dimanche 29 décembre 2019

Les jeunes et le bilinguisme. Les carottes sont cuites.



«Les carottes sont cuites.» Voilà l'avertissement codé transmis à la population québécoise et franco-canadienne par Martin Turcotte, chercheur principal au Centre de la statistique ethnoculturelle, langue et immigration de Statistique Canada, dans son étude récente (publiée en octobre 2019) intitulée «Résultats du Recensement de 2016: le bilinguisme français-anglais chez les enfants et les jeunes au Canada» (bit.ly/2Zy1fuI).

Un peu comme ces messages cryptés du second conflit mondial, permettant à la résistance française de communiquer des renseignements sans être compris de l'ennemi, des chercheurs francophones de l'agence fédérale Statistique Canada lancent parfois des appels urgents de détresse sous le couvert de rapports rédigés dans le langage officiel et peu inspirant de la bureaucrate canadienne.

Le font-ils sciemment ou intuitivement? Je n'en sais rien. Ce dont j'ai toujours été convaincu, cependant, c'est qu'au fond de chaque Québécois, chaque Canadien français, chaque Acadien - même les plus dociles - sommeillent les braises encore chaudes de la résistance.

Sous prétexte de brosser un tableau global de l'évolution du «bilinguisme français-anglais» chez les jeunes au Canada tout entier, le statisticien fédéral présente en détails précis et dramatiques la progression fulgurante de l'anglais au Québec, ainsi que la stagnation ou le déclin du français dans les autres provinces canadiennes. À moins d'agir promptement, d'ici une vingtaine ou une trentaine d'années, les Québecois francophones seront majoritairement bilingues et le reste du Canada (sauf l'Acadie du Nouveau-Brunswick et quelques pochettes franco-ontariennes), essentiellement unilingue anglais.

Le langage employé par Martin Turcotte n'éveillera aucun soupçon chez les Anglo-Canadiens, même chez ceux qu'il côtoie à Statistique Canada. Ils y verront probablement une étude de plus sur le bilinguisme français-anglais par un statisticien de langue française qui s'amuse à jongler savamment avec des colonnes et des colonnes de chiffres extirpées des recensements canadiens... Une étude qu'à peu près personne ne lira (surtout pas la faune médiatique) et qui occupera une des nombreuses tablettes empoussiérées dans les méandres des archives de StatCan... Mais pour ceux et celles qui, chez nous, se donneront la peine de décortiquer ce document de 17 pages, il y a beaucoup, beaucoup plus.

Ce qu'il faut surtout comprendre, c'est que l'un des nôtres, bien terré au sein de l'appareil fédéral anglo-canadien, vient de lancer une bouteille à la mer en espérant sans doute que son SOS tombe entre bonnes mains. Sinon, si on continue de voir nos jeunes générations s'angliciser dans la plus totale indifférence, il ne nous restera plus beaucoup de temps comme nation. Les chiffres sont on ne peut plus clairs. Dans 15 ans, 20 ans, il sera trop tard. «Les carottes seront cuites!»

Voici quelques chiffres contenus dans cette étude:

* Au recensement de 2006, 28,3% des jeunes Québécois de 5 à 17 ans étaient bilingues (français-anglais). Au recensement de 2016, cette cohorte de jeunes (maintenant âgée de 15 à 27 ans) est bilingue à 66% ! Ça en dit long sur l'importance de l'anglais, langue de travail, même au Québec.

* Au Québec, 55% des jeunes de 5 à 17 ans qui étaient unilingues en 2006 faisaient partie des bilingues en 2016. C'était à peine 7% dans les autres provinces. Vous voyez la tendance?

* Dans le reste du Canada, les jeunes sont les plus bilingues - un peu plus de 15% - à l'âge scolaire (10 à 19 ans) et le français acquis commence à se perdre dès que cette génération intègre le marché du travail. En passant, ces chiffres incluent les Canadiens français et les Acadiens...

* Au Canada hors-Québec, 35% des jeunes qui étaient bilingues en 2006 ne l'étaient plus en 2016 (et croyez moi, ce n'est pas l'anglais qu'ils ont perdu), tandis qu'au Québec 94% des jeunes bilingues de 2006 l'étaient toujours dix ans plus tard... Au Québec, quand on acquiert l'anglais, c'est pour de bon...

* L'étude donne peu de détails sur les francophones hors Québec mais mentionne que le taux de persévérance du bilinguisme, au Canada sans le Québec, est le plus faible chez les 14 à 17 ans, ainsi que chez ceux ayant l'anglais ou une autre langue que le français ou l'anglais comme langue maternelle. On ne traite pas du tout de la question de l'assimilation des francophones.

* Le taux de bilinguisme global au Québec est passé de 25,5% en 1961 à 44,5% en 2016 et dépassera les 50% d'ici une dizaine d'années. Le Québec est de loin le territoire le plus «bilingue» du pays. Ailleurs au Canada, la proportion de bilingues a augmenté de 6,9% en 161 à 9,8% en 2016 et on est désormais dans une ère de stagnation, voire de recul...

* Projection pour 2036? «Un écart croissant entre le taux de bilinguisme au Québec et le taux de bilinguisme hors Québec». On ne fait pas de projection pour la proportion de francophones dans l'ensemble du Canada, mais elle aura sans doute chuté sous la barre des 20%... L'accélération du début de la fin, et ça va être laid...

Merci M. Turcotte, je crois avoir décrypté votre message, mais je crains que la majorité de mes compatriotes ne réagissent avec la plus grande indifférence. Quand j'écoute les gens autour de moi, dans la rue, à la radio, à la télé ou sur Internet, je constate la dégradation rapide du français parlé. Quand je regarde les médias sociaux, la médiocrité du français écrit crève les yeux. Je vois et j'entends dans la vraie vie ce que vous décrivez avec vos savantes colonnes de chiffres...

Dans quelques générations, sur le plan linguistique et culturel, le modèle «Team Canada» (bit.ly/2Sxe07o) viendra achever ce qui reste...

Où en sont les braises de la résistance?









mardi 10 décembre 2019

Langues officielles: le silence coupable du discours du Trône

Le 5 décembre, le premier discours du Trône ne faisait aucune mention des enjeux liés aux langues officielles. La presse écrite, y compris Le Droit, n'a pas relevé cette absence. La Fédération des communautés francophones et acadiennes du Canada (FCFA) a publié un communiqué de protestation. Nouveau silence de la presse écrite.  Seuls le réseau ontarien de Radio-Canada et le site Web de TFO (télévision franco-ontarienne) en ont parlé... C'est décourageant...

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photo du gouvernement du Canada

Si jamais les collectivités canadiennes-françaises et acadiennes hors-Québec voulaient la preuve d'être trop souvent laissées pour compte sur l'échiquier du gouvernement canadien (autre qu'en période électorale ou comme pions pour contrer les velléités souverainistes québécoises), elles l'ont eue le 5 décembre 2019.

Après une année pourtant fort mouvementée - des frasques ontariennes de Doug Ford aux controverses entourant les sorties de Denise Bombardier, en passant par la nomination d'une lieutenant-gouverneur unilingue anglais au Nouveau-Brunswick et un débat de plus en plus pressant sur la modernisation de la Loi sur les langues officielles (qui a 50 ans en 2019) - le premier discours du Trône du gouvernement Trudeau n'a même pas effleuré les dossiers linguistiques...

Pas un mot! À moins de considérer que l'inclusion de l'expression «minorités linguistiques» - sans plus - dans une énumération contenant aussi les femmes, les minorités visibles, les personnes handicapées et les membres des communautés LGBTQ2 constitue une mention traduisant un réel intérêt pour la promotion de la seule langue officielle qui en arrache au Canada - le français.

Le gouvernement Trudeau a réussi dans son discours inaugural à se dire au service de tous les citoyens quelles que soient «leurs langues»... Ici, le français, l'une des deux langues officielles du pays, est relégué au même palier que le chinois, l'arabe, l'ukrainien, l'allemand ou le magyar... Le discours du Trône évoque par ailleurs la protection des langues autochtones, mais ne dit rien du français langue officielle qui décline d'un océan à l'autre, de recensement en recensement...

Les Québécois ont en mains un coffre d'outils (même s'il est parfois rouillé...) avec lequel ils peuvent façonner, protéger et promouvoir un État de langue française. Aussi les engagements linguistiques fédéraux y passent-ils souvent au second plan, et c'est malheureux. Pour les organisations francophones du reste du Canada, c'est une tout autre histoire. Ayant souvent eu maille à partir avec les capitales provinciales, ainsi que des relations douces-amères avec Québec, c'est vers Ottawa qu'elles se sont tournées depuis un demi-siècle pour solliciter fonds et appuis.

Bien des choses ont changé depuis l'adoption de la Loi fédérale sur les langues officielles en 1969, cependant. Avec la Loi constitutionnelle de 1982 et l'interprétation inattendue de l'article 23 par la Cour suprême du Canada, les collectivités de langue française en situation minoritaire ont obtenu la gouvernance de leurs institutions scolaires. Et Ottawa a injecté des centaines de millions pour soutenir l'infrastructure organisationnelle de la francophonie hors-Québec, conscient de son importance stratégique dans l'argumentaire contre le mouvement indépendantiste québécois.

Mais depuis les années 1970, et particulièrement depuis l'imposition de la Charte canadienne des droits et libertés en 1982, l'ancien biculturalisme - jadis fidèle compagnon du bilinguisme - a été largué en faveur d'un multiculturalisme officiel, consacré à l'article 27 de la Charte. Et ces dernières années, avec la perception que le mouvement indépendantiste est en chute, l'intérêt d'Ottawa pour l'égalité pan-canadienne du français et de l'anglais semble nettement s'affadir.

