lundi 31 août 2020

Cher Globe and Mail...

Chère équipe éditoriale du Globe and Mail,

J’ai lu avec intérêt votre éditorial du 25 août (tgam.ca/3lCPPk2) sur la performance du Québec dans sa lutte contre la pandémie de COVID-19.

Je peux comprendre votre irritation face aux critiques formulées par notre premier ministre François Legault à l’endroit de la Gazette de Montréal et son journaliste Aaron Derfel (bit.ly/31NfEWE). J’aurais peut-être adopté une approche plus nuancée que celle de M. Legault...

Je dois avouer cependant que j’aurais été tenté moi aussi de « tirer sur le messager », comme vous dites. La presse anglo-canadienne a trop souvent attaqué tout ce qui bouge au Québec sans se poser de questions, comme des policiers blancs avec les Noirs aux États-Unis. Alors qu'on l'accueille avec une certaine méfiance va de soi.

N’est-ce pas d'ailleurs votre page, étalant ignorance et préjugés, qui réduisait notre Loi 21 sur la laïcité à une interdiction du hidjab (tgam.ca/3lAiFBt), alors que le noble combat pour la séparation de la religion et de l’État se poursuit depuis des siècles et ne se limite pas au Québec? Alors pardonnez-nous de dégainer un peu vite quand votre presse anglo arrive avec ses gros sabots...

Cela étant dit, je vous inviterais à revoir vos conclusions. Plutôt que d'approfondir votre recherche, vous avez choisi d’attaquer M. Legault de la même façon que ce dernier a pourfendu le scribe de la Gazette de Montréal.

Le premier ministre du Québec avait déclaré que les Anglo-Québécois s’inquiétaient, beaucoup plus que les francophones, de contracter la COVID parce qu’ils s’abreuvaient trop aux gazouillis de M. Derfel et aux chaînes américaines dont CNN... C’est un commentaire superficiel, soit, mais il n’est pas complètement dénué de fondement...

Vous y voyez un «coup bas à un groupe minoritaire»... Pas sûr qu’il s’agisse d’un coup bas, et surtout pas sûr que les Anglo-Québécois soient en réalité un groupe minoritaire. Sur le plan sociologique ils sont bien plus le prolongement en territoire québécois de la majorité anglophone du Canada, avec laquelle ils ont davantage d’affinités...

Le sondeur, Jack Jedwab, de l’Association d’études canadiennes, semble souscrire à cette thèse dans son analyse des données. « L’anxiété des anglophones (au Québec) est bien davantage alignée avec ce que l’on voit ailleurs au Canada ou aux États-Unis », avait-il opiné dans un article de la Gazette signé par M. Derfel. On pourrait sans doute en conclure qu’ils utilisent, au moins en partie, les mêmes sources d’information que les Anglo-Canadiens et les Américains pour former leurs opinions.

Le sondage révélait également que 86% des francophones sont satisfaits de la gestion de la pandémie par le gouvernement Legault, contrairement à 60% pour les anglophones. Compte tenu du taux de mortalité désastreux qu’affiche le Québec par rapport au reste du pays, on pourrait s'en étonner mais en dépit de l'affreuse accumulation de morts dans les CHSLD, l'appui massif des francophones au gouvernement Legault s'explique...

Les Québécois ont avec ce gouvernement un rapport affectif, voire identitaire qu'ils n'avaient pas avec les libéraux multiculturels anglophiles de Philippe Couillard. Le «nous» francophone se reconnaît dans le gouvernement de la CAQ et lui fait généralement confiance. On lui pardonnerait sans doute ce qu'on aurait reproché à d'autres.

Mais le public québécois sait aussi faire la part des choses. Les monstres bureaucratiques régionaux qui ont ralenti les efforts de lutte contre la pandémie sont des créatures de l'ancien ministre libéral Gaétan Barrette et tout le monde le sait. Le fait qu'au Québec, une plus forte proportion de vieux soient parqués dans des CHSLD et résidences constitue un problème de société qui remonte à un demi-siècle et ne peut être imputé à un parti qui s'est hissé pour la première fois au pouvoir.

Par ailleurs, comme vous le mentionnez vous-mêmes dans votre éditorial, le Québec a eu la malchance de tenir sa semaine de relâche scolaire en fin de février, avant tout le monde, et de voir revenir à l'aube de la pandémie des tas de gens provenant de zones chaudes. De plus, à la mi-mars, alors que le confinement était amorcé, la ville de Montréal a dû envoyer des agents et des policiers à l'aéroport Trudeau (bit.ly/31MNF9x) pour faire ce qu'Ottawa n'avait pas fait: contrôler l'arrivée de milliers de gens arrivant de pays touchés par la COVID (notamment l'Italie, la Chine et l'Iran).

Alors oui, le gouvernement Legault a vécu une pandémie difficile et le Québec se retrouve avec l'un des pires dossiers de la planète, mais il serait difficile de trouver quelqu'un pour affirmer qu'en de pareilles circonstances, un gouvernement libéral, péquiste ou autre aurait fait mieux. Le consensus c'est qu'en dépit d'erreurs de parcours, François Legault et son équipe ont fait du mieux qu'ils pouvaient, n'ont jamais tenté de minimiser la gravité des défis et ont réussi, dans la tourmente, à conserver un lien de confiance avec la grande majorité des Québécois.

Alors, votre conclusion - que M. Legault soit le seul premier ministre au Canada «à tenter de transformer cette tragédie en farce en blâmant un reporter d'avoir rapporté les nouvelles» - s'avère indigne d'un quotidien prestigieux qui se veut journal national du Canada anglais.

Pierre Allard
journaliste et ancien éditorialiste au quotidien Le Droit






1 commentaire: