jeudi 29 décembre 2022

Les héritiers de Jean Charest...


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En février 2011, le gouvernement libéral de Jean Charest annonçait pour les écoles françaises du Québec le funeste programme d'anglais intensif en 6e année. Couillard avant la lettre, l'objectif - avoué ou pas - était d'offrir à TOUS les jeunes francophones une connaissance fonctionnelle de l'anglais. De les rendre plus ou moins bilingues...

J'avais signé dans le quotidien Le Droit le seul éditorial québécois d'opposition à ce projet d'anglicisation (voir https://www.ledroit.com/2011/02/25/fossoyeurs-du-francais-226db8bcf25fe187f0df39f09b4c47e9) de nos écoles de langue française. Nous avions donné un vigoureux coup de barre en faveur du français langue commune avec la Loi 101, et voilà que John James Charest livrait à la future génération un message insidieux: l'anglais est important au point de devoir suspendre pour une demi-année votre enseignement en français à la fin du primaire ! Pas besoin d'avoir inventé le bouton à quatre trous pour comprendre ce que cela signifie...

Heureusement, dans les régions où le français est le plus menacé, le caractère insensé du programme d'anglais intensif a dû paraître évident parce que peu de commissions scolaires (ou aujourd'hui, de centres de services scolaires) l'ont implanté. Par contre, dans dans des régions où l'anglais est le moins nécessaire (Capitale nationale, Saguenay-Lac Saint-Jean, etc.) des dizaines de milliers d'élèves ont complété la moitié de leur dernière année au primaire in English. On n'est pas ici au comptoir de la vieille madame anglaise chez Eaton qui nous oblige à parler anglais. Des francophones imposent, presque avec enthousiasme, l'anglais aux élèves francophones... dans des écoles françaises.

Cela dure maintenant depuis une dizaine d'années et j'ai beau chercher - c'est sans doute trop tôt - mais je ne trouve pas d'étude de suivi de ces milliers d'élèves qu'on a intensément trempés dans l'unilinguisme anglais à l'âge de 11 ou 12 ans. Ils ont fort bien compris que même si on oblige les allophones à fréquenter le primaire et le secondaire en français, ce sera le libre choix au cégep et à l'université et que l'État québécois, avec l'anglais intensif, les oriente vers on ne sait trop où. À cet âge, les enfants font des choix, même linguistiques, qui les marquent pour la vie.  Ainsi, notait en 2021 Marc Chevrier, prof à l'UQAM, «l'avenir (de la francophonie québécoise, canadienne et nord-américaine) reposera sur les microdécisions de milliers d’adolescents»...

En mars 2021, Le Devoir titrait à la une: «Le fort attrait du cégep in English - Les jeunes francophones sont de plus en plus nombreux à choisir l'anglais pour poursuivre leurs études» (voir https://www.ledevoir.com/societe/education/597870/le-fort-attrait-du-cegep-in-english). Le texte présentait trois adolescentes francophones de la région de Québec qui s'orientaient vers le cégep de langue anglaise et qui affichaient une nette préférence pour une vie en anglais. Avaient-elles fréquenté un programme d'anglais intensif au primaire, comme la majorité des élèves de langue française de notre capitale nationale? Quel avait été l'effet de cette demi-année d'immersion anglaise sur elles, et sur des milliers d'autres comme elles?

Les cégeps et universités de langue anglaise débordent déjà de jeunes francophones. Et même dans les universités de langue française, l'anglais s'infiltre dans les cours ainsi que dans les programmes de recherche, même à l'Université Laval, même dans des domaines traditionnellement français comme l'histoire et les sciences sociales. Il y a présentement un fort mouvement, désormais endossé par le Parti québécois et l'immense majorité des syndicats de profs de cégeps, en faveur de l'extension de la Loi 101 au post-secondaire, et notamment aux cégeps.

Or, pendant ce temps, les gouvernements libéraux et maintenant caquistes continuent à mettre l'accent sur le perfectionnement de l'anglais au primaire, et près de 20% des élèves au primaire (je n'ai pas vu les chiffres récents) passent par l'anglais intensif obligatoire en 5e ou 6e année. Un programme qui semble passer sous le radar et qui soulève peu d'opposition au sein de la majorité francophone. C'est à n'y rien comprendre. En attendant que quelqu'un, quelque part, prenne conscience du caractère suicidaire de l'anglais intensif à Québec, Saguenay, Rimouski ou même Montréal et Gatineau, peut-on au moins suivre de près les cohortes qui sont passées par là et en tirer des données utiles pour l'avenir.

Quand tous les jeunes Québécois francophones seront bilingues, il sera trop tard. La nation s'éteindra.


mercredi 28 décembre 2022

Au royaume des «deux tu l'auras»...



Certains jours, je me demande pourquoi le Québec ne cède pas l'Outaouais tout de suite à l'Ontario... Cela ne ferait que donner un caractère officiel aux agissements de l'État québécois, ou à ses absences d'agissements, qui poussent depuis plus d'un siècle la grande région de Gatineau vers une fusion plus ou moins virtuelle avec ses voisins de la rive ontarienne...

Quand j'étais enfant, j'entendais des adultes marmonner que Hull (maintenant Gatineau) était le «trou-de-cul» du Québec. L'image est vulgaire, mais pas inopportune. L'Outaouais urbain demeure depuis la Confédération un terminus, une sortie, arrimée aux ponts qui la relient à la capitale fédérale. Les routes venues d'ailleurs au Québec convergent, comme le transport en commun, vers les cinq ponts interprovinciaux et la silhouette des tours du centre-ville d'Ottawa.

Québec est loin, loin, loin. Trop loin pour regarder souvent dans notre direction. Amenez-en des plans Nord. Mais des plans Ouest? Voir l'Outaouais comme un carrefour clé entre l'Abitibi-Témiscamingue et la grande région de la métropole, avec un lien routier réclamé depuis aux moins 100 ans? Ben voyons...  Voir Gatineau comme la porte d'entrée d'un Québec résolument français pour les visiteurs arrivant d'ailleurs? Ben voyons... Doter l'Outaouais des infrastructures et services de santé dont elle aurait dû bénéficier depuis des décennies? Ben voyons...

Nous sommes ici au royaume des «deux tu l'auras». Des promesses interminables - et non réalisées - qu'un électorat bien trop soumis gobe d'élection en élection. Le réseau de santé s'écroule pendant que des infirmières et autres professionnels désertent le navire en perdition pour des salaires bien plus costauds à Ottawa. Alors on fait quoi après des décennies de négligence? Le gouvernement Legault fait comme les libéraux auraient fait avant lui: il promet un méga-hôpital censé régler un tas de problèmes. Mets ton petit 10$, ton 20$, une fois de plus. Le gros lot est au bout du tirage... On se croirait à Loto-Québec...

Après avoir détruit les CLSC et leur mission avec, Québec a placé l'Outaouais dans le giron de l'Université McGill... Comme si on n'avait pas assez de l'anglicisation venue d'Ottawa... En 2014, quand le gouvernement Couillard a annoncé une faculté satellite de médecine à l'hôpital de Gatineau, on a appris que les cours mcgilliens en salle se donneraient en anglais... C'était ça ou rien, disait la députée de Hull Maryse Gaudreault.

On aurait pu confier le mandat de créer une faculté de médecine à l'Université du Québec en Outaouais, qui le souhaitait d'ailleurs, mais elle ne faisait pas le poids contre les partisans de l'université anglo-montréalaise. Pourquoi vous plaignez-vous, renchérissait Philippe Couillard. Hé, c'est la prestigieuse McGill! L'élection de la CAQ a sauvé la mise. Reste qu'on n'aurait pas fait ça à Trois-Rivières ou à Rimouski. Mais à Gatineau, ouate de phoque. La ville s'anglicise à vue d'oeil dans l'indifférence générale. Les constructeurs gatinois voient l'invasion anglo-ontarienne avec des yeux en signe de piastres et les élus municipaux, le maire Bélisle en tête, ferment les yeux, les bouches et les oreilles...

Maintenant, sous la CAQ, un GROS centre hospitalier régional s'en vient, apparemment. On ne trouve déjà pas assez de personnel pour compléter les effectifs des établissements existants. Où trouvera-t-on les autres? Et que fait-on des services de proximité? Bof, on centralise. Plus gros, c'est mieux dit-on même si c'est plus loin... Et quand verra-t-on un premier patient à ce futur hôpital? On a annoncé le projet en 2018 et quatre ans plus tard on vient de choisir un terrain... qui ne fait pas l'unanimité. Si le passé est garant de l'avenir, cet hôpital figurera encore au cahier des promesses de la CAQ en 2026 et en 2030!

Un peu comme nos autoroutes, quoi! La 50 a été annoncée en 1970 par le dernier gouvernement de l'Union nationale et elle n'est toujours pas terminée. Loin de là. Cinquante-deux ans! Ailleurs au Québec, un tel projet aurait été réalisé en moins d'une décennie. Mais bof, avec un peu de pain et des jeux, les habitants resteront tranquilles même s'ils continuent à déraper et caramboler sur une demi-autroroute funeste qu'on ne réussit même pas à baptiser depuis la proposition du nom «Autoroute Maurice-Richard» en 2000... Les noms de Guy Lafleur et Louis-Joseph Papineau sont aussi en lice, mais franchement, ces noms prestigieux ne méritent pas d'être associés à l'enchevêtrement de tronçons de deux, trois et quatre voies qui relient Gatineau à Mirabel...

