Mercredi 6 juillet
En fin de matinée, on fonce de nouveau dans la plaine jeannoise avec Claude au volant. De fait, durant nos 12 jours au Saguenay-Lac-Saint-Jean, Claude a toujours été le conducteur. Je crois que c'était sa préférence. Du moins je l'espère, parce que nous en avons fait, du kilométrage entre Dolbeau-Mistassini et Tadoussac.. Mais si le pilote doit se concentrer sur la route droit devant, les passagers, eux, sont libres d'observer à loisir le paysage qui défile.
Venant d'Alma et contournant le Lac Saint-Jean par le sud, la première localité qu'on traverse sur la 169 porte le nom plutôt étrange (étrange pour un étranger en tout cas) de Métabetchouan-Lac-à-la-Croix. En mijotant ce nom, je me dis que voir du pays, c'est comme ouvrir une poupée russe. Derrière une appellation on trouve des histoires, qui en contiennent d'autres. Portes ouvertes vers de nouvelles parenthèses...
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(première parenthèse)
Le nom Métabetchouan vient des mots matabi et djiwan, signifiant «le courant (djiwan) se jette dans l'eau (matabi)» en algonquin, montagnais et tête-de-boule, selon le père oblat Joseph Guinard, auteur à 95 ans d'un livre sur les gentilés autochtones du pays et ardent défenseur des langues autochtones qu'il faudrait, disait-il, «écrire et prononcer avec plus de respect, plus correctement» pour «restituer leur vraie beauté». Il aurait sans doute préférer Matabidjiwan...
Dans son livre «Les noms indiens de mon pays», le père Guinard parle du père jésuite De Quen, qui s'était rendu là en 1647, à l'endroit où la rivière Belle-Rivière se déverse dans le lac Saint-Jean. L'auteur raconte que les Autochtones du lieu avaient, pour l'accueillir, planté sur le bord du cours d'eau une «belle et grande croix». Cette histoire doit sûrement être à l'origine du nom Lac-à-la-Croix que l'on ajoute à Métabetchouan. Mais je n'ai pas vérifié...
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Nous n'avons pas eu l'occasion de vraiment visiter Métabetchouan mais j'ai eu l'impression en roulant vers l'ouest que le secteur Lac-à-la-Croix pourrait s'inscrire au livre de records Guinness comme localité abritant le plus grand nombre de roulottes et motorisés, entassés sur quelques kilomètres entre la route 169 et l'immense lac qu'elle effleure.
On a aussi pu apercevoir une ferme laitière saisissante, avec d'impressionnants bâtiments et six silos (jamais vu tant de silos agricoles côte à côte). Sur les murs on annonce «Ferme du clan Gagnon», et une recherche sur Internet démontre que c'est un lieu fréquenté, ouvert au public et prisé des politiciens, y compris des chefs de parti, qui s'y font photographier à l'occasion.
Après avoir filé à travers les localités de Desbiens et Chambord, La maison du bleuet (on l'a visitée au retour) marque le virage à l'intérieur des terres, vers l'ancien village de Val-Jalbert, tout près. Ce village fantôme, appelé au début Ouiatchouan (pour la rivière et les chutes qu'il avoisine), a été déserté vers 1930 après la fermeture, trois ans plus tôt, de la pulperie locale construite en 1901 par l'entrepreneur Damase Jalbert. Laissées longtemps à l'abandon, plusieurs maisons se sont effondrées au fil des décennies mais une trentaine subsistent, ainsi que des bâtisses (bureau de poste, couvent-école) et le moulin lui-même, à l'ombre de la majestueuse chute Ouiatchouan.
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(seconde parenthèse)
Le nom original de Val-Jalbert, Ouiatchouan, est une déformation de wiia (rond, circulaire) et tchiwan (courant) qui, regroupés pour faire wiiadjiwan, signifient remous ou courant tournant. Source: le livre du vieux père Guinard. Les chutes et la rivière qui ont alimenté le moulin en énergie portent le même nom.
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Entre 1971, année de ma première visite, et aujourd'hui, c'est le jour et la nuit (ou le contraire). La différence entre un film en noir et blanc et un film couleur. Évidemment nous sommes au début de juillet alors que la saison touristique prend son essor. Peut-être est-ce différent en février. Mais en ce mardi ensoleillé, rien de ce que l'on y voit s'apparente à l'abandon. Des navettes offrent des tours guidés à travers les rues du village (qui avait presque 1000 habitants en 1927), l'usine est devenue un centre d'animation historique avec spectacle immersif (excellent) et restaurant, un téléférique amène les plus hardis (pas moi) vers le haut de la chute et des vues à couper le souffle, des acteurs costumés jouent les rôles de l'époque (maire, religieuse, maîtresse de poste, etc.), et on peut revivre l'ambiance du début du 20e siècle dans des maisons restaurées. Rien de cela n'était là au début des années 1970...
Pendant que Claude, Jacqueline et Ginette s'aventuraient en téléférique vers les sentiers des hauteurs, j'ai pu m'installer sur un banc à l'ombre devant l'usine et me tremper un peu dans l'historique du lieu (le réseau wi-fi fonctionnait à l'extérieur). Ce n'est pas que je n'aurais pas voulu les accompagner, mais je m'énerve à la troisième marche d'un escabeau et mon coeur abimé me ralentit dès que j'entreprends une pente en montée. Enfin, rester bien assis et réfléchir n'est pas totalement inutile...
Le plus fascinant, pour moi du moins, fut d'ailleurs le narratif historique de ce village de compagnie vraiment pas comme les autres, surtout dans une région forestière relativement isolée. Si vous scrutez le paysage de près, vous remarquerez des bornes-fontaines occasionnelles. À Montréal ou à Québec cela aurait été normal. Mais à Val-Jalbert? Dans ce village, durant la Première Guerre mondiale, les maisons bénéficiaient des conforts urbains modernes (pour 1915) avec l'aqueduc, l'électricité, les égouts, les cabinets d'aisance, etc. C'étaient pour la plupart des maisons jumelées (comme sur la photo ci-dessous).
En quittant Val-Jalbert, vers la fin de l'après-midi, nous sommes arrêtés à l'incontournable succursale de la Maison du bleuet près de Chambord, à l'angle du chemin de Val-Jalbert et de la route 169. Si vous aimez les bleuets, vous y trouverez des centaines de produits de tous genres ayant la petite baie bleue comme dénominateur commun. Nous avons rapporté une tarte aux bleuets sauvages que nous avons savourée. Le dernier morceau, je l'ai dégusté au petit déjeuner quelques jours plus tard. Si ce n'était pas si loin de Gatineau, j'y retournerais.
Et hop! La 169. Direction Dam-en-Terre!
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