Faisant face à un sérieux déclin de leurs effectifs, déclin qu'on tente tant bien que mal de maquiller en tripotant les statistiques des recensements, les organisations de la francophonie minoritaire ont toujours les yeux et les oreilles tendus en direction d'Ottawa. Toute déclaration, tout discours, tout budget est scruté à la loupe quand les langues officielles peuvent en devenir l'enjeu. À plus forte raison le premier discours du Trône après une campagne électorale comme celle de 2019. La plus légère secousse politique ou budgétaire, à peine perçue au Québec, devient souvent un séisme de forte magnitude à la FCFA et dans ses organisations affiliées.

Cette fois, les espoirs étaient grands. À peu près tout ce qui bouge, y compris les libéraux, avait promis de moderniser la Loi sur les langues officielles et de lui donner un peu plus de mordant. Cela ne paraissait pas très ambitieux. En mars 2015, la présidente sortante de la FCFA, Marie-France Kenney, affirmait devant les parlementaires fédéraux que la Loi sur les langues officielles (LLO) «est la loi la moins bien appliquée du pays, et ça fait que 45 ans que ça dure...» Après les vifs débats de la dernière année, on aurait été en droit de s'attendre qu'Ottawa réitère tout au moins ses promesses.

Même pas... Et pourtant, quelques semaines plus tôt, la ministre québécoise responsable de la francophonie canadienne, Sonia Lebel, annonçait l'intention de son gouvernement de demander une modification fondamentale à la LLO, en mettant fin à cette fiction que la minorité anglo-québécoise est le miroir des minorités canadiennes-françaises et acadiennes à l'extérieur du Québec. Les anglos québécois n'ont jamais été une vraie minorité. Ils sont une extension au Québec de la majorité anglo-canadienne.

Mme Lebel crie dans le désert. Jamais un gouvernement fédéral ne consentira à mettre fin au mythe d'une symétrie quasi parfaite entre les minorités francophones du Canada et la collectivité anglophone du Québec. Jamais il n'avouera que le Commissaire fédéral aux langues officielles passe l'essentiel de son temps à défendre une seule de ces langues, toujours la même... le français, d'un océan à l'autre et même au Québec.

Le quotidien Le Nouvelliste avait noté à la fin de novembre que le ministre François-Philippe Champagne, à qui Justin Trudeau a confié les dossiers de la francophonie internationale, n'en avait pas le titre. Il n'y a plus de ministre de la Francophonie. C'était sans doute un présage de ce que l'on devait attendre du discours du Trône. Une poursuite du déclin du gouvernement canadien pour ce qu'on appelle bien mal le «bilinguisme» officiel. Quand la proportion de francophones chutera sous la barre des 20% dans l'ensemble du pays, d'ici un ou deux recensements, cette tendance deviendra de plus en plus évidente.

Mme Kenney avait fait de sombres prévisions en 2015, prévisions qui contredisent les discours des «lunettes roses» qui persistent à maquiller la réalité franco-canadienne. «À plusieurs endroits, disait l'ancienne présidente de la FCFA, ce n'est qu'une question de temps avant que nos communautés tombent en dessous du seuil requis pour recevoir des services et des communications en français des bureaux fédéraux. Et quand notre poids relatif sera tombé encore plus bas, que remettra-t-on en question à ce moment? Nos écoles de langue française?»

Le silence du gouvernement Trudeau en matière de langues officielles est alarmant. Les organisations de la francophonie hors-Québec ont raison de protester sur la place publique. Elles auraient aussi raison de se plaindre de l'indifférence générale de la plupart des grands médias, tant français qu'anglais, à l'égard de ces dossiers. Il y a là-dedans une tendance lourde qui menace la situation de la francophonie partout au Canada, y compris au Québec.

Si le gouvernement québécois se donnait la peine de bien étudier et analyser ce qui se passe chez les Canadiens français et les Acadiens, il n'hésiterait pas une seconde à redonner à la Loi 101 tout le mordant qu'elle a perdu depuis son adoption en 1977, et à utiliser tous les leviers disponibles pour renforcer son alliance avec les collectivités de langue française ailleurs au pays.

Sauf de rares exceptions, les francophones hors-Québec ont eu peu d'influence, peu de poids sur l'échiquier politique pan-canadien. Et ils doivent désormais faire face à une Cour suprême qui leur est de plus en plus indifférente, voire hostile. Le silence du discours du Trône n'est pas un hasard.




dimanche 1 décembre 2019

La Loi 21, un acte de rébellion!

caricature de Bado dans le quotidien Le Droit

Le débat sur la contestation judiciaire de la Loi 21 et la laïcité de l'État est de nouveau en train de dérailler. Tous les feux sont dirigés vers la juge en chef de la Cour d'appel du Québec, Nicole Duval Hesler, comme si sa présence ou son désistement pouvaient être déterminants dans la décision de suspendre ou pas l'application de ladite Loi 21.

Si elle en vient à avouer un préjugé anti-laïcité et se retire de la cause, rien n'est acquis. Le ou les juges qui la remplaceront pourraient aussi bien arriver aux mêmes conclusions que la juge Duval Hesler. De fait, il y a une forte probabilité qu'ils le fassent. Pourquoi?

D'abord parce que tous les juges des cours supérieures sont nommés par le gouvernement fédéral seul, voire par le premier ministre seul. Les dés sont pipés. Cela ne garantit pas toujours une issue défavorable dans un conflit avec Ottawa, mais disons que le Québec rame à contre-courant.

Cette fois, cependant, à moins d'un miracle judiciaire, les tribunaux fédéraux vont casser la Loi 21 parce qu'ils n'ont pas le choix. La proclamation de la laïcité de l'État au Québec constitue une véritable rébellion contre la Charte constitutionnelle de 1982 et même, quoiqu'à un moindre degré, contre la Loi constitutionnelle de 1867.

La Loi 21 stipule à l'article premier que «l'État du Québec est laïque» et affirme à l'article 2 «la séparation de l'État et des religions». Toutes les autres dispositions de la Loi, y compris bien sûr celles sur l'interdiction du port de signes religieux, découlent de ces deux principes. Ces deux articles constituent un rejet clair d'éléments fondamentaux des lois constitutionnelles du Canada.

L'Acte de l'Amérique du Nord britannique (la Loi constitutionnelle de 1867] confirme la reine (ou le roi) de Grande-Bretagne comme chef de l'État canadien. Or Elizabeth Windsor, comme son arrière grand-mère Victoria qui régnait à l'époque de la Confédération, se trouve à cumuler la charge de monarque et celle de chef de l'Église anglicane. Elle est sans conteste un chef religieux.

Un État laïque ne peut accepter de se reconnaître dans une monarchie identifiée à une Église particulière, monarchie dont le trône est d'ailleurs interdit aux catholiques, la religion la plus répandue au Québec. La laïcité entraînera donc, nécessairement, un rejet du chef d'État reconnu par la constitution canadienne.

Secundo, l'affirmation de la laïcité du Québec contredit l'article 1 de la Loi constitutionnelle de 1982, celle qu'on nous a imposée et que nous n'avons jamais signée. Cette loi affirme dans son préambule que «le Canada est fondé sur des principes qui reconnaissent la suprématie de Dieu». Cela suffit pour rendre toute velléité de laïcité étatique inconstitutionnelle aux yeux de la Charte fédérale.

Et au cas où cela ne suffirait pas, l'article 27 de la Charte de 1982 stipule que toute interprétation de ladite Charte «doit concorder avec l'objectif de promouvoir le maintien et la valorisation du patrimoine multiculturel des Canadiens». L'interdiction des signes religieux pour certains agents de l'État impose des limites à certains excès d'un multiculturalisme débridé. On ne pourra jamais argumenter qu'il en favorise le maintien ou la promotion.

Le coup d'État du Canada anglais en 1982 comporte des clauses qui mettent en péril l'essence même du fédéralisme en affirmant la supériorité juridique de la constitution fédérale sur les lois des autres États membres de la fédération. À l'article 50 de la Charte canadienne, il est dit que «la Constitution du Canada est la loi suprême du Canada», qu'elle «rend inopérantes les dispositions incompatibles de toute autre règle de droit». À l'article 32, on affirme clairement que la constitution fédérale s'applique aux législatures provinciales. Cela, Québec ne l'a jamais accepté. Aucune province ne devrait le faire.

Le droit se se soustraire à la Charte est accordé aux provinces pour certains articles de la Constitution, mais pas tous. Si j'ai bien compris le texte constitutionnel, l'article sur la promotion du multiculturalisme, par exemple, pourrait être invoqué pour saper le pouvoir de dérogation...

De fait, ce que le gouvernement Legault doit affirmer, c'est que la Loi constitutionnelle de 1982 elle-même est inconstitutionnelle. Parce qu'elle infériorise les États provinciaux par rapport à l'autorité fédérale, ce qui contredit l'essence même du principe fédéral dont le pays se réclame. Parce qu'elle abuse du pouvoir de la majorité anglo-canadienne pour imposer ses valeurs et son projet de société à une nation québécoise minoritaire issue de traditions linguistiques, culturelles et juridiques françaises.

La Loi 21 est un acte de rébellion nationale. Sa légitimité tient à la fois à la noblesse de la cause de la laïcité et à la nature profondément démocratique (et respectueuse) du processus qui a mené à son adoption par l'Assemblée nationale du Québec. Inconstitutionnelle? Bien sûr! C'est une dénonciation d'éléments clés des lois constitutionnelles de 1867 et de 1982. Une dénonciation justifiée!

Dans cette cause, les vrais fédéralistes sont à Québec. Les Anglo-Canadiens n'ont jamais cru au fédéralisme. De fait ils n'y comprennent pas grand-chose. Leur gouvernement national est à Ottawa et ils y consentiront toujours une plus grande centralisation des pouvoirs. C'est au fond ce que la Charte de 1982 cherche à imposer au Québec. Et là, on vient de dire Non!