Enfin, il y a cette région du Pontiac, toujours sous la férule du diocèse catholique anglo-ontarien de Pembroke historiquement francophobe (notez le b), et où la route 148, plutôt que se prolonger normalement vers l'Abitibi-Témiscamingue, devient un entonnoir vers l'Ontario. D'ailleurs, dans certains coins du Pontiac, on pourrait carrément se croire en territoire ontarien... tellement c'est anglicisé.

Heureusement, l'Outaouais a toujours pu compter sur un petit mais énergique noyau de patriotes québécois pour rappeler que nous sommes toujours en pays fleurdelisé. Mais ce noyau vieillit et la relève se fait rare. À l'image de notre saint patron, Jean-Baptiste, elle crie dans le désert. À quelques jours d'une nouvelle année, peut-on espérer mieux? Peut-on espérer que Québec regarde ici et voit un jour autre chose que le dortoir d'Ottawa? Vous trouvez peut-être que j'exagère, et vous avez raison. Mais venez passer quelques années à Gatineau et vous aurez souvent la tentation de tremper votre plume dans le fiel.

Bonne année 2023...


Connaissez-vous «Olivia from Amazon»?



26 décembre 2022... Les «Joyeux Noël» sont rangés pour une autre année... La grande famille s'est vue et revue, en personne, pour la première fois depuis 2019... Les saluts, les embrassades, les jasettes , bouffe à n'en plus finir... Tout à coup, en fin de journée, le lendemain, on retrouve avec un brin de nostalgie le silence relatif d'un vieux couple qui vit toujours dans la maison familiale...

Puis, vers 18 heures, le téléphone sonne. Sûrement l'un des enfants qui donne un coup de fil, ou un proche, un ami... Mais non! Juste à voir le numéro à l'écran, je sais que c'est un appel de fraudeur comme on en reçoit beaucoup trop depuis quelque temps. Toujours des numéros locaux qu'on voit en double sur l'écran du téléphone, dont le message - en anglais - sent l'arnaque à plein nez!

«Hello, this is Olivia from Amazon»... «This is the computer fraud department to talk about your credit card»... «This is the National Revenue Agency, your banks accounts will be seized»... Vous voyez le genre. Tous des messages enregistrés, ou à l'occasion, de longs silences avant que l'appel ne s'interrompe. On les reconnaît facilement, mais c'est une irritation constante.

Alors ce lundi 26 décembre à 18 h 05 (j'ai vérifié l'heure exacte avec mon téléphone), j'ai écouté pendant quelques secondes Olivia from Amazon et j'ai raccroché. Une demi-heure plus tard, drring... drring... Un autre appel de cette chère Olivia, qui est décidément en verve aujourd'hui... Clac! On voudrait bien lui répondre, lui dire des bêtises, mais c'est une machine...

À 18 h 39, le téléphone sonne de nouveau. Même identification visuelle du numéro. Un appel local, avec un numéro différent des deux appels précédents, qu'on voit en double à l'écran de l'appareil. Pas d'Olivia cette fois, un silence et au bout d'une vingtaine de secondes, notre interlocuteur humain ou numérique raccroche. Je commence à noter les numéros et l'heure des appels... Réflexe de journaliste...

Pendant les deux heures et quelque qui ont suivi le premier appel de 18 h 05, le téléphone a sonné pas moins de 13 fois. La plupart du temps de longs silences, avec une ou deux Olivia dans le tas... À 18 h 47, 19 h 09, 19 h 20, 19 h 24, 19 h 28, 19 h 36, 19 h 40, 19 h 47, 19 h 55 et finalement, 20 h 22! Là, je suis fâché. Même si c'est le 26 décembre, il doit y avoir un endroit où je puisse me plaindre...

Premier essai au 3-1-1, la ligne d'aide municipale de Gatineau. Je rejoins assez rapidement un humain qui m'informe que la municipalité ne peut rien faire pour m'aider, mais que la police pourrait constituer une avenue prometteuse. Après une brève conservation, me voilà de nouveau dans un cul-de-sac. La sûreté municipale est consciente de la prolifération de ce type d'appels mais n'a pas les moyens d'y mettre fin.

On me suggère de noter les numéros (ce que j'avais fait) et de m'adresser soit à mon fournisseur de service téléphonique (Vidéotron dans mon cas) ou au Centre antifraude du Canada. Ce que je fais illico. Mais voilà, nous sommes en soirée et tant le service à la clientèle de Vidéotron que le personnel du Centre antifraude travaillent le jour (à compter de 8 h du matin) du lundi au vendredi... Nouveau cul-de sac!

Le lendemain matin, j'avais plus ou moins remisé les appels frauduleux et l'ire suscitée par 13 sonneries téléphoniques en moins de 90 minutes quand, à 11 h 07, ce 27 décembre, les appels d'Olivia from Amazon ont repris de plus belle. Quatre de suite au cours des 20 minutes suivantes. Juste assez pour me décider à poursuivre mes démarches.

Vidéotron d'abord qui, dans son message d'accueil, m'offre cinq options (appuyez sur le 1, appuyez sur le 2, etc.) dont aucune ne semble inclure un problème du type appel frauduleux. Je sélectionne le 3, celui réservé aux pannes et aux problèmes techniques en espérant que l'humain qui répondra pourra au moins me diriger vers le poste approprié.

«Votre temps d'attente sera de huit minutes», m'annonce le répondeur (la répondeuse plutôt, on dirait que c'est toujours une voix féminine). Après huit minutes, j'écoute toujours le fond musical trop bruyant et il n'y a personne. Finalement, après 15 minutes, une voix humaine prend mes coordonnées et s'informe du motif de mon appel.

Ayant refait l'historique des 17 appels d'Olivia from Amazon et autres depuis la veille, mon interlocuteur - qui semble bien au courant de ce type de problème - confirme que j'ai peu d'options pour contrer ces intrusions de pirates téléphoniques bien plus habiles que les corps policiers et agences de surveillance étatiques. Leur technologie permet d'utiliser un numéro différent à chaque appel, tous de mon code régional, pour cacher le fait que les fraudeurs peuvent se trouver n'importe où sur la planète Terre.

Vidéotron, me dit la personne ressource, ne peut m'empêcher de recevoir des appels. Je pourrais bloquer chaque numéro après chaque appel mais plusieurs de ces numéros appartiennent à de vraies personnes de Gatineau qui ne savent pas qu'on les pirate à des fins de fraude. Je pourrais inscrire mon numéro de téléphone à la Liste nationale de numéros de téléphone exclus du Canada, mais cela n'éliminerait que le télémarketing légal. Je n'aurais plus à me mettre en colère contre le cabinet d'astrologie montréalais qui nous harcèle depuis des années, mais les fraudeurs ne seraient nullement importunés.

La meilleure stratégie, me propose Vidéotron, c'est de ne pas répondre quand le téléphone a un écran qui affiche les numéros de téléphone entrants, permettant d'apprendre à reconnaître les potentiels fraudeurs. Apparemment, les appels cesseront graduellement si personne ne décroche le combiné. C'est ce que j'ai décidé de faire, plutôt que d'entreprendre une démarche avec le Centre antifraude du Canada... 

Mais l'impression que je retiens de tout cela, c'est que le citoyen (comme la municipalité, la police et le fournisseur de services téléphoniques) est à peu près sans défense contre les auteurs d'appels frauduleux. En tout cas, si l'un d'entre vous connaît Olivia from Amazon, dites-lui ne ne plus appeler chez nous - et d'apprendre le français quand elle appelle au Québec...


vendredi 23 décembre 2022

L'indépendance: de 1967 à 2022...


Les notions de «gauche» et de «droite» sont galvaudées au point de ne plus avoir de sens ou de définition précis. On les garroche un peu partout de manière (pardonnez le jeu de mots) gauche et maladroite.

Quand je fréquentais la très québécoise faculté des sciences sociales de l'Université d'Ottawa dans les années 1960, c'était beaucoup plus clair: la gauche gravitait autour du concept de socialisme, tandis que la droite s'associait au capitalisme.

La cause de l'indépendance du Québec, en plein essor, suscitait des appuis dans ces deux camps, habituellement opposés. Et un débat qui ressemble beaucoup à celui qui oppose aujourd'hui Québec Solidaire au Parti québécois s'est immédiatement engagé.

La gauche du temps, largement issue des jeunes générations, avait une nette préférence pour une indépendance réalisée par un parti socialiste. Plusieurs refusaient d'envisager l'idée de travailler en collaboration avec des gens de droite - enfin, avec des gens plus à droite qu'eux - pour la cause de l'indépendance.

Peut-être parce que les enjeux étaient mieux définis à cette époque, on s'est assez vite aperçu que la gauche était dans un cul-de-sac. La revue Parti Pris, alors porte-étendard de la gauche québécoise plus radicale, a fait le point là-dessus au début de 1967 et son analyse demeure actuelle cinquante-cinq ans plus tard.

