vendredi 2 septembre 2022

Les chemins d'été (4e jour)

Jeudi 7 juillet

Je n'ai pas encore l'accent du lac - je ne l'aurai sans doute jamais - mais j'ai toujours hâte de l'entendre. Je l'espère. Il chante, porte en lui 150 ans de vécu. Là, là... Les accents au Québec, jadis si distinctifs d'une région à l'autre, se perdent depuis plus d'un demi-siècle, depuis l'avènement du parler montréalo-universel de la télévision et autres technologies. Un jour on ne verra plus la différence entre Alma et St-Hyacinthe, et c'est bien dommage...

Cet affadissement des identités verbales s'est accompagné, depuis le début des années 1960, d'une chute dramatique de la pratique religieuse et d'une laïcisation des institutions publiques. Les vestiges les plus visibles de l'ancienne gloire du catholicisme québécois restent sans doute ces magnifiques églises, petites et grandes, oeuvre collective - Sainte-Anne-de-Beaupré, l'Oratoire St-Joseph, Notre-Dame-du-Cap, etc. Et que dire des rares chapelles, comme à Québec, à l'île d'Orléans, ayant survécu depuis le régime français?

Pour cette quatrième journée de notre séjour jeannois et saguenéen, notre troupe de quatre irréductibles (Claude, Jacqueline, Ginette et moi) rejoindra Yvan Lavoie, frère de Jacqueline, et son épouse France à l'un de ces vestiges de l'époque où la religion et les pèlerinages faisaient partie de notre quotidien, l'Ermitage Saint-Antoine à Lac-Bouchette, petite municipalité en retrait du Lac Saint-Jean, en amont de Val-Jalbert, sur les rives de deux lacs reliés par un filet d'eau, le lac Bouchette et son quasi-jumeau, Ouiatchouan.

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(première parenthèse)

Connaissez-vous le sens du mot «ermitage»? Je n'avais jamais vérifié mais comme cela devait avoir un lien avec «ermite», j'imaginais un lieu isolé, très à l'écart, où vivait une espèce de moine, cloîtré dans sa cabane. Pas un centre destiné au grand public. Mais M. Larousse m'informe que plusieurs ermites peuvent vivre en communauté et qu'ils conservent tout de même le titre d'ermite. Et qu'un ermitage, c'est la demeure d'un ou de plusieurs ermites. Un singulier pluriel, quoi...

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L'Ermitage Saint-Antoine est présenté aujourd'hui comme une oasis spirituelle, un endroit qui ouvre à la recherche intérieure et à la quête de sens. C'est effectivement un lieu de pèlerinage. Fondé en 1907 par un Capucin, Elzéar DeLamarre, l'Ermitage porte le nom d'un franciscain célèbre, contemporain de François d'Assise, Saint-Antoine de Padoue. Les religieuses de la communauté Les Soeurs Antoniennes de Marie ont aussi été associées à l'oeuvre de l'Ermitage. Les Capucins québécois y sont toujours mais ils se font rares et vieux. Les recrues, et il y en a, viennent d'ailleurs. Celui qu'on a rencontré près d'une chapelle était originaire du sud de l'Inde, où les vocations permettent d'assurer une certaine relève dans la très lointaine et froide contrée jeannoise.

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(deuxième parenthèse)

Ma mère de 98 ans aimerait sans doute cet endroit. Je l'aime bien moi itou, mais pas pour les mêmes motifs. Maman voue une dévotion particulière à Saint Antoine depuis sa jeunesse. Pour retrouver des objets perdus, bien sûr, tâche pour laquelle il demeure particulièrement efficace. Mais aussi parce que c'est le protecteur des enfants... et des petits-enfants. Depuis notre naissance, elle nous a placés sous la protection d'Antoine de Padoue. Elle nous rappelle fréquemment que le mardi est la journée spéciale de la semaine dédiée à St-Antoine. Peut-être cela explique-t-il pourquoi je suis né un mardi, comme mon frère et une de mes soeurs... Je n'ai pu résister... j'ai rapporté à ma mère une médaille de Saint Antoine et un contenant d'eau bénite de l'Ermitage. Est-ce que je crois à tout cela? Qui suis-je pour contredire maman?

