samedi 30 novembre 2019

Les dés sont pipés, Monsieur Legault.

photo La Presse

Les adversaires de la Loi 21 sur la laïcité de l'État québécois n'ont pas tardé à recourir aux tribunaux, et la férocité de leurs tirades publiques donne à croire qu'ils estiment leur victoire assurée aux plus hautes instances judiciaires. Cela ne me surprendrait pas qu'ils aient raison et qu'en bout de ligne, la Cour suprême juge cette loi en violation du droit constitutionnel canadien.

Pour le moment, une demande d'injonction mijote à la Cour d'appel du Québec, qui doit décider si l'application de la Loi 21 doit être suspendue jusqu'à ce que la plus haute cour du pays ait statué sur le fond de l'affaire.

Le plus important, pour le gouvernement québécois, n'est pas de savoir s'il gagnera ou perdra son combat en faveur d'une laïcité somme toute fort limitée. Le problème de fond, ce sont les tribunaux supérieurs eux-mêmes, qui n'ont aucune légitimité pour agir comme arbitres suprêmes d'un litige opposant le Québec à l'ordre constitutionnel fédéral.

Ces juges sont tous nommés par le gouvernement canadien, ce gouvernement même qui a imposé au Québec sans son accord la Charte constitutionnelle de 1982, celle qu'on invoque aujourd'hui pour contrer le projet de laïcité, et qu'on a utilisé par le passé pour charcuter la Loi 101. Les tribunaux supérieurs du Canada sont en conflit d'intérêt direct chaque fois qu'ils doivent arbitrer un litige juridique où l'instance fédérale se trouve directement ou indirectement impliquée.

Les dés sont pipés et le gouvernement Legault, pour faire contrepoids, doit dès maintenant affirmer publiquement l'injustice d'un tribunal dont les magistrats sont choisis exclusivement par l'adversaire. Il est vrai que l'annonce de l'utilisation de la clause dérogatoire en cas de défaite judiciaire rétablit un peu l'équilibre, mais qu'arrive-t-il si la Cour d'appel accorde l'injonction aux intégristes religieux qui contestent la Loi 21?

Québec sera-t-il obligé de plier et de suspendre pour un an ou deux une décision fondamentale pour l'avenir de la société québécoise simplement parce que le bras judiciaire du multiculturalisme constitutionnalisé de la majorité anglo-canadienne nous l'ordonne? Un gouvernement québécois qui se respecte ne peut accepter que le reste du pays lui dicte sa phobie de la laïcité de l'État.

Ces jours-ci, l'offensive est généralisée, hors Québec. L'Alberta, la Saskatchewan, l'Ontario, le Manitoba, des conseils municipaux, notamment Toronto et Calgary, sans oublier l'hystérie médiatique du Canada anglais, tous tirent à boulets rouges contre un projet qu'ils jugent comme une incarnation du racisme et de la xénophobie. À Ottawa, on doit jubiler.

Si notre existence comme nation doit continuer d'avoir un sens, le temps est venu de modifier des règles du jeu qui mettent tous les atouts entre les mains de législatures et de tribunaux qui nous sont trop souvent hostiles et sur lesquels nous, comme Québécois, n'avons aucune autorité.

La laïcité est un combat noble mené depuis des centaines d'années partout dans le monde. Nous l'avons fait nôtre, du moins en principe. Ce choix appartient au Québec comme société, comme nation, et n'a pas à être soumis au tribunal d'une majorité anglophone qui ne partage pas certaines de nos valeurs et qui brandit une supériorité morale frisant le racisme.

Monsieur Legault, le temps est venu de dire aux autorités du régime fédéral canadien que nous n'accepterons plus les règles du jeu imposées en 1982, et que le Canada n'a plus le droit - judiciairement ou politiquement - d'utiliser un pouvoir arbitraire pour dicter à la nation québécoise des orientations de société qu'elle rejette.

Et même si, par miracle, les tribunaux ne cassaient pas la Loi 21, le problème de fond reste le même. Ce n'est que partie remise...



jeudi 28 novembre 2019

«Debout, on voit mieux l'avenir!»