Cette affaire risque de devenir l'une des plus importantes crises du pays. Plus que le référendum de 1995? On verra...

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N.B. Je ne suis pas juriste. Peut-être n'ai-je rien compris au sens profond des textes de loi constitutionnels. Des juristes viendront sûrement m'éclairer...






samedi 30 novembre 2019

Les dés sont pipés, Monsieur Legault.

photo La Presse

Les adversaires de la Loi 21 sur la laïcité de l'État québécois n'ont pas tardé à recourir aux tribunaux, et la férocité de leurs tirades publiques donne à croire qu'ils estiment leur victoire assurée aux plus hautes instances judiciaires. Cela ne me surprendrait pas qu'ils aient raison et qu'en bout de ligne, la Cour suprême juge cette loi en violation du droit constitutionnel canadien.

Pour le moment, une demande d'injonction mijote à la Cour d'appel du Québec, qui doit décider si l'application de la Loi 21 doit être suspendue jusqu'à ce que la plus haute cour du pays ait statué sur le fond de l'affaire.

Le plus important, pour le gouvernement québécois, n'est pas de savoir s'il gagnera ou perdra son combat en faveur d'une laïcité somme toute fort limitée. Le problème de fond, ce sont les tribunaux supérieurs eux-mêmes, qui n'ont aucune légitimité pour agir comme arbitres suprêmes d'un litige opposant le Québec à l'ordre constitutionnel fédéral.

Ces juges sont tous nommés par le gouvernement canadien, ce gouvernement même qui a imposé au Québec sans son accord la Charte constitutionnelle de 1982, celle qu'on invoque aujourd'hui pour contrer le projet de laïcité, et qu'on a utilisé par le passé pour charcuter la Loi 101. Les tribunaux supérieurs du Canada sont en conflit d'intérêt direct chaque fois qu'ils doivent arbitrer un litige juridique où l'instance fédérale se trouve directement ou indirectement impliquée.

Les dés sont pipés et le gouvernement Legault, pour faire contrepoids, doit dès maintenant affirmer publiquement l'injustice d'un tribunal dont les magistrats sont choisis exclusivement par l'adversaire. Il est vrai que l'annonce de l'utilisation de la clause dérogatoire en cas de défaite judiciaire rétablit un peu l'équilibre, mais qu'arrive-t-il si la Cour d'appel accorde l'injonction aux intégristes religieux qui contestent la Loi 21?

Québec sera-t-il obligé de plier et de suspendre pour un an ou deux une décision fondamentale pour l'avenir de la société québécoise simplement parce que le bras judiciaire du multiculturalisme constitutionnalisé de la majorité anglo-canadienne nous l'ordonne? Un gouvernement québécois qui se respecte ne peut accepter que le reste du pays lui dicte sa phobie de la laïcité de l'État.

Ces jours-ci, l'offensive est généralisée, hors Québec. L'Alberta, la Saskatchewan, l'Ontario, le Manitoba, des conseils municipaux, notamment Toronto et Calgary, sans oublier l'hystérie médiatique du Canada anglais, tous tirent à boulets rouges contre un projet qu'ils jugent comme une incarnation du racisme et de la xénophobie. À Ottawa, on doit jubiler.

Si notre existence comme nation doit continuer d'avoir un sens, le temps est venu de modifier des règles du jeu qui mettent tous les atouts entre les mains de législatures et de tribunaux qui nous sont trop souvent hostiles et sur lesquels nous, comme Québécois, n'avons aucune autorité.

La laïcité est un combat noble mené depuis des centaines d'années partout dans le monde. Nous l'avons fait nôtre, du moins en principe. Ce choix appartient au Québec comme société, comme nation, et n'a pas à être soumis au tribunal d'une majorité anglophone qui ne partage pas certaines de nos valeurs et qui brandit une supériorité morale frisant le racisme.

Monsieur Legault, le temps est venu de dire aux autorités du régime fédéral canadien que nous n'accepterons plus les règles du jeu imposées en 1982, et que le Canada n'a plus le droit - judiciairement ou politiquement - d'utiliser un pouvoir arbitraire pour dicter à la nation québécoise des orientations de société qu'elle rejette.

Et même si, par miracle, les tribunaux ne cassaient pas la Loi 21, le problème de fond reste le même. Ce n'est que partie remise...



jeudi 28 novembre 2019

«Debout, on voit mieux l'avenir!»

J'ai reçu l'autre jour ce courriel de Jean Poirier, ancien député de Prescott-Russell (Est ontarien) à l'Assemblée législative ontarienne. Au lendemain de la prise de position unanime des députés ontariens contre la Loi 21, il faisait entendre une voix discordante qui, malheureusement, ne semble avoir été reprise par aucun média, même pas Radio-Canada ou Le Droit. Je le reproduis sur mon blogue pour montrer aux Québécois qu'il existe toujours, chez les Franco-Ontariens, des braves prêts à défendre la majorité québécoise contre des attaques injustifiées.

Voici donc ce texte de Jean Poirier, que j'aime appeler «Jean du pays» et qui vit dans le village d'Alfred, entre Ottawa et Hawkesbury:



«Debout, on voit mieux l'avenir!»

Comme ça les “braves” élu.e.s de l’Assemblée législative de l’Ontario ont adopté à l’unanimité une résolution proposée par le Nouveau parti démocratique (Opposition officielle au gouvernement) contre la Loi 21 du Québec, portant sur la laïcité de l’État.  Et nous voilà avec une autre résolution en ce sens.

De toute évidence, nos pauvres collègues anglophones du Canada sont toujours incapables de comprendre l’essentielle différence culturelle Anglo-Franco!  Ou bien, ce que je soupçonne dans bien des cas, c’est plutôt le refus de vouloir comprendre, l’aveuglement volontaire.  Il n’y a rien de pire.

Pourtant ce n’est pas compliqué à comprendre :  pour assurer leur avenir, les francophones doivent veiller à leurs droits collectifs, tandis que les anglos préfèrent promouvoir les droits individuels, quitte à pratiquer un politiquement correct parfois des plus ridicules.

La Loi 21 n’a rien de raciste, xénophobe ou quoi d’autre.  Simplement d’assurer la laïcité de l’État et empêcher toute forme d’intégrisme de s’infiltrer dans la vie publique.

Cette résolution fut adoptée hier à l’unanimité.  Quel aveuglement volontaire massif de ceux et celles sensés capables de comprendre les dossiers avant de voter.  Ça fait peur pour les autres dossiers d’envergure.

De toute évidence, si j’étais toujours un élu à Queen’s Park, je n’aurais jamais pu voter en faveur de ce genre de résolution, au nom de la solidarité inter-franco.  J’aurais donc été l’empêcheur d’obtenir l’unanimité au sein de cette assemblée.  Je peux m'imaginer le tollé, le ressac, la condamnation de tous ceux et celles qui auraient été sous l’effet du choc de mon vote.  Un vote qu’ils auraient sûrement perçu comme anti-Canadian.  Tant pis.  Aucun sommeil de perdu. Les valeurs ne se bradent pas.  Ce n’est pas le Vendredi fou des soldes de valeurs!!!

“Debout, on voit mieux l’avenir.”

Jean POIRIER

Alfred Ontario 

Ancien député franco-ontarien, vice-président, Assemblée législative de l’Ontario
Ancien Chargé de mission, région des Amériques, Assemblée parlementaire de la Francophonie (APF)
Ancien et premier président, Section du Parlement de l’Ontario, Assemblée parlementaire de la Francophonie
Ancien président, Assemblée de la francophonie de l’Ontario (anc. ACFO).
Commandeur, Ordre de la Pléiade, Assemblée parlementaire de la Francophonie
Officier, Ordre National du Mérite de France
Médaille d’honneur, Sénat de la République française
Membre, Ordre des Francophones d’Amérique
Prix Séraphin-Marion et Médaille Bene Merenti de Patria, Société Saint-Jean-Baptiste de Montréal
Prix Lyse-Daniels, Impératif français, Québec

samedi 23 novembre 2019

Les barbarismes franglais...


Le slogan «C'est business d'être bilingual» comptera parmi les champions des barbarismes franglais pondus par des groupes de la francophonie d'ici et d'ailleurs. Ce «p'tit dernier» peut être attribué à l'Association des communautés francophones d'Ottawa (ACFO), qui a adopté cette expression tordue comme moyen de participer aux efforts du mouvement «Ottawa bilingue»...

Si encore c'était un geste de torture linguistique isolé, on pourrait pardonner un écart, même grave... mais non, cette manie de «frangliser» des publicités semble devenir endémique.

Plus tôt cette année, en avril 2019, l'Assemblée de la francophonie de l'Ontario (AFO) invitait trois députés fédéraux de langue française à son déjeuner annuel, qu'elle a baptisé «French-ment bon»!!! Pourquoi une telle appellation? Pour les anglophones qu'elle invite peut-être, à l'occasion, au «Déjeuner-rencontre avec l'Ontario français / Eat & Greet with French Ontario»? Seul un francophone comprendra ce jeu de mots...


Il y a deux ans, en 2017, c'était au tour des Acadiens de la région de Dieppe-Moncton de nous servir du franglais sous prétexte que cela correspond au patois local, le chiac... En effet, on avait choisi le slogan «Right fiers!» pour les Jeux de la francophonie canadienne!!! Oui, vous avez bien lu: les jeux de la «francophonie» canadienne... et un des deux mots du slogan est anglais...


Au début de la décennie, en 2011, l'AFO lançait une campagne pour inciter les jeunes Ontariens francophones à aller voter au scrutin fédéral. Je ne sais pas qui a eu cette idée moins que brillante, mais on a choisi comme mot-d'ordre «Je frenche mon vote»...


J'était éditorialiste au quotidien Le Droit à cette époque et j'avais commenté ainsi l'initiative franco-ontarienne: «Le slogan "Je frenche mon vote" est une horreur linguistique. Il n'a aucun sens, ni en français, ni en anglais. Il dévalorise les jeunes Franco-Ontariens et sa notoriété ne tient qu'à l'emploi d'un mot anglais que certains pourraient trouver risqué ou osé, mais qui ne l'est pas.»

Au-delà d'un manque de respect élémentaire pour la langue française, ces expressions témoignent d'un relent d'esprit de colonisé et d'un effritement identitaire sournois qui touche à divers degrés les multiples éléments de la francophonie canadienne et québécoise, assaillie quotidiennement dans une Amérique du Nord massivement anglophone.

On peut au moins se consoler que trois des slogans (French-ment bon!, Je frenche mon vote et Right fiers!) mettent l'accent - maladroitement - sur la protection de la langue française. Le plus récent, C'est business d'être bilingual, est beaucoup plus insidieux. Proposer le bilinguisme comme objectif, c'est faire la promotion des deux langues - du français, mais aussi de l'anglais. Et Dieu, s'il existe, sait que l'anglais n'a besoin d'aucun coup de pouce à Ottawa...

Tous, toutes savent que les services en français laissent à désirer dans la grande majorité des commerces à Ottawa. Alors pourquoi ne pas l'exprimer clairement, au lieu de se draper dans un brouillard de bilingualism? Pourquoi ne pas dire sans détour aux anglos de la capitale que dans une région (Gatineau et Ottawa) où plus du tiers des résidents sont francophones, bien servir cette clientèle dans sa langue peut être payant! Mieux ça que de leur servir une expression indigeste en anglais et indécente en français...

À ceux et celles qui rétorqueront que tous comprennent le sens de l'intervention, qu'elle constitue un appui clair au français, je répondrai qu'on a qu'à rouler 200 km sur la 417 et la 40 jusqu'à Montréal pour découvrir que «c'est business d'être bilingual» constitue l'argument de routine que nous servent les Charest, Couillard et compagnie depuis des décennies pour amener tous les jeunes Québécois à apprendre l'anglais...


Au rythme où vont les choses, on en sera bientôt au niveau d'anglomanie qui sévit dans plusieurs milieux en France. Il suffit, par exemple, de penser au slogan unilingue anglais (Made for sharing) des Jeux olympiques de Paris en 2024... Nos cousins français sont cependant moins à risque que nous de connaître l'effritement identitaire fatal qu'entraînera le bilinguisme collectif dans notre petite enclave nord-américaine...

Ici, les slogans «bilingues» sont le symptôme d'un mal beaucoup plus profond... Le plus souvent ils ne sont ni drôles, ni ingénieux, ni même efficaces... Quand je pense aux efforts consentis par les générations précédentes, depuis deux siècles et demie, pour nous offrir la chance de créer enfin un environnement de langue française en Amérique septentrionale, j'ai de la difficulté à réprimer la colère et la honte...








lundi 7 octobre 2019

Denise Bombardier: faire la part des choses...

image Radio-Canada


«Ce que l'on conçoit bien s'énonce clairement,
Et les mots pour le dire arrivent aisément.»

                              - Nicolas Boileau (1636-1711)
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Denise Bombardier se retrouve de nouveau au coeur de la tourmente après une entrevue à l'émission télévisée Tout le monde en parle. Invitée à parler de son documentaire Denise au pays des Francos, deux commentaires sur la qualité du français parlé hors Québec l'ont coulée. Pressée de questions, elle a appuyé sur la gâchette sans trop peser la portée de ses projectiles verbaux. Cela arrive parfois dans un contexte d'échanges vifs, où le cerveau peine à rattraper la bouche...

On voudrait parfois pouvoir se reprendre après mûre réflexion, mais voilà... Ce qui est écrit est écrit. Ce qui est dit est dit... et l'Internet a la mémoire longue...

Mais qu'a fait Mme Bombardier, au juste, pour retomber dans la marmite d'huile bouillante?

Elle d'abord employé le mot «inintelligible» pour qualifier le français parlé de certains francophones vivant en milieu minoritaire. Puis, évoquant ceux et celles dont le langage est une mixture de français et d'anglais, elle a déclaré: «Ils ne parlent aucune langue». Il ne lui a ainsi fallu qu'une dizaine de secondes (sur 18 minutes d'entrevue) pour que bien des auditeurs ne retiennent que ces deux brûlots.

Le français en situation minoritaire (au Québec aussi...) peut fort bien s'être appauvri, trop souvent avec un vocabulaire restreint, truffé de mots anglais et d'anglicismes... mais il est intelligible, du moins pour les francophones québécois, acadiens et canadiens-français. Et même, avec un peu d'effort, en France... Il est faux de dire que certains ne parlent aucune langue. La fusion de l'anglais et du français chez eux témoigne d'une évolution identitaire. Est-ce du franglais? Du «bilingue»? Autre chose? Peu importe, c'est une langue. La leur.

Pour le reste de l'entrevue à Tout le monde en parle, Denise Bombardier a le plus souvent visé juste, notamment sur la diminution du poids statistique de la francophonie partout au Canada. À Mme Bombardier qui affirmait qu'au chapitre de la langue d'usage, seuls 16 865 Manitobains parlaient surtout français à la maison (1,3% de la population), son interlocutrice a rétorqué qu'environ 10% des habitants du Manitoba étaient francophones. Ce chiffre est farfelu.

Même en additionnant aux Franco-Manitobains (41 000 selon Statistique Canada, soit 3,2% de la population) tous les anglophones qui ont appris le français, on n'arrive qu'à 8,7% de la population de la province. Et compter comme francophones ces anglos bilingues n'a aucun sens puisque selon la même logique on pourrait considérer les francos bilingues comme des anglophones. En utilisant cette méthode, 98,6% des Manitobains seraient anglophones, et 8,7% francophones... Cela donne un grand total de 107,3% de la population... Misère...

Serge Savard, un autre invité à TLMEP, est venu mettre son grain de sel en affirmant faussement qu'il y avait à moins d'une demi-heure de Winnipeg des villages entièrement francophones. Ces communautés francophones existaient sans doute au siècle dernier mais ce n'est plus le cas. Il ne reste au Manitoba qu'une seule localité à majorité francophone (52,3%), St-Malo. Il y avait aussi St-Pierre-Jolys mais depuis le recensement fédéral de 2016, les parlant français y sont désormais en minorité, à 45%. M. Savard a terminé son intervention peu reluisante en mettant en doute les chiffres officiels de la langue d'usage du recensement 2016 de Statistique Canada...

Par ailleurs, Mme Bombardier n'a aucunement dévalorisé le combat des Acadiens et Canadiens français pour assurer la pérennité de leur langue et de leur culture. Reconnaissant que ces derniers «luttent tous les jours», elle a averti les Québécois qu'ils ne devaient pas demeurer indifférents comme cela a été trop longtemps le cas. Non seulement par solidarité, mais par instinct de survie. «À travers eux (les francophones hors Québec), je vois les dangers qui nous guettent au Québec», a-t-elle déclaré. Trop peu de gens se souviendront de cet avertissement, mais l'évolution actuelle du français au Québec lui donne raison.

Enfin, l'invitée a abordé à TLMEP un enjeu essentiel que personne n'ose trop soulever, parce qu'un examen approfondi de l'histoire et des situations actuelles démontrerait à quel point les Anglo-Québécois sont choyés... depuis la fondation du Canada fédéré en 1867. «Je voudrais une chose, a-t-elle conclu. Je voudrais que tous les francophones des autres provinces aient les mêmes protections que les anglophones du Québec.»

Que Denise Bombardier soit quelque peu irritante par moments ne fait aucun doute, comme ce reproche inconvenant (dans son documentaire) à un interlocuteur franco-ontarien qui avait employé «supporter» dans le sens d'«appuyer», un anglicisme courant même au Québec. Avec son parcours et son caractère, le contraire eut été surprenant. Ses détracteurs - et ils sont nombreux - feraient bien, cependant, de peser la portée de leurs propos à l'endroit de Mme Bombardier. Qu'on lui reproche ses erreurs, soit, mais qu'on reconnaisse aussi la pertinence et la sincérité de son témoignage et surtout, qu'on en profite pour tenter de garder de nouveau à la une les enjeux de la francophonie hors Québec. Dieu sait à quel point on l'oublie trop souvent...






David contre Goliath. L'indifférence médiatique.


Le 26 septembre, la Cour suprême du Canada s'est déplacée (la première fois de son histoire) à Winnipeg pour entendre une affaire qui pourrait remettre en cause l'avenir des écoles françaises hors-Québec. Six provinces et un territoire à majorités anglophones veulent obtenir le droit d'invoquer des motifs économiques pour sous-financer le réseau scolaire de leur minorité canadienne-française ou acadienne.

Si la Cour suprême confirme le jugement de la Cour d'appel de la Colombie-Britannique et leur accorde ce droit, tant l'esprit que la lettre de l'article 23 de la Constitution canadienne sur les droits scolaires des minorités se retrouveront sabotés... Et les médias québécois n'en ont pas soufflé mot!!! Oserais-je ajouter... comme d'habitude???

Imaginez un moment le scénario contraire. Je sais que cela paraît absurde, mais essayez tout de même. Si jamais le Québec décidait - oh horreur! - d'invoquer des motifs budgétaires pour imposer à sa minorité anglo-québécoise des institutions scolaires inférieures à celles de la majorité francophone, et que la Cour suprême se déplaçait à Montréal pour entendre une contestation judiciaire des anglos, la frénésie médiatique serait assourdissante!

Les hôtels du centre-ville feraient des affaires d'or avec les hordes de journalistes et photographes venus de partout au Canada et d'ailleurs dans le monde... sans oublier la présence garantie de ces «observateurs» obsédés par le soi-disant «racisme» qu'ils croient incrusté chez les francophones du Québec... Les jérémiades de la minorité anglophone feraient la une des journaux et la manchette des bulletins télé d'un océan à l'autre!

