samedi 31 décembre 2016

Commémorer pour une réflexion féconde

En ce 31 décembre 2016, à la veille d'une année où on nous inondera de propagande cent-cinquantenaire, je relance ce texte déjà publié sur mon blogue, en espérant qu'un regard renouvelé sur notre histoire - avant et depuis la Confédération - fera de 2017 une année de réflexion féconde sur notre avenir comme peuple francophone d'Amérique.
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En 1845, quelques années après l'échec des Patriotes de 1837-1838 et l'imposition de l'Acte d'Union de 1840 qui enlevait à la langue française tout statut officiel, notre premier grand historien national, François-Xavier Garneau, écrivait dans le 1er tome de son Histoire du Canada depuis sa découverte jusqu'à nos jours: «Quoiqu'on fasse, la destruction d'un peuple n'est pas chose aussi facile qu'on pourrait se l'imaginer.»

Nous n'étions que 60 000 quand la Nouvelle-France a été cédée à la Grande-Bretagne après la défaite des Plaines d'Abraham en 1759. Entre la domination britannique et l'expansion anglo-américaine, nos chances de survie étaient fort limitées. Le grand sociologue et philosophe Alexis de Tocqueville, qui a visité la vallée du Saint-Laurent en 1831, écrivait à l'automne de la même année: «Il n'y a pas six mois, je croyais, comme tout le monde, que le Canada était devenu complètement anglais.»

Et le voilà tout à coup devant une nation francophone en devenir (et en péril) de 600 000 habitants. Il note dans sa correspondance: «Je ne puis vous exprimer quel plaisir nous avons éprouvé à nous retrouver au milieu de cette population. Nous nous sentions comme chez nous. (…) Nous avons retrouvé là, surtout dans les villages éloignés des villes, les anciennes habitudes, les anciennes moeurs françaises… autour d'une église, surmontée du coq et de la croix fleurdelisée…»

Curieux, unique, notre petit peuple poursuivait au 19e siècle son exploration du continent nord-américain dans les «pays d'en haut» et les Prairies en amitié et métissage avec les Amérindiens, mais son coeur restait solidement ancré dans le bassin fertile du fleuve Saint-Laurent. Langue française, foi catholique et natalité hors du commun ont formé pendant longtemps un bouclier contre l'assimilation... et un tremplin vers un avenir toujours incertain.

La répression d'abord militaire, puis politique et religieuse, n'a jamais complètement refroidi les braises d'un esprit rebelle et libre qui couvent depuis deux siècles. Contre les autorités de l'État et de l'Église, nous avons été à l'occasion désobéissants - rébellion de 1837-38, révolte des Métis, conflits scolaires, crises de la conscription, etc. Défiant une morale étouffante imposée par le clergé, nos aïeux - tout en allant tous les dimanches à la messe - continuaient de danser, de prendre un p'tit coup et de donner à leurs enfants des noms proscrits comme Émile et Napoléon…

Durant le premier siècle de la Confédération, toutes les provinces à majorité anglaise ont aboli les droits scolaires des collectivités francophones… L'objectif était clair: limiter l'usage du français à la seule «réserve» du Québec en espérant que même là, avec l'accroissement de la population de langue anglaise et la main-mise de cette dernière sur les leviers de l'économie et de l'immigration, la majorité francophone finirait un jour par s'effriter...

Ça n'a pas donné les résultats escomptés et en cette fin de 2016, la nation demeure - envers et contre tous, y compris le gouvernement Couillard - essentiellement francophone. Mais la structure se lézarde, l'érosion gruge les fondations et les avant-postes tombent, un à un, dans le vide de l'indifférence. Avons-nous survécu à tant de combats, depuis deux siècles, que pour redevenir à la toute fin, comme le craignait le poète Paul Chamberland, «une page blanche de l'histoire»?

Les puissances qui auraient voulu notre anéantissement culturel se sont butées à la résistance des patriotes de 1837, à toutes ces familles de dix enfants à table, à ces colons qui s'entêtaient à défricher des terres de roche, à ces explorateurs qui partaient à la découverte des pays d'en haut et d'ailleurs, à ces auteurs et compositeurs qui signaient en mots et en musique notre existence, à ces institutrices et instituteurs qui enseignaient le français en cachette dans les provinces de persécution, à ces ouvriers et ouvrières qui ont levé la tête contre la répression, à ces générations successives d'étudiants et d'étudiantes qui nous relancent, à tous ces projets d'espoir de naissance d'un pays à notre image…

Que ferons-nous aujourd'hui, au Québec, de ce précieux héritage? La réponse à cette question m'inquiète. Heureusement, comme le disait Garneau, «la destruction d'un peuple n'est pas chose aussi facile qu'on pourrait se l'imaginer»...

mercredi 28 décembre 2016

Un miracle de Noël?

Depuis deux jours le mal s'aggravait et à l'heure du midi, le jour de Noël, mon genou droit était irrité et enflé au point où il m'était impossible de marcher… Je savais ce qui m'attendait… une visite à l'urgence, à Gatineau, dont on dit dans certains médias qu'il s'agit des pires urgences du monde occidental…

J'ai attendu encore quelques heures, espérant l'impossible guérison miraculeuse… sachant que mon séjour à l'urgence - sans doute d'au moins 24 heures - me ferait manquer le souper familial de Noël de la famille Allard, où seraient également présents mon frère, mes soeurs et leur famille, ainsi que ma mère de 92 ans…

Dans les moments qui ont précédé mon départ pour l'hôpital de Hull (où sont les orthopédistes), et en route avec un de mes gendres, Nicolas Gagnon, on se prend inévitablement à rêver au scénario idéal…

…une salle d'attente complètement vide… pas un chat en vue…

…un appel immédiat au triage… où l'on vous annonce que deux médecins sont en devoir et que l'attente est minimale...

…un enregistrement sans pépin et un passage instantané à une salle d'examen…

…l'arrivée rapide d'un médecin qui pose un diagnostic et commande sur-le-champ les procédures pour le confirmer…

…la présence d'une infirmière patiente et efficace qui sait manoeuvrer sa prise de sang dans le dédale de mes veines fuyantes et peu collaborantes… 

…un technicien disponible pour les radiographies qui seront requises…

…une échographie dans les minutes qui précédent ou qui suivent pour mieux voir ce qui immobilise mon genou…

… une analyse accélérée des résultats de la prise de sang, des radiographies et de l'échographie pour une décision sur la marche à suivre…

…et, enfin, si une ponction s'impose pour retirer le liquide inflammatoire qui me fait souffrir, une intervention immédiate!

Finies les rêveries… Je suis arrivé à l'urgence à 15 h 45 en fauteuil roulant, la mine basse, m'attendant au pire… et me suis retrouvé dans une salle d'attente VIDE. Pas un chat. Tri, enregistrement, examen, échographie, radiographies, prises de sang, ponction… le tout en quatre heures à peine et j'étais de retour pour la fin du repas de Noël…

Je reproduis une citation que vous n'entendrez pas souvent dans une urgence. «Vous allez recevoir un traitement royal… vous êtes mon seul patient»…

Et quand mon gendre et moi avons quitté l'urgence de l'hôpital de Hull vers 19 h 45, la salle d'attente était toujours VIDE !

Une épidémie de santé? Un miracle de Noël?

J'ai lu des tas d'histoires d'horreur sur nos hôpitaux. Certaines sont sans doute vraies. D'autres moins. D'autres pas. Ce que je peux affirmer, c'est qu'en cet après-midi de Noël 2016, je n'avais que des félicitations à offrir au personnel qui m'a si bien servi et soigné. A+ à toutes, tous.



jeudi 22 décembre 2016

Langues officielles: on réfléchit à Ottawa...


Le journaliste Paul Gaboury, du quotidien Le Droit, a attribué récemment à la ministre du Patrimoine canadien, Mélanie Joly, une citation qui - advenant qu'elle soit aussi exacte que les guillemets qui l'entourent semblent l'indiquer - soulève de graves interrogations.

Mme Joly commentait la fin des soi-disant consultations, entamées en juin et terminées au début de décembre 2016, visant à sonder la population du pays en vue de la confection d'un «plan d'action» qui remplacera l'actuelle Feuille de route 2013-2018 pour les langues officielles.

Voici ce qu'elle a dit, selon le texte de l'édition imprimée du 9 décembre 2016 du journal Le Droit: «Le nouveau plan (d'action) offrira une vision renouvelée des langues officielles qui reflétera ce que nous sommes aujourd'hui et ce que nous serons demain.»

C'est le genre de déclaration bidon, style passe-partout, qu'on voit trop et qui laisse le plus souvent entendre au public qu'il y aura sans doute du nouveau, et que cette nouveauté à définir collera à une certaine réalité… Si encore Mme Joly avait exprimé ainsi ses intentions, c'eut été un moindre mal… Mais non, et après avoir lu deux ou trois fois ces paroles qu'on lui attribue, je me suis gratté la tête…

D'abord il faut rappeler que le gouvernement fédéral met plus d'un milliard de dollars dans la cagnotte de ce «plan d'action» et que ces sommes substantielles servent surtout à soutenir et promouvoir les langues officielles (le français, l'anglais) dans les milieux où elles sont minoritaires. Pour les organismes francophones hors-Québec, ces fonds sont essentiels.

Ces «consultations» orchestrées permettent aux organismes et groupes minoritaires de formuler leurs demandes en fonction de leurs priorités. À toutes fins utiles, ce sont ces organisations et quelques intervenants clés qu'Ottawa écoute. Le grand public est absent des rencontres (il y en a eu 22 à travers le pays). Il n'y est pas invité par Patrimoine canadien. Et les médias accordent généralement à ces «consultations» une couverture qui oscille entre nulle et médiocre.

Les lois qui régissent les langues officielles n'ont pas fondamentalement changé depuis la Charte de 1982 et la Loi sur les langues officielles de 1969. Les ajustements les plus importants ont été apportés par les provinces et les tribunaux, qui donnent tantôt une interprétation généreuse, tantôt une interprétation pingre des droits linguistiques. Rien de tout cela ne changera d'ici la confection d'un nouveau «plan d'action» fédéral sur les langues officielles…

Alors revenons à la déclaration de la ministre Joly.

Le nouveau plan d'action, dit-elle, offrira «une vision renouvelée» des langues officielles. On ne parle pas ici de modifications mineures. Elle annonce qu'Ottawa a l'intention de renouveler (c.-à-d. changer, introduire des nouveautés) sa «vision» globale des langues officielles. La dernière fois qu'Ottawa avait décidé de «renouveler» sa vision de la dualité canadienne, c'était pour remplacer le biculturalisme d'André Laurendeau (Commission B-B) par le multiculturalisme de Trudeau père… Et on sait où cela nous a menés… et nous mène toujours…

À quelques reprises depuis le début de l'ère de Trudeau fils, les assises du «bi»linguisme ont semblé fragiles à Ottawa, des ouvertures se manifestant envers d'autres langues, notamment les langues autochtones. Ce n'est pas nouveau. Un des commissaires de la Commission B-B, Jaroslav Rudnyckyj, avait proposé dans les années 60 d'accorder un statut officiel à l'ukrainien dans les Prairies… Reste que la tradition du biculturalisme a succombé aux partisans du «multi» dans les années 70… Se prépare-t-on à réserver un sort semblable au principe de «deux» langues officielles? La question est posée…

Dans la deuxième partie de la citation, Mme Joly indique que cette vision «renouvelée» des langues officielles «reflétera ce que nous sommes aujourd'hui et ce que nous serons demain»… La ministre vient de se faire dire depuis six mois que la langue française est menacée partout au pays (même au Québec), qu'il existe toujours des injustices à corriger et que les besoins des minorités acadiennes et canadiennes-françaises sont à la fois grands et pressants. Bref, on lui a crié qu'il fallait changer et améliorer «ce que nous sommes aujourd'hui»… pas le «refléter». Ça s'annonce mal… Pourquoi s'est-on donné la peine de consulter, même à moitié?

Par ailleurs, comme elle ne se donne pas la peine de définir ce «nous», on suppose qu'elle parle de l'ensemble des Canadiens, toutes langues confondues. Si c'est le cas, refléter ce que «nous» sommes aujourd'hui a de quoi inquiéter les parlant français dans un pays où la langue anglaise resserre son emprise partout, même dans certaines régions québécoises, y compris Montréal, et où la proportion des francophones est en diminution préoccupante depuis plus de 50 ans. Une politique des langues officielles conçue à l'époque où les citoyens de langue maternelle française représentaient près de 30% de la population sera-t-elle la même que celle d'un pays (aujourd'hui) où cette même population culbute rapidement vers le seuil des 20% ?

Quant à refléter «ce que nous serons demain», à moins d'avoir en mains une boule de cristal ou les prévisions les plus raffinées de statisticiens fédéraux spécialistes des données linguistiques, cela me semble être de la bouillie pour les chats. Au regard des vents linguistiques dominants de 2016, nos «demains» francophones apparaissent de plus en plus sombres entre le multiculturalisme officiel d'Ottawa et le pseudo-bilinguisme-multiculturalisme du gouvernement actuel à Québec. Nous (le nous francophone) sommes en fragile équilibre au bord d'un précipice…

Alors qu'en est-il, Mme Joly? Doit-on prendre au sérieux vos propos, où est-ce simplement une déclaration vide de sens pour donner de quoi écrire aux scribes médiatiques? J'aurais espéré qu'au moins l'un de ces courriéristes parlementaires d'expérience exige quelque éclaircissement après avoir entendu vos propos. Si ce fut le cas, je n'en ai pas trouvé de trace…

Vous mentionnez ailleurs que le français et l'anglais sont «à la base de notre contrat social»… Voilà un autre concept au sujet duquel je vous aurais sérieusement interrogée… Ça fait plutôt «bi» que «multi» mais ces jours-ci, on ne sait jamais...


mardi 20 décembre 2016

Bilinguisme. Un mot à bannir?

image de TFO

Peut-on bannir le mot bilinguisme de notre vocabulaire pour quelques jours, ou quelques mois, le temps d'y réfléchir et de bien comprendre de quoi on parle quand on évoque ce terme, certainement l'un des plus galvaudés du pays?

En octobre 2016, le Commissariat fédéral aux langues officielles annonçait les résultats d'un sondage selon lequel 84% de la population canadienne était «en faveur» du bilinguisme…

Si c'était vrai, les politiciens et politiciennes - du moins ceux et celles qui savent flairer le vent dominant - régleraient sans trop de heurts nombre de dossiers à caractère linguistique qui stagnent.

Mais entre l'idée que se font du «bilinguisme» quelques milliers de répondants à un sondage et la vraie vraie vraie réalité linguistique dans laquelle ce concept s'insère, la distance se mesure en galaxies…

Philippe Couillard voudrait que tous les Québécois francophones soient bilingues… Mais ce dont il parle, essentiellement, c'est de l'apprentissage de l'anglais, principalement à l'école.

Quand les élus de municipalités québécoises à forte concentration anglophone veulent conserver le statut permis à la langue anglaise par la Loi 101, ils évoquent un bilinguisme à caractère institutionnel.

Quand des fonctionnaires fédéraux réclament leur droit de travailler en français, droit que leur confère la Loi sur les langues officielles, on soulève les problèmes du bilinguisme administratif.

Puis il y a le bilinguisme législatif (constitutionnel ou pas), un combat de tous les instants depuis 1867, visant essentiellement à renforcer les droits juridiques absents ou déficients de la langue française.

Plus communément, pour le grand public, il y a tout ce pan du bilinguisme qui entoure le droit (ou pas) de se faire servir dans la langue officielle de son choix…

Pour d'autres comme moi, qui étudient le bilinguisme «sociologique», surtout en milieu québécois ou canadien où le français est le plus soumis aux pressions de l'anglais, l'augmentation dramatique du nombre de bilingues chez les francophones est un indice sûr d'assimilation…

Récemment, le Commissaire aux langues officielles, Graham Fraser, affirmait que le bilinguisme canadien reposait sur la coexistence de deux collectivités largement unilingues au pays, l'une de langue anglaise, l'autre (au Québec) de langue française...

Enfin… Tout ça pour dire que cette fameuse proportion de 84% favorables au «bilinguisme» fond presque toujours comme neige au soleil quand des types comme le Franco-Ontarien Michel Thibodeau osent demander un 7up en français à bord d'un avion d'Air Canada…

Chez nombre d'anglophones, cette bienveillante attitude se transforme alors en colère haineuse…

Pourquoi? Parce qu'à l'extérieur du Québec, tant les anglophones que les francophones comprennent que le bilinguisme, c'est presque invariablement une revendication de francophones qui luttent pour obtenir soit un statut renforcé pour leur langue, soit des services en français.

On emploie le mot «bilinguisme» parce que proposer de «lutter pour les droits du français» ferait perdre trop d'appuis, tant chez la majorité anglophone qu'au sein des minorités de langue française. Remplacez le mouvement «Ottawa ville bilingue» par «Égalité pour le français à Ottawa» et vous verrez quelle réaction cela suscitera…

Pendant que le maire d'Ottawa, Jim Watson, défend son «bilinguisme fonctionnel» contre les revendications de «bilinguisme officiel», et que le premier ministre Trudeau, dans ses vapeurs multiculturelles, étale son ignorance de la région et de la dynamique linguistique en invitant Gatineau (ou presque) à devenir bilingue, tous savent mais ne disent pas ouvertement que ce débat ne concerne que le statut de la langue française…

Qui dit bilinguisme dit «deux» langues, mais hors Québec ce n'est jamais le cas… Seul le français est en cause… On l'habille en «bilingue» pour augmenter les appuis mais on dilue le message au point d'en perdre le coeur… Défendre le bilinguisme c'est défendre l'anglais et le français, alors que la seule langue menacée, malmenée, c'est le français (même au Québec).

Si on rangeait le mot bilinguisme sur une tablette pour quelque temps et qu'on se décidait à appeler les choses par leur vrai nom, le brouillard linguistique se dissiperait. On verrait plus facilement la différence entre les cumulus de beau temps et les cumulonimbus d'orage…










jeudi 15 décembre 2016

CROP-La Presse. Parlons de journalisme.


Je m'en fiche que la maison de sondages CROP ait ou non raison dans ses prévisions. Ce qui m'intéresse, comme journaliste, comme ancien chef des nouvelles d'un quotidien, c'est la qualité et la crédibilité des textes des reporters, chroniqueurs et éditorialistes. Cela suppose que ces scribes fassent toujours leur possible pour cueillir toute l'information pertinente et la présenter de façon à permettre au lecteur de bien la comprendre.

Mettons-nous en situation. Les 23 et 24 novembre dernier, La Presse propose à ses lecteurs un texte d'un de ses courriéristes parlementaires sur le plus récent sondage de la maison CROP (bit.ly/2gGznfI). C'est un texte percutant. Majeur. On y annonce entre autres que les souverainistes quittent le PQ en nombres appréciables. Que le PQ recule dans les intentions de vote et est désormais devancé par la CAQ. Que les libéraux dominent sur l'île de Montréal et jouissent d'une «avance confortable» dans la couronne…


Or, une semaine et demie plus tard, le 5 décembre, lors des quatre élections partielles, dans quatre régions différentes, Arthabaska, St-Jérôme, Marie-Victorin (Longueuil) et Verdun, le Parti québécois fait le plus de gains en vote populaire, pendant que les appuis libéraux s'effondrent. C'est tellement le contraire des prédictions de CROP que Jean-Marc Léger ne manque pas sa chance de lancer une taloche sur Twitter, vantant ses propres sondages…

Et nous voilà le 14 décembre. Le même journaliste de La Presse, ayant en main un nouveau sondage de CROP qui semble confirmer des tendances apparemment erronées du précédent, propose un texte où l'on titre: «La baisse du PQ se confirme» (bit.ly/2hzycRA)… Le fait que des partielles aient eu lieu un peu plus d'une semaine avant et que les résultats aient contredit les indications du 23 novembre de CROP n'est même pas mentionné dans le texte…

Il y a là une grave faute journalistique, attribuable soit au reporter, soit au membre de la direction qui a passé la commande ou donné son aval au texte. Un courriériste parlementaire d'expérience aurait dû spontanément dire à M. ou Mme CROP: hé, nous avons publié tes données, et on a eu l'air fous le jour des partielles. CROP a eu l'air fou aussi. Et on se l'est fait dire sur tous les réseaux. Et là tu nous dit qu'un deuxième sondage confirme le premier, quand les quatre partielles entre les deux ont donné un verdict contraire?

Alors, aurait dû poursuivre le journaliste, M. ou Mme CROP, vous allez expliquer pourquoi les partielles, s'il y a lieu, auraient pu offrir les résultats que l'on a connus sans contredire vos sondages. Nous devons cette explication au public lecteur. Dites-nous si les électeurs et électrices de ces quatre circonscriptions sont tellement uniques qu'ils sont immunisés contre les grands courants que vous avez constatés et que nous avons publiés en gros titres… On veut pas avoir l'air «ta-ta» une autre fois…

Comme journaliste (et comme journal), cette question sur les partielles et l'écart majeur qu'ils révèlent par rapport aux sondages CROP aurait dû être la première posée. Et la réponse, quelle qu'elle fut, aurait dû être présentée dès le début, dans les premiers paragraphes du texte. Ne pas le faire, ne pas soulever cet enjeu, c'est manquer à son devoir journalistique. Et de toute évidence, si le reporter a fait ce qu'il devait et que cela a été retiré du texte publié, alors il y a matière à plainte contre la direction de La Presse. Si le journaliste et la direction ont convenu d'éviter le sujet, il me semble qu'il y a là un sujet d'intérêt pour la FPJQ…

Ne pas exercer notre sens critique en interrogeant nos sources d'information, c'est limiter notre rôle à celui de porte-parole… et c'est miner notre crédibilité…







mercredi 14 décembre 2016

Médias et francophonie hors Québec

La conclusion de l'étude d'Influence Communication n'aura surpris personne qui se donne la peine de suivre les grands dossiers de la francophonie hors-Québec. Je me plains depuis des années que les Canadiens français et Acadiens vivant en minorité dans neuf provinces et trois territoires ont le plus souvent le statut de laissés-pour-compte dans les grands réseaux médiatiques du pays.