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Noter à l'arrière - les statues de Saint-Antoine et de Notre-Dame-du-Nord

On ne voit plus d'Antoniennes et peu de Capucins à l'Ermitage de Lac Bouchette, mais les lieux demeurent un fidèle reflet physique de ce que fut le Québec d'avant 1960. Un monastère, des chapelles, une grotte mariale (la Vierge est présente partout), des lampions, et même des confessionnaux sur le sentier public. Une boulangerie, jadis dirigée par les Antoniennes, produit toujours  la «mie de Saint-Antoine». Le tout dans un décor magnifique avec vue sur le lac. La Chapelle mariale, la première d'architecture moderne au Québec, a été construite au début des années 1950 et revêt aujourd'hui l'apparence d'un ultime legs de nos ancêtres très catholiques aux générations suivantes, ingrates.

Nous l'avons visitée après avoir grimpé les 40 ou 50 marches (misère...) qui mènent à la grande chapelle, une église en réalité. Mon épouse a immédiatement flairé ce que nous ressentions peut-être tous en entrant dans le lieu de culte. «Ça sent bon, ici. Ça sent mon enfance!» Les odeurs des lampions, un faible relent d'encens et de milliers de messes célébrées ici depuis 70 ans, cela ressuscite non seulement un passé collectif pas si lointain mais aussi notre propre vécu, du moins pour ceux et celles qui ont franchi leur trois quarts de siècle... Pour un seul moment semblable, je franchis sans hésiter 500 km...

Victor DeLamarre en 1914

Mais sans doute le fait saillant de cette visite fut-elle notre incursion au Centre Elzéar-Lamarre, nommé en l'honneur du fondateur de l'Ermitage mais aussi dédié au neveu de celui-ci, Victor DeLamarre, l'homme le plus fort de son époque (de tous les temps?), ayant même surpassé en puissance le bien plus célèbre Louis Cyr. Il est surtout connu pour avoir réussi, en 1914, à effectuer un dévissé d'un seul bras d'un haltère de 140 kg (309 livres), soulevant de ce fait le double de sa masse. Il mesurait 166,5 cm (5'5'') et pesait environ 70 kg (155 livres)... Un record mondial! J'ai vu de près cet haltère et je ne pourrais pas le bouger d'un centimètre... Le jeune guide à l'accueil du Centre, visiblement un expert de Victor DeLamarre, nous a expliqué qu'il avait une colonne vertébrale deux fois plus large que l'humain moyen, ce qui lui conférait une force colossale... Le musée à sa mémoire est un délice. Incontournable!

Claude devant le lac, à Roberval

Ginette et Jacqueline en épis...

Fin d'après-midi, on pique une pointe vers Roberval, nous avançant toujours plus loin autour du lac. Point de départ (correction… point d’arrivée) de la célèbre traversée du Lac Saint-Jean, la ville de 10 000 habitants a été fondée en 1859 mais porte le nom du premier lieutenant général français du Canada, Jean-François de La Roque, sieur de Roberval, mort à Paris en 1561. Dire que nous avons vu Roberval serait exagéré. Nous sommes arrêtés dans un joli parc avoisinant une vieille maison des Ursulines, en bordure du lac, parsemé d'arbres majestueux et offrant aux touristes l'occasion de se faire photographier derrière deux grands épis de maïs, ce qu'ont fait promptement Ginette et Jacqueline. Pour une belle vue du Lac Saint-Jean, l'endroit est excellent. À noter, l'inspirante devise de la ville, que j'ai bien appréciée: «À coeur vaillant, rien d'impossible»!

La soirée finira avec un robuste souper à la microbrasserie Le lion bleu à Alma. Soupe à l'oignon, poutine, poisson-frites, bière (sans alcool pour moi), tout pour délicieusement torpiller un régime... 


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