J'ai reçu l'autre jour ce courriel de Jean Poirier, ancien député de Prescott-Russell (Est ontarien) à l'Assemblée législative ontarienne. Au lendemain de la prise de position unanime des députés ontariens contre la Loi 21, il faisait entendre une voix discordante qui, malheureusement, ne semble avoir été reprise par aucun média, même pas Radio-Canada ou Le Droit. Je le reproduis sur mon blogue pour montrer aux Québécois qu'il existe toujours, chez les Franco-Ontariens, des braves prêts à défendre la majorité québécoise contre des attaques injustifiées.

Voici donc ce texte de Jean Poirier, que j'aime appeler «Jean du pays» et qui vit dans le village d'Alfred, entre Ottawa et Hawkesbury:



«Debout, on voit mieux l'avenir!»

Comme ça les “braves” élu.e.s de l’Assemblée législative de l’Ontario ont adopté à l’unanimité une résolution proposée par le Nouveau parti démocratique (Opposition officielle au gouvernement) contre la Loi 21 du Québec, portant sur la laïcité de l’État.  Et nous voilà avec une autre résolution en ce sens.

De toute évidence, nos pauvres collègues anglophones du Canada sont toujours incapables de comprendre l’essentielle différence culturelle Anglo-Franco!  Ou bien, ce que je soupçonne dans bien des cas, c’est plutôt le refus de vouloir comprendre, l’aveuglement volontaire.  Il n’y a rien de pire.

Pourtant ce n’est pas compliqué à comprendre :  pour assurer leur avenir, les francophones doivent veiller à leurs droits collectifs, tandis que les anglos préfèrent promouvoir les droits individuels, quitte à pratiquer un politiquement correct parfois des plus ridicules.

La Loi 21 n’a rien de raciste, xénophobe ou quoi d’autre.  Simplement d’assurer la laïcité de l’État et empêcher toute forme d’intégrisme de s’infiltrer dans la vie publique.

Cette résolution fut adoptée hier à l’unanimité.  Quel aveuglement volontaire massif de ceux et celles sensés capables de comprendre les dossiers avant de voter.  Ça fait peur pour les autres dossiers d’envergure.

De toute évidence, si j’étais toujours un élu à Queen’s Park, je n’aurais jamais pu voter en faveur de ce genre de résolution, au nom de la solidarité inter-franco.  J’aurais donc été l’empêcheur d’obtenir l’unanimité au sein de cette assemblée.  Je peux m'imaginer le tollé, le ressac, la condamnation de tous ceux et celles qui auraient été sous l’effet du choc de mon vote.  Un vote qu’ils auraient sûrement perçu comme anti-Canadian.  Tant pis.  Aucun sommeil de perdu. Les valeurs ne se bradent pas.  Ce n’est pas le Vendredi fou des soldes de valeurs!!!

“Debout, on voit mieux l’avenir.”

Jean POIRIER

Alfred Ontario 

Ancien député franco-ontarien, vice-président, Assemblée législative de l’Ontario
Ancien Chargé de mission, région des Amériques, Assemblée parlementaire de la Francophonie (APF)
Ancien et premier président, Section du Parlement de l’Ontario, Assemblée parlementaire de la Francophonie
Ancien président, Assemblée de la francophonie de l’Ontario (anc. ACFO).
Commandeur, Ordre de la Pléiade, Assemblée parlementaire de la Francophonie
Officier, Ordre National du Mérite de France
Médaille d’honneur, Sénat de la République française
Membre, Ordre des Francophones d’Amérique
Prix Séraphin-Marion et Médaille Bene Merenti de Patria, Société Saint-Jean-Baptiste de Montréal
Prix Lyse-Daniels, Impératif français, Québec

samedi 23 novembre 2019

Les barbarismes franglais...


Le slogan «C'est business d'être bilingual» comptera parmi les champions des barbarismes franglais pondus par des groupes de la francophonie d'ici et d'ailleurs. Ce «p'tit dernier» peut être attribué à l'Association des communautés francophones d'Ottawa (ACFO), qui a adopté cette expression tordue comme moyen de participer aux efforts du mouvement «Ottawa bilingue»...

Si encore c'était un geste de torture linguistique isolé, on pourrait pardonner un écart, même grave... mais non, cette manie de «frangliser» des publicités semble devenir endémique.