C'est donc avec précipitation que je suis passé de l'article du quotidien Le Droit (bit.ly/2hqig6lau site Web d'Influence Communication, dans l'espoir de prendre connaissance de la totalité du rapport (bit.ly/2gJmBSL), me disant qu'il répondrait sans doute aux nombreuses questions suscitées par la couverture de presse. Déception...

La lecture du document d'Influence Communication m'incite à poser des questions à la fois sur la méthodologie et sur le niveau de connaissance de la francophonie canadienne au sein de l'équipe de chercheurs. Voici quelques exemples:

* Dans le chapitre sur les francophones hors-Québec (pages 29 à 32 du rapport), le contenu de l'analyse est censé porter sur l'année 2016 mais les deux tableaux indiquent qu'il s'agit des «données de 2011».

* Dans le second tableau en page 32, certains pourcentages de poids démographique des minorités paraissent erronés (du moins selon la langue maternelle et la langue d'usage), notamment en ce qui a trait à l'Acadie (inclut-on les 4 provinces de l'Atlantique?) et le Yukon (possiblement inversé avec les Franco-Colombiens). Quant aux Territoires du Nord-Ouest et le Nunavut, on est sans nouvelles d'eux.

* Influence Communication avait ciblé quatre semaines pour une analyse plus détaillée, dont celle du 15 au 21 février, où on mentionne un seul événement d'importance pour la francophonie hors-Québec (audiences sur un service d'autobus bilingue au N.-B.). Or c'est justement cette semaine-là, en Ontario, qu'a eu lieu une manifestation provinciale d'étudiants francophones à Queen's Park pour une université de langue française et que les Franco-Ontariens se préparaient aux excuses officielles du gouvernement provincial pour le Règlement 17 (22 février). Quelqu'un n'a pas fait ses devoirs…

* À la base, personne n'explique ce que signifie «le poids médias des mentions des communautés francophones hors-Québec» dans les médias canadiens et québécois… Si ce sont des mentions qui doivent être liées à l'identité linguistique et culturelle de ces «communautés» (mauvais choix de mot - on devrait dire collectivités), j'ai peine à comprendre l'immense disproportion entre Acadiens et Canadiens français… et j'aimerais bien savoir quel est le «poids médias» des mentions de Franco-Québécois…

* On évoque ce qui semble être un faible volume de nouvelles produites par les médias des collectivités francophones hors Québec - mais nulle part on ne donne une liste de ces médias. Y compte-t-on les hebdos acadiens et canadiens-français, ou encore Le Droit, ou les salles de nouvelles locales de Radio-Canada dans les provinces à majorité anglaise? Aucune indication que j'ai vue…

* Des intervenants francophones hors-Québec ont utilisé les données d'Influence Communication pour taper sur la tête des médias québécois, accusés de négliger la francophonie pan-canadienne. Or, selon les même rapports, le traitement de cette francophonie par les médias de langue anglaise est bien pire, son poids médias y étant carrément insignifiant à 0,18%. Entendra-t-on ces ténors anti-québécois de la FHQ faire du English-Canada-media-bashing… Peut-on en douter…

* La situation «critique» des Franco-Ontariens… qui représentent la moitié des effectifs francophones hors-Québec mais n'ont que 4% de la «médiatisation» de la francophonie hors-Québec… Je ferai ici mon St-Thomas… Je n'en suis pas convaincu… J'aimerais analyser moi-même ces données. Il reste que Le Droit s'est sérieusement désengagé de l'actualité franco-ontarienne depuis quelques années. Son absence de couverture sur place et d'analyse de grands événements (ex. université franco-ontarienne, congrès annuel de l'AFO, etc.) n'est pas sans effet.

Il reste qu'en 2016, avec le dossier de l'université franco-ontarienne, les excuses centenaires pour le Règlement 17, la saga du statut du français à la ville d'Ottawa, sans oublier la démission de la ministre des Affaires francophones, Madeleine Meilleur, et l'arrivée de la relève, Mmes Lalonde et Des Rosiers, il semble y avoir suffisamment de matière pour dépasser le poids médias de 0,46%...

* Certaines conclusions tirées par Influence Communication semblent plutôt simples et faciles. La sous-médiatisation des francophones hors-Québec démontrerait «à quel point il est difficile pour ces communautés de protéger, voire de faire rayonner leur culture», et n'annoncerait «rien de bon pour la pérennité de la francophonie canadienne». C'est un bien grand saut à partir de données partielles qui n'ont pas été approfondies sur le terrain.

Quoiqu'il en soit, peu importe la réponse à ces interrogations, le poids médiatique des Acadiens et Canadiens français en milieu minoritaire laisse certainement à désirer. Comme aurait dit l'un de mes anciens patrons au Droit, «rien qu'à wère on wé ben»… Mais la question plus fondamentale, qui reste le plus souvent non posée dans la cacophonie des critiques et blâmes, c'est: pourquoi?

lundi 12 décembre 2016

«Intéressant»? Vous avez bien dit «intéressant»?

La semaine dernière, à la radio (première chaîne) de Radio-Canada, à la fin d'un échange avec le correspondant de la Société d'État à Washington sur les péripéties de la transition vers la présidence de Donald Trump, j'ai entendu le journaliste-animateur affirmer - on sentait presque le sourire en ondes - qu'il serait «intéressant» de suivre l'actualité dans la capitale américaine au cours des prochains mois…

Intéressant? Avais-je bien entendu?

Intéressant? Je n'en croyais pas mes oreilles…

Sommes-nous sur la même planète?

Pourtant, j'écoutais avec mes oreilles de vieux routier du journalisme, avec des décennies d'expérience, et la carapace, et tout le cynisme qui résulte d'en avoir parfois vu de toutes les couleurs… Mais là, trop c'était trop…

On peut estimer un film intéressant… Un conférencier aussi… Une visite guidée… Un spectacle… Un débat… Un match sportif… Un concours…

Dans nombre de situations, cependant, le mot «intéressant» ne convient pas, mais pas du tout… Il peut même devenir fort inopportun… grotesque… presque obscène…

Imaginez un journaliste couvrant Alep, en Syrie, et arrivant sur les lieux d'un hôpital bombardé… Songerait-il à dire aux auditeurs qu'il sera «intéressant» de voir combien de corps on retirera des décombres?

…ou qu'il sera «intéressant» de connaître l'ampleur d'éventuelles conséquences planétaires de l'accident nucléaire à la centrale japonaise de Fukushima, d'une gravité similaire à celui de Tchernobyl?

…qu'il serait «intéressant» de présenter des images en direct d'une séance de coups de fouet à Raïf Badawi, ou une scène de décapitation en pleine rue en Arabie saoudite?

Le terme «intéressant» sied mal aux guerres, aux hécatombes, aux désastres. Ce mot porte en lui une petite suggestion positive, presque de divertissement. Vu de cette façon, il ne convient surtout pas à l'arrivée de Donald Trump à la Maison Blanche...

Ce dangereux milliardaire volatile au comportement politique déséquilibré aura le doigt sur la gâchette nucléaire. Il s'entoure d'un cabinet d'extrémistes de droite qui ferait frémir d'horreur toute personne informée et sensée. Le monde médiatique, s'il lui reste quelques grammes de bon sens, devrait rester en mode bouton de panique, et passer le plus clair de son temps à avertir la planète de la menace imminente qu'elle court avec Donald Trump et sa horde obscurantiste.

Les salles des nouvelles, au moment où le monde civilisé, ou ce qui en reste, titube au bord du précipice, ne doivent plus édulcorer les mots. Les changements climatiques SONT une réalité démontrée. Dans la communauté scientifique (la vraie), il n'y a plus de débat là-dessus. On est en mode «sauver les meubles», près du point de non-retour. Alors quand Trump nomme un climato-sceptique pour diriger l'EPA, on ne doit pas hésiter à dire les choses vraies. Ou ce sont des menteurs, ou ce sont des ignorants. Mais ils ne sont pas du tout «intéressants»…

Quand un président élu des États-Unis menace d'ériger un mur entre son pays et le Mexique et d'expulser manu militari des millions d'immigrants, il se prépare à commettre ouvertement des crimes contre l'humanité. Comme ceux qui ont érigé le mur de Berlin. Comme ceux qui érigent le mur entre Israël et la Palestine. On se prépare à des années de folie et de violence contre des pauvres sans défense. Ce n'est pas «intéressant»…

Quand Trump veut nommer comme ministre de l'Éducation une milliardaire qui a dépensé une petite fortune pour combattre l'école publique, le geste est suffisamment obscène pour valoir une condamnation mondiale, et à la limite un impeachment pour trahison de sa mission présidentielle de défendre la constitution et le bien-être des citoyens. Il ne sera pas «intéressant» d'assister à une offensive de démolition de l'État contre son propre système d'éducation...

Désormais, le mot d'ordre doit être information et résistance. Pour les quatre prochaines années, il n'y aura absolument rien de divertissant à la Maison très blanche de Donald Trump. Et les médias ne doivent pas dissimuler la gravité de la menace Trump en y voyant une actualité «intéressante» pour les mois et les années venir. Avec ce président, des offensives sauvages contre l'humanité pointent à l'horizon. Le ton qui convient n'est pas le ton que je lis et que j'entends trop souvent dans les médias d'ici...

Si un jour, balayant du regard ce qui reste d'une planète dévastée par les changements climatiques ainsi que par les haines et conflits engendrés par les Trump de ce monde, un des derniers humains tombe sur une émission de nouvelles de décembre 2016 qui annonce des mois «intéressants» sous ce nouveau président républicain, il maudira les journalistes qui n'auront pas su agir comme chiens de garde d'une civilisation en péril…








mercredi 7 décembre 2016

Le 7 décembre 1941… près de Moscou...

Décembre 1941, loin de Pearl Harbor...

Le 7 décembre 1941 évoque invariablement, et avec raison, l'attaque surprise du Japon contre la base américaine de Pearl Harbor, à Hawaii. Et comme c'est en est aujourd'hui le 75e anniversaire, on verra un peu partout des reportages à saveur historique, sans compter les reprises à la télé de nombreux films et documentaires. Ayant provoqué l'entrée en guerre des États-Unis, et du même coup donné à cette deuxième «Grande guerre» un caractère véritablement mondial, la frappe japonaise restera à jamais une des dates incontournables du conflit.

