mercredi 31 mai 2023

Langues officielles... Alice au pays des licornes...


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Je sais que c'est plate à lire, mais tous ceux et celles qui s'intéressent sérieusement à la question linguistique au Québec et au Canada devraient (après avoir avalé un café fort) se taper au moins une fois dans leur vie le rapport annuel du Commissaire aux langues officielles qui, à l'image d'Alice, évolue dans son «pays des merveilles» où il existe une quasi parfaite symétrie entre l'anglais et le français.

Tout le monde sait que la seule langue menacée au Canada (et même au Québec), c'est le français. Mais ne cherchez pas ça dans le rapport du Commissaire Raymond Théberge. Vous ne trouverez pas. On y fera état de près de 1800 plaintes en 2022-2023 mais n'essayez pas de savoir si elles proviennent de francophones (ben oui c'est évident) ou d'anglophones. Ce n'est écrit nulle part, et les médias, comme d'habitude, ne talonnent pas le Commissaire à cet égard.

Ce serait facile comme question! Hé, M. le Commissaire, quelle proportion des 1788 plaintes provient de francophones? 80%? 90%? 95%? Quelqu'un doit le savoir et ce n'est certainement pas un secret d'État. Ce type de renseignement est essentiel pour la compréhension de la dynamique linguistique canadienne. Mais ce n'est pas dans le rapport annuel et aucun journaliste ne semble avoir demandé...

Vous trouverez ci-dessous un certain nombre de citations tirées des trois principaux chapitres du rapport annuel 2022-2023 du Commissaire aux langues officielles. Leur rapport avec la réalité est au mieux, ténu...


Langues officielles et public voyageur

Le Commissaire critique «le fait que trop de voyageurs et de voyageuses ont encore du mal à pouvoir utiliser la langue officielle de leur choix lorsqu’ils traitent, par exemple, avec Air Canada, l’Agence des services frontaliers du Canada, l’Administration canadienne de la sûreté du transport aérien, les grands aéroports du pays ou les commerces qui se trouvent sur le terrain des autorités aéroportuaires». 

Avez-vous déjà entendu parler d'incidents à un aéroport, à bord 'un avion d'Air Canada, où des anglophones se sont plaints de la présence d'unilingues français incapables de communiquer ou servir en anglais? Non, moi non plus. Pourquoi ne le dites-vous pas M. le Commissaire?

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«De plus en plus de plaintes concernent ainsi la prise en compte inadéquate du français ou de l’anglais dans l’univers numérique.»

Encore une fois nous voici au pays des licornes... Connaissez-vous un seul endroit, dans l'univers numérique du gouvernement fédéral, où l'on a eu à dénoncer «une prise en compte inadéquate» de la langue anglaise? Encore cette symétrie fictive de l'anglais et du français dans la Loi sur les langues officielles.

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«Les institutions fédérales devraient prendre des mesures vigoureuses pour assurer l’offre de services en français et en anglais de haute qualité au public voyageur.» 

Non mais y a-t-il quelqu'un au Canada qui croit vraiment que les institutions fédérales doivent prendre des «mesures vigoureuses» pour assurer l'offre de services en anglais? Poser la question c'est y répondre, M. le Commissaire...

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Relancer le bilinguisme dans la fonction publique fédérale

«Il est important d’aller mesurer auprès des employés sur une base régulière s’ils se sentent libres de rédiger dans la langue officielle de leur choix.»

À force de poser de telles questions, on finira par comprendre que le langage employé dans le rapport annuel du Commissaire aux langues officielles n'a rien à voir avec la réalité. Je vous mets au défi, M. le Commissaire, de trouver des anglophones qui se sont plaints de ne pas se sentir libres de rédiger en anglais...

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Il faudrait «mesurer la capacité réelle des fonctionnaires fédéraux à travailler dans la langue officielle de leur choix dans les régions désignées bilingues aux fins de la langue de travail».

À lire cet énigmatique passage du rapport de M. Théberge, on pourrait croire que dans des régions désignées «bilingues», des fonctionnaires anglophones n'ont pas la «capacité réelle» de travailler en anglais... Je n'ai jamais entendu parler de tels spécimens... Existent-ils vraiment à l'extérieur des pages du rapport annuel du Commissaire?

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«En effet, il est crucial, au moment où le gouvernement du Canada travaille à la modernisation de la Loi, de placer la promotion du français et de l’anglais dans la fonction publique fédérale au cœur des préoccupations.»

Si j'ai bien compris, il serait «crucial» de placer la promotion de l'anglais «au coeur des préoccupations» dans la fonction publique fédérale. Je ne savais pas que ça allait si mal pour les anglos dans les bureaux fédéraux... Sans doute se butent-ils à trop d'unilingues français partout, qui les obligent à travailler dans la langue de Molière... Un peu de sérieux, M. Théberge!

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Le Plan d'action pour les langues officielles 2023-2028

«Le présent chapitre porte sur les actions que j’ai prises cette année pour que le prochain plan d’action 2023-2028 vise à favoriser davantage la progression du français et de l’anglais et à mieux répondre aux attentes et besoins des communautés de langue officielle.»

Encore une fois, le Commissaire aux langues officielles s'engage à favoriser «la progression de l'anglais» (ne progresse-t-il pas suffisamment sans son aide?) et à soutenir toutes «les communautés (minoritaires) de langue officielle»... Un nouvel engagement de contribuer à l'essor de l'anglais au Québec alors que de l'aveu même du gouvernement Trudeau, c'est le français qui se trouve menacé, même au Québec. Allez comprendre...

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«De pair avec une Loi sur les langues officielles modernisée, les prochains plans quinquennaux pour les langues officielles contribueront à assurer un avenir rayonnant et dynamique au français et à l’anglais au pays.»

Parfois je me demande si on verse du LSD dans le café des rédacteurs du rapport du Commissaire aux langues officielles. Faudra m'expliquer comment quelques milliards du fédéral et une litanie de voeux pieux vont assurer «un avenir dynamique et rayonnant» au français, une langue qui se trouve menacée dans ses châteaux-forts, et agonisante ailleurs, d'un océan à l'autre. Quant à l'avenir «rayonnant et dynamique» de l'anglais, je vous assure, M. le Commissaire, qu'il n'aura pas besoin de votre coup de pouce pour se réaliser.

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À l'an prochain, pour une nouvelle édition d'Alice au pays des licornes...

Voici un lien au rapport 2022-2023 - https://www.clo-ocol.gc.ca/sites/default/files/rapport-annuel-2022-2023.pdf

lundi 29 mai 2023

Sauvons le livret de caisse !


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Quand j'étais enfant, je me souviens de mes visites à la caisse populaire paroissiale, située en face de l'église St-François d'Assise, à Ottawa (ma ville natale), pour déposer 10 cents, 15 cents, ou 25 cents dans mon compte. Au guichet, la caissière écrivait à la main la somme déposée dans mon livret, le solde du compte, et ses initiales je crois. Dans ce précieux carnet - était-il vert à l'époque? - je voyais le bilan de mes petites économies et la preuve indéniable de ma présence au sein d'une coopérative d'épargne communautaire.

En traversant la rivière des Outaouais pour vivre au Québec, en 1975, j'ai commencé à fréquenter la caisse populaire du Lac-des-Fées, située dans le secteur de Hull où habitait la famille de mon épouse. On n'y inscrivait plus au stylo les dépôts et retraits mais la maisonnette qui abritait cette belle caisse pop de quartier avait un air de chez-soi, et une dimension humaine. Dans les décennies qui ont suivi, ces caisses et leurs membres, celles et ceux qui avaient bâti le mouvement Desjardins depuis plus d'un demi-siècle, se sont trouvés bien malgré eux emportés dans un tourbillon d'acquisitions et de fusions.

La Caisse du Lac-des-Fées est devenue une succursale de la grosse Caisse pop St-Joseph de Hull. Cette dernière a fini par se fusionner avec les autres grosses caisses de Hull, avalant au passage celles de la ville voisine d'Aylmer pour former une méga-caisse Hull-Aylmer qui ne porte évidemment plus le qualificatif «populaire». Le même phénomène s'est produit à l'est de la rivière Gatineau où les caisses pop des anciennes municipalités pré-fusion sont devenues le monstre qu'on appelle désormais Caisse Desjardins de Gatineau. Ces regroupements, qui n'ont jamais fait la joie des membres Desjardins, ont fini par tuer ce qui restait de démocratie au sein du mouvement et donné à Desjardins un air de banque déguisée en coopérative.

Les dirigeants de l'empire coopératif ont fermé des succursales (centres de service comme on les appelle maintenant), les ont remplacées par des guichets automatiques, puis ont fermé les guichets jugés insuffisamment rentables, ouvert des étages de services pour les gens d'affaires et les gros épargnants tout en réduisant le service en personne à la caisse, ainsi que les heures d'ouverture. Rien de cela n'émanait d'un élan populaire au sein des coopératives locales. Je revois encore ces employés de la Caisse pop de Gatineau (l'ancienne) proposant aux membres faisant la file devant un nombre insuffisant de caissières et caissiers d'utiliser les guichets automatiques, ouverts 24 heures par jour. Non! Trop de gens voulaient voir devant eux un humain, pas une machine, petit livret vert en main. Plusieurs caisses ont dû repenser la stratégie qu'elles voulaient imposer en allongeant les heures d'ouverture et augmentant le personnel. Trop, c'était trop!

Après 40 ans de centralisation des pouvoirs, ayant marginalisé ses cinq millions de membres, ayant jusqu'à émasculé le symbole traditionnel du mouvement en laissant un hexagone vide sans abeille et ruche, Desjardins a trahi à presque tous points de vue la passion coopérative qu'avaient défendue toutes ces petites caisses pop paroissiales et de quartier pendant si longtemps. On dirait davantage une grande banque où les membres sont devenus des clients. Plus machine qu'humaine, un peu à l'image de Darth Vador, de la Guerre des étoiles, la méga-méga-méga coopérative d'épargne et de crédit ne ressemble plus à cette caisse de mon enfance. Mais il reste quelques liens de continuité, dont ce livret que j'apporte occasionnellement à ma caisse jadis populaire pour demander à une caissière ou un caissier de le mettre à jour. On me rappelle presque toujours que je pourrais réaliser cette opération à un guichet automatique, et je réponds presque toujours qu'en me rendant ici, en personne, j'aide à sauvegarder leurs emplois.