Deux poids, deux mesures...

Parmi les médias de langue française, seuls Radio-Canada, ONFR+ (télévision franco-ontarienne) et le réseau Francopresse (francophonie hors Québec) ont fait grand cas de cette cause fondamentale dont l'enjeu, pour les francophones minoritaires, est d'avoir le droit constitutionnel de gérer bien sûr leurs écoles, mais aussi d'avoir les ressources financières requises pour que ces écoles soient d'une qualité équivalente à celles de la majorité anglophone.

Je n'ai rien vu sur les audiences de la Cour suprême dans Le Devoir, La Presse, ni dans les six quotidiens du Groupe Capitales Médias (y compris Le Droit!), ni dans les télés et radios privées. Avec les frasques de Doug Ford en Ontario, fin 2018, le Québec avait brièvement redécouvert la situation dans laquelle se trouvent ceux et celles qui persistent à vouloir vivre en français ailleurs au pays. Il semble qu'on soit vite retombé dans l'indifférence générale, du moins dans les médias.

On rétorquera qu'une campagne électorale fédérale est en cours et que les effectifs journalistiques sont dirigés en priorité vers cette couverture. Mais justement, l'affaire devant la Cour suprême devrait être un enjeu électoral pour tous les politiciens et politiciennes puisque l'article 23 de la Constitution est menacé, et par là les ressources éducatives des francophones en situation minoritaire. Où sont-ils, tous ces braves fédéraux toujours prêts à voler au secours des Anglo-Québécois pour des balivernes? Les Canadiens français et les Acadiens ne méritent-ils pas autant leur attention?

Présentement, devant le plus haut tribunal du pays, un petit groupe de Franco-Colombiens affronte son gouvernement et une coalition de six provinces et un territoire (en plus de la C.-B., l'Alberta, la Saskatchewan, la Nouvelle-Écosse, l'Île-du-Prince Édouard, Terre-Neuve et les Territoires du Nord-Ouest). David contre Goliath.

L'Ontario de Doug Ford ne fait pas partie de cette meute mais partage très certainement ses objectifs, ayant objecté son déficit pour refuser aux Franco-Ontariens leur projet d'université. Remarquez, les libéraux de Mme Wynne avaient agi de la sorte eux-mêmes en 2015 dans le même dossier. Quant au Nouveau-Brunswick, officiellement bilingue, ne comptez pas sur son secours avec un francophobe comme Blaine Higgs au poste de premier ministre...

«Les Acadiens et les Franco-Canadiens devraient avoir les mêmes droits que les Anglo-Québécois, écrivait récemment Gilles Duceppe, ancien chef du Bloc québécois. Comme Québécois, nous devons (...) en tout temps rester solidaires.»

Comment «rester solidaires» quand nos médias ne font pas leur boulot?

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* à lire aussi: mon texte du 14 juin 2015 sur des arguments similaires, invoqués par le gouvernement libéral de l'Ontario, pour retarder la création d'une université de langue française... bit.ly/31QSITY


mercredi 25 septembre 2019

Les Verts, vaincus sans combattre...


Au tout début de cette campagne électorale, si j'avais été parieur et si, bien sûr, j'avais beaucoup d'argent (ce qui n'est pas le cas), j'aurais misé une somme considérable sur une percée majeure du Parti Vert au Canada anglais. Quarante, cinquante, pourquoi pas jusqu'à 70 ou 80 députés pour les Verts! C'était LEUR année!

Mais Elizabeth May est en train de tout gâcher...

Avec les débats urgents sur les pipelines et les sables bitumineux, l'aggravation de changements climatiques qui préoccupent maintenant l'ensemble de l'électorat, la déforestation en Amazonie et en Afrique qui menace la planète entière, et une assiette d'enjeux environnementaux qui déborde constamment, l'ensemble du Canada était mûr pour un changement de garde.

Au Québec, l'élection fédérale porte toujours une dynamique différente de celle des autres provinces, et le Bloc Québécois - en plus de plaire à l'Électorat autonomiste et indépendantiste - semble «plus vert que les Verts» (ces derniers y mènent d'ailleurs une campagne médiocre). Le parti dirigé par Elizabeth May y passera difficilement le seuil de la marginalité.

Ailleurs au Canada, cependant, les signes d'une éclosion s'accumulaient. Un deuxième député au Parlement canadien dans une partielle en 2019, des députés élus dans quatre législatures provinciales (8 à l'I.P.-É. où les Verts forment l'opposition officielle, 3 au N.-B., 1 en Ont., 1 en C.-B.), et un vote populaire en hausse. Les portes de l'antichambre du pouvoir semblaient s'entrebâiller...

Or, dès le début de la campagne il y a quelques semaines, Mme May a dit rêver d'un Parlement minoritaire où elle détiendrait la balance du pouvoir. Quelle idiotie! L'objectif premier d'un parti politique est de prendre le pouvoir, de diriger le gouvernement. Le Parti Vert s'avouait vaincu sans même avoir combattu... C'était s'aliéner au départ tous les électeurs qui préfèrent voter gagnant...

Il fallait montrer une ferme volonté de gouverner, brandir à l'électorat la possibilité, la nécessité, l'urgence d'un gouvernement vert... et non la perspective d'une dizaine ou d'une quinzaine de députés négociant leur appui à un parti libéral ou conservateur minoritaire qu'ils avaient combattu les semaines précédentes.

Une des clés du succès électoral, c'est la capacité des flairer le vent... les occasions aussi... Brian Mulroney avait touché la cible face à John Turner lors des débats de 1984... Jack Layton avait su profiter au max d'une présence à «Tout le monde en parle» pour déclencher une vague orange au Québec... Devant une planète en perdition, Mme May avait un fruit mûr à cueillir...

Et voilà que tout déraille... Cafouillage sur la dénonciation des sables bitumineux de l'Alberta, qu'un premier ministre bien moins vert, François Legault, avait traité de «pétrole sale»... Pancartes anglaises au Québec... Confusion autour de la présence d'un candidat québécois ouvertement indépendantiste, Pierre Nantel, que Mme May aurait dû expulser sans hésitation pour protéger ses assises au Canada anglais... Et que dire de cette image «photoshoppée» où un verre et une paille en plastique ont été dissimulés...

Peut-on espérer qu'il ne soit pas trop tard? Il reste les débats, où Mme May doit se présenter comme candidate au poste de première ministre, et non comme leader d'un parti marginal espérant détenir la balance du pouvoir. Le scénario idéal au lendemain du 21 octobre serait un gouvernement vert minoritaire avec le soutien conditionnel du Bloc québécois, un allié naturel des «greens» au Canada anglais. Elizabeth May doit faire tout son possible pour allumer l'étincelle qui donnera aux Verts l'élan, l'étincelle, la rafale qui crée un moment décisif...

On me dira que je rêve en couleur... Je suis habitué... Mais l'inattendu se produit à l'occasion... Avant les débats de 1984, John Turner avait une avance appréciable dans les sondages... Personne n'aurait prédit plus de 200 sièges aux conservateurs de Mulroney... Et qui aurait pu croire, au début de la campagne de 2011, que le NPD raflerait près d'une soixantaine de circonscriptions au Québec... En 2019, une partie importante de l'électorat abandonnerait les vieux partis si une «vague» verte avait la moindre chance de se pointer...

À Mme May de jouer...








mardi 17 septembre 2019

Yves Saint-Denis. Vivre debout, jusqu'au bout!

image de la Société Saint-Jean Baptiste de Montréal

Yves Saint-Denis était un fier patriote, à la fois franco-ontarien, canadien-français et indépendantiste québécois, un alliage redoutable qu'il défendait sans jamais s'agenouiller. Il avait été président de l'Association canadienne-française de l'Ontario (ACFO) mais aussi l'un des membres fondateurs du Parti québécois... Que sa mort, la semaine dernière, ait été accueillie avec une relative indifférence dans les médias du Québec constitue une grande injustice!

«J'ai travaillé toute ma vie pour l'Ontarie (c'est ainsi qu'il avait renommé son coin de pays), et en 1981, je me suis donné comme mission de faire connaître l'Ontario français au Québec», expliquait M. Saint-Denis en 2017 à ONFR+, le réseau d'information de la télé franco-ontarienne (TFO). Jusqu'à la toute fin, même affaibli par la maladie, il est resté un «battant». On l'a vu à la grande manifestation franco-ontarienne du 1er décembre dernier à Ottawa, ainsi qu'au défilé de la Fête nationale du Québec à Montréal, en juin 2019.

D'aucuns sourcillent à la pensée qu'on puisse lutter en même temps pour les droits des Franco-Ontariens et l'indépendance du Québec, mais il n'y voyait aucune contradiction. Le trait d'union, la clé de cette fusion de deux causes apparemment divergentes, c'est la langue française. Les Québécois, les Acadiens et les Canadiens français ont en commun un héritage francophone attaqué de toutes parts depuis la Conquête. Le combat pour la pérennité du français enjambe les frontières.

«J'en suis venu à la conclusion qu'il fallait un pays pour les francophones en Amérique du Nord. Un pays parle plus fort. Ça prend un vigoureux coup de barre. Faut mettre le cap ailleurs», avait conclu Yves Saint-Denis. Les francophones en situation minoritaire ont subi, plus qu'au Québec, les effets d'un État aux mains d'une majorité hostile. Historiquement, on les a persécutés parce qu'ils parlaient français. De la même façon, la hargne persistante à l'endroit du Québec tient à son caractère francophone. Les Anglo-Canadiens sont toujours plus francophobes qu'anti-québécois...