Mais au même moment, devant Moscou, se produisait un autre événement tout aussi important pour l'issue de la Deuxième guerre mondiale, du moins sur les théâtres européens. La veille et l'avant-veille, les 5 et 6 décembre, l'Armée rouge - que Hitler croyait à bout de souffle - venait de déclencher sa première vaste offensive contre les divisions allemandes qui assiégeaient la capitale soviétique depuis le mois d'octobre. En ce 7 décembre, pendant que les avions japonais bombardaient la flotte américaine dans le Pacifique, les troupes hitlériennes découvraient qu'elles n'étaient pas invincibles…

Hitler croyait sans doute que les Soviétiques, ces sous-hommes et femmes à peine dignes de servir d'esclaves aux Aryens germaniques, s'écrouleraient en quelques semaines, quelques mois tout au plus. Les soldats de l'Armée rouge tombaient par centaines de milliers? D'autres arrivaient pour les remplacer. Et le territoire russe était immense. Quand après quatre mois d'offensive, Moscou était finalement en vue, l'automne avançait, et l'hiver - ce terrible hiver que Napoléon avait connu - menaçait à l'horizon. Dès novembre, sous des températures de -20, véhicules et fantassins mal habillés, succombant au gel, ralentissaient…

Les généraux allemands voulaient se replier, voyant venir la catastrophe, mais Hitler leur ordonnait de ne pas céder un centimètre d'espace conquis… La plupart des généraux décident de désobéir aux ordres y compris le commandant de la Deuxième armée allemande, Heinz Guderian. Mais il est trop tard… Le 6 décembre, une centaine de divisions soviétiques, des réserves fraîches venues d'Asie et bien équipées pour le combat hivernal, s'abattent sur les troupes allemandes gelées et épuisées. Le lendemain, 7 décembre, les armées à croix gammée avaient découvert le doute… Elles reculaient…

C'est, selon plusieurs, un point tournant de la guerre. Le soldat allemand qui n'était pas totalement fanatisé comprenait soudainement trois nouveaux facteurs, décisifs, qui allaient transformer le front de l'est en théâtre d'horreurs pour les hordes nazies:

1. L'armée rouge n'était pas à bout se souffle. Elle avait des réserves humaines importantes, des millions de soldats, prêts à bondir sur l'envahisseur.
2. Cette armée était désormais mieux équipée, avec des vêtements chauds pour les -35 moscovites et de nouveaux blindés T-34 adaptés aux conditions d'hiver.
3. Les troupes soviétiques, sous les ordres d'un tyran aussi féroce qu'Hitler, attaquaient en kamikazes, sacrifiant sans sourciller 15 divisions de cavalerie devant les lignes allemandes près de Moscou.

Cette armée, luttant sur son territoire, habituée aux rigueurs de l'hiver russe, affamée de vengeance, armée jusqu'aux dents, serait sans merci pour ces Allemands qui voulaient les exterminer. À partir de ce début de décembre 1941, jusqu'à la fin de la guerre… et même après. En ce 7 décembre, pendant que Hitler se réjouissait de l'attaque japonaise contre Pearl Harbor, la toute première grande offensive soviétique bousculait les puissantes armées allemandes, qui durent reculer en laissant derrière elles armes et matériel…

Hitler prit alors lui-même la direction de ses trois groupes d'armées, et limogea ses commandants. Ce fut le début de la fin… Aujourd'hui,  on ne parlera pas beaucoup du 7 décembre 1941 sur le front est… Mais cela se passait aussi il y a très exactement 75 ans…






mardi 6 décembre 2016

Un Québec indépendant dans un Canada uni...

Caricature de Normand Hudon (années 1960)*

Yvon Deschamps lançait à la blague que les Québécois voulaient un Québec indépendant dans un Canada uni… Comme si cette chose était impossible… Elle l'est sans doute, à la longue… Et pourtant, si Jean-François Lisée mène le Parti québécois à une victoire majoritaire en octobre 2018, il aura avantage à mijoter les propos de notre Yvon national. Il y a là-dedans beaucoup de vérité et de profondeur… et au bout du chemin, une porte qui s'ouvre sur l'indépendance…

Les gouvernements du PQ, en commençant par celui de René Lévesque de 1976, n'ont jamais réussi à s'affirmer pleinement comme porte-étendards d'une nation souveraine. Les gouvernements Trudeau et Chrétien ont pourtant reconnu la souveraineté de la nation québécoise en participant à la campagne du «non» lors des deux référendums. Participer, c'est accepter la légitimité du processus et du résultat.

La Cour suprême du Canada a aussi donné le feu vert en affirmant, dans son avis sur la sécession de 1998, qu'un oui clair à une question claire entraînait une obligation de négocier pour le reste du pays… Ce disant, elle acceptait le principe même de notre droit de poser la question d'une sécession et celui d'y répondre librement, avec conséquences prévisibles pour le reste du pays…

Les Lévesque, Parizeau, Landry et autres, tout patriotes qu'ils furent et avec tout le respect et l'admiration que nous leur devons, se sont laissés enfermer dans la logique vicieuse d'une stratégie référendaire - comme d'ailleurs le PQ d'aujourd'hui. Le régime changera quand le peuple dira oui dans un immense élan de ferveur souverainiste créé par des «conditions gagnantes»... Mais en attendant, on gouverne à l'intérieur des frontières perçues de la constitution actuelle, sans en tester trop les limites et sans faire trop de vagues.

Cette manière d'agir va nous tuer. Elle nous tue depuis plus de 40 ans. Les adversaires de l'indépendance ne se laissent pas faire. On les a vus à l'oeuvre. Ils ont de puissants moyens, s'appuyant sur l'immense pouvoir de la machine fédérale. Ils vont tricher au besoin, violer nos lois, et les leurs, s'il le faut, et utiliser l'arme de la peur avec toute l'efficacité qu'on a vue depuis 1970 (en commençant par les camions de la Brinks).

Il n'est pas impossible de gagner un référendum… Ça s'est presque produit en 1995… Mais ce furent des aventures traumatisantes, pour les fédéraux comme pour les indépendantistes. Et plus personne n'a d'appétit pour un ultime plongeon dans le bourbier référendaire…

Et c'est là que tout le génie d'Yvon Deschamps peut servir. Un Québec indépendant dans un Canada uni. Pour en saisir toutes les possibilités, il faut réfléchir au sens du fédéralisme, et le nôtre en particulier. Entrer dans la tête des véritables fédéralistes, genre André Pratte, et comprendre l'idée fédérale, qui tient à un arrangement constitutionnel au sein duquel il y a partage de pouvoirs entre un gouvernement central et les États membres, chaque ordre de gouvernement étant «indépendant» dans ses champs de compétence, les problèmes communs étant discutés et résolus entre égaux.

Le Canada actuel a beau se dire fédéral, il ne compte pas beaucoup de fédéralistes. La plupart, sinon la quasi-totalité des anti-indépendantistes sont essentiellement des centralisateurs qui voient Ottawa comme le gouvernement national, comme l'autorité supérieure, et qui ne s'intéressent nullement aux rouages d'un véritable fédéralisme. Brandissant leur «pouvoir de dépenser» sans limite apparente, ils transgressent à coups de milliards de $ les juridictions provinciales, y compris celles du Québec. Et nommant les juges des cours supérieures, ils contrôlent les tribunaux qui sont ultimement les arbitres entre les deux ordres de gouvernement.

Selon les juristes consultés par l'État québécois en 1977, le gouvernement Lévesque avait toute la compétence constitutionnelle voulue pour adopter et appliquer la Loi 101, aussi appelée Charte de la langue française. Que lui est-il arrivée, à cette loi? On l'a passée dans le tordeur des cours d'appel et de la Cour suprême, et Québec s'est fait dire que de larges pans de la loi étaient inconstitutionnels. Et qu'a fait Québec, même à l'époque de René Lévesque (ce fut pire sous les gouvernements libéraux subséquents)? Il a accepté ce charcutage de la pièce maîtresse de notre identité culturelle et linguistique, et on voit ce que l'on voit aujourd'hui.

Au lieu d'un État fermement français, de l'administration publique au secteur privé, on en est rendu à mendier comme des petits pitous une «présence suffisante» de notre langue sur les grandes bannières commerciales. Toute cela devra changer en novembre 2018 si le PQ forme le gouvernement. Ce devra être le moment d'un historique «désormais», tout aussi primordial que celui de Paul Sauvé après la mort de Maurice Duplessis en septembre 1959… Le premier avait déclenché rien de moins que la révolution «tranquille» des années 1960… Celui-ci en amorcera une nouvelle, peut-être un peu moins tranquille.

Ce gouvernement d'un peuple souverain habitant fédération devra affirmer cette indépendance qui lui appartient en vertu même du principe fédéral. Et pourquoi ne pas commencer par redonner à la Loi 101 toute sa vigueur de 1977? À ceux et celles qui s'objecteront en invoquant les décisions judiciaires des dernières décennies, M. Lisée pourra répondre que les questions linguistiques et culturelles sont des prérogatives constitutionnelles provinciales, et qu'il appartient au Québec seul de décider du statut de la langue française dans ses domaines de compétence.

De plus, Québec pourrait annoncer son intention de constitutionnaliser la Charte de langue française, comme première étape de la rédaction d'une constitution québécoise. Tout cela est compatible avec le régime fédéral et conforme à l'idée fédérale. Le premier ministre du Québec pourra ajouter que désormais, la nation québécoise n'acceptera plus que les arbitres de ses lois identitaires, ou de quelque autre pièce législative dans un domaine de juridiction provinciale, soient des juges nommés par la seule autorité centrale, qui a approprié d'anciens pouvoirs exécutifs de la monarchie sans partage depuis 1867 (ce que Québec pourrait aussi contester).

Face à un tel gouvernement que peut faire Ottawa? Les gestes québécois seraient conformes à l'indépendance de son ordre de gouvernement dans le cadre d'un État fédéral. Le refus d'Ottawa d'accepter l'affirmation québécoise serait essentiellement une négation de l'équilibre et de la séparation des pouvoirs entre État central et État membres. Quand une dispute constitutionnelle entre Québec et Ottawa aboutit en Cour suprême, et que c'est le premier ministre fédéral qui choisit les juges, n'allez pas me dire qu'il y a là respect de l'idée fédérale.

Alors supposons que Québec redonne à la Loi 101 toute sa force. Les adversaires contestent, les mêmes tribunaux déclarent de nouveau la loi inconstitutionnelle, et Québec les envoie paître, armé de son refus de reconnaître des tribunaux qu'Ottawa lui impose, et de sa non-signature de la Charte de 1982 que le reste du pays lui a imposée dans la nuit des longs couteaux.