Intitulé l'indépendance au plus vite!, l'éditorial de la revue (dont le comité de rédaction comptait, entre autres, Gaston Miron et Raoul Duguay) livre un message sans ambiguïtés que l'on pourrait facilement adapter au contexte actuel en éliminant le mot «socialisme» qui semble être devenu tabou au sein de la gauche contemporaine.

Voici quelques extraits du texte de l'édition de janvier-février 1967:

«Toute la gauche s'entend sur le but de la libération du Québec. Cependant, «libération» signifie pour nous indépendance et socialisme, alors que d'autres n'acceptent que le lutte pour le socialisme. Nous savons bien que l'indépendance n'est qu'une étape dans la libération du Québec, mais nous savons parfaitement bien aussi que le socialisme est impossible à réaliser ici sans l'indépendance. Nous croyons que les socialistes qui ne font pas la lutte pour l'indépendance immédiate du Québec font fausse route, que leur opposition est stérile et leur stratégie inappropriée à la situation.

«...Le socialisme ne peut être réalisé dans un Québec qui ne serait d'abord indépendant; les Québécois doivent d'abord pouvoir vouloir, c'est-à-dire qu'ils doivent se mettre en situation d'agir, avant de seulement songer à établir le socialisme au Québec. En ce sens, il ne fait plus de doute pour nous que l'indépendance est une nécessité prioritaire au Québec. C'est l'étape décolonisatrice, pré-requis à toute prise de conscience collective ultérieure. (...) Il est en effet impossible que les travailleurs aient une conscience nette de l'opposition des classes tant que la situation coloniale entretient la confusion entre l'exploitation du travail et la domination des canadiens-anglais sur les québécois.

«Pour nous, ça signifie que l'indépendance est un préalable au socialisme, qu'elle est une condition nécessaire, mais non suffisante, à la libération du Québec. (Selon l'ancien argumentaire), la réalisation du socialisme amène nécessairement l'indépendance; donc luttons pour le socialisme et l'indépendance viendra par surcroit. On avait simplement oublié que si l'indépendance n'amène pas nécessairement le socialisme, elle rend sa réalisation possible; on avait oublié aussi que s'il était bien vrai que le socialisme amènerait nécessairement l'indépendance, ce socialisme n'était pas possible sans l'indépendance.

«L'idéal serait que ce soit un parti socialiste qui fasse l'indépendance mais cette possibilité nous semble improbable dans l'Immédiat et dans un proche avenir. Et parce que nous avons un pressant besoin de l'indépendance, il faut que ce parti socialiste accepte de joindre ses forces à un parti comme le RIN par exemple, pour faire l'indépendance le plus à gauche possible, mais la faire au plus tôt. (...) Il faut se poser de sérieuses questions sur l'opportunité de lutter au sein d'un parti socialiste québécois qui ne veut pas intégrer l'indépendance à sa stratégie, se cantonnant ainsi dans une opposition stérile..»

Ceux et celles qui sont capables de traduire le langage «1967» en langage «2022» décoderont facilement le message que ces jeunes (et moins jeunes) indépendantistes de gauche des années 1960 lanceraient à Québec Solidaire au 21e siècle. En 1968, le RIN (Rassemblement pour l'indépendance nationale) se faisait hara-kiri afin de lutter au sein du Parti québécois pour «faire l'indépendance le plus à gauche possible». Sans cette unité indépendantiste, la cause leur apparaissait perdue. Le dilemme reste le même aujourd'hui.


mercredi 21 décembre 2022

Pas de messe de minuit de Noël ici...



Les médias nous apprennent qu'il n'y aura qu'une cinquantaine de messes de minuit à Noël cette année (voir lien en bas de page) dans l'ensemble du Québec, alors qu'on en comptait au moins 500 il y a quelques décennies. Les jeunes générations auront tendance à accueillir cette nouvelle avec un haussement d'épaules indifférent, mais pour les plus vieux d'entre nous, cela donne à réfléchir.

Durant les années 1950, on construisait toujours des églises au Québec et au Canada français. L'église Saint-René Goupil de Gatineau, celle que j'ai fréquentée à l'occasion depuis mon arrivée dans le quartier en 1988, avait été érigée en 1956-57. Soixante-quelque années plus tard, elle a été vendue à un groupe religieux peu connu qui affiche des messages bilingues sur la façade avec un panneau illuminé... Et l'ancienne paroisse n'existe même plus.

Dans mon vieux quartier francophone d'Ottawa, la paroisse Saint-François d'Assise alors surpeuplée avait jugé bon, en 1953-54, de fonder une seconde paroisse (Notre-Dame des Anges) ayant sa propre église. C'était pratique pour nous. Je demeurais à quatre ou cinq portes du nouveau temple. Moins de 40 ans plus tard, la paroisse disparaissait et l'église a été vendue à la communauté croate catholique d'Ottawa.

Les messes de minuit dont je me souviens le plus vivement sont celles de mon enfance, alors que j'étais enfant de choeur (1955-1958) à l'église Notre-Dame des Anges. Le territoire de la paroisse couvrait à peine huit rues et avenues, et la plupart des gens se connaissaient. Je revois toujours la foule animée sur le perron de l'église, j'entends toujours le Minuit, chrétiens, ainsi que la mystérieuse liturgie en latin, mêlée aux bruissements et chuchotements dans une nef bondée. Sans oublier l'odeur omniprésente de l'encens...

Évidemment, les choses ont changé. Avec la laïcisation massive des franco-catholiques d'ici, la fréquentation de la messe a chuté au point d'être marginalisée. S'ajoutant la dénatalité brutale des années 1960, 1970 et d'après, les candidatures à la prêtrise se sont raréfiées, au point de devoir aller chercher des curés et vicaires en Afrique et ailleurs sur la planète. Moins de fidèles, moins de prêtres = moins d'églises et beaucoup moins de messes. La commercialisation outrancière de Noël, jadis une fête essentiellement religieuse, a achevé ce qui restait.

Et pourtant, il reste au fond de notre peuple une certaine nostalgie des anciens Noël, ou de la perception qu'on en a transmise. Cela touche sans doute à un enchevêtrement de valeurs traditionnelles et culturelles qui ont peu à voir avec la religion. Un attachement au passé comme gage de continuité de notre existence collective. Le vicaire général du diocèse de Saint-Hyacinthe, se félicitant du grand nombre de messes de minuit sur son territoire, déclarait: «Chez nous, il y a une volonté de perpétuer cette tradition.» Il n'y voyait pas un regain de l'ancienne foi...

À 76 ans, comme la plupart des gens de ma génération, je me considère toujours catholique, mais je suis non-pratiquant. Je pourrais être attiré à des célébrations liturgiques, y compris la messe de minuit à Noël, parce que je continue de croire au message chrétien fondamental: aimer Dieu (la perfection) et son prochain comme soi-même. Pour le reste, je suis davantage «espérant» que croyant. L'idée de la messe - se rencontrer pour discuter de la parole chrétienne autour d'un repas communautaire - me plaît. Mais pas la liturgie, ni l'Église catholique comme institution.

La liturgie médiévale et rigide n'a pas changé. Lire ou dire des textes d'une autre époque, s'assoir, se lever, s'agenouiller pour des motifs obscurs n'a rien d'attrayant. Mais le plus intolérable, c'est que le célébrant soit toujours un homme. L'Église catholique est toujours une organisation sexiste où la femme reste inférieure. Tant que les femmes ne seront pas traitées en égales, admises à la prêtrise, jusqu'à la papauté, l'Église de nos ancêtres est en violation d'une des valeurs les plus fondamentales de nos constitutions: l'égalité de tous les humains. Et en subit les conséquences.

Finalement, j'ai vérifié sur Internet le site Web de ma paroisse (Sainte-Trinité), une fusion de trois anciennes paroisses dont celles de l'ancienne co-cathédrale de Gatineau (devenue une résidence pour vieux), et il n'y aura pas de messe de minuit de Noël en 2022...

Si je suis éveillé à minuit, j'écouterai le Minuit, chrétiens, l'hymne de Noël par excellence. «Peuple debout, chante ta délivrance!»

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lien au texte Noël - la messe de minuit en voie de disparition au Québec https://www.qub.ca/article/moins-de-messes-de-minuit-1089055841

mardi 20 décembre 2022

«On va chanter à souère...»



L'expérience est sûrement arrivée à tout le monde... Assister à un excellent spectacle où des voisins bruyants vous empêchent de l'apprécier à sa juste valeur... ou qui, à la limite, gâchent votre soirée.

Cela a un peu le même effet qu'autrefois, il y a très longtemps, quand nous allions à la messe et qu'un bébé (ou plusieurs) criaient et pleuraient du début à la fin de la cérémonie. On aurait voulu dire aux parents de les faire taire, mais on savait que ces derniers faisaient leur possible et que leur dire des bêtises ne ferait qu'aggraver la situation.

Dimanche soir, à la salle Odyssée de la Maison de la culture de Gatineau, mes nerfs ont été mis à rude épreuve toute la soirée. La personne assise sur le siège voisin se comportait comme si elle était seule dans une pièce avec un interlocuteur dur d'oreille...

Dans une salle bondée où des centaines de personnes jasent et chuchotant en même temps, le grondement des voix est indistinct. Mon épouse et ma belle-soeur se parlaient avant le début du spectacle Noël une tradition en chanson, et je n'entendais pas leur conversation.