Mais désormais, on ne me renverra plus au guichet automatique. Même ce dernier refusera de me servir. À compter du 23 novembre 2023, on supprimera les livrets de caisse pour de bon. Je n'ai pas demandé ça. Je ne connais personne qui fait cabale pour l'abandon du carnet. La décision a été prise par on ne sait trop qui, et nous est imposée comme d'habitude. On l'apprend par un message au guichet automatique... En réponse à une interrogation lancée sur Twitter, le compte Desjardins a répondu que c'était exact (sauf la date) et ajouté un de ces mensonges de marketing qu'on annexe habituellement aux mauvaises nouvelles: le livret sera «remplacé par des solutions avantageuses»... Comme mon journal, Le Droit, qui abandonnait son édition quotidienne en me proposant une «expérience de lecture inégalée» qui s'est avérée un fouillis parfois catastrophique. 

Si, comme moi, vous en avez assez de vous faire traiter comme un simple client alors que vous êtes membre, c.-à-d. propriétaire de votre caisse jadis populaire, et voudriez vous exprimer sans avoir à entreprendre un débat sur la philosophie coopérative, saisissez l'occasion qui vous est offerte en vous portant à la défense de ce petit livret vert, ultime témoin d'une époque où les humains passaient avant les machines et leurs écrans. Écrivez à votre caisse ou (pour les vraiment braves), essayez de téléphoner et de ne pas parler seulement à un répondeur. À ma caisse jadis populaire, c'est parfois très difficile. Mais si vous réussissez, vous verrez qu'il y a toujours du bon monde derrière le masque bancaire, et qu'à l'intérieur même du monstre bureaucratique, de nombreux humains partagent peut-être votre avis. 

Sauvons le livret de caisse. Il le mérite bien!


samedi 27 mai 2023

La population n'est pas gavée d'information... Elle est affamée.


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«Le sombre tableau mondial dépeint par les médias les stresse; l'afflux d'actualités redondantes les fatigue. Pour échapper au marasme ambiant, de plus en plus de Québécois décident de réduire radicalement leur exposition aux nouvelles, voire de s'en couper complètement. Une situation qui pousse les salles de rédaction à faire de l'information autrement.» Citation du texte «Cesser de s'informer pour cesser d'être stressé?» dans Le Devoir, 19 mai 2023

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Chaque salle de rédaction médiatique devrait compter dans ses rangs un philosophe, une personne ayant pour tâche de comprendre les humains et leurs comportements, d'interpréter le monde, les choses de la vie, et d'offrir des conseils à la direction. Plusieurs décisions prises par la presse écrite depuis l'avènement de l'Internet auraient sans doute été repensées, voire déposées à la poubelle, et nos médias auraient sans doute eu moins de difficulté à s'élever au-dessus de l'immédiat avant de fixer des orientations qui s'avèrent aujourd'hui catastrophiques.

Je ne suis pas philosophe mais assez vieux pour me souvenir d'un monde sans écran... avant la télévision, les jeux vidéo, l'Internet et ses multiples dérivés. Les gens vaquaient à leurs occupations: aller à l'école, au travail, l'église, s'occuper de la maison, des enfants, jouer, manger, dormir, etc.. Dans ce cycle de vie, une période était réservée à la lecture du journal quotidien, qui était livré chez nous en fin d'après-midi au début des années 1950. À l'exception du radio-journal occasionnel, c'était la demi-heure ou l'heure du jour consacrée à s'informer du monde, du pays et de la région.

J'ai ressorti un numéro du quotidien Le Droit d'Ottawa et Hull, celui du 22 mai 1953 (ça fait un beau chiffre rond, 70 ans). Ce journal grand format de 24 pages contenait pas moins de 170 textes d'actualité portant sur à peu près tout. Un résumé de nouvelles locales, nationales, mondiales, économiques, sportives, présenté de la une à la dernière page dans un certain ordre d'importance, ou par catégorie. Les principales manchettes étaient évidemment concentrées en page frontispice, qui proposait à elle seule une vingtaine de nouvelles au lectorat du journal (voir lien en bas de page). Créer un regroupement cohérent des actualités quotidiennes en quelques douzaines de pages n'était pas chose facile: il fallait évaluer la portée des nouvelles, faire des choix, réviser et ajuster la longueur des textes en fonction de l'espace réservé, faire la mise en page et bien plus. Mais cela permettait aux lecteurs de tenir dans leurs mains, ou de déposer sur la table de cuisine une journée complète d'événements, une page quotidienne de l'histoire de l'humanité.

Avec l'arrivée des écrans, la télé en premier puis les autres, nos vies ont été chamboulées. Les familles et les voisins assis sur le perron après souper étaient désormais collés au petit écran, entre la Famille Plouffe et le téléjournal de fin de soirée. Les enfants jouaient un peu moins dehors. L'arrivée subséquente des chaînes de nouvelles en continu à la télévision, et la prolifération des ordinateurs personnels et jeux vidéo dans les années 1980 ont perturbé encore davantage les modes de vie et d'information du public. Puis, à partir des années 1990, la révolution de l'Internet et de ses dérivés allait nous coller des écrans dans le front à toute heure du jour et de la nuit. Les rapaces qui possédaient les chaînes de journaux avaient commencé à couper le personnel et la qualité depuis les années 1970, et l'Internet leur a offert une occasion en or de larguer davantage les médias imprimés, jugés trop onéreux et d'un autre âge. Le savaient-ils ou pas? Ils larguaient en même temps leurs lecteurs et lectrices. Les «nostalgiques», comme un certain ex-directeur général du Droit les a appelés récemment...

En avril 2014, j'écrivais sur mon blogue en commentant la disparition annoncée des journaux papier : «Loin de moi de renier l'ère électronique-numérique et les bienfaits de l'Internet et de ses dérivés. J'en raffole. Mais j'en raffole pour ce qu'ils ajoutent à la connaissance et à la communication, et non pour ce qu'ils ont ou auront la prétention de remplacer.» Les sites Web et les réseaux sociaux ont surmultiplié les occasions de s'informer en continu, en temps réel, de donner accès aux actualités planétaires et locales, aux banques de données, aux archives, aux moyens de communication et j'en passe. C'est un enrichissement inouï pour qui veut suivre en direct un événement majeur ou faire des recherches, mais cela peut devenir un cauchemar pour ceux et celles qui finissent par développer une dépendance à leur téléphone, leur tablette ou leur ordi.

À un certain moment, l'humanité (il faut l'espérer du moins) fera une indigestion à force de consommer la bouillie-du-meilleur-et-du-pire-tout-mélangé de l'Internet à coeur de jour et voudra renouer avec une vie plus normale, plus humaine. Jouer, étudier, travailler, prendre de l'air, s'amuser en famille, marcher, courir, lire, enfin n'importe quoi pour retrouver un certain équilibre. La solution de rechange aux écrans jour et nuit, en matière d'information, c'est le bon vieux journal quotidien imprimé, qui a fait ses preuves comme outil de civilisation. Mais nos entreprises de presse, pour des raisons sans doute économiques ou par manque de vision, ont misé sur une armée de zombies qui ouvriront à toute heure du jour ou de la nuit leurs pages Web pour picosser une nouvelle ici, une chronique là, des photos ailleurs. Au Québec, la situation est dramatique avec la disparition récente de six quotidiens papier (et numériques) de langue française, s'ajoutant à l'abandon du papier par La Presse quelques années plus tôt.

Il nous reste Le Devoir, qui a clairement entrepris de larguer son lectorat en retirant du journal papier la quasi-totalité des actualités pour se concentrer sur des reportages, analyses, textes d'opinion et chroniques. Je reste abonné au Devoir mais je n'en retire plus beaucoup de plaisir. Heureusement, nous pouvons toujours lire les deux quotidiens de Québécor, pas mon idéal de présentation mais excellents dans leur genre. Et même là, l'horizon s'assombrit avec la suppression de l'édition du dimanche et l'abandon des presses dans la région de Québec. Ce n'est qu'une question de temps avant que la grande noirceur recouvre l'ensemble du Québec et que les kiosques à journaux prennent le chemin des musées. On dit que l'occasion fait le larron. L'Internet a créé l'occasion et les petits et grands barons de la presse, sans vision et sans scrupules, ont fait le reste.

Doit-on se surprendre que le public se méfie de plus en plus du hachis indigeste que déversent leurs écrans, où l'excellence côtoie les excréments dans la même marmite, où il est souvent difficile de distinguer entre les deux? La population n'est pas gavée d'information au point d'indigérer, elle est affamée. De bons journaux quotidiens imprimés sur papier, faits avec soin, à l'ancienne, trouveraient des millions de preneurs trop heureux de retrouver le plaisir de lire un compte rendu accessible et cohérent des actualités des 24 heures précédentes. Sur le plan de l'information, l'Internet restera toujours là, accessible, pour concurrencer, pour combler les vides, donner accès aux médias d'ailleurs, suivre un événement majeur en temps réel et bien plus. Mais ce que l'Internet n'a pas la capacité de faire, c'est de remplacer l'expérience multi-sensorielle de lecture de 24, 36 ou davantage de pages imprimées, livrées tous les jours à domicile ou achetées en kiosque. Les entreprises de presse ont voulu jouer aux apprentis sorciers. Elles nous ont abandonnés et nous en payons le prix.

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Lien à l'édition du quotidien Le Droit du 22 mai 1953 - https://numerique.banq.qc.ca/patrimoine/details/52327/4060648

vendredi 26 mai 2023

«Anglais ou français... Who cares?»

Capture d'écran du groupe Facebook Mechanicsville of Ottawa

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J'ai hésité à écrire cette fois. Parce que cela concerne avant tout le décès d'une personne et la peine de son enfant. Mais ce n'est pas que cela. Des échanges sur la page Facebook du groupe Mechanicsville of Ottawa (mon quartier natal), auquel participent près de 2 500 internautes, ont fait quelques vagues très publiques. Et les quatre-vingt signataires de commentaires et messages de sympathie sont identifiés, à la vue de tous, toutes sur Internet.

Les faits se résument à ceci: une dame qui a enseigné à quatre écoles françaises du quartier St-François-d'Assise-Mechanicsville est décédée et sa fille annonce son décès en anglais au groupe Mechanicsville of Ottawa. Cela n'a rien d'anormal, étant donné que l'immense majorité des Franco-Ontariens qui utilisent cette page n'y écrivent qu'en anglais. Ce qui tranche, cette fois, c'est qu'une personne ait osé écrire: «son message aurait pu être en français.» Un commentaire accueilli par quelques répliques cinglantes, y compris de la fille de la défunte.

Le décès d'une personne était peut-être un moment mal choisi pour amorcer un petit débat linguistique, mais à bien y penser, peu importe l'occasion, rappeler aux gens leur identité francophone à Ottawa suscitera presque toujours gêne et controverse. La personne décédée, Mme Thérèse Joanette, avait enseigné à trois des écoles primaires franco-ontariennes que j'ai fréquentées (St-Conrad, St-François d'Assise et Notre-Dame des Anges), toutes situées dans mon petit quartier jadis francophone de l'ouest de la ville d'Ottawa. Je ne me souviens pas d'elle mais clairement, à lire les messages Facebook, elle était aimée et admirée.

La page Mechanicsville of Ottawa serait un excellent laboratoire pour des professeurs de sociologie. L'ancien quartier, aujourd'hui à peu près disparu, était à plus de 80% francophone et l'immense majorité des membres de ce groupe Facebook sont d'anciens résidants du coin. Ce sont donc, ou étaient, pour la plupart des Franco-Ontariens qui se remémorent, presque toujours en anglais, leurs souvenirs du vieux quartier. Soit ils sont anglicisés, soit ils adoptent le comportement linguistique typique... passer à l'anglais dès que des unilingues anglophones peuvent se profiler dans le décor. Ou un mélange des deux. Mais certains persistent à communiquer en français, et cela peut provoquer des malaises... même chez les francophones.

Cette fois, pour l'annonce du décès de Mme Joanette, le statut de sa fille a suscité environ 80 commentaires au sein du groupe Facebook mais ce qui m'a frappé, c'est qu'environ 25 d'entre eux ont été rédigés en français. C'est moins que les 55 en anglais mais quand même considérable et j'en conclus que l'ancienne enseignante les avait marquées sur le plan culturel. Le message de la fille de Mme Joanette étant spécifiquement dirigé aux anciens élèves de cette dernière, on peut conclure que plus souvent qu'autrement, les condoléances en anglais provenaient de francophones. D'ailleurs, plus de 20 des messages de sympathie rédigés en anglais étaient signés par des personnes qui avaient eu Mme Joanette comme professeure à l'élémentaire dans une de ces quatre écoles de langue française.

La remarque sur l'absence de français a valu à son auteure quelques rebuffades. «C'est pas le temps pour ce commentaire. Anglais ou français... who cares», affirme une ancienne élève de Mme Joanette. Un autre francophone parle de «childish inappropriate comments», ajoutant «people can be so heartless». Finalement, la fille de Mme Joanette dit avoir mis le message en anglais «parce que la plupart de mes amis sur Facebook sont anglophones», ajoutant «je n'apprécie pas ton commentaire du tout. Si je décide de parler en français ou en anglais ce sont mes choix». Personne n'a offert d'appui à celle qui, disant bien connaître Thérèse Joanette, suggérait que cette dernière aurait préféré un message tout au moins bilingue.

Je comprends les deux points de vue, ayant été témoin depuis plus de 60 ans des effets du déclin accéléré du français à Ottawa, lié à la disparition de tous les quartiers urbains francophones de la capitale fédérale. De plus en plus, les Franco-Ontariens ayant grandi et vécu en français mourront en anglais dans les médias sociaux. C'est triste mais on aurait tort de blâmer ceux qui s'anglicisent, comme on devrait éviter de faire des reproches à ceux qui continuent à défendre le français.

Le rouleau compresseur de l'assimilation a fait son oeuvre, c'est tout, et les pages du groupe Facebook Mechanicsville of Ottawa (comme celles des groupes de l'ancienne Basse-Ville francophone) en font la démonstration quotidienne. Je termine avec une citation d'Omer Latour, un Franco-Ontarien qui évoquait dans les années 1970 la situation du français dans sa ville natale, Cornwall, mais dont les propos auraient pu s'appliquer aussi bien à Ottawa en 2023... Quand tout le monde parlera anglais, y'en aura plus, de problème...

M. Latour écrivait:

«Dieu merci, le combat est presque fini.

L'assimilation totale apporte enfin le repos

et la paix à tous ces gens obscurs qui ont

lutté dans un combat par trop inégal.»

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Lien à la page Facebook de Mechanicsville of Ottawa https://www.facebook.com/groups/1477234445837976


jeudi 25 mai 2023

La grande dame de Nutbush...

Le magasin général de Nutbush, Tennessee

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Le 20 novembre 1973, en début d'après-midi, je venais de m'arrêter pour le lunch à Smithfield en Caroline du Nord après avoir conduit 700 km depuis mon petit déjeuner à York, en Pennsylvanie. J'étais fatigué, un peu découragé, et j'avais scribouillé dans mon carnet de voyage: «J'aurais dû prendre l'avion...» Mais je m'étais dit, n'étant jamais allé en Floride, que je devais m'y rendre seul en voiture, pour voir les saisons reculer lentement, passer d'un début d'hiver déjà enneigé à des températures estivales en trois jours... Quelle idée...

Sur l'Interstate 95 (qui se terminait en Caroline du Sud à l'époque), la radio restait mon seul désennui et je cherchais continuellement de bonnes stations de musique rock sur la bande AM (la seule de la voiture). Arrêté pour faire le plein dans la petite localité de Dunn (18 litres pour 2,56$ US), j'avais réussi à syntoniser une station assez puissante, de Fayetteville je crois, avec un DJ aux accents sudistes qui m'a remonté le moral avec ses choix musicaux alors que j'apercevais enfin un premier palmier - assez petit faut le dire - autour de Lumberton (toujours en Caroline du Nord).

Arrivé à Santee en Caroline du Sud, la 95 finissait devant un champ, et pour le reste de mon trajet j'emprunterais des routes traditionnelles. Ma destination immédiate était le Holiday Inn d'Orangeburg (10$ la nuit) et, la vitre ouverte sous les 25 degrés de la fin d'après-midi, j'ai entendu le rythme saccadé de la batterie et d'une guitare électrique, suivi de la voix inimitable de Tina Turner: «Church house, gin house, school house, outhouse, on Highway number 19...» J'écoutais pour la première fois la chanson Nutbush City Limits, une composition de Tina au sujet de son village natal, Nutbush, population 250, dans l'État du Tennessee. J'ignorais que c'était en partie autobiographique, mais je savais que je voulais la réentendre, et vite.

Entre les champs de coton, les arbres couverts de mousse espagnole, les marécages et ruisseaux sans doute infestés d'alligators et les villes et villages de Georgie, chacun avec sa spécialité, des couvertures de plage avec drapeau confédéré jusqu'aux gâteaux de fruit, je roulais le matin suivant dans une ambiance musicale que j'ai associée depuis aux États sudistes - les airs de Jim Croce (I Got a Name), des Allman Brothers (Ramblin' Man), Chicago (Feelin' Stronger Every Day), et même, bizarrement, Elton John (Yellow Brick Road) et bien d'autres. Mais dès que Nutbush City Limits se faisait entendre, je mettais le volume au max. Dès mon retour au 45e parallèle, dix jours plus tard, j'ai acheté le 45 tours et l'album d'Ike et Tina Turner, que j'ai ajoutés à ma collection Turner et que je sors toujours à l'occasion. Et à chaque fois, Nutbush ressuscite les images de la route 301 à Statesboro ou Claxton (Georgie) ou quelqu'autre bled sudiste du début des années 70.

Puis, me semble-t-il, Tina Turner est disparue de la scène jusqu'à 1984, année magique du rock anglo-américain, où la sortie de l'album Private Dancer et le méga succès du 45 tours What's Love Got To Do With It allaient la propulser au rang des déesses du rock pour l'éternité. Devenue l'une des intouchables, débarrassée de l'infâme Ike Turner, voguant de succès en triomphe, intronisée au Temple de la renommée du rock'n roll, Tina est restée au sommet de sa gloire jusqu'à son décès cette semaine. Mais pour moi, elle restera toujours l'ambassadrice de Nutbush, Tennessee, qui, quelque part en Caroline du Sud, transforma mon voyage trop peu extraordinaire en aventure musicale. Cela fait déjà 50 ans et je crois qu'encore aujourd'hui, j'aimerais prendre le volant et me rendre dans les Carolines et la Georgie pour butiner d'une station de radio à l'autre, dans l'espoir d'entendre de nouveau Nutbush City Limits de Tina Turner et d'avoir une dernière fois 27 ans...

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lundi 22 mai 2023

Cher professeur Vacante...

                                               Caricature opportune dans le Montréal Gazette
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À M. Jeffery Vacante, professeur d'histoire, University of Western Ontario (London, Ontario),

J'ai lu votre texte d'opinion dans le Globe and Mail (voir lien en bas de page) sur les effets possibles de la plus récente mouture de la Loi fédérale sur les langues officielles (C-13). J'ai «indigéré» une multitude de textes du genre au fil des décennies, certains bien pires que le vôtre, et normalement j'aurais laissé passer. Mais vous enseignez l'histoire à une université réputée (University of Western Ontario, à London) et plus encore, le Québec compte parmi vos domaines d'expertise. Vous formez les générations futures d'historiens et votre spécialisation vous ouvre toutes grandes les portes des médias. Vous n'avez pas le droit de plaider l'ignorance ici. Voilà pourquoi il faut répondre aux sornettes que vous propagez dans cette chronique que plusieurs boiront comme parole d'évangile.

Par où commencer? J'aurais l'embarras du choix mais le meilleur, peut-être, sera de procéder point par point en suivant le déroulement de votre texte. Ce ne sera pas de la grande littérature mais ça ira. Un commentaire général avant de procéder. Je me suis demandé si votre bagage de connaissances incluait les données linguistiques fort instructives des recensements fédéraux qui depuis longtemps dressent de façon implacable le déclin, parfois l'agonie, de la francophonie hors Québec, doublée d'une progression robuste de l'anglais au Québec. Si vous êtes au courant, cela ne paraît pas. Puis je me suis interrogé sur ce que vous pourriez savoir de la persécution des francophones hors Québec depuis 1867 et de leur difficile récupération (incomplète) de droits dont la soi-disant minorité anglo-québécoise a toujours joui sans réserve. En faisant abstraction de l'histoire politique et socio-linguistique du Canada et du Québec, votre analyse nous transporte dans un «pays des merveilles» qui n'a rien à voir avec la vraie vie des individus et des collectivités.


1. Dès votre premier paragraphe, vous évoquez le Plan d'action pour les langues officielles 2023-2028 et dites qu'il s'agit d'un «five-year funding program intended to strengthen French-speaking communities across Canada» (plan quinquennal visant à renforcer les collectivités francophones à travers le Canada). Que cela fasse partie du plan ne laisse aucun doute mais vous oubliez que le plan d'action 2023-2028 finance aussi les collectivités anglo-québécoises, qui reçoivent environ 20% des sommes affectées aux langues officielles en vertu de la future Loi C-13 et de ses prédécesseurs, selon les fonctionnaires de Patrimoine canadien. Cela donnera 800 millions $ au cours des cinq prochaines années. Et quel sera le pourcentage des sommes dirigées vers la protection et la promotion du français au Québec? Ne cherchez pas. Il n'y en a pas. La Loi sur les langues officielles est ainsi faite.


2. Vous faites vôtre le faux argument de la Québec Community Groups Network concernant un quelconque lien entre la Loi C-13 et une limitation possible des services en anglais au Québec. C'est de la pure fiction et vous devriez le savoir. Pire, vous en rajoutez. À croire les représentants anglo-québécois, et vous endossez leur position, la seule mention de la Charte de la langue française du Québec dans le projet de loi fédéral (pour reconnaître que le français est la langue officielle du Québec) signifie une approbation de la Loi 101, de la Loi 96 et du recours systématique à la clause dérogatoire de la Loi constitutionnelle de 1982. Et que, par extension, les Anglo-Québécois ont raison d'être inquiets...

Je vous cite: «The fact that Bill C-13 effectively endorses the use of the notwithstanding clause, and the fact that it defers to the Charter of the French Language in Québec - which does not guarantee access to services in English - means that the English-speaking community in Québec has every reason to be concerned.» («Le fait que le projet de loi C-13 approuve effectivement l'utilisation de la clause dérogatoire, et le fait qu'il soit soumis à la Charte de la langue française du Québec - qui ne garantit pas l'accès aux services en anglais - signifie que la collectivité anglophone du Québec a raison d'être préoccupée.») Vous présentez comme «fact» une fiction. La clause dérogatoire n'est pas mentionnée une seule fois dans la nouvelle Loi sur les langues officielles et l'unique référence à la Charte de la langue française concerne le statut du français comme langue officielle. Et on rappelle dans le même article que le français et l'anglais ont un statut d'égalité à l'Assemblée nationale et devant les tribunaux québécois. Affirmer, par conséquent, que C-13 est soumis aux dispositions de la Charte de la langue française du Québec frise le ridicule!

Quant à la garantie de services en anglais, vous avez vraiment du culot. Les mesures de protection et de promotion du français prises par Québec depuis l'adoption de la Loi 101 en 1977 avaient pour but de freiner, voire arrêter la croissance de l'anglais au Québec, pas de l'éliminer. Et de toute évidence, les succès sont très mitigés. Au cours du dernier demi-siècle, les tribunaux fédéraux ont charcuté la Loi 101, Québec et Ottawa ont continué de surfinancer les réseaux anglo-québécois en santé et en éducation, près de 50% de la population québécoise est désormais bilingue (comparez ça aux autres provinces!), et le plus grand nombre de plaintes linguistiques ces jours-ci viennent de francophones qui ne réussissent pas à obtenir des services français... au Québec! Et pendant que la population francophone hors Québec décline en proportion et en chiffres absolus, les effectifs anglophones au Québec augmentent de façon appréciable! Pourquoi, dites-moi, les Anglo-Québécois devraient-ils s'inquiéter?


3. Vous poursuivez en affirmant qu'avec les modifications à la Loi sur les langues officielles dans C-13, «the federal government is effectively walking away from the idea that Canada is a bilingual country and embracing the idea that it is an English-speaking country that has a French-speaking region in Québec and a smattering of French-speaking communities outside that province». Ma traduction: «que le gouvernement fédéral s'éloigne de l'idée que le Canada soit un pays bilingue et embrasse l'idée qu'il soit un pays de langue anglaise avec une région francophone au Québec et un saupoudrage de collectivités de langue française à l'extérieur de cette province». Monsieur Vacante, vous enseignez l'histoire: vous devez savoir que jusqu'aux années 1960, le gouvernement fédéral avait agi comme s'il considérait le Canada un pays de langue anglaise. Son ralliement à une forme parfois superficielle de bilinguisme officiel sous Pierre Elliott Trudeau ne visait au fond qu'à conjurer la menace séparatiste d'un Québec de plus en plus éveillé. 

Mais revenons à C-13 et à ses amendements. Au-delà des déclarations de principe des premiers articles et d'une protection accrue pour la langue française dans les entreprises de compétence fédérale oeuvrant au Québec, la nouvelle Loi sur les langues officielles fonctionne exactement comme l'ancienne. La partie VII, celle qui compte, celle qui a des signes de piastre et des mesures dites positives, vise de façon tout à fait symétrique le soutien aux francophones hors Québec et aux Anglo-Québécois. Le gouvernement fédéral continuera de dépenser des centaines de millions de dollars pour soutenir les collectivités anglo-québécoises comme si leur situation était exactement la même que celle des minorités canadiennes-françaises et acadiennes ailleurs au pays. Et Ottawa ne versera pas un sou pour la protection et la promotion du français au Québec, du moins pas dans le cadre de la Loi sur les langues officielles.

Vous empilez, dans le même paragraphe: «By weakening the legal protection for bilingualism across the country - and embracing a regional and asymmetric approach to bilingualism - the new Official Languages Act will in effect make linguistic minorities in Canada subject to the whims of whatever government happens to be in power.» Ma traduction: «en affaiblissant la protection juridique du bilinguisme à travers le pays - et en favorisant une approche régionale et asymétrique au bilinguisme - la nouvelle Loi sur les langues officielles assujettira les minorités linguistiques aux caprices de tout gouvernement qui se trouve au pouvoir.» Le principe de l'asymétrie, qui s'incarne ici dans la reconnaissance du double statut minoritaire des francophones - minoritaires dans chaque province et territoire à majorité anglaise, mais minoritaires aussi dans l'ensemble du Canada - ne modifie en rien la protection du «bilinguisme» dans cette loi, qui vise essentiellement l'appareil fédéral et sa fonction publique, les entreprises de compétence fédérale et le soutien (financier et autre) aux minorités linguistiques.