Que peut faire Ottawa? Envoyer l'armée pour mater un gouvernement qu'il juge rebelle à «son» ordre constitutionnel? Pourtant Québec n'invoquerait-il pas une «indépendance» juridictionnelle tout à fait conforme aux principes du fédéralisme que défend ce «Canada uni»? Yvon Deschamps pourrait tirer quelques juteux scénarios d'une telle impasse. La gouvernement fédéral n'aura qu'un choix: accepter de négocier avec Québec ou combattre avec tous les moyens disponibles. L'État de la majorité anglo-canadienne devra décider s'il veut écraser de nouveau l'État de la nation québécoise. Les enjeux seront très clairs.

Ce qui arrivera par la suite, personne ne peut le prédire. Mais si Québec utilise des stratégies semblables dans tous les domaines que lui conférait l'AANB en 1867, plus personne ne parlera d'échéancier référendaire. À exercer sa souveraineté, même dans les limites du «Canada uni», le peuple québécois y prendra goût, et quelque part, dans les autres provinces, le gros bon sens dira qu'il est temps de négocier un nouvel arrangement entre les deux peuples majoritaires du pays. Fédéral… ou pas.

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* Cette caricature ornait la page couverture du livre Mon pays, Québec ou le Canada, de Solange Chaput-Rolland, Le Cercle du livre de France, 1966




lundi 5 décembre 2016

Samedi soir au Hong Kong...


Heureusement qu'on y prépare les meilleurs mets chinois américains à Gatineau (selon moi bien sûr), parce que l'endroit ne paie vraiment pas de mine… Des lanternes chinoises accrochées au plafond, le calendrier d'un fournisseur oriental sur le mur, les bouteilles d'alcool alignées devant un miroir mural…

Et si l'idée vous prenait d'utiliser votre tablette, votre téléphone intelligent ou votre ordi pour commander un festin engraissant à mon petit restaurant chinois de quartier, dans le vieux Gatineau (là où ça s'appelait Gatineau avant toutes les fusions), oubliez ça… J'y suis allé pour la première fois en 1974, je crois, et parfois je me demande si ce ne sont pas toujours les mêmes tables et les mêmes chaises…

Chercher le restaurant Hong Kong sur Internet? Vous trouverez son adresse et son numéro de téléphone… et guère plus… Pas de site Web, pas de menu en ligne, rien… Du moins je n'ai rien trouvé… Alors on fait comme dans les années 70... On commande par téléphone, avec l'option d'aller cueillir la commande au restaurant ou de la faire livrer à domicile… On peut aussi aller directement au resto et commander au comptoir, comme j'en ai fait l'expérience samedi soir…

Nous devions être une vingtaine à s'attabler chez nous, et avions fait nos choix à partir d'un menu papier que je conserve à la maison. Comme la liste de mets sélectionnés était longue et variée, je me suis dit qu'un face-à-face avec la serveuse éviterait les malentendus possibles au téléphone (qui sonne d'ailleurs sans arrêt à l'heure du souper). Et la technologie du resto étant ce qu'elle est, je savais aussi qu'elle ne pitonnerait pas ma commande sur un écran comme à un St-Hubert… Ce serait scribouillé à la main…

Alors ma fille Véronique et moi sommes allés au resto en auto. Ça prend cinq minutes, pas plus… Le stationnement dans le rue s'y fait en diagonale (la rue est large…), notre royaume local de mets chinois n'ayant pas de terrain pour garer les voitures des clients… Quelle chance, il reste une place… Arrivé à l'intérieur, on se retrouve à l'arrière d'une petite foule entassée aux abords de la caisse… où la serveuse en devoir dirige comme un général sur un champ de bataille…

Vous ne trouverez pas de petit(e)s jeunes au service dans ce resto de quartier ouvrier. Ce n'est pas ici un Tim Hortons ou un McDo… Ça prend de l'expérience et de la poigne pour faire la navette entre les cuisiniers orientaux qui ne semblent parler que le chinois et l'anglais, et la salle à manger / comptoir de commandes souvent bondé de clients presque exclusivement francophones… Les serveuses du Hong Kong ne s'énerveraient pas devant un tsunami…

Nous voilà donc derrière une douzaine de clients en demi-cercle (plus ou moins), dans l'espace exigu entre la porte et le comptoir et le buffet où pigent des clients déjà attablés… Je demande à la dame devant moi: «Attendez-vous pour commander, ou de recevoir votre commande?» Ouf.. ils semblent avoir tous téléphoné et font le pied de grue en attendant que les sacs de mets chinois sortent de la cuisine par un trou dans le mur (avec petite porte battante)… C'est comme ça depuis des décennies…

Je m'approche du comptoir avec ma liste… Le client devant moi présente sa carte de crédit pour payer… C'est à peu près la seule différence technologique perceptible depuis 1974… ce lien téléphonique avec Visa, MasterCard et les autres du genre… Mais ce soir ça ne fonctionne pas. «Transaction non complétée», dit le client, dépité… On essaie encore, même échec. «Avez-vous du comptant», demande la générale d'un ton à peu près neutre… Les mains dans les poches, il compte les billets… oui, ça va. Un de réglé, mais d'autres attendent plastique en main…

Je place ma commande, article par article. Elle écrit sur son calepin à deux copies, sans doute en anglais sinon les cuisiniers anglo-chinois pourraient ne rien comprendre, ouvre la porte battante et pousse la liste dans la cuisine sans me faire payer… Ce serait trop long à additionner pour le moment et d'autres clients attendent car les sacs continuent d'arriver par le trou dans le mur… Comme je suis placé pour les voir (les commandes), la serveuse nous demande (à moi et à fille) de l'avertir au cas où elle aurait le dos tourné… Inutile, je suis convaincue qu'elle a des yeux derrière la tête et une ouïe hors normes…

Les clients défilent et la machine à carte de crédit continue de faire des siennes, et tout le monde se met à vider portefeuilles, bourses, poches de manteaux pour faire l'inventaire du comptant… Ma fille Véronique et moi aussi, parce que notre méga-commande exigera plus que quelques billets de 20$… Tout à coup, le hourra d'un client soulagé. «Transaction complétée»… Sourires autour… Il semble que le téléphone soit moins occupé… Selon un client qui semblait informé, les cartes de crédit passent sur la quatrième ligne et s'il y a trop d'appels, ça coupe… Enfin…

À quelques reprises, une des responsables de la cuisine sort avec une facture, et échange en anglais avec la caissière… sans doute pour éclaircir les complexités de certaines commandes… Parfois, de vives réparties en chinois (enfin, dans une langue que je crois être du chinois), émanant de la cuisine, se font entendre par le trou dans le mur...

La clientèle continue d'affluer… Je n'ai pas encore payé… le suspense Visa dure toujours… chaque client(e) espérant gagner à la loterie du «transaction complétée»… Tout ce temps, la générale derrière le comptoir, qui en a vu d'autres, surnage dans ce bordel de factures et de commandes et de clients agglutinés autour du comptoir. Brève interruption, elle ouvre la porte battante et crie à la cuisine. «La cliente Vanessa a commandé depuis au moins une heure!»… À en juger par son regard, elle sympathise avec Vanessa...

Mon tour arrive enfin de régler la note… et je sors ma petite carte VISA avec beaucoup d'espoir… Victoire, je fais partie des chanceux… Ça marche et tout le monde autour de moi, y compris la serveuse, semble très heureux. Je n'aurais pas été surpris que la petite foule se mette à applaudir à chaque «transaction complétée»… Je suis là depuis une demi-heure, et à regarder la scène, j'ai la certitude que Michel Tremblay pourrait en tirer une pièce à succès: Samedi soir au Hong Kong

Je surveillais l'ouverture dans le mur pour ce qui serait sûrement deux ou trois sacs de mets chinois avec le même nom… le mien… quand tout à coup la porte de la cuisine, au fond, s'ouvre, et une personne s'avance à travers le restaurant, se faufilant entre les tables, avec une méga-boîte en carton qui semble plutôt lourde… La générale derrière le comptoir me jette un coup d'oeil et lance avec le sourire, «ce doit être la vôtre, M. Allard»… En effet!

La foule entre la porte et la caisse reste dense et patiente, au moment où nous quittons avec les meilleurs mets chinois américains en ville. Devant nous, la rue déserte… Derrière nous, la devanture illuminée du seul resto de la sombre rue Duquette (le seul commerce?) où s'anime le petit univers mouvementé de la fidèle clientèle du restaurant Hong Kong à l'heure du souper…

Il faut goûter les roulés aux oeufs aux bouts brûlés… Imbattables!

Et que dire de cette serveuse du Hong Kong… Imbattable!

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Et sauf sans doute pour ces embouteillages occasionnels entre 17 et 18 heures, je n'ai jamais eu à me plaindre de la rapidité du service...









mercredi 30 novembre 2016

Les têtes carrées...

Jusqu'aux années 1960, dans mon quartier d'enfance (quelques km carrés de maisons ouvrières entre l'église Saint-François d'Assise et la rivière des Outaouais), à Ottawa, le français était largement la langue de la rue. Mais dès qu'on arrivait sur la grand-rue (Wellington), ou qu'on s'aventurait vers la haute-ville ou le west end de la capitale, l'anglais s'affirmait en roi et maître…

On découvrait assez rapidement que bon nombre de ces Anglais ne nous aimaient pas, je suppose parce que nous parlions français. Sûrement pas parce que nous étions Québécois. Nous étions aussi Ontariens qu'eux, dans le cas de ma famille depuis quatre ou cinq générations. Mais il suffisait de parler français, en autobus par exemple, ou pire, d'arborer un signe de notre nationalité (disons, un gilet des Canadiens de Montréal), pour qu'on se fasse traiter de frog par quelque jeune Anglo…

À l'adolescence, quand j'ai dû fréquenter une école secondaire bilingue au centre-ville (tous les high schools de notre secteur étaient anglais), il m'est arrivé à l'occasion d'entendre speak white… Ce qu'on découvrait, en tout cas, c'est qu'à l'exception des rares quartiers où nous étions majoritaires, les francophones n'étaient pas les bienvenus dans cette ville. Et comme nous n'avions pas d'équivalent pour frog à relancer aux Anglais, on les traitait de têtes carrées.

Personne ne savait trop d'où provenait cette expression, et les anglophones n'avaient sûrement aucune idée du sens de notre répartie. Nous non plus. Mais c'était ce que disaient nos parents et leurs amis, alors nous en avons hérité… sans doute comme les jeunes Anglos transportaient les injures racistes des générations précédentes. Une chose était sûre… «tête carrée» c'était toujours la réplique. L'insulte venait invariablement des anglophones et pour moi, en tout cas, l'expression «tête carrée» était strictement réservée à un Anglo hostile, à un Anglo ouvertement francophobe…

Aujourd'hui, quand j'ai pris connaissance de la décision de Rogers de se débarrasser de la majorité de ses avoirs et employés francophones, à l'exception de six numéros du Châtelaine, j'ai traité les auteurs de ces mesures de têtes carrées et soulevé, ce faisant, l'ire de quelques fervents anti-séparatistes sur Twitter, qui y voyaient sans doute une manifestation de mes préjugés «péquistes». À les lire, ces gens semblent voir des séparatistes partout…

Il serait intéressant de savoir si cette expression est toujours utilisée aujourd'hui, ou si elle est confinée à la mémoire de gens qui, comme moi, ont grandi avant la Révolution tranquille. Je l'ai cependant employée dans le sens qui est le mien, comme réplique à ce que je percevais comme une attaque contre la francophonie en provenance de la majorité anglo du Canada. Pour la décision de mettre la clef dans sa porte de L'actualité, et ses mises à pied d'au moins deux tiers du personnel de langue française, la direction de Rogers se comportait en «tête carrée».

Et à mes fidèles quasi-trolls, sachez que j'ai appris à manier cette expression en Ontario, comme bon Franco-Ontarien, dans les rues d'Ottawa, et que je l'ai ramenée avec moi en emménageant au Québec dans les années 1970…

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NB - Je me suis donné la peine de vérifier l'origine de l'expression et voilà ce que j'ai trouvé dans le dictionnaire en ligne L'intern@ute:

«D'origine québécoise, cette expression date des débuts de la colonisation du Canada. En effet, les Français, déjà installés, voient des Anglais arriver. Ceux-ci construisent des maisons carrées et dont le toit adopte la même forme. Les relations n'étant pas toujours au beau fixe entre français et anglais, les Français décrivent les Anglais comme étant des têtes carrées en rapport avec leurs maisons et pour qualifier leur entêtement.»

Décevant… j'espérais quelque chose de plus flamboyant comme explication…


mardi 29 novembre 2016

Si les batteries sont à terre, dites-le!


Il y a trois ans, presque jour pour jour, le 30 novembre 2013, la grande caravane de consultation pilotée par le Regroupement étudiant franco-ontarien (RÉFO) avec ses deux alliés, la FESFO (étudiants du secondaire) et l'AFO (Assemblée de la francophonie de l'Ontario), s'amenait à La Cité collégiale, à Ottawa, au terme d'un périple qui l'avait mise en communication avec des francophones aux quatre coins de cette province grande comme un pays.

Cette consultation, intitulée États généraux sur le postsecondaire en Ontario français, avait pour but de dresser un constat de l'éducation collégiale et universitaire en français, puis de mijoter une stratégie pour combler les brèches (substantielles) et assurer une gouvernance franco-ontarienne de l'ensemble de l'offre post-secondaire de langue française. Le sommet de cette pyramide éducative serait bien sûr la mise en place d'une université de langue française pan-provinciale.

Pourquoi en aurait-il été autrement? Pourquoi aurait-on embarqué dans cette aventure les collectivités francophones de l'est, du nord, du sud et de l'ouest ontariens si l'objectif n'avait pas été d'en arriver à une institution universitaire «par et pour» les Franco-Ontariens de toutes les régions? Au primaire, au secondaire et au collégial, des réseaux francophones avaient vu le jour, partout. Il était logique, et pleinement justifié, d'aborder l'universitaire de façon similaire.

«Après l'obtention de douze conseils scolaires et deux collèges francophones pendant les années 1990, la création d'une institution universitaire de langue française demeure la dernière brique de l'édifice institutionnel éducatif en Ontario français», pouvait-on lire dans le fascicule d'information des États généraux sur le postsecondaire en Ontario français. Accès, gouvernance, à tous les niveaux, partout dans la province. C'était le mot d'ordre, ferme et clair.

Tout ça… pour ça?

Alors aidez-moi à comprendre, quelqu'un, parce ça ne tourne plus rond dans cette campagne, la plus récente, qui dure depuis 2012, en faveur d'une université franco-ontarienne. Après une vaste tournée dans toutes les régions où le thème de la gouvernance a été le fil conducteur, et où il a été énoncé clairement que les universités bilingues à Ottawa et Sudbury faisaient partie du problème, comment se fait-il que l'on se trouve dans une situation où le gouvernement ontarien met sur la table un seul campus universitaire dans une seule région, celle de Toronto, et que tout le monde se met à prendre ce campus (qui sera prêt quand? qui accueillera qui?) pour «l'université de langue française» de l'Ontario…

À un moment donné, quelque part, le gouvernement Wynne - à l'époque de Madeleine Meilleur - a décidé de cibler le centre-sud-ouest (Toronto) parce qu'il y avait là un vide moins compliqué à combler. On ne pilait pas sur trop de gros sabots, comme à Ottawa ou Sudbury. Queen's Park n'a pas caché son jeu et a commandé un rapport sur les besoins dans le centre-sud-ouest. De ce rapport est issu le projet du campus, que tout le monde semble désormais prendre pour l'université franco-ontarienne… même dans les médias!

On pouvait toujours espérer qu'il ne s'agirait que de la première marche d'un escalier en spirale qui ferait éventuellement le tour des régions, mais voilà que l'annonce cette semaine des membres du «conseil de planification pour une université de langue française» confirme le pire. Tous ces membres sont issus de la région du centre-sud-ouest. Leur mission est clairement régionale, pas provinciale. De fait, à Toronto, on semble croire que c'est exactement ça que les Franco-Ontariens demandent depuis 2012, et que tous devraient se lever et applaudir.

Mais qu'attendent les promoteurs du projet d'université de langue française pour frotter les oreilles de ce gouvernement impudent? On n'aborde pas l'universitaire là où ça compte le plus, Ottawa et Sudbury (et Hearst). Faut pas s'en surprendre, ce n'était pas dans le mandat du comité. Il n'y a apparemment aucun problème dans ces régions. Madeleine Meilleur l'avait dit: l'Université d'Ottawa dessert fort bien les francophones…  (Quinte de toux…) LE REFO, la FESFO et l'AFO vont-ils rappeler ce gouvernement à l'ordre? Ou a-t-on remué mer et monde dans toutes les régions depuis 2012 pour un seul campus, indéfini, dans la région de Toronto?

Je n'ai pas besoin d'argumenter sur les effets néfastes des institutions bilingues pour les francophones en milieu minoritaire. Les dirigeants franco-ontariens en sont pleinement conscients. Les organismes étudiants et l'AFO qui ont mené la campagne sont campés devant le Rubicon. Traverseront-ils, boucliers levés, pour affronter ceux et celles qui, se prétendant leurs amis, les laisseront tomber au moment décisif, ou resteront-ils assis bien sagement dans un silence coopératif avec l'espoir de récupérer un meuble ça et là pendant que l'édifice s'écroule?

Ciel que cette cause est juste! Les Franco-Ontariens demandent bien moins que ce que les Anglo-Québécois ont toujours eu, depuis la Confédération. Le gouvernement ontarien, au cours du dernier siècle, a détourné à d'autres fins des milliards de dollars qui auraient du être consacrés à l'éducation en français. Invoquer les limites budgétaires, c'est de l'indécence! La cause est juste et inattaquable! Mais pour espérer gagner, il faut la mener en gardant le cap, sur la place publique, avec les risques que cela comporte.

S'il ne reste plus de volonté, d'énergie, si les batteries sont à terre, dites-le. Et on n'en parlera plus.





lundi 28 novembre 2016

Fidel Castro: qui suis-je pour juger?

La caricature du Droit, une des meilleures, par Guy Badeaux

Héros pour les uns, dictateur brutal, les deux à la fois… Sur tous les continents, qu'on campe à gauche ou à droite, ou qu'on tente de manoeuvrer tant bien que mal sur les ponts, les jugements variables sur Fidel Castro n'ont surpris personne. Mais je vais me risquer en affirmant que l'ex-leader cubain occupe une place spéciale au Québec, et que sa disparition a remué quelques-unes de nos tripes nationales, bien au-delà des considérations habituelles sur le socialisme, le capitalisme et la démocratie.

Dans sa préface au recueil de nouvelles Bande de caves*, le professeur Claude Germain, évoquant l'auteur du recueil, Omer Latour, membre des premières vagues felquistes (1964), écrit ce qui suit: «Pour Omer, la situation du Québec présentait des affinités certaines avec la situation cubaine d'avant la révolution castriste. (…) Il vouait une grande admiration à ce petit peuple d'exploités qui avait eu un jour le courage de se mesurer à un géant, son riche voisin américain.»

En 1959, quand Fidel Castro est entré victorieux à La Havane, nous avions en commun avec les Cubains d'être un petit peuple, d'avoir été longtemps dominés par des intérêts étrangers et d'avoir comme voisins immédiats les États-Unis d'Amérique. La révolution de Castro du début des années 60 a été parfois violente et radicale, tandis que la nôtre a reçu l'épithète de «tranquille». Ceux qui, comme Omer Latour, ont voulu suivre la trace de Castro ici ont échoué. Les «us et coutumes» du Québec ne s'y prêtaient pas et ne s'y prêteront jamais.

Malgré tout, pendant que nous essayions maladroitement de nous libérer par à-coups, avec la nationalisation des compagnies d'hydro-électricité après 1962, par des tentatives occasionnelles d'imposer notre langue malmenée, jusqu'à la Loi 101, sans oublier la montée des mouvements indépendantistes, le tout en utilisant les moyens du bord offerts par une démocratie où les dés économiques étaient toujours pipés (contre nous), on voyait Cuba sous Castro tenir tête - en en payant le prix - à la première puissance du monde.

J'étais à l'université à l'époque où l'image du Che avec son béret étoilé, sa barbe et ses cheveux longs avait remplacé les crucifix des années précédentes. Il était l'ambassadeur de Castro et de sa révolution au sein de peuples véritablement opprimés de l'Amérique latine. Nous avions beau être pacifistes, nous savions que ces peuples étaient violentés par le grand capital américain, par des intérêts mafieux et par des régimes militaires sans pitié. On avait laissé les Américains voler nos ressources naturelles sans lever le petit doigt, mais là-bas, on donnait la réplique.

La CIA avait essayé d'envahir Cuba en 1961, sans succès. De la crise des missiles de 1962, Cuba avait au moins obtenu la promesse que Washington ne tenterait plus de l'attaquer militairement. Et en 1963, en 1964, le pays qui faisait la morale (avec raison) à Fidel Castro au sujet de la démocratie et des droits individuels bafoués permettait sur son propre sol des crimes quotidiens contre les Noirs et les militants des droits civiques dans les États sudistes, en plus d'autoriser (voire ordonner) des assassinats et des coups d'État dans les pays qui osaient remettre en question l'ordre économique américain. Malgré tout, Castro tenait tête au puissant voisin… quoique en s'associant à l'ogre soviétique tout aussi sanguinaire.