Mais la voix de ma voisine de droite, parfaite inconnue jusque là, portait au moins sur deux ou trois rangées de sièges. J'aurais dû me méfier dès que je me suis assis. «On va chanter à souère», a-t-elle lancé à sa compagne sur un ton qui ne laissait aucun doute sur ses intentions.

Puis, pendant les 15 ou 20 minutes qui restaient avant que le concert débute, j'en ai beaucoup appris (comme les dix ou 15 personnes les plus proches d'elles) sur le colon irritable d'un membre de sa parenté, ce dont j'aurais pu me passer, et des recherches Internet des deux voisines sur les causes du colon irritable et leurs savantes hypothèses sur le meilleur moyen d'y remédier...

Les spectateurs autour ont aussi tous très bien entendu qu'elle ne mangeait pas de desserts (apparemment bon pour la digestion), sauf peut-être un peu de crème glacée de temps en temps...

J'étais heureux quand les musiciens sont arrivés sur la scène et que les premiers airs de Noël ont provoqué des applaudissements qui ont mis fin aux palabres des voisins. Mais j'ai aussitôt sursauté quand ma voisine bruyante a crié : Oh, regarde... C'est Johanne Blouin! C'était en effet Mme Blouin... et je savais que ma soirée serait longue.

Je ne me souviens pas très bien avec quelle chanson cette dernière a lancé le spectacle, mais je sais que ma voisine chantait d'une voix plus forte (et un peu moins juste) que celle de Johanne Blouin. Je me suis tourné vers elle et vu, dans ses yeux et son gestuel, qu'elle vivait une expérience très intense. Le ressenti de ses voisins n'avait aucune importance.

Les choses ne se sont pas améliorées à la fin de la première chanson. Je n'entendais que Oh wow! Oh wow! à ma droite jusqu'à ce Johanne Blouin (ou l'une de ses co-vedettes) mette fin aux applaudissements et lance un Bonsoir! au public. On s'attend à une réponse de la salle, mais le Bonsoir! de ma voisine a sûrement été entendu par les musiciens au fond de la scène...

Je comprenais maintenant ce qu'elle allait faire quand elle a dit avant le spectacle: On va chanter à souère... Je n'ai rien contre les gens qui chantent avec les artistes. Cela donne des moments très forts aux prestations des Cowboys fringants, et plusieurs chansons de Noël sont bien connues de l'ensemble du public. Mais j'ai devant moi d'excellents musiciens et des artistes de renom (Joe Bocan, Martine St-Clair, Luce Dufault, etc.) que j'entends rarement en personne et que je voudrais pouvoir apprécier sans me faire casser les oreilles par la personne qui occupe le siège voisin.

Je n'ai rien dit, j'ai enduré. Vers la fin, elle avait baissé le ton, sans doute parce qu'une personne ou deux lui avaient suggéré de freiner un peu ses ardeurs.  Reste qu'en sortant, mes plus vifs souvenirs de la soirée n'étaient pas la magie musicale de Noël sur scène, mais le colon irritable d'une parfaite inconnue, les Oh wow! interminables et les prestations bruyantes (mais sincères et enthousiastes) d'une voisine que j'espère ne plus jamais voir près de moi à la salle Odyssée.

Joyeux Noël à tous, toutes!


dimanche 18 décembre 2022

Ont-ils fait tout cela pour rien?

Photo Archives nationales du Québec, famille de l'Île d'Orléans, 1950

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Imaginez-vous adulte (entre 40 et 50 ans) en 1922... Un retour vers le passé... Un petit siècle...

Dans la famille fondée par vos parents, vous avez toutes les chances d'avoir sept ou huit frères et soeurs. Disons huit, pour les fins de mon calcul. À l'époque, votre fratrie aurait donné naissance à (je donne un chiffre arbitraire) à au moins cinq ou six enfants par couple, et ces derniers auraient eu des familles moins nombreuses. Disons trois enfants par famille. Savez-vous ce que cela donne comme total? Vos parents, dans leur vieil âge, auraient eu pas moins de 180 descendants!

Avance rapide à 2022...

Supposons que vous frisez la mi-quarantaine. Vous avez deux frères et soeurs. En supposant qu'ils aient fondé une famille, ils auraient sans doute eu en moyenne (comme vous) deux enfants par couple. Et au rythme actuel des choses, il n'y aura guère eu plus de 12 enfants dans la génération suivante. Ainsi quand vos parents seront octogénaires, le nombre de leurs descendants oscillera autour de 25...

Si vous mijotez ça pendant quelques heures, vous comprendrez parfaitement pourquoi il y a tant de vieux au Québec et pourquoi il y a une pénurie de plus en plus aigüe de main-d'oeuvre. Pas besoin de savants cours d'économie pour savoir que ceux et celles qui s'en viennent sont moins nombreux que ceux et celles qui s'en vont...

Alors comment on règle ça? Avec plus de naissances, comme les générations qui nous ont précédés? Non... Nous vivons désormais dans une société où créer la vie a moins d'importance que le bien-être socio-économique. On mobilisera davantage pour le droit à l'avortement et l'aide médicale à mourir que pour une politique de natalité.

Alors que fait-on quand on compte la relève et qu'il manque des milliers de naissances dont notre société aurait eu besoin mais qu'elle a découragées? On va chercher des immigrants qui ne connaissent pas nos us et coutumes, notre langue même, puis on se plaint qu'ils ne s'intègrent pas.

Mais s'intégrer à quoi? Autrefois, notre population en croissance continue aurait eu moins de difficulté à assimiler ces gens venus d'ailleurs. Maintenant la stagnation démographique (s'ajoutant à la subordination politique) nous met en constant péril, surtout dans les centres urbains où l'immigration se concentre.

Nous ne sommes même pas foutus de nous affirmer pleinement comme nation, de prendre les mesures nécessaires pour protéger notre identité collective et assurer la pérennité de notre langue et de notre culture. Un bon jour, nous serons minoritaires sur notre propre territoire...

Non, il ne s'agit pas de revenir au message de la revanche des berceaux que martelaient les curés en chaire. Mais peut-on au moins reconnaître que n'eut été de ces taux de natalité fort élevés, nous ne serions pas ici aujourd'hui pour discuter de nos options. Et que ces grandes familles d'autrefois avaient pour but, entre autres, d'assurer l'avenir de notre peuple sur ce continent? Qu'elles étaient la preuve indéniable d'une volonté collective d'exister?

Libre à vous de rire et de me traiter de vieux rétrograde quand je parle de faire plus d'enfants mais au rythme actuel du déficit de naissances nous commettons un suicide collectif. Avec une entière souveraineté politique, libérés des entraves imposées par Ottawa, nous pourrions mieux gérer cette situation. Pour le moment, à cet égard, l'horizon reste bien bouché.

Entre-temps, les chiffres sont implacables. D'ici quelques générations, nos descendants (de souche et métissés) ne seront même plus assez nombreux pour élire un parti indépendantiste.

Nos ancêtres auront défriché, labouré, bûché, bâti, prié et fait beaucoup, beaucoup d'enfants pour offrir à la nation québécoise d'aujourd'hui une fenêtre historique sur cette planète. Auront-ils fait tout cela pour rien? Allons-nous les remercier en laissant filer l'héritage?


vendredi 16 décembre 2022

Les Rhodésiens sont de retour...

Les Rhodésiens sont de retour... Désarçonnés par la Révolution tranquille et la montée du Parti québécois dans les années 1970, ils s'étaient terrés mais aujourd'hui, ces Anglo-Québécois qu'on appelle parfois angryphones sortent de leurs antres et voient autour d'eux un terreau fertile pour réduire une fois pour toutes cette irritante majorité francophone au silence... voire à l'inexistence.

Et cette fois, l'offensive viendra d'Ottawa où les messages officiels de sympathie à l'endroit du français sonnent de plus en plus faux. La population de langue française du Canada est en décroissance accélérée, oscillant autour de 20%. Les minorités francophones, sauf en Ontario et au Nouveau-Brunswick, ont été marginalisées. Même au Québec, et le dernier recensement fédéral en fait foi, le déclin crève les yeux!

D'ici une quinzaine ou une vingtaine d'années, les Anglo-Canadiens n'auront plus besoin de nos «collaborateurs» à Ottawa pour faire croire aux Québécois qu'ils ont un pouvoir décisionnel au fédéral. Ils les mettront à la poubelle comme de vieilles guenilles et abattront à coups de masse ce qui restera de l'édifice de la Loi 101 sous les yeux résignés ou indifférents d'une majorité de Franco-Québécois «bilinguisés»...

Des coups de semonce ont été tirés cette semaine au comité fédéral des langues officielles, qui étudie la plus récente mouture d'un loi sans dents et peu respectée, la Loi sur les langues officielles. La seule mention d'une protection accrue pour le français au Québec dans cette loi fédérale leur donne de l'urticaire. Mais face à la possibilité de modifier ce projet de loi pour répondre à des demandes québécoises issues de la Loi 96, ils sont prêts à sortir l'artillerie lourde.