La Société Saint-Jean Baptiste de Montréal, dont M. Saint-Denis était un membre éminent, l'avait honoré au printemps 2019 pour «services exceptionnels» rendus à la patrie. Jusqu'à sa mort, il a habité sa maison patrimoniale à Chute-à-Blondeau, petit village à l'est de Hawkesbury, les deux pieds bien plantés en «Ontarie*», à jet de pierre de ce Québec dont il n'aura pas vu l'indépendance. Dans un courriel que j'ai reçu de lui au mois d'août, alors que nous tentions de fixer la date d'une rencontre ultime, il écrivait: «Je demeure un battant, "jusqu'au bout!"».

En tant qu'ancien Franco-Ontarien devenu partisan de la souveraineté du Québec (j'étais comme lui membre du PQ au tout début), j'avais - au-delà d'un profond respect pour son érudition et d'une admiration pour son franc-parler - une grande sympathie pour ses efforts de rapprochement entre la francophonie minoritaire et la majorité québécoise. Il n'était pas seul dans son combat même s'il en était une figure de proue. Au cours du dernier demi-siècle, des milliers de Franco-Ontariens ont milité à la fois pour les droits des minorités francophones et pour un Québec souverain.

Le grand patriarche franco-ontarien Séraphin Marion, décédé en 1983 à Ottawa, sa ville natale, avait publiquement appuyé en 1961 le livre de Marcel Chaput, Pourquoi je suis séparatiste. Plus tard dans la décennie, il applaudissait le général de Gaulle ainsi que l'arrivée de René Lévesque et du Parti québécois, sans jamais pour autant renier son combat en faveur des droits linguistiques des minorités francophones hors-Québec, les Franco-Ontariens en particulier. La Société Saint-Jean Baptiste de Montréal avait créé en 1984 le Prix Séraphin Marion pour honorer la francophonie hors-Québec. En 1989, le lauréat était Yves Saint-Denis.

Même si peu d'entre eux s'affichaient ouvertement, plusieurs dirigeants d'organisations franco-ontariennes s'étaient rapprochés de la cause indépendantiste. De fait, dans les années suivant sa fondation, le PQ avait tellement d'adhésions de l'Ontario français et des autres minorités qu'il a émis des cartes de membres «hors Québec»...

ma carte de membre du PQ, début 1969, section «hors Québec», alors que je siégeais au conseil d'administration de l'Association canadienne-française de l'Ontario (ACFO)

Plus récemment, de 1993 à 2000, un ancien militant des luttes scolaires de Penetanguishene (Ontario), Jean-Paul Marchand, a siégé comme député fédéral de Québec-Est sous la bannière du Bloc québécois.

N'oublions pas que des représentants de l'Ontario français ont participé à la fondation du RIN (Rassemblement pour l'indépendance nationale) en 1960 et qu'une des toutes premières publicités dans L'indépendance, le journal du RIN, annonçait la parution du livre Le scandale des écoles séparées en Ontario de Joseph Costisella. On note la présence de Franco-Ontariens jusque dans les franges séparatistes les plus radicales. Le fondateur des Chevaliers de l'indépendance, Reggie Chartrand, était originaire de Timmins, en Ontario. Même le FLQ comptait dans ses rangs un Omer Latour, de Cornwall...

Si j'écris ce texte de blogue, c'est à la fois pour dire mon respect et mon admiration pour Yves Saint-Denis, mais aussi pour affirmer que son double engagement - pour les droits des Franco-Ontariens, pour la souveraineté du Québec - fait partie d'un courant tenace qui s'affiche en Ontario français depuis plus d'un demi-siècle. Pour ceux et celles qui y adhèrent, et j'en suis, il n'y a pas de contradiction entre l'un et l'autre. Les avant-postes de la francophonie canadienne et nord-américaine ont besoin d'un Québec français dynamique. Et cet objectif a peu de chances d'être atteint dans un cadre fédératif où l'affirmation linguistique et culturelle du Québec restera toujours soumise au contrôle constitutionnel et juridique d'une majorité anglo-canadienne intransigeante.

J'ai toujours cru qu'un séparatiste sommeillait au fond de chaque Canadien français... Ce dont je me suis rendu compte avec Yves Saint-Denis c'est qu'au fond de chaque séparatiste sommeille aussi un Canadien français... Peut-être faut-il être Franco-Ontarien et indépendantiste pour en être davantage conscient... On s'en reparlera, Yves, un jour!

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 * Pourquoi Yves Saint-Denis parle-t-il toujours de l'Ontarie? Le chroniqueur Denis Gratton, du quotidien Le Droit, le lui avait demandé lors d'une entrevue en avril 2019. « Pour sa finale française, avait-il répondu. Comme ont dit la Gaspésie, la Mauricie, l'Acadie, l'Estrie... l'Ontarie.»


mercredi 11 septembre 2019

Mais que fête-t-on, au juste?


Le monde n'aime pas les «casseux de party»... mais parfois il en faut...

De toute façon, je suis habitué.

Ces jours-ci, dans les hautes sphères de la francophonie ontarienne, dans les milieux politiques ontariens et fédéraux, ainsi que plusieurs clans médiatiques, on célèbre la naissance «officielle» de ce qu'on persiste à appeler l'Université de l'Ontario français.

Voilà une fête qui n'a pas sa raison d'être!

Oui, l'Ontario et le gouvernement fédéral se sont finalement entendus pour injecter 63 millions de dollars chacun pendant quatre années pour ouvrir un campus universitaire de langue française à Toronto. Bravo! Mais il s'agit d'un projet régional du sud de la province, qui ne pèse pas lourd dans le décor universitaire ontarien et qui,  surtout, ne correspond aucunement au projet d'université franco-ontarienne lancé en 2012 par le Regroupement étudiant franco-ontarien (RÉFO).

Ce n'est pourtant pas compliqué. Faisons un brin d'histoire. En 1912, un gouvernement carrément raciste de l'Ontario avait adopté le Règlement 17 supprimant l'enseignement en français après la deuxième année du primaire dans l'ensemble de la province.

Cette tentative d'ethnocide par la majorité anglo-ontarienne avait eu un fort retentissement, tant au sein des collectivités franco-ontariennes qu'au Québec. Les Franco-Ontariens avait mis sur pied des écoles françaises illégales, et au Québec on collectait des sous pour aider à les financer. Un quotidien, Le Droit, était né à Ottawa avec une devise opportune: «L'avenir est à ceux qui luttent.»

Le combat pour récupérer les droits scolaires abolis, entrepris à cette époque, s'est poursuivi jusqu'à la fin du 20e siècle. Il n'est pas terminé en 2019. L'objectif a toujours été le même: redonner aux francophones des écoles à leur image, des écoles «par et pour» les Franco-Ontariens.

Le Règlement 17 a été suspendu en 1927 et a mystérieusement disparu en 1944, mais il a fallu attendre jusque' à la fin des années 1960 (menace de sécession du Québec oblige) pour que les écoles primaires et secondaires «bilingues» des Franco-Ontariens deviennent enfin des écoles de langue française.

Et c'est seulement après l'adoption de l'article 23 de la Loi constitutionnelle de 1982, et son interprétation généreuse par les tribunaux dans les années 1980 et 1990, que les Franco-Ontariens et les autres minorités francophones hors-Québec ont obtenu le droit de gestion de leurs propres réseaux scolaires primaires et secondaires.

C'est aussi à cette époque que les Franco-Ontariens ont pu fréquenter pour la première fois des collèges communautaires de langue française... une première incursion du «par et pour» au niveau postsecondaire. Restait l'universitaire...

Depuis les années 1960, cela crevait les yeux que les institutions scolaires bilingues étaient devenues des foyers d'assimilation pour les élèves canadiens-français. Pour des motifs qui m'échappent, on semblait croire que les étudiants universitaires étaient immunisés contre l'anglicisation, sans doute parce que les francophones demeuraient majoritaires à la principale université bilingue, l'Université d'Ottawa.

Mais cela a bien changé depuis le début des années 1970 et aujourd'hui, les parlant français ne forment que 30% de la population étudiante à l'université ottavienne (et bien moins à l'Université Laurentienne de Sudbury). L'immense majorité des Franco-Ontariens de niveau universitaire qui étudient en français le font désormais dans des institutions anglo-dominantes... et ça paraît...

C'est dans ce contexte que le RÉFO lançait il y a sept ans sa campagne de mobilisation pour la gouvernance franco-ontarienne de tous les programmes universitaires en français. L'objectif, auquel se sont associés les étudiants du secondaire (FESFO) et l'Assemblée de la francophonie de l'Ontario (AFO), était double: augmenter l'offre en français là où elle était déficiente, et s'assurer d'une extension à l'universitaire d'une gouvernance déjà acquise par les francophones aux niveaux, primaire, secondaire et collégial.

Les universités bilingues, en particulier celle d'Ottawa, ont vite perçu la menace. En 2014, le recteur de l'époque, Allan Rock, affirmait que les Franco-Ontariens n'avaient pas besoin d'université... Ils en avaient déjà une, l'Université d'Ottawa... L'année suivante, les libéraux de Kathleen Wynne et Madeleine Meilleur torpillaient le projet en lui donnant un caractère strictement torontois... et ont attendu la fin de leur mandat, en 2017, pour donner le feu vert à un petit campus de langue française à Toronto, projet «scrappé» par Doug Ford après son élection l'année suivante...

En un tournemain, depuis 2015, avec la complicité de médias qui n'ont jamais très bien suivi le dossier, le campus régional du centre-sud-ouest ontarien est devenu «l'Université de l'Ontario français» et l'est demeuré, en dépit de protestations occasionnelles du RÉFO et de ses partenaires.