Le début des années 70 annonçait enfin l'espoir d'un socialisme démocratique avec l'élection de Salvador Allende au Chili… et des militaires quasi-nazis pro-américains l'ont renversé et assassiné le 11 septembre 1973… Pendant ce temps, Castro restait invincible à 150 km de la Floride… Puis ce fut cette suite, qui nous semblait ininterrompue, de meurtres sauvages de défenseurs des droits de la personne par les militaires , y compris celui de Mgr Romero, en pleine église, en 1980… Pendant ce temps, Castro survivait à des centaines de tentatives d'assassinat… Invincible…

L'empire soviétique s'est effondré à la fin des années 1980, les présidents américains se sont succédés, la plupart des régimes militaires sud-américains se sont affaissés, la révolution tranquille du Québec s'est essoufflée… et Castro se maintenait au pouvoir. Il a fait ça pendant 50 ans, avec l'appui sans doute majoritaire de son peuple, qui aurait sûrement souhaité plus de liberté mais qui se souvenait que les prédécesseurs de Fidel étaient pires que lui et qui voyaient les souffrances et l'exploitation dans d'autres pays dits démocratiques.

Alors ici au Québec, quand on voit Fidel Castro et Cuba, et qu'on se regarde dans le miroir, on se dit parfois que nous avons protégé l'essentiel de nos libertés et qu'aujourd'hui, le prix qu'on risque de payer, c'est peut-être le salut de notre âme collective. Aurait-on pu protéger nos libertés et mener notre révolution tranquille à terme, vers la souveraineté? Sans doute. Nous pourrions toujours le faire avec un sursaut de fierté au bord du précipice. Les Cubains sous Fidel ont beaucoup gagné, mais sacrifié la liberté d'expression et la liberté de presse. Est-ce un tribut trop lourd? Je crois que oui, mais…

J'aime croire que j'aurais appuyé Fidel et le Che dans les années 50… et que par la suite, dans un Cuba démocratique et socialiste, j'aurais aussi voté pour eux lors d'élections véritablement libres. Mais j'ai aussi la conviction qu'avec le virage autoritaire du régime, j'aurais continué à m'exprimer librement et qu'un bon jour, des gens en uniforme auraient frappé à ma porte, et je leur aurais dit, comme Jean Ferrat en 1968 après l'entrée des Soviétiques à Prague : «Que venez vous faire camarades? Que venez-vous faire ici?»

Alors Fidel, pour ta résistance salutaire à la puissance écrasante du voisin, je t'admire. Pour avoir piétiné la dissidence et l'avoir fait croupir dans tes prisons, je te condamne. Mais comme dirait François, qui suis-je pour juger? Nos petits peuples latins avaient le même voisin et le même désir de liberté. Nous avons choisi des voies différentes mais restons, quelque part dans nos tripes, liés. Je fais confiance à l'histoire. Avec le recul, son jugement saura faire la part des choses.

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* Latour, Omer, Bande de caves, Les éditions de l'Université d'Ottawa, 1981


samedi 26 novembre 2016

Nos caisses-quasi-banques jadis populaires...

Le siège social de ma caisse jadis populaire...

Quasiment à chaque année, quelque chose vient me convaincre que ma caisse jadis populaire (et pourtant de plus en plus grosse…) n'a plus grand chose à voir avec les valeurs de coopération à l'origine de ce mouvement qui rassemble aujourd'hui plus de 7 millions de personnes, principalement au Québec mais aussi dans les collectivités acadiennes et canadiennes-françaises des autres provinces.

Si ce n'était du fait qu'on continue de m'appeler «membre» plutôt que «client», j'aurais vraiment la conviction de faire affaires avec une banque… oh une banque bien de chez nous, mais ouais, disons-le, une banque… Cette institution bâtie sur les dollars et les cents et l'engagement d'innombrables petits épargnants de nos villes et villages et campagnes déroule davantage ses tapis rouges, ces jours-ci, pour les portefeuilles gras de sociétaires plus fortunés…

Le détenteur d'un compte de misère et le membre dont les comptes débordent d'épargne et de placements ne sont pas traités sur un pied d'égalité… Et pourtant, l'apparence ou la réalité d'une telle situation constitue un affront à la raison d'être des caisses Desjardins. «Contrairement aux banques ordinaires, il s'agit d'une association de personnes et non de capitaux», peut-on lire dans l'Histoire du Mouvement Desjardins. Chaque membre ne dispose que d'un seul vote, peu importe la valeur de ses avoirs.

Encore aujourd'hui, en 2016, sur son site Web, Desjardins rappelle que le réseau coopératif est la «propriété des membres», qu'il est «administré par eux» et que sa mission inclut «faire l'éducation, à l'économie, à la solidarité» auprès «des membres, des dirigeants et des employés». Parmi les valeurs fondamentales du mouvement Desjardins, on cite notamment «la démocratie, l'égalité, l'équité et la solidarité».

Il y a longtemps que Desjardins «impose» les méga-fusions des petites caisses populaires locales érigées pendant des décennies par des citoyens et citoyennes aux moyens modestes, convaincus par la philosophie de la coopération. Dans ma grosse caisse pas populaire du tout de Gatineau, dont le siège social luxueux fait pâlir d'envie toutes les succursales des grandes banques de la métropole outaouaise, les pauvres ne sont plus chez eux…

Certains services de ma caisse (de toutes les caisses sans doute…) coûtent même plus cher aux petits épargnants qu'aux membres mieux nantis. À chaque fin de mois, ma caisse jadis populaire impose des frais fixes de 9,95$ (dans les comptes chèque), quand les soldes sont inférieurs à 4000 $. Je n'ai pas de statistiques mais j'ai l'impression que pour la majorité des gens, l'objectif d'avoir des milliers de dollars en réserve dans un compte chèque, sans interruption, est rarement atteint. On guette le plus souvent les fins de mois en espérant que les dépenses et revenus soient relativement équilibrés…

Ce que cela signifie, c'est que tous ceux et celles qui peuvent maintenir des soldes de 4000 $ et plus dans leur compte n'ont pas à payer ces frais fixes de 10$ par mois. Alors si j'ai bien compris, ma caisse jadis populaire appauvrit ses membres à capacité d'épargne plus modeste en leur arrachant 120$ par année, une somme que les portefeuilles mieux garnis - et qui en ont moins besoin - n'ont pas à débourser. Comme esprit de solidarité, d'égalité et de coopération, c'est raté. De fait, j'ai rarement vu pire… Robin des bois à l'envers...

Quand j'étais enfant, j'allais à ma caisse alors populaire avec 10 cents, 25 cents, parfois 1$ et le déposait au comptoir avec mon livret, dans lequel mon dépôt était consigné à la main par une caissière. Ces jours-ci, alors que tout semble pouvoir se faire par Accès D et Internet, les caisses jadis populaires font tout pour éloigner les membres qui veulent poursuivre cette vieille tradition d'effectuer des transactions courantes aux locaux de la caisse, avec un vrai livret en papier. Quelle idée bizarre en 2016… un humain voulant rencontrer un autre humain dans un mouvement qui se dit coopératif, qui associe, rappelle-t-on avec insistance, des «personnes» et non des «capitaux».

Or, voilà que depuis juillet 2016 sont apparus dans de nombreux comptes chèque dont le mien, des frais mensuels de «tenue de compte» de 2,50$. Un autre 30$ par année qu'on me prend (alors qu'on ne verse à peu près aucun intérêt), et c'est, semble-t-il, parce que je tiens à mon livret, et à ma balade occasionnelle jusqu'au guichet de la caisse jadis populaire pour m'y faire servir par un humain et non M. (ou est-ce Mme) AccèsD… Depuis juillet 2016, on me dit que «le relevé de compte papier et le livret engendrent des coûts importants pour Desjardins», des coûts équivalents à ceux des «autres institutions financières» (les banques, je suppose)...

Si je faisais tout par ordi, si je laissais les couloirs du beau et grand siège social se faire arpenter par ceux et celles qui ont de vraies grosses affaires à brasser dans ma caisse-quasi-banque jadis populaire, et non pour obtenir du «petit change» pour un billet de 20$ (le seul billet que crachent les guichets automatiques) ou mettre le livret papier à jour, eh bien je n'aurais pas de frais de tenue de compte à payer… On me donnera toutes les justifications imaginables, ces frais n'ont rien de coopératif et tout des grosses bureaucraties bancaires gluantes…

On peut toujours contester ces irritants à l'assemblée générale annuelle de nos caisses jadis populaires, j'imagine. J'ai tenté ce coup deux fois dans les années 1990, avant les ultimes fusions qui ont fait des caisses de Gatineau une grosse machine obèse et invincible… À moins d'arriver avec quelques centaines d'autres membres ayant le même agenda que soi, et quelques avocats en soutien, les chances d'aller plus loin qu'une mention au procès-verbal sont plutôt minces…

Ma seule arme, c'est ma plume… et on me permettra de la tremper dans le vinaigre pour dire ma façon de penser aux décideurs (pas aux employés et cadres qui restent fort gentils et serviables) de nos caisses jadis populaires et du «mouvement» (!!!) Desjardins. La semaine dernière, j'ai rencontré un membre de ma caisse sans doute plus en moyens que moi, et son conseiller financier va le rencontrer à la maison… Je me demande combien de membres tirant le diable par la queue reçoivent un tel service…

Alphonse Desjardins se retourne-t-il dans sa tombe?




lundi 21 novembre 2016

Salut Jean-Pierre...

Un article non daté du Montréal-Matin de novembre 1966

Au milieu des années 1960, le quartier situé entre la grand-rue d'Ottawa (la rue Wellington) et la rivière des Outaouais, à l'ouest du pont des Chaudières et du «flatte» (les plaines Lebreton), conservait toujours ses airs de village franco-ontarien. Autour de l'église Saint-François d'Assise et de la caisse populaire du même nom, une grappe de commerces canadiens-français s'étiraient d'est en ouest, rue Wellington… y compris la bijouterie de Jean-Marc et Lucienne Lavoie.

Originaire du Bic, au Québec, M. Lavoie était un horloger de renom. À tel point que le Canadien National lui confiait l'entretien des montres de son personnel ferroviaire. Dans la minuscule bijouterie, Jean-Marc travaillait à son banc d'horloger, dans une petite pièce à l'arrière, scrutant à la loupe les entrailles de précieuses gardiennes de la seconde exacte  Un univers mystérieux pour nous, et aussi, un monde qui tirait à sa fin… Or, vers 1964 ou 1965, M. Lavoie embaucha un jeune homme d'une vingtaine d'années du quartier Saint-Henri de Montréal, Jean-Pierre Baril, qui voulait faire sien ce métier en voie de disparition et l'exercer près de chez lui.