Ce qui apparaît intéressant dans la comparution au comité de deux députés de circonscriptions anglo-québécoises, Marc Garneau (NDG-Westmount) et Anthony Housefather (Mont-Royal), ce n'est pas tant l'argumentaire linguistique que l'éventualité d'utiliser la puissance d'Ottawa pour mettre le Québec au pas en matière linguistique. Et des armes puissantes, le gouvernement fédéral en possède: la Charte de 1982 imposée au Québec après la nuit des longs couteaux, un pouvoir illimité de dépenser, sans oublier le contrôle de tous les tribunaux supérieurs du Québec et de l'ensemble du Canada... entre autres.

«Ce serait une grande erreur pour nous, en tant que députés fédéraux, dans un comité fédéral, examinant des lois fédérales, de laisser le champ libre au Québec pour faire tout ce qu'il pourrait vouloir faire en matière de langue au Québec», a déclaré le député de NDG-Westmount, Marc Garneau, un député auquel la majorité anglophone de cette circonscription fédérale peut faire confiance les yeux fermés. Le message est clair: au-delà du fait d'écarter les demandes québécoises de modifier la Loi sur les langues officielles, il ne faut pas laisser «le champ libre» au Québec «en matière de langue». Jusqu'où irait-il?

Le député Housefather, de Mont-Royal (ou devrait-on écrire Mount-Royal?), va dans le même sens. Qualifiant la très timide Loi 96 québécoise de «discriminatoire envers la minorité anglophone», et faisant état de mécontentement, de craintes et même de désespoir (???) au sein d'une population anglophone pourtant en pleine croissance, M. Housefather propose que la loi fédérale sur les langues officielles «prenne ses distances» de la loi québécoise plutôt que de s'en approcher. Pour lui, le gouvernement de la majorité anglo-canadienne doit se porter à le défense de sa protubérance québécoise. Ottawa en a le pouvoir et il y a fort à parier que son voeu sera exaucé.

L'ouverture envers «le français seule langue minoritaire» au Canada et la reconnaissance du déclin du français au Québec se sont évaporées dès que Mélanie Joly a été mutée aux Affaires extérieures. Les astres ne sont plus alignés en faveur des francophones québécois. L'Acadienne Ginette Petitpas Taylor qui pilote le dossier des langues officielles est beaucoup plus collée que Mme Joly aux positions défendues par les Anglo-Québécois, comme d'ailleurs le Commissaire aux langues officielles Raymond Théberge, un Franco-Manitobain. Encore une fois, le fédéral utilise contre le Québec des francophones minoritaires, tels des pions, sur son échiquier anglo-multiculturaliste.

Mais les carottes à la francophonie pan-canadienne dans le projet de loi C-13 (Loi sur les langues officielles) ne pourront pas cacher le gros bâton avec lequel on assommera ce qui reste de l'élan québécois du gouvernement Legault.  L'offensive est commencée, on ne préserve même plus les symboles. Une gouverneure générale qui ne connaît rien au français, une lieutenant-gouverneur unilingue anglaise au Nouveau-Brunswick, ce n'est que le début de l'avalanche. Il y a à Ottawa des Blaine Higgs dans tous les recoins, y compris au sein du gouvernement Trudeau. Et ils n'apprécient guère la fanfaronnade de François Legault et compagnie, qui lancent à coups de tire-pois des ébauches de laïcité et de français-langue-commune contre le béton anglo-multiculturel.

Le rouleau compresseur fédéral a fait le plein de carburant en 1982 avec la complicité des neuf provinces anglaises et des «collaborateurs» québécois habituels. Ottawa s'est débarrassé du droit de véto historique du Québec, a confié à «ses» juges - jusqu'à la Cour suprême - le droit de cisailler les soubresauts québécois, et inscrit dans la constitution qu'on nous impose la notion de multiculturalisme (synonyme de portez-tous-les-symboles-religieux-que-vous-voulez-à-condition-de-parler-anglais). Et pendant que les petites Lois 21 (laïcité) et 96 (français langue commune) foncent tout droit vers un mur judiciaire infranchissable, Trudeau et sa bande assèneront le coup de grâce à la langue française à coups de 100 000 immigrants ou plus par année au Québec.

La seule arme du gouvernement Legault, c'est la clause de dérogation prévue dans la Loi constitutionnelle de 1982, le fameux «nonobstant», qui permet aux provinces de passer outre à la plupart des articles de la Constitution quand il le faut. Que fera Québec si les juges fédéraux limitent l'accès à cette clause, ou charcutent les lois 21 et 96 comme ils l'ont fait pour la Loi 101 auparavant? Personne ne pose cette question à François Legault, et ce dernier n'a pas de réponse de toute façon. Il n'y avait que le projet d'indépendance, qu'il a écarté dès le départ. Et ça, les fédéraux le savent.

Les colères les plus récentes des Anglo-Québécois offrent à Ottawa le prétexte classique d'intervenir, de façon décisive. Voler au secours d'une soi-disant minorité soi-disant opprimée par une majorité qu'on qualifie de raciste et de xénophobe constitue la justification historique classique (qui ne s'est jamais appliquée au Canada quand les minorités francophones étaient persécutées par de vrais racistes, cependant). Et dans l'état actuel des choses, les chances de victoire du Québec s'amenuisent à tous les jours. Ce sera David (sans sa fronde) contre Goliath (armé d'un lance-missile). 

Ne savons-nous pas ce qu'il nous reste à faire?


mardi 13 décembre 2022

Moi mes souliers ont beaucoup... tapé!


Le Vent du Nord

«C'est une langue aux quatre vents, laissant des traces et des enfants   
Un peu de France, beaucoup de temps, notre Amérique aura vu grand.»        - Amériquois (Album 20 printemps, Le Vent du Nord)     

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À quelques mètres de la scène, les yeux rivés sur les violons, l'accordéon, la vielle à roue, et le tapage obsédant des pieds, je les voyais presque dans le brouillard à l'arrière-scène - coureurs des bois, explorateurs, colons, bûcherons, défricheurs, musiciens, patriotes, écrivains, poètes et clochers qui ont enfanté au fil des siècles notre petit peuple français métissé d'Amérique.

Si l'au-delà existe, je comprendrais que ces millions d'ancêtres tapant du pied veuillent s'accrocher à la charrette musicale du groupe Le Vent du Nord, qui garde vivantes nos traditions menacées, les transportant avec lui à travers le Québec - et autour la planète toute entière - avec la même énergie et fermeté que l'infatigable Pélagie d'Antonine Maillet. 

Dans un monde où les Spotifiy et autres plates-formes numériques nous servent un attrayant hachis au sein duquel les saveurs d'ici restent trop souvent dans l'ombre, où les radios y compris les nôtres font bien pire, le portail entre les nouvelles générations et les rythmes ancestraux se rétrécit. Pas parce que les jeunes n'aiment pas la musique traditionnelle. Plutôt, parce qu'ils ne l'entendent pas. Mais au fond d'eux-mêmes, ils la connaissent...

Promener Le Vent du Nord et d'autres comme eux dans les écoles secondaires et cégeps du Québec enflammerait des braises enfouies dans les tripes collectives depuis des centaines d'années. La musique reste un important chaînon de l'ADN québécois. À partir d'anciens airs de France garnis d'apports autochtones, irlandais, écossais et autres, enrichis d'un «tapage de pieds» qu'on ne trouve nulle part ailleurs sur la planète, nos innombrables auteurs-compositeurs-interprètes ont créé un répertoire original issu de l'âme populaire.

Dans les chansons à répondre, chants folkloriques et gigues, interprétés à l'aide de guimbardes, violons, accordéons, musiques à bouche, on peut sans doute déceler des influences d'un peu partout, mais il reste un élément qui soit exclusivement de chez nous, que l'on reconnaît, que l'on ressent même: le tapage de pied typique (aussi appelé podorythmie) qui accompagne la prestation de nos violoneux, accordéonistes et chanteurs en musique traditionnelle.

Dans son livre Les racines de la musique populaire québécoise (1990), Christian Côté opine: «Notre musique traditionnelle, contrairement à un préjugé largement répandu, n'est pas un sous-produit médiocre des musiques écossaise et irlandaise. Dès le 19e siècle, il s'est créé un style "canayen", caractérisé par un swing bien particulier, auquel le tapement des pieds n'est certainement pas étranger.» Et ce style serait relié «aux particularités rythmiques de la langue française».

Peut-être n'est-ce pas un hasard qu'un des premiers succès de Félix Leclerc soit Moi, mes souliers. Nos chaussures ont en effet beaucoup voyagé, du bassin du Saint-Laurent à travers le continent, arpenté les champs et marché dans nos villes et villages. Mais elles sont aussi devenues un instrument de musique, marquant la cadence dans nos veillées. Ce tapage de pieds que Le vent du Nord et semblables amplifie sur les scènes d'ici et d'ailleurs porte en lui le vécu de n’ose) ancêtres, leurs voyages, leurs labours, leurs chants, leurs petites rébellions, leurs joies et leurs peines. Il est imprégné dans nos mémoires corporelles.

J'entrais à peine dans l'adolescence quand j'ai entendu pour la première fois (fin années 1950) la chanson La parenté de Jacques Labrecque. Je demeurais en milieu urbain, à Ottawa par surcroit, et vivais intensément la révolution du rock and roll américain. Et pourtant, je réécoutais sans trop savoir pourquoi ce 45 tours, mon seul en français à cette époque. J'étais attiré par le rythme, par la podorythmie, par le tapement de pieds qui faisait office de batterie. Je ne crois pas aujourd'hui que c'était l'effet du hasard.

