG d'Air Canada, avait raison. On peut fort bien vivre en anglais à Montréal sans apprendre le français. Une journée. Un mois. Un an. Toute sa vie. Et les donnés récentes du recensement de 2021 en offrent une preuve éclatante. De fait, à voir l'évolution depuis plus de 20 ans, la question qu'il faut poser est la suivante: les francophones pourront-ils encore longtemps vivre en français dans la métropole québécoise?
J'ai surveillé les journaux et les bulletins de nouvelles depuis le 17 août, date à laquelle les données linguistiques du recensement de l'an dernier ont été rendues publiques, et je n'ai pas vu ou entendu d'analyse détaillée décortiquant, pour Montréal et Laval, les différents repères linguistiques utilisés par Statistique Canada: connaissance des langues officielles, première langue officielle parlée (PLOP), langue maternelle et surtout, la langue la plus souvent parlée à la maison (langue d'usage).
Je n'ai pas l'intention de la faire ici non plus, mais j'ai fait l'effort de lire les colonnes de chiffres, de calculer les totaux et les pourcentages, et de comparer les résultats de 2021 à ceux de 2016. Et certaines conclusions s'imposent qui feront plaisir au PDG unilingue anglais d'Air Canada. Dans une ville qui se veut française (du moins c'est ce que prétend la Loi 101), le nombre d'unilingues francophones chute pendant que le nombre d'unilingues anglais connaît une hausse robuste.
Pas besoin d'avoir inventé le bouton à quatre trous pour comprendre ce que de tels chiffres suggèrent. Au chapitre de la connaissance des langues officielles, le nombre de personnes disant ne comprendre que le français est passé de 503 105 en 2016 à 473 490 en 2021 à Montréal, passant de 29,9% à 27,2% (c'était 33% en 2006...). On peut en conclure que le nombre et la proportion de francophones bilingues (français-anglais) augmentent. Mais le contraire n'est pas vrai!
Si la tendance était vraiment à la connaissance des deux langues dans une ville qui se veut française, le nombre et la proportion d'anglophones et d'allophones devrait suivre une courbe tout au moins aussi accentuée. Mais non! Le nombre de personnes disant ne comprendre que l'anglais comme langue officielle a bondi de 170 490 en 2016 à 207 690 en 2021, passant de 10 à 12% en cinq ans! L'anglais se renforce, le français s'affaiblit. Parole de Michael Rousseau, l'unilinguisme anglais se renforce, l'unilinguisme français s'affaiblit.
Les autres données soutiennent parfaitement cette thèse. Au chapitre de la langue maternelle (la première langue apprise et encore comprise), le nombre de francophones a chuté sous la barre des 50% dans la métropole, de 51,4% en 2016 à 49,4% en 2021. Nous sommes désormais la plus grosse minorité de Montréal... Même courbe pour le français langue d'usage (la plus souvent parlée à la maison): de 57,3% en 2016 à 55,4% en 2021. Et comme si ce n'était pas déjà suffisamment inquiétant, cette anglicisation semble s'accélérer.
Quelques mots sur Laval, qui était auparavant bien plus française que Montréal et qui s'anglicise désormais à un rythme plus rapide que celui de la métropole. La proportion d'habitants ayant une connaissance du français seulement (langues officielles) a chuté de 40% à 31% depuis 2006, et de 4% dans le seul intervalle 2016-2021! Pendant ce temps, le nombre d'unilingues anglais, encore faible pour le moment, poursuit sa croissance. Comme à Montréal, les francophones sont majoritairement (et de plus en plus) bilingues. Au chapitre de la langue la plus souvent parlée à la maison, la proportion de francophones baisse vite (de 65 à 62% depuis 2016) pendant que le nombre et la proportion d'anglophones continue d'augmenter (de 15,4% à 17,1%).
Ces données du recensement ne sont pas que des chiffres. Ils sont l'écho statistique de la rue, des milieux de travail, de l'école, des foyers. Ils annoncent une glissade qui français qui s'accentue et qui deviendra, au rythme où vont les choses, une chute libre d'ici quelques décennies.
Il n'est pas trop tard. Mais le français est à l'urgence et faute de soins immédiats, il passera bientôt aux soins palliatifs. Tout le monde sait, au fond, ce qu'il faudrait faire pour assurer l'avenir du français. Et Montréal est la clé. Quand aurons-nous le courage collectif d'agir de façon décisive pour que notre contribution unique à la diversité culturelle mondiale ne disparaisse pas sous le rouleau compresseur de l'anglais nord-américain?
Le Québec sera français ou anglais. Il ne sera pas bilingue. Et pour être français, il devra être indépendant. À nous (pendant qu'il existe encore un «nous»), de choisir!
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