Plus tôt cette année, en avril 2019, l'Assemblée de la francophonie de l'Ontario (AFO) invitait trois députés fédéraux de langue française à son déjeuner annuel, qu'elle a baptisé «French-ment bon»!!! Pourquoi une telle appellation? Pour les anglophones qu'elle invite peut-être, à l'occasion, au «Déjeuner-rencontre avec l'Ontario français / Eat & Greet with French Ontario»? Seul un francophone comprendra ce jeu de mots...


Il y a deux ans, en 2017, c'était au tour des Acadiens de la région de Dieppe-Moncton de nous servir du franglais sous prétexte que cela correspond au patois local, le chiac... En effet, on avait choisi le slogan «Right fiers!» pour les Jeux de la francophonie canadienne!!! Oui, vous avez bien lu: les jeux de la «francophonie» canadienne... et un des deux mots du slogan est anglais...


Au début de la décennie, en 2011, l'AFO lançait une campagne pour inciter les jeunes Ontariens francophones à aller voter au scrutin fédéral. Je ne sais pas qui a eu cette idée moins que brillante, mais on a choisi comme mot-d'ordre «Je frenche mon vote»...


J'était éditorialiste au quotidien Le Droit à cette époque et j'avais commenté ainsi l'initiative franco-ontarienne: «Le slogan "Je frenche mon vote" est une horreur linguistique. Il n'a aucun sens, ni en français, ni en anglais. Il dévalorise les jeunes Franco-Ontariens et sa notoriété ne tient qu'à l'emploi d'un mot anglais que certains pourraient trouver risqué ou osé, mais qui ne l'est pas.»

Au-delà d'un manque de respect élémentaire pour la langue française, ces expressions témoignent d'un relent d'esprit de colonisé et d'un effritement identitaire sournois qui touche à divers degrés les multiples éléments de la francophonie canadienne et québécoise, assaillie quotidiennement dans une Amérique du Nord massivement anglophone.

On peut au moins se consoler que trois des slogans (French-ment bon!, Je frenche mon vote et Right fiers!) mettent l'accent - maladroitement - sur la protection de la langue française. Le plus récent, C'est business d'être bilingual, est beaucoup plus insidieux. Proposer le bilinguisme comme objectif, c'est faire la promotion des deux langues - du français, mais aussi de l'anglais. Et Dieu, s'il existe, sait que l'anglais n'a besoin d'aucun coup de pouce à Ottawa...

Tous, toutes savent que les services en français laissent à désirer dans la grande majorité des commerces à Ottawa. Alors pourquoi ne pas l'exprimer clairement, au lieu de se draper dans un brouillard de bilingualism? Pourquoi ne pas dire sans détour aux anglos de la capitale que dans une région (Gatineau et Ottawa) où plus du tiers des résidents sont francophones, bien servir cette clientèle dans sa langue peut être payant! Mieux ça que de leur servir une expression indigeste en anglais et indécente en français...

À ceux et celles qui rétorqueront que tous comprennent le sens de l'intervention, qu'elle constitue un appui clair au français, je répondrai qu'on a qu'à rouler 200 km sur la 417 et la 40 jusqu'à Montréal pour découvrir que «c'est business d'être bilingual» constitue l'argument de routine que nous servent les Charest, Couillard et compagnie depuis des décennies pour amener tous les jeunes Québécois à apprendre l'anglais...


Au rythme où vont les choses, on en sera bientôt au niveau d'anglomanie qui sévit dans plusieurs milieux en France. Il suffit, par exemple, de penser au slogan unilingue anglais (Made for sharing) des Jeux olympiques de Paris en 2024... Nos cousins français sont cependant moins à risque que nous de connaître l'effritement identitaire fatal qu'entraînera le bilinguisme collectif dans notre petite enclave nord-américaine...

Ici, les slogans «bilingues» sont le symptôme d'un mal beaucoup plus profond... Le plus souvent ils ne sont ni drôles, ni ingénieux, ni même efficaces... Quand je pense aux efforts consentis par les générations précédentes, depuis deux siècles et demie, pour nous offrir la chance de créer enfin un environnement de langue française en Amérique septentrionale, j'ai de la difficulté à réprimer la colère et la honte...