Devant le violoneux Olivier Demers au spectacle du Vent du Nord,  la semaine dernière, j'avais les oreilles et les yeux fixés sur le mouvement rythmique des pieds, bien plus que sur ses habiles acrobaties d'archet. J'y ai longuement réfléchi et je sais maintenant pourquoi. Il ne me reste qu'à apprendre à taper du pied. Mais à cet égard, je suis peut-être une cause désespérée.

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Voici un lien à une excellente vidéo sur le tapage de pieds québécois. https://www.youtube.com/watch?v=aD-JY8wl4Ys


mercredi 7 décembre 2022

Serment au roi... Expliquez-moi, quelqu'un...

Avez-vous lu le projet de loi 4 sur l'abolition de l'exigence du serment au roi pour siéger comme député à l'Assemblée nationale? Il est court. Très court. Le voici:

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Que faut-il en conclure?

1. Primo, qu'une loi de l'Assemblée nationale suffit pour rendre le serment au roi inopérant, et confirmer que seul le serment au peuple québécois est obligatoire.

2. Qu'on n'a donc pas besoin de négociations constitutionnelles avec le gouvernement fédéral et les autres États de la fédération pour tasser le serment au roi.

Par contre, en modifiant l'article 128 de l'AANB de 1867, ce minuscule texte législatif laisse entendre qu'une modification à l'article 128 (qui décrète l'obligation du serment au roi) était requise pour permettre aux députés du PQ de pouvoir siéger à l'Assemblée nationale.

Alors je pose à nouveau la question que je répète depuis déjà quelque temps: POURQUOI?

En 1968, le Québec a adopté un projet de loi abolissant le Conseil législatif et attribuant ses pouvoirs à la seule Assemblée nationale. Cette loi ne fait aucune mention de l'article 71 de la Loi constitutionnelle de 1867, qui décrète l'existence dudit Conseil législatif et qui n'a pas été abrogée.


On indique cependant, à la fin de l'AANB dans le site CanLII* qu'en vertu des dispositions de la Loi concernant le Conseil législatif (adoptée par Québec en 1968), ces articles sont périmés. 



Alors je reviens à ma question. Si la loi de 1968 abolissant le Conseil législatif (dont l'existence est prévue à l'article 71 et autres de la Loi constitutionnelle de 1867) ne dit pas que cet article 71 ne s'applique plus au Québec, pourquoi l'Assemblée nationale doit-elle le faire pour le serment au roi à l'article 128? La Loi sur l'Assemblée nationale de 1982 ne mentionne qu'un seul serment de fidélité au peuple et à la constitution québécoise. Et cela suffit...

Tant mieux si on le réaffirme avec le projet de loi 4. Mais c'était déjà réglé. On aurait dû laisser siéger les députés péquistes Paul St-Pierre Plamondon, Pascal Bérubé et Joël Arseneau.


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Si jamais l'abolition du serment au roi est contestée devant les tribunaux fédéraux, souvent hostiles au Québec, le débat sera intéressant. Le ministre Roberge dit son projet de loi assis sur des bases juridiques très solides, mais selon le Washington Post, le doyen adjoint de la faculté de droit de l'Université d'Ottawa, Pierre Thibault, est en désaccord. ll est très clair à ce sujet: «L'article 128 s'applique à toutes les provinces. Si nous voulons modifier l'article 128 de la (Loi constitutionnelle de 1867), il nous faut un amendement constitutionnel. Cela ne peut être fait unilatéralement par une province.»

lundi 5 décembre 2022

«Who are these people?»


Cet après-midi, je suis allé au bureau de poste logé au fond d'un Jean Coutu, sur le boulevard Maloney Est (la route 148) à Gatineau.

En sortant, j'ai jeté un coup d'oeil de l'autre côté de la rue, où se dressait jusqu'à récemment l'imposante enseigne de la librairie «Réflexion», une des seules bannières à jeter quelques rayons de culture française sur ce boulevard d'une laideur consommée.

Mais à Gatineau, fief des Tim Hortons et Dollarama, les adresses littéraires n'ont jamais été choyées, et c'est sans grande surprise que cette librairie du boulevard Maloney a fermé ses portes il y a quelques années. Il y avait certes là matière à réflexion...

Toujours est-il qu'en levant les yeux vers l'emplacement que je croyais toujours déserté, j'ai noté une nouvelle enseigne et ce n'était pas édifiant.  À la place des étagères de livres et magazines on trouve maintenant un centre de liquidation. Et comme si cela, en soi, n'était pas suffisamment déprimant, une grosse annonce illuminée dévoile le nouveau nom du commerce: Quick Pick.

Encore une fois, sous la barbe de l'Office québécois de langue française, une raison sociale unilingue anglaise remplace un nom français.  Une succursale d'une entreprise d'Ottawa, si je peux me fier au site Web unilingue anglais de l'entreprise... Ce qui me désespère, c'est que cette anglicisation des noms de commerce ne soulève à peu près aucune réaction au sein du public francophone et surtout pas chez les élus.

Le dernier recensement fédéral, celui de 2021, est un miroir chiffré de ce que l'on voit et entend dans les rues de la quatrième ville du Québec. Entre 2016 et 2021, le nombre de Gatinois qui ne parlent que l'anglais comme langue officielle a bondi de plus de 5000 ! Pendant ce temps, le nombre d'unilingues français a diminué de 3000. Faites le calcul, il est fort simple. Tous les indicateurs témoignent d'un déclin du français.

Et surtout ne demandez pas aux gens d'en devenir conscients, encore moins de s'inquiéter de l'avenir leur langue commune et officielle. Un petit nombre de francophones crie dans le désert. Même les médias constatent dans l'indifférence totale, attaquant même au passage ceux, comme le président d'Impératif français, Jean-Paul Perreault, montent aux barricades.

Arrive un anglophone dans un quartier? Trop souvent, les voisins francophones, la plupart du temps bilingues, lui parleront en anglais. L'habitude de vivre à genoux à l'ombre d'Ottawa. Quand un restaurateur de Gatineau qui ne parlait pas français a mis M. Perreault à la porte parce qu'il demandait à être servi en français, de nombreux clients francophones étaient assis tout autour. Se sont-ils portés à la défense de M. Perreault? Non, ils ont gardé le silence, en baissant la tête...

Les 5000 nouveaux unilingues anglais qui se sont établis à Gatineau depuis cinq ans sont sans doute concentrés dans certains quartiers riverains, mais d'autres sont éparpillés un peu partout, jusque dans l'est beaucoup plus francophone de la ville. Ils fréquenteront les commerces locaux en s'adressant en anglais comme s'ils étaient chez eux, sans même se poser de questions. Dans mon quartier, jusqu'à ces dernières années, je n'entendais jamais d'anglais dans les rues. Aujourd'hui, les choses changent... vite.

Il y a quelques jours, un couple avec deux enfants d'environ 8 à 10 ans marchait sur notre rue et s'approchait de chez moi. Je m'affairais dans l'entrée, près de l'auto et m'apprêtais à les saluer, comme on salue tout le monde, jusqu'à ce que le plus âgé des enfants lance à ses parents, en me regardant: Who are these people? Je n'ai pas entendu la réplique, mais je me suis tout à coup senti un peu étranger dans mon pays. La question était pertinente, cependant, et il est grand temps qu'on y réponde. Qui sommes-nous? Même, y a-t-il toujours un «nous»?

Clairement, à Gatineau, l'ambiance est à la liquidation...

samedi 3 décembre 2022

La Rotonde: la révolution des années 60

À gauche, La Rotonde en 1963; à droite, en 1967... Tout avait changé...

Le reportage récent sur le 90e anniversaire du journal étudiant La Rotonde de l'Université d'Ottawa, diffusé sur les pages Web du réseau ontarien ONFR+, a ravivé de vieux souvenirs. Le texte rappelle quelques jalons importants de l'histoire du journal grâce à la mémoire toujours fiable de l'archiviste et historien Michel Prévost, mais ne dit rien de l'ébullition des années 1960, la décennie qui a marqué un point tournant pour le journalisme étudiant d'ici.

Ce qu'il faut d'abord comprendre, et ça, le texte le passe sous silence, c'est que l'Université d'Ottawa était jusqu'à 1965 un établissement catholique dirigé de main plutôt ferme par les Oblats de Marie Immaculée. Ce n'était pas «le recteur» mais bien le «père recteur»... Et ce contrôle des religieux s'étendait au contenu de «La Rotonde», dont la marge de manoeuvre pouvait être fort limitée, comme le souligne M. Prévost, avec la censure d'un reportage spécial sur la visite de la Reine Elizabeth à l'automne de 1964.