En quête d'amitiés francophones durant son séjour de formation à Ottawa, il ne mit guère de temps à trouver ce groupe de jeunes du quartier - dont je faisais partie - qui organisait des activités culturelles et sociales sous la bannière de l'AJFO (Association de la jeunesse franco-ontarienne). Bon vivant, amateur de musique, joueur de trompette (qu'il apportait aux matches du Canadien au Forum), as du billard, Jean-Pierre fut des nôtres pendant une année ou deux, jusqu'à ce que les enseignements du vétéran horloger lui permettent de voler de ses propres ailes…

Ce jour-là, il retourna dans sa chère métropole, dans Saint-Henri, sur la rue Saint-Philippe, où il se maria et aménagea sa propre petite bijouterie, sur la rue Saint-Jacques, je crois, ou peut-être Notre-Dame, à quelques pas de son domicile. Ayant un handicap à une jambe, il était sans doute préférable pour lui de ne pas avoir à marcher trop longtemps. Nous l'avons revu par la suite à au moins un match de hockey, avec sa trompette et sa proverbiale bonne humeur. Heureux et toute sa vie devant lui…

Puis par un gris matin du début de novembre 1966, on nous annonça sa mort. Il n'avait que 21 ans. Mourir à cet âge c'est déjà tragique, surtout avec une jeune épouse qui était, si je me souviens, enceinte de leur premier enfant. Mais il y avait pire. On a appris qu'il s'agissait d'un meurtre, qu'un type l'avait empoisonné en versant du cyanure dans sa boisson gazeuse. J'ai conservé une coupure du journal Montréal-Matin d'il y a 50 ans (novembre 1966), mentionnant le crime sans ébruiter le nom de la victime.

La nouvelle nous avait bouleversés, et trois d'entre nous (moi, mon frère Robert et un ami, Pierre de Champlain) avons décidé de nous rendre à Montréal pour offrir nos condoléances à son épouse, à sa famille et à ses proches. Je n'étais jamais vraiment allé à Montréal comme «adulte» auparavant, et on y sentait de l'effervescence avec un centre-ville en ébullition, un métro flambant neuf et toutes ces nouvelles autoroutes qui transporteraient des millions de visiteurs à Expo 67 l'année suivante…

Après le charme et le «luxe» du rutilant métro, ouvert depuis à peine quelques semaines, le choc fut substantiel en arrivant dans la grisaille de Saint-Henri-en-novembre. Nous avions grandi dans un modeste quartier ouvrier à Ottawa, mais dans ce coin de Montréal, nous nous sentions tout à coup fortunés. J'ai encore en mémoire les devantures fades de petits commerces sur Notre-Dame et Saint-Jacques, et ces logements locatifs collés les uns contre les autres sur Saint-Philippe (comme un peu partout dans cette ville), sans oublier l'accueil plus que chaleureux de la famille, si reconnaissante que nous soyons venus de loin - pas si loin que ça - pour Jean-Pierre…

J'avais beau être Franco-Ontarien, je m'y sentais chez moi, dans cette grosse, grosse ville où beauté et laideur me pognaient aux tripes. Jean-Pierre Baril avait trouvé un nouveau chez-soi dans notre petite patrie à Ottawa, et nous étions accueillis comme des membres de sa famille par de parfaits inconnus à Saint-Henri. Je crois que ce jour-là, j'ai découvert qu'à Montréal, je m'étais rapproché un peu plus du coeur de notre nation de parlant-français d'Amérique. En tout cas j'en captais le pouls avec beaucoup plus d'intensité, dans ce quartier où grondait tout doucement le réveil d'un peuple, à l'ombre de Westmount…

Notez la pancarte St-Henri, ce 13 juin 1970, devant «Le Droit»

Ce qui était arrivé à Jean-Pierre Baril avait fait de Montréal une extension de mon vécu, jusque là à peu près exclusivement ontarien. Quelques années plus tard, en 1970, j'étais devenu journaliste au quotidien Le Droit et quand un conflit autour d'un cas de censure nous amena à protester dans la rue, au coeur d'Ottawa, devant l'édifice du journal, il y avait parmi les manifestants quelques Montréalais, dont une délégation du Comité ouvrier Saint-Henri… J'ai eu une pensée pour Jean-Pierre en les remerciant…

Je n'ai jamais eu d'autres nouvelles de son épouse, ou de son enfant s'il y a eu naissance. Elle est peut-être toujours vivante, et son fils ou sa fille aurait ces jours-ci près de 50 ans… Je voudrais qu'ils sachent que l'époux, le père, l'ami n'a pas été oublié. Que d'anciens copains franco-ontariens, certains devenus eux aussi québécois, l'ont toujours en mémoire… Salut Jean-Pierre...






vendredi 18 novembre 2016

Ottawa-Vanier… pot-pourri électoral...

Définition de pot-pourri: mélange hétéroclite de choses diverses.
Définition de hétéroclite: qui est fait d'un mélange bizarre d'éléments disparates.
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Bon, bien, je pense que ce texte de blogue sera jusqu' à un certain point un pot-pourri, quoique le fil conducteur reste l'élection partielle d'hier (17 novembre 2016) dans la circonscription provinciale ontarienne d'Ottawa-Vanier. Cet électorat m'intéresse parce qu'il compte une forte concentration d'électeurs franco-ontariens, même s'ils ne forment plus, comme jadis, la majorité des votants… Pour situer les non-habitués, l'hôpital Montfort s'y trouve… ainsi que la vieille Basse-Ville d'Ottawa et l'ancienne municipalité de Vanier…

Je savais depuis jeudi soir (hier soir au moment d'écrire ces lignes) que la candidate libérale Nathalie Des Rosiers avait été élue sans trop de difficulté. Le contraire aurait été surprenant. On cherche cependant le lendemain matin, dans le journal (Le Droit dans mon cas) et sur les sites Web locaux (principalement Radio-Canada), à remplir les cases vides autour du nom de l'élue… les résultats finals, les déclarations, l'ambiance, peut-être quelque analyse, des images. Enfin un peu de tout…

Comme ancien journaliste du Droit, ayant couvert des élections tant comme reporter que comme éditorialiste et cadre d'information, j'ai un faible naturel pour l'imprimé. À 6 heures du matin donc, ayant cueilli le journal sur le perron, je l'ai vite ouvert aux pages 2 et 3 (bit.ly/2g6gpBc)… pour finalement ne pas retrouver ce que je cherchais en tout premier lieu… le nombre de votes reçu par chaque candidat…

J'ai eu beau lire et relire… j'ai avalé une soupe de chiffres… plus de 200 partisans au local libéral, une centaine à la salle des conservateurs… 222 boîtes dépouillées sur 265 à 23 h (l'heure de tombée du journal, je suppose)… 4824 votes par anticipation… trois pourcentages (48% à Mme Des Rosiers, 29% au candidat du PCC André Marin, 15% à Claude Bisson du NPD)… mais pas les chiffres essentiels, ceux qui disent combien de voix favorisaient chacun, chacune des candidat(e)s… même pas un total partiel à l'heure de tombée…

Heureusement on pouvait se mettre sous la dent l'éditorial de Pierre Jury en page 14, qui nous livrait suffisamment d'éléments de contexte (pas de chiffres cependant) pour mieux saisir la portée de la victoire libérale et le poids politique de l'élue… juriste de réputation nationale et jusqu'à son entrée en politique, doyenne de la section common law de la faculté de droit de l'Université d'Ottawa (un autre élément absent des textes de nouvelles, qui mentionnaient cependant que le candidat Marin était l'ex-ombudsman de la province).

Il ne faudrait surtout pas blâmer la reporter pour les manquements d'information. La direction du journal l'avait laissée seule pour couvrir sur les lieux, dans des délais fort courts, une importante élection partielle… Importante parce qu'elle est située au coeur du lectorat franco-ontarien du journal… importante par la présence de deux candidats vedettes dans une circonscription auparavant représentée par la ministre des Affaires francophones de l'Ontario, Madeleine Meilleur… importante par les enjeux qui continueront de défrayer les manchettes du journal pour les années à venir, y compris l'interminable dossier du bilinguisme officiel à Ottawa… importante aussi parce que la première ministre Wynne était en ville...

Dans les circonstances, elle s'est admirablement débrouillée… Quant à la direction du journal, peut-être doit-on se consoler qu'elle ait au moins délégué un scribe de la salle de rédaction… Récemment, au congrès annuel de l'Assemblée de la francophonie de l'Ontario, il n'y avait aucune présence du Droit… et le pire, c'est que personne, même pas l'AFO, ne semble avoir protesté… du moins pas sur la place publique...

En comparaison, si je me fie au site Web d'Ottawa-Gatineau de Radio-Canada, la société d'État avait affecté trois journalistes à la couverture de la soirée d'élection dans Ottawa-Vanier… et cela paraissait dans la quantité d'information fournie aux auditeurs et lecteurs (bit.ly/2g4YIls)… On a cependant présenté Mme Des Rosiers comme doyenne à la faculté de droit de l'Université d'Ottawa… De fait, elle est doyenne de la section common law… Mme Céline Lévesque est doyenne de la section droit civil…

Ça et là…

* Le taux de participation était de 36%, comparativement à 49% à l'élection générale de 2014… Je ne sais pas si 36% à une partielle c'est supérieur à la moyenne, mais moins de 50% à une générale, c'est proprement scandaleux! 

* La proportion du vote libéral a diminué de 55,5% à 48,6%… La part des conservateurs provinciaux a augmenté, de 22,3% à près de 30%… Le NPD a vu sa pointe de tarte passer de 13,3% à 15%… Les Verts se sont effondrés, chutant de 8% en 2014 à 3,2% en 2016…

* Les résultats en chiffres absolus: Nathalie Des Rosiers (lib.) 14 678; André Marin (PCC) 9023; Claude Bisson (NPD) 4544; Raphaël Morin (PV) 972…

* Il y avait au total 11 candidats représentant des partis parfois bizarres… Le meneur des marginaux, avec 399 voix, était Elizabeth de Viel Castel, représentant le parti Stop the new Sex-Ed Agenda… 

* Vous voulez connaître quelques autres noms de partis à coucher dehors? Que diriez-vous du parti Aucune de ces réponses? Ou encore le Parti pauvre de l'Ontario (Paupers en anglais)?

* les autres partis présents étaient le Peoples Political Party, le Parti libertarien de l'Ontario, le Canadian Constituents' Party, et le Parti de la liberté de l'Ontario…

* Le porte-étendard du Parti pauvre, John Turmel, a déjà été candidat à 89 autres élections… Il a déjà été élu… une fois!

* Si j'étais Marie-France Lalonde, députée de la circonscription voisine et successeure de Madeleine Meilleur à la francophonie, je m'interrogerais sur mon rôle futur à Queen's Park… L'arrivée de Nathalie Des Rosiers, un poids lourd politique, risque de brasser les cartes… à moins que Mme Wynne ne soit prête à commercialiser deux figures de proue francophones dans son cabinet...

* Le maire d'Ottawa, Jim «bilinguisme fonctionnel» Watson, doit se tortiller un peu… La nouvelle députée et future ministre a promis de tout faire pour que la ville d'Ottawa devienne officiellement bilingue à temps pour le cent-cinquantenaire de la Confédération (c'est très, très, très bientôt…).

À suivre…

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J'espérais trouver un bilan complet, avec une composante «où va-t-on maintenant?», dans l'édition du surlendemain (samedi 19 novembre) mais Le Droit n'a fait aucun suivi. Je ne comprends pas...