Alors que reste-t-il du noble projet de gouvernance de tous les programmes à l'universitaire en Ontario français? Un petit campus à Toronto pour quelques centaines d'étudiants... Pendant ce temps, 13 000 étudiants francophones continuent de fréquenter l'Université d'Ottawa dans un milieu où l'anglais est nettement dominant. Pour donner une idée de l'ordre des grandeurs, on octroie 126 millions $ sur huit ans à la soi-disant Université de l'Ontario français, pendant que le budget de l'Université d'Ottawa dépasse le seuil de 1,1 milliard de dollars par année...

Je laisse la conclusion au recteur actuel de l'Université d'Ottawa, Jacques Frémont, qui met un clou de plus dans le cercueil de la gouvernance franco-ontarienne des programmes universitaires dans l'ensemble de la province:

«L'Université d'Ottawa constitue pour la communauté franco-ontarienne un formidable outil de développement et de rayonnement. La création de l'Université de l'Ontario français viendra diversifier l'offre de services en enseignement en français et c'est tant mieux. Plus il y aura d'universités francophones et bilingues au pays, mieux les intérêts des francophones seront servis.» (citation tirée du Droit du 9 septembre 2019)

Personne n'a, jusqu'à maintenant, contredit cette déclaration ahurissante. Du moins je n'ai rien vu. Espérons que les quelques voix discordantes et lucides qu'on entend parfois à l'Université Laurentienne et à l'Université d'Ottawa, ainsi qu'au RÉFO, se manifesteront.

Entre-temps, le party continue comme s'il s'agissait d'une grande victoire... C'est au mieux un petit pas dans la bonne direction... à condition de ne pas oublier la direction...











lundi 9 septembre 2019

«Ce qui se fait en français, ça ne compte pas.»

Dans son livre récent intitulé «Un reporter au coeur de la libération», publié à l'occasion du 75e anniversaire du Jour J, le journaliste-historien Jean-Baptiste Pattier de France Télévisions jette un nouvel éclairage sur l'histoire militaire et médiatique de la Seconde Guerre mondiale, entre le débarquement allié en Normandie (juin 1944) et Berlin en ruines à l'été 1945.

Au-delà du contexte historique brossé par l'auteur, l'oeuvre est principalement constituée de fragments de reportages radiophoniques et de lettres expédiées par Marcel Ouimet, correspondant de guerre de Radio-Canada, à son épouse Jacqueline. Le monde a bien changé depuis 1944/45 et pourtant, j'ai noté dans les écrits de Marcel Ouimet des passages qui restent d'actualité, notamment en ce qui a trait à l'attitude de nombreux Anglo-Canadiens à l'endroit de la langue française...

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Le 6 mai 1945, plusieurs correspondants de guerre sont convoqués à Paris pour «ce qui sera sans doute la grande capitulation» des Allemands. Ayant suivi les troupes canadiennes et alliées en France, en Belgique, en Hollande et en Allemagne depuis le 6 juin 1944 en Normandie, Marcel Ouimet - la voix française de Radio-Canada/CBC en Europe - s'attend de faire partie du groupe. Il sera déçu...

En effet, écrit-il à son épouse, «je suis laissé de côté parce qu'on admet que Munro et Matt (Ross Munro, de Canadian Press, et Matthew Halton, de CBC)». Il ajoute: «J'ai envoyé un câble de protestation» pour dire officiellement «que je déplore ce nouveau manque de souci du bilinguisme». Marcel Ouimet est outré, percevant ici qu'encore une fois, les Anglo-Canadiens sont favorisés par rapport aux francophones. «Ils m'entendront parler tu peux m'en croire. Nos compatriotes (anglophones) ne feront jamais les choses autrement.»

Il passera les derniers jours de la guerre avec le Régiment de la Chaudière, celui avec lequel il a foulé la plage Juno au petit matin du Jour J. Il note à son épouse: «Les célébrations ici n'ont rien de formidable. Nous n'étions pas au bon endroit. C'est à Paris le soir de la proclamation du Jour-V que ça va être beau, mais je n'y serai pas. Mon camarade anglais profitera de l'affaire du même coup. Ce que je peux enrager parfois.»

Celui qui allait un jour diriger le réseau français de Radio-Canada/CBC n'en est pas à ses premières vexations «linguistiques». En juillet 1944, à la conclusion de la bataille de Caen, en Normandie, il informe son épouse Jacqueline que seuls ses camarades de langue anglaise («qui ne comprennent pas un mot de ce que je dis») semblent avoir droit à des commentaires ou mieux, à des félicitations de la direction canadienne. «Pour mon plus grand malheur, écrit-il, j'ignore presque toujours la réaction du bureau».

Son collègue Halton reçoit une note du directeur du service des nouvelles de Radio-Canada/CBC, Dan MacArthur, l'informant que son reportage (sur Caen?) était l'un des plus «thrillings» de la guerre. Et Marcel Ouimet d'ajouter: «Même si je ne doute pas (mon émission) valait la sienne, je n'ai tout de même pas cette consolation. Un bon mot de temps à autre, ça ne coûte pourtant pas cher. (...) Enfin, c'est toujours la même chose, ce qui se fait en français, ça ne compte pas.»

Des compliments, Ouimet en reçoit, mais d'ailleurs. Le 26 juillet, il rapporte que sa mère lui a écrit pour lui dire que les Français (ceux de France) en poste ou vivant à Ottawa sont «très heureux» de ses reportages. Le commandant Gabriel Bonneau, représentant de la France libre et du général de Gaulle au Canada, a déclaré qu'il était «le meilleur correspondant de guerre de langue française».

Le plagiat est une autre forme de compliment, j'imagine... Le 29 juillet, il précise à son épouse qu'un collègue journaliste de langue anglaise lui a «emprunté» son reportage sur un déjeuner au Quartier général des Forces françaises de l'intérieur pour ensuite «le câbler sous son nom à des journaux anglais pour lequel il écrit». «C'est une chose que je serais incapable de faire moi-même, affirme-t-il, mais probablement que c'est comme ça qu'on arrive à ses fins, et à la grande réputation qui impressionne tellement nos gens d'Ottawa».

À l'été 1944, bien sûr, l'action se passe en France et de nombreux correspondants de langue anglaise sont incapables de communiquer avec la population en français. Marcel Ouimet écrit, le 20 juin 1944, que certains font cependant un effort d'apprendre. «Nous les aidons et certains d'entre eux font de beaux progrès. Cela ne pourra que leur élargir les idées.»

Les Canadiens français étaient habitués à la francophobie depuis la conquête de 1760. Mais Marcel Ouimet s'aperçoit que certains pays anglo-saxons se méfient aussi de la France et de ce qu'elle incarne. D'ici quelques années, croit-il, les Britanniques pourraient se sentir plus près des Allemands que des autres peuples d'Europe, y compris la France. Il se fait même «une certaine campagne» contre ces pays, y compris la France.

«Et certains journalistes aveuglés par leur conception, leur éducation et leur façon de raisonner à l'anglo-saxonne, qu'ils soient anglais, américains ou canadiens, y participent. On voit déjà de Gaulle dictateur, ce à quoi j'en suis sûr il n'ambitionne aucunement. (...) Il y a parmi les journalistes un aveuglement voulu ou qui découle strictement de leur ignorance.»

Tant chez les militaires que les journalistes, il y a des gens qui sont arrivés en France avec des préjugés ancrés. «Il y a un tas de choses que je ne puis écrire, dit-il a son épouse Jacqueline, mais il existe encore trop de gens qui sont venus avec l'idée que les Français étaient tous des "good fucking frogs" (selon des anglophones) ou des "maudits Français" (selon des Canadiens français).»

Si Marcel Ouimet était toujours parmi nous, il se dirait sans doute que des choses ont beaucoup changé. D'autres, un peu moins...






mercredi 4 septembre 2019

Cinq années de retard!

«Les médias ont besoin d'une aide rapide dans un contexte que nous qualifions sans hésiter d'état d'urgence.» Déclaration de la Fédération professionnelle des journalistes du Québec (FPJQ) devant la commission parlementaire sur l'avenir des médias, 27 août 2019.

«La crise économique des médias d'information est en voie de devenir une crise de la démocratie.» Énoncé de la Fédération nationale des communications (FNC) de la CSN, qui représente l'immense majorité des employés syndiqués des six quotidiens du Groupe Capitales Médias, 27 août 2019.

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image du journal Les Affaires

On me permettra, j'espère, d'être un tout petit peu outré par ces «constats» de la FPJQ et des syndicats de la CSN. Pas parce que je suis en désaccord, bien au contraire, mais parce que ces interventions de l'univers journalistique, enfin un peu plus musclées, arrivent avec au moins cinq années de retard!!!

En mai 2014, quand Power Corporation/Gesca, par la voix de son coprésident André Desmarais, avait annoncé la disparition éventuelle des quotidiens régionaux dont l'entreprise était propriétaire (les six quotidiens qu'elle vendrait l'année suivante à Groupe Capitales Médias), la nouvelle a été accueillie sans trop de vagues dans les milieux journalistiques... De fait, le silence des salles de rédaction était plutôt assourdissant...

Pourtant la menace était réelle et imminente. Rappelons la citation exacte de M. Desmarais (VOIR bit.ly/2jYjKYS), à qui l'on demandait ce qui adviendrait des autres quotidiens de Gesca après la transformation numérique complète de La Presse: «Que va-t-il arriver à ces quotidiens-là? En bien, ils vont disparaître. Il n'y a pas de question. Il faudra qu'ils aient des discussions sérieuses en espérant trouver une façon d'intégration, peut-être à la tablette (LaPresse+).»

N'était-ce pas suffisamment clair? L'empire Power/Gesca annonçait publiquement la mort de ses six quotidiens hors-Montréal - Le Soleil, Le Droit, Le Quotidien, Le Nouvelliste, La Tribune et la Voix de l'Est - dans un avenir plutôt rapproché. Nous aurions dû assister à une levée de boucliers syndicale et professionnelle. À une défense énergique de l'information et du journalisme régional sur la place publique. Mais non... ce fut un silence de moribond.