Quand je suis officiellement arrivé sur le campus à titre d'étudiant universitaire en septembre 1963 (j'avais y déjà fait mon secondaire de 1959 à 1963)* , à la faculté des Sciences sociales, j'ai conservé le premier numéro de l'année de La Rotonde. La manchette annonce que le «père recteur» a modifié le nom de l'association étudiante, on voit en page une la photo de la reine de l'initiation (de la faculté des «sciences domestiques») et les deux pages centrales sont consacrées à un pèlerinage religieux, la Montée Saint-Benoit. Le rédacteur n'est pas un Oblat, mais il aurait bien pu l'être. «Le Christ est la route. Le Christ est ma route. Le Christ est la route de l'humanité», écrit-il. Il faut avoir été là, en temps réel, pour comprendre que ce genre de texte, à l'époque, ne faisait guère sourciller. Il était héritier d'une longue tradition.

J'ai aussi conservé le numéro du 20 octobre 1967 de La Rotonde pour montrer à quel point, en quatre années seulement, le milieu universitaire avait viré sens dessus dessous. Dans le bannière du journal en haut de la une, à côté de «La rotonde» on lit: «viva che!» et la page entière est occupée par l'immense photo classique de Che Guevara, dédiée à sa mémoire. «On ne tue pas une légende. Le Che ne pouvait donc pas mourir», écrit-on. On publie un texte sur un fonds d'entraide aux victimes de la guerre du Vietnam, et deux pages sur le départ fracassant de René Lévesque aux assises du Parti libéral du Québec. Deux reporters de La Rotonde, Paul Terrien et Henri Bradet, s'étaient rendus à Québec... Ce journal étudiant n'a vraiment rien à voir celui de 1963 ou 1964.

Pourquoi? Je n'ai fréquenté que la faculté des sciences sociales, où en 1963, l'immense majorité des étudiants étaient québécois et partisans de l'indépendance, notamment du RIN, parfois du FLQ. À cette époque, l'Université d'Ottawa élisait à chaque année un Parlement étudiant largement fondé sur les partis fédéraux traditionnels. J'avais 17 ans, j'étais franco-ontarien et - Dieu me pardonne - libéral. Quel ne fut pas mon choc de voir mes collègues québécois aux sciences sociales rejeter «en bloc» les vieux partis fédéraux pour fonder le «Front lumineux». Si on avait ajouté «du Québec» c'aurait été le FLQ... Le résultat au Parlement étudiant: Parti libéral 41, Front lumineux 31, et les autres des miettes. Les pères oblats savaient que leur mainmise achevait.

Le texte sur les 90 ans de La Rotonde ne le dit pas - personne n'est assez vieux pour s'en souvenir - mais la vie étudiante francophone de l'époque était très fortement marquée par la présence québécoise, souvent plus agitée et rebelle que les jeunes Franco-Ontariens. À cette dynamique de changement créée par la Révolution tranquille (et parfois pas tranquille) du Québec s'est ajoutée la révolution sociale et musicale déclenchée par les Beatles en 1964, l'engagement croissant de la jeune génération en faveur des droits des Noirs américains et contre la guerre au Vietnam, et aussi le départ officiel des Pères Oblats (sauf au poste de recteur) en 1965 avec la transformation de l'Université d'Ottawa en établissement laïc et public. Les vannes étaient tout à coup grandes ouvertes. La rectitude politique a pris le chemin de la poubelle. Y compris dans La Rotonde.

Quant à savoir si La Rotonde a été un pilier de la francophonie ontarienne et de la francophonie à l'Université d'Ottawa, je me souviens qu'à la fin des années 1960 il y a eu un fort mouvement au sein de la population étudiante franco-ontarienne en faveur de l'unilinguisme français à l'Université d'Ottawa. Et la Rotonde y a fait écho, largement. Mais dès le début des années 1970, les francophones ont perdu leur majorité à l'Université d'Ottawa et aujourd'hui, ne forment plus que 30% de la population étudiante. Tout cela s'est passé sous les yeux de La Rotonde, et je n'ai pas souvenir d'interventions fracassantes susceptibles d'ébranler les colonnes du temple. L'équipe actuelle en est rendue à oeuvrer pour ce qui reste de bilinguisme et se plaint que les institutions francophones sont en voie de disparition sur le campus...

La seule planche de salut pour les 13 000 francophones, québécois comme ontariens, qui y étudient serait que l'Université d'Ottawa crée un campus de langue française qui deviendrait le coeur d'une véritable «Université de l'Ontario français». Si La Rotonde s'engageait à fond de train dans une telle revendication, on ne sait jamais... Peut-être mon ancien journal étudiant réussira-t-il à fêter ses 100 ans...

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* L'Université d'Ottawa avait une école secondaire privée bilingue, l'École secondaire de l'Université d'Ottawa, située sur le campus et dont l'objectif avoué était de former des candidats (c'était une école de gars) susceptibles de s'inscrire à l'université après l'obtention de leur diplôme d'études secondaires. Ce fut mon parcours, de 1959 à 1963.


vendredi 2 décembre 2022

Laissez-les entrer! Tout de suite!



L'affaire du serment d'allégeance pour les députés se simplifie de jour en jour. Quand il est question, comme on l'a cru au début, d'obligations constitutionnelles découlant de l'AANB de 1867, d'amendements à ces soi-disant obligations, et d'éventuels projets de loi, tout devient compliqué. Les juristes ne s'entendent pas et la collectivité journalistique, trop souvent rétive devant des tas d'arides textes constitutionnels et législatifs, nous a proposé un méli-mélo d'information qu'on peine à déchiffrer.

S'il y a une chose que j'ai apprise après un demi-siècle de journalisme, c'est de se méfier des experts juridiques. Ils ont fréquemment raison mais parfois, ils ont tort. Je ne suis ni avocat ni professeur de droit mais je sais lire et je crois pouvoir comprendre ce que je lis. Et une fois que je trouve une réponse fondée sur une recherche que j'espère solide, je n'ai pas peur de l'exprimer publiquement. Et si je me trompe? Tant pis. J'aurai appris de l'exercice.

Cette fois, devant le refus des trois députés péquistes de jurer fidélité au roi Charles III, et constatant le caractère approximatif des reportages dans la presse écrite et électronique, je suis allé aux sources. Et soudainement, tout m'apparaissait très clair. J'en ai tiré le raisonnement suivant, que j'estimais relever du gros bon sens:

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1. Charles III est le roi du Québec.

2. Le lien entre Charles III et le Québec est direct. Il ne fait pas de détour par Ottawa.

3. Le Québec est seul maître de sa constitution.

4. Son rapport avec le roi Charles III relève de sa constitution.

5. La Loi sur l'Assemblée nationale prescrit un seul serment de fidélité, au peuple québécois.

6. Le serment de fidélité au roi prescrit dans l'AANB de 1867 contredit le serment de fidélité au peuple dans la loi québécoise.

7. Le Québec, étant constitutionnellement maître de ses rapports avec son roi, a le droit de rédiger son propre serment d'allégeance. Ce qu'il a déjà fait en 1982.

8. Ce serment québécois, prescrit dans la Loi sur l'Assemblée nationale, rend donc inopérant le serment de l'AANB.

9. Les députés qui jurent fidélité au roi après avoir juré fidélité au peuple violent donc l'esprit et la lettre de la Loi sur l'Assemblée nationale.

Échec et mat.

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Pour ceux et celles qui n'ont pas déjà quitté ce texte de blogue, je reprends ici le cheminement depuis l'annonce, le 1er novembre, de la décision du président sortant de l'Assemblée nationale, François Paradis de confirmer l'obligation «constitutionnelle» du serment au roi Charles III pour pouvoir occuper son fauteuil de député.

Un reportage de TVA Nouvelles citait la décision de M. Paradis: «Dans ce contexte, la présidence n’a pas le pouvoir de dispenser un député d’une obligation constitutionnelle et elle ne peut juger recevable une motion qui permettrait de passer outre à cette obligation». Cette soi-disant obligation est contenue dans l'Acte de l'Amérique du Nord britannique (AANB), aussi appelé Loi constitutionnelle de 1867, et n'a jamais été modifiée.

Ce que personne ne mentionne, c'est que la portée de l'AANB pour ce qui concerne les constitutions des provinces a été considérablement modifiée par le Comité judiciaire du Conseil privé de Grande-Bretagne (ancêtre de la Cour suprême fédérale) durant le premier demi-siècle de la Confédération. Et il avait été clairement établi que tout ce qui touche la constitution du Québec était à l'abri des interventions d'Ottawa, et qu'ainsi le rapport entre Québec et le roi ou la reine était direct. Pas de détour par Ottawa ou son gouverneur général...

Ainsi, les rapports entre Québec et son monarque, Charles III en l'occurence, relèvent de la constitution québécoise. Comme, jadis, l'existence ou pas du Conseil législatif (l'ancien Sénat du Québec), toujours présent dans l'AANB mais aboli en 1968 par simple projet de loi du Québec, sans nécessité d'amendement constitutionnel. Depuis ce temps, l'Assemblée nationale (qui remplace l'appellation «assemblée législative» dans l'AANB) exerce tous les pouvoirs octroyés jadis par la Grande-Bretagne et les Pères de la Confédération au Conseil législatif.

Je ne comprends pas pourquoi François Paradis, sans doute épaulé par des avocats en droit constitutionnel, a mis de l'avant la possibilité de la nécessité d'un amendement constitutionnel, devenu quasi impossible depuis la Charte imposée de 1982. La nouvelle présidente de l'Assemblée nationale, Nathalie Roy, semble avoir repris l'argument de son prédécesseur avec un bémol: «Pour atteindre ce but (liquider le serment au roi), dans l'hypothèse où une modification constitutionnelle complexe ne serait pas requise, il faudrait au minimum une loi du Parlement québécois qui modifierait en ce qui regarde le Québec l'article 128 de la Loi constitutionnelle de 1867.»

