Je ne vous cache pas mon irritation à chaque fois que je vois cette mention à la fin d'un texte dans Le Devoir ou dans mon quotidien local, Le Droit. D'autres journaux doivent sûrement imprimer ce message à la fin de certains de leurs articles:
Je peux comprendre que les difficultés financières de nos quotidiens les obligent à quêter sur la place publique pour éviter des coupes ou même, une éventuelle fermeture. Mais est-ce une raison suffisante pour laisser le gouvernement fédéral imposer des conditions qui transforment chaque fin de texte en instrument de propagande?
Les médias sont à genoux, profitons-en! Cela semble être la devise d'Ottawa où, sous Trudeau (ou n'importe qui), le pouvoir de dépenser se transforme en pouvoir tout court! Le programme Initiative de journalisme local (IJL) ressemble moins à un sauvetage de la presse qu'à un investissement publicitaire jugé rentable.
Au lieu de créer des programmes de subvention statutaires liés aux situations de crise ponctuelles, des programmes qui respecteraient l'autonomie professionnelle de médias d'information censés demeurer neutres, le fédéral se positionne avantageusement avec le logo du Canada et l'unifolié bien en vue à la fin d'une nouvelle rédigée par un ou une journaliste embauché grâce à l'Initiative de journalisme local.
Jugez par vous-même le ton qui n'invite pas la réplique. Je cite ici Patrimoine canadien dans ses pages Web sur le programme IJL:
«La reconnaissance publique de l'aide reçue du gouvernement du Canada est une condition du versement d'une subvention ou d'une contribution. Cette condition demeure même lorsque les fonds sont investis par l'entremise d'une tierce partie.
«L'usage du mot-symbole "Canada" permet à tous de reconnaître facilement qu'une activité est appuyée par le gouvernement du Canada. (...) Il est nécessaire de respecter l'intégrité du mot-symbole "Canada" qui ne peut être modifié d'aucune façon. Il est dégagé, loin de tout élément susceptible d'en diminuer l'effet ou d'en distraire le regard et ne doit jamais faire partie d'un titre, d'une expression ou d'une phrase.»
C'est-tu assez clair? Placardez le logo «Canada» partout et dites ainsi à votre lectorat que le gouvernement fédéral est beau et bon pour le Québec et pour ses quotidiens devenus mendiants.
Il faut noter cependant que ce programme comporte des objectifs d'information assez précis et en principe, limités, si on se fie au site Web du ministère fédéral du Patrimoine canadien:
«L’Initiative de journalisme local (IJL) soutient la création d’un journalisme civique original qui répond aux besoins diversifiés des communautés mal desservies du Canada.
«Des fonds sont mis à la disposition des organisations médiatiques canadiennes admissibles pour qu’elles embauchent des journalistes ou qu’elles rémunèrent des journalistes à la pige afin qu’ils produisent un contenu journalistique civique destiné aux communautés mal desservies.»
La question qui se pose, c'est de savoir comment Ottawa fait respecter ces conditions. Les médias doivent-ils rendre des comptes à quelque fonctionnaire de Patrimoine canadien? Le fédéral engage-t-il des vérificateurs qui épluchent les médias pour s'assurer que le contenu IJL correspond aux exigences, faute de quoi on ferme le robinet à dollars?
Je ne sais pas comment Le Devoir répond aux besoins d'une «communauté mal desservie» quand un journaliste IJL posté à Toronto rédige un texte sur les déboires électoraux du Parti libéral de l'Ontario. Ou quand Le Droit, par son scribe IJL à Toronto (encore), annonce la démission d'une ministre et députée conservatrice provinciale de la région de la capitale fédérale... Enfin...
Une dernière note. Dans le communiqué de presse annonçant des fonds supplémentaires pour l'Initiative de journalisme local en octobre 2022, voici la toute première phrase: «Une grande partie de notre démocratie repose sur une presse libre et indépendante.» Et ensuite on dira à cette presse libre et indépendante quoi écrire à la fin de chaque texte ainsi financé, avec le logo Canada/unifolié et un texte de reconnaissance...
Si j'étais rédacteur en chef d'un des quotidiens obligés de s'humilier ainsi, je prendrais des Gravol aux quatre heures... On me rétorquera que dans le contexte actuel, les quotidiens et la presse écrite en général n'ont guère le choix. On quête ou on meurt. Peut-être bien. La question qui tue c'est: pourquoi? Comment en sommes-nous arrivés là et que faut-il faire pour s'en sortir?
On est huit millions... Faudrait s'parler...
Aucun commentaire:
Publier un commentaire