J'ai donc décidé de prendre la parole par l'intermédiaire de mon blogue, signant le 19 mai 2014 un texte intitulé «Le silence assourdissant des salles de rédaction» dans le but de défendre l'existence de ces quotidiens et notamment du mien, Le Droit (Gatineau-Ottawa), avec lequel j'étais associé, à divers titres dont ceux de rédacteur en chef et d'éditorialiste, depuis 45 ans (bit.ly/2Zb9WcI). Onze jours plus tard, Le Droit/Gesca me congédiait...

En 2014 ils existaient déjà, cet état d'urgence, cette crise de la démocratie, et les travailleurs et travailleuses de l'information se devaient de monter immédiatement au front, individuellement et collectivement, pour défendre tant leurs médias que leur profession. Ce ne fut pas le cas. Trop occupés à sauver les emplois restants et à discuter de modèles d'affaires tout aussi insuffisants les uns que les autres, les journalistes ont creusé des tranchées au lieu de lancer le débat.

Devant cette fermeture annoncée de six des dix quotidiens du Québec à laquelle s'ajoutait la disparition imminente de l'édition papier du quotidien La Presse, l'avenir de la presse écrite aurait dû trôner en manchette absolue aux assises annuelles de la FPJQ, en novembre 2014. Or, le sujet ne figurait même pas à l'ordre du jour!!! Un cas flagrant de négligence, voire d'aveuglement, de fatalisme ou je ne sais quoi...

Pensait-on vraiment, comme de nombreux collègues journalistes, que les jours des quotidiens imprimés - ici et ailleurs - étaient comptés de toute façon, ou qu'un bricolage des «modèles d'affaires» des proprios d'empires médiatiques ferait surgir quelque solution magique menant vers une sortie de crise dans les salles de rédaction?

Les syndicats des six quotidiens menacés ont vite déchanté quand ils ont entamé des négociations avec Gesca. Ils ont compris que leurs journaux deviendraient tout au plus, à moyen terme, des onglets sur le grand site Web de LaPresse+... «Le plus vite qu'il (Guy Crevier, pdg de Gesca) va s'en débarrasser (des journaux papier), le mieux», constatait une source syndicale citée par Le Devoir dans son édition du 15 janvier 2015. Encore une fois, aucune levée de boucliers...

Deux mois plus tard, n'ayant pu s'en débarrasser assez vite, Gesca «vendait» les six quotidiens (Québec, Ottawa/Gatineau, Saguenay, Trois-Rivières, Sherbrooke, Granby) à Groupe Capitales Médias. Le lapin sorti du chapeau... Entre la mort et l'inconnu, le choix était facile. Pour un moment, le climat toxique de censure et d'autocensure au sein des ex-quotidiens de Power/Gesca s'est dissipé et le débat tant attendu semblait devoir se faire. Puis, de nouveau, ce fut un lent retour au silence...

Gesca avait maintenant la voie libre à La Presse. En septembre 2015, on annonça l'abandon de l'édition papier en semaine, et le samedi 31 décembre vit l'ultime parution hors-samedi du journal La Presse imprimé. Non seulement ne pleurait-on pas sa disparition, on célébrait presque l'arrivée du tout-numérique. Au sein des hourras, je fis couler un peu de vinaigre (voir bit.ly/2lAewmM), écrivant, en ce dernier jour de 2015: «Abandonner la version imprimée des journaux, c'est plus qu'une erreur. C'est un crime.»

Et j'ajoutai: «S'il y a une chose dont je suis à peu près sûr, c'est que l'ultime motivation d'empires comme Power Corporation, Québecor et les autres restera toujours le profit. Et le jour où LaPresse+ ne donnera pas les revenus escomptés, les écrans des artisans de l'information iront rejoindre les anciennes presses à la ferraille»... On a vu ce qu'on a vu, depuis... Après avoir sabordé l'édition papier du samedi (la dernière a paru le 30 décembre 2017), Power Corp a largué son joyau numérique déficitaire avec une paie de séparation de 50 millions $, et aujourd'hui LaPresse+ est condamné à quêter sur la place publique, comme les journaux de Groupe Capitales Médias.

Ces jours-ci, le mini-empire formé par Martin Cauchon titube au bord de la faillite, avec tout ce que cela implique pour la santé de l'information, l'avenir du journalisme d'ici et la démocratie québécoise. Et là, tout à coup, on se rend compte que le précipice est droit devant, qu'il est minuit moins quelques secondes, et toutes les voix qui se taisaient crient au secours. Il était grand temps.

Mais de quoi parle-t-on? Essentiellement, on cherche encore ces introuvables «modèles d'affaires» qui permettront à la fois aux entreprises d'engranger des profits et à la presse écrite de survivre. Alors on se tourne invariablement vers les gouvernements. Les syndicats CSN proposent de créer une (des?) coopérative pour que les employés de ces médias puissent en devenir copropriétaires. Piste intéressante celle-là, mais comme les autres elle ne touche pas au coeur du problème.

Pour y arriver, il faut d'abord dissiper ce mythe que les difficultés des journaux ont débuté avec l'arrivée de l'Internet et l'envahissement publicitaire subséquent des géants actuels du Web. Ces derniers ont exploité des fissures apparues dans l'armure de la presse écrite dès les années 70 et 80, avant l'existence du World Wide Web. Fissures résultant de la cupidité des empires de presse.

Entre 1978 et 1980, par exemple, quatre quotidiens d'importance avaient été fermés (Montréal-Matin, Montreal Star, Ottawa Journal et Winnipeg Tribune), réduisant d'autant la concurrence médiatique dans ces villes et produisant des allégations de collusion, notamment entre les chaînes Free Press Publications et Thomson. L'objectif des grands barons de la presse était clair: hausser les marges de profit sur le dos d'un public désormais moins informé.

Dans la seconde moitié des années 80, les griffes de Conrad Black et sbires dans l'univers des médias francophones québécois ont laissé de profondes cicatrices. À mon quotidien, Le Droit, où le tirage était en baisse depuis la fin des années 1970, on passa en deux ans du grand format au tabloïd, de journal d'après-midi à journal du matin, et la salle des nouvelles perdit au moins le tiers de ses effectifs... Tout ça avant 1990, avant la naissance du Web... Moins de journalistes, moins d'espace rédactionnel, moins de lectorat... Le cercle vicieux était déjà amorcé.

En 2019, le modèle d'affaires des empires médiatiques n'a pas foncièrement changé. L'objectif n'a jamais été d'offrir un excellent produit d'information au public lecteur, de protéger les droits constitutionnels de liberté de presse ou de se comporter comme piliers de la démocratie, mais bien de faire son possible avec les moyens disponibles en respectant scrupuleusement des objectifs bien définis de rentabilité. Plus vite on comprendra cela, meilleure sera la discussion. Jusqu'à preuve du contraire, ces proprios ne font pas partie de la solution...

Quand bien même on débourserait chaque année des millions en fonds publics, quand bien même on taxerait à une juste valeur les géants du Web, renflouant les coffres de Groupe Capitales Médias, du Devoir et même de Québecor au besoin, ce ne serait qu'un répit. Le problème de 2014, que personne n'a voulu confronter, reste celui de 2019. Et le problème de 2019 sera celui de 2024, et de 2035... Taxer, même à outrance, les géants du Web (Google, Amazon, Facebook, Apple, etc.) n'augmentera pas le taux de lectorat des journaux quotidiens... Et l'argent finira dans les poches des proprios...

Parmi les enjeux de fond dont on ne parle pas, ou peu, j'ai soulevé les suivants le 19 mai 2014 dans le texte de blogue qui m'a valu un congédiement comme éditorialiste invité du quotidien Le Droit:

«Pourquoi lit-on moins les journaux? Pourquoi lit-on moins, tout court? Il faudra parler d'éducation, de culture, de tout. La proportion d'analphabètes fonctionnels est effarante. Il faudra aussi parler de la qualité du produit offert. J'ai toujours cru, peut-être naïvement, peut-être pas, qu'un bon journal trouvera des lecteurs. Quand le nombre de pages diminue, quand on sabre dans les salles de rédaction, il ne faut pas se surprendre que le lectorat en souffre. Et ceux qui ne lisent pas sur papier à cause d'une incapacité de lecture, ou parce qu'ils n'y trouvent plus ce qu'ils devraient y trouver, vont éventuellement délaisser les nouveaux gadgets électroniques… pour les mêmes raisons.»

Le meilleur modèle d'affaires ne pourra rien contre un climat socioéconomique et politique qui favorise depuis trop longtemps une glissade collective vers l'ignorance. Un public peu ou mal informé sera toujours plus facilement manipulé par ceux qui ont le pouvoir ou les moyens financiers de le faire. Il faut entreprendre immédiatement de vaincre l'analphabétisme fonctionnel, transmettre le goût de la lecture des livres et des journaux (papier et numériques) de langue française dès l'enfance, et faire comprendre à tous les citoyens l'importance, pour la démocratie, d'une presse libre nourrie par des journalistes professionnels. Le jour où la société québécoise sera formée de citoyens bien informés et instruits, la presse écrite n'aura rien à craindre.

Les quotidiens actuels prospéreront et d'autres viendront s'ajouter dans des villes comme Rouyn-Noranda, Drummondville, Saint-Hyacinthe, Rimouski, Sept-Îles, Saint-Jérôme, Longueuil, Laval, Victoriaville... Pourquoi pas une vingtaine de quotidiens de langue française au Québec? Dans le territoire francophone de la Suisse, où résident un peu plus de 2 millions de personnes, il y a 13 quotidiens! Et environ 45 dans l'ensemble de la Suisse, qui compte une population comparable à celle du Québec... Aucun des modèles d'affaires proposés ne nous mènera là...