Sans abandonner la possible nécessité d'un amendement constitutionnel, elle ouvre la porte à l'adoption d'une simple loi du Québec qui modifierait la portée de l'AANB, un peu à la sauce «Loi 96» qui a inséré dans la Loi constitutionnelle de 1867 la mention du français comme langue commune et officielle du Québec. Le premier ministre Legault semble avoir passé le premier élément à la guillotine. En annonçant un projet de loi pour rendre facultatif l'allégeance à Charles III, il a clairement écarté l'éventualité d'un amendement constitutionnel. Cela ne concerne que le Québec et sa propre constitution.

Ça règle, dans mon raisonnement, les articles 1 à 4 (voir ci-haut).

Arrivera donc un projet de loi. La question que je pose se résume en un mot: pourquoi? Si un projet de loi suffit pour annuler le serment au roi, il existe déjà. Il s'appelle Loi sur l'Assemblée nationale et a été adopté en 1982. Dans ce projet de loi, il est stipulé à l'article 15 et l'Annexe 1 que pour siéger, un député doit jurer fidélité au peuple québécois et à la constitution du Québec. Rien d'autre. On n'évoque pas le serment exigé par l'AANB, de la même façon qu'aucune mention n'était faite de l'AANB dans le projet de loi sur l'abolition du Conseil législatif et de la création de l'Assemblée nationale. Ce n'était pas nécessaire. Québec ne faisait qu'occuper un champ de compétence qui lui revenait en exclusivité. Toute disposition de la Loi constitutionnelle de 1867 à cet égard devenait inopérante sans même qu'on modifie le texte de 1867.

C'est ce Québec a fait en 1982 avec l'adoption de la Loi sur l'Assemblée nationale. Le serment unique que cette loi contient ne fait pas que rendre optionnel le serment de 1867 au roi. Il l'élimine. La loi québécoise impose un serment d'allégeance au peuple québécois. L'ancien serment, en affirmant la fidélité à un monarque de droit divin, chef religieux par surcroit, est contraire à l'affirmation de la primauté du peuple québécois. Il la contredit, de fait. Je ne suis pas avocat, ni constitutionnalisée, mais il me semble qu'on ne peut, du même souffle, jurer fidélité à une loi et à son contraire. Jurer fidélité au roi, c'est trahir le serment de fidélité au peuple. N'est-ce pas?

Ce que dit la Loi sur l'Assemblée nationale de 1982


Reste ma dernière question: que contiendra ce nouveau projet de loi? Que pour siéger, il n'y a que l'obligation de 1982 du serment d'allégeance au peuple et à la constitution du Québec contenu dans la Loi sur l'Assemblée nationale? Mais c'est ce que dit déjà la Loi sur l'Assemblée nationale. Le dire une seconde fois, c'est mieux? Peut-être ajoutera-t-on que l'on n'est plus lié par le serment au roi de l'AANB. Pourquoi? On n'a pas écrit dans la loi, en abolissant le Conseil législatif en 1968, que le Québec n'était plus lié par les dispositions de l'AANB (la Loi constitutionnelle de 1867). L'adoption de la loi québécoise suffisait. Comme celle de 1982 suffisait pour le serment d'allégeance au peuple québécois.

En ce qui me concerne, l'affaire est déjà réglée depuis longtemps. Depuis 1982. On n'a pas besoin de modifier la constitution. On n'a pas besoin d'un projet de loi. La présidente de l'Assemblée nationale n'avait pas le droit d'interdire aux députés du Parti québécois l'accès au Salon bleu. Ils s'étaient conformés aux exigences de la loi existante. Exigences qu'on ne fera que réitérer dans un nouveau projet de loi. Inutilement.

Laissez-les entrer! Toute de suite! Avec des excuses!


lundi 28 novembre 2022

Serment d'allégeance... Les 122 autres députés seraient-ils dans l'illégalité?

Dans le dernier droit avant les élections du 3 octobre, le Parti québécois avait le vent dans le seul voile qui lui restait après une décennie de quasi-naufrages. Confronté à un déclin du français qui menace l'existence même de la nation québécoise, le PQ sous Paul St-Pierre Plamondon avait donné le coup de barre qui s'imposait et remis le cap droit sur l'indépendance.

Plus de 600 000 Québécois ont confirmé avec leur bulletin de vote leur adhésion à un engagement sincère, sans compromis. Finies les demi-solutions, finis les faux-fuyants. Un vague projet de souveraineté, ça ne passe plus. Le Parti québécois doit s'imposer comme porte-voix d'un peuple qui se voit déjà souverain. Et agir en conséquence.

En refusant de jurer fidélité au roi Charles III, les députés du PQ ont affirmé la primauté de la loi québécoise, qui exige des élus une seule allégeance - au peuple québécois. Le Québec a toujours été seul maître de ses rapports directs avec la monarchie britannique et, avec sa Loi sur l'Assemblée nationale de 1982, a effectivement rendu inopérant le serment de fidélité au roi prescrit dans l'AANB de 1867*.

Ainsi Paul St-Pierre Plamondon, Pascal Bérubé et Joël Arseneau n'ont pas seulement le droit de répudier le serment à Charles III, ils en ont le devoir en vertu de la Loi sur l'Assemblée nationale**. Jurer fidélité à un monarque de droit divin, chef religieux par surcroit, constitue une négation de l'allégeance au peuple et du caractère laïc de l'État. Et si c'étaient les 122 autres députés qui étaient dans l'illégalité pour ne pas avoir respecté l'article 15 de la Loi sur l'Assemblée nationale?***

Peu importe le dénouement de l'affaire du serment, le PQ n'aura pas la vie facile à l'Assemblée nationale. Le régime électoral étant ce qu'il est, seulement trois députés du Parti québécois ont été élus. Tout le monde connaissait les règles du jeu. Maintenant il faut vivre avec.  Les trois députés du PQ ont obtenu ce qu'ils pouvaient, tenant compte du fait qu'ils étaient à la merci des autres partis et que tous, sans exception, voudraient bien rayer le seul parti indépendantiste de la carte.

Inutile de continuer à s'en plaindre. Le PQ est condamné - comme il l'a été dans les années 1970 - à agir à l'extérieur du Parlement. Mais c'est un terreau fertile pour l'action, foisonnant de médias de tous genres, y compris les réseaux sociaux. Des images de députés dûment élus, s'étant dûment conformés à la Loi sur l'Assemblée nationale, éconduits par le service de sécurité en essayant d'occuper leur siège sans s'agenouiller devant Charles III feraient le tour du pays. Le faire huit jours d'affilée à partir du 29 novembre attirerait l'attention du monde entier.

Lancer une campagne de financement pour compléter le personnel du Parti québécois à l'Assemblée nationale constitue une excellente idée. Les membres doivent rester mobilisés, vu l'urgence de la situation, et  s'engager dès maintenant sur le terrain. La campagne électorale 2026 est déjà en cours et s'il veut mettre le Québec sur la voie de l'indépendance, le Parti québécois n'a plus de journée à perdre. Si on ne sort pas bientôt le Québec francophone de sa torpeur, il sera trop tard. Les données du plus récent recensement sont implacables.

Quoiqu'il advienne, que notre peuple ait un avenir... ou pas, la lutte pour un Québec indépendant, français et laïc mérite d'avoir comme porte-étendard une formation politique prête à se retrousser les manches en vue d'un affrontement qui aura été, en cas d'échec, notre ultime combat comme peuple. Il ne faut surtout pas que 400 ans d'histoire nationale se terminent sur une page blanche... 

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* Voir «M. Paradis, je m'estime trahi...» à https://lettresdufront1.blogspot.com/2022/11/m-paradis-je-mestime-trahi.html

** Voir «Tenez bon, M. Plamondon» à https://lettresdufront1.blogspot.com/2022/10/tenez-bon-m-plamondon.html

*** Voir le texte de la Loi sur l'Assemblée nationale à https://www.legisquebec.gouv.qc.ca/fr/document/lc/A-23.1

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122 députés dans l'illégalité?

Mon raisonnement est simple et relève du gros bon sens.

1. Charles II est le roi du Québec.

2. Le lien entre Charles III et le Québec est direct. Il ne fait pas de détour par Ottawa.

3. Le Québec est seul maître de sa constitution.

4. Son rapport avec le roi Charles III relève de sa constitution.

5. La Loi sur l'Assemblée nationale prescrit un seul serment de fidélité, au peuple québécois.

6. Le serment de fidélité au roi prescrit dans l'AANB de 1867 contredit le serment de fidélité au peuple dans la loi québécoise.

7. Le Québec, étant constitutionnellement maître de ses rapports avec son roi, a le droit de rédiger son propre serment d'allégeance. Ce qu'il a fait en 1982.

8. Ce serment québécois rend donc inopérant le serment de l'AANB.

9. Les députés qui jurent fidélité au roi après avoir juré fidélité au peuple violent l'esprit et la lettre de la Loi sur l'Assemblée nationale.

Échec et mat.