4. Enfin, vous arrivez au coeur de votre argumentaire: faites attention, les p'tits amis, si vous menacez l'anglais au Québec, nous serons libres de menacer le français ailleurs... Je cite: «If the federal government will no longer defend the principle of equality, then there will be little reason for provincial governments to do so either.» Je traduis: «si le gouvernement fédéral ne défend plus le principe de l'égalité (symétrie entre Anglo-Québécois et francophones hors Québec), il n'y aura pas beaucoup de raisons pour que les gouvernements provinciaux le fassent.» Non mais sur quelle planète vivez-vous? Sous son vernis d'égalité, la Loi sur les langues officielles n'a même pas réussi à garantir aux francophones le droit de travailler dans leur langue dans la fonction publique fédérale. Le gouvernement fédéral, trop souvent, n'applique pas les principes qu'il défend sur le plan linguistique. Quant aux provinces, la seule qui a traité dignement sa minorité depuis la Confédération, c'est le Québec. Les provinces à majorité anglaise ont fait des concessions aux francophones après des décennies de persécution, et ce, uniquement à coups de manifestations, de contestations judiciaires (qui se poursuivent en 2023) en vertu de l'article 23 de la Charte et de sueurs froides dans les années 1960 et à l'approche des deux référendums québécois... 

Au cas où nous n'aurions pas vu le bâton derrière votre carotte, vous précisez: «A provincial government in an English-speaking province - let's say Ontario - could limit the rights of its francophone minorities to access services in their own language on the grounds that Québec - and even the federal government - does little to protect English-language services there.» Je traduis: «un gouvernement provincial dans une province anglophone - disons l'Ontario - pourrait limiter le droit de ses minorités francophones à obtenir des services dans leur langue en invoquant comme motif que le Québec - et même le gouvernement fédéral - fait peu pour protéger les services en anglais dans cette province.» Parlons-en M. Vacante, de l'Ontario, ma province natale, qui avait supprimé l'enseignement en français avec le Règlement XVII, qui a consenti à créer un réseau d'écoles primaires est secondaires de langue française sous la menace de Daniel Johnson vers la fin des années 1960 alors que l'assimilation avait déjà fait son oeuvre, qui a dû céder la gestion de ce réseau scolaire aux francophones à cause d'une interprétation de l'article 23 de la Charte canadienne des droits et libertés par la Cour suprême, qui a consenti de peine et de misère à la création de deux collèges de langue française, qui a voulu supprimer le seul hôpital de langue française (Montfort) et qui refuse à ce jour de donner aux Franco-Ontariens ce qui leur revient de droit: une université de langue française digne de ce nom! L'Ontario, et les autres provinces anglaises, n'ont jamais eu besoin d'invoquer l'ineptie fédérale pour piétiner leurs minorités francophones. Même au Nouveau-Brunswick où les Acadiens forment plus de 30% de la population... Invoquer les effets improbables de C-13 pour remettre en question la tolérance consenties à reculons aux minorités francophones serait pire que de l'hypocrisie. Pendant ce temps, les Anglo-Québécois roulent en Cadillac...


5. Vos conclusions, M. Vacante, ne résistent pas devant la réalité canadienne. Vous dites notamment que la nouvelle Loi sur les langues officielles «will produce a Québec that is more French and a rest of Canada that is more English». Je traduis: C-13 «produira un Québec qui sera davantage français et un Canada hors Québec encore plus anglais». Il faudra que vous m'expliquiez comment le fait d'accorder 800 millions $ au soutien de l'anglais au Québec (2023-2028) et rien à la promotion du français aura pour effet de franciser le Québec. Quant au reste du Canada, il sera de plus en plus anglais avec ou sans Loi sur les langues officielles. C'est une tendance lourde, amorcée depuis plus d'un siècle. Je prédis que C-13 aura au contraire pour effet de favoriser l'anglicisation du Québec et d'échouer dans ses efforts de protéger ce qui reste des collectivités francophones ailleurs au pays.

Votre dernier paragraphe est un chef-d'oeuvre, soyons gentil, disons d'incompréhension. Je cite: «After all, those who sacrifice the rights of a minority group in one part of the country in order to advance their own rights in another part of the country will one day wake up to find that their own rights are expendable.» Je traduis: «Après tout, ceux qui sacrifient les droits d'un groupe minoritaire dans une région du pays pour faire progresser leurs propres droits dans une autre région du pays se réveilleront un jour et découvriront que leurs propres droits ne sont pas indispensables.» Considérant qu'aucun droit des Anglo-Québécois n'a été sacrifié dans C-13 et que la collectivité anglophone du Québec est un prolongement de la majorité anglo-canadienne (et non une véritable minorité), votre prémisse s'écroule. Secundo, dois-je vous rappeler que le gouvernement fédéral (celui qui adopte C-13) est le gouvernement de la majorité anglo-canadienne. Les francophones n'ont aucun pouvoir à Ottawa sauf ceux que leur consentent les représentants du Canada anglais. Même s'ils le voulaient, les francophones du Canada ne pourraient prendre de décision qui sacrifie les droits des uns pour faire avancer les droits des autres. C'est le Canada anglais majoritaire qui a le dernier mot: toujours! Et j'ai des nouvelles pour vous, cher professeur: nous savons depuis 1867 qu'«our rights are expendable» dans ce pays! Qu'un expert comme vous semble l'ignorer me laisse pantois!

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Lien au texte Francophone minorities should worry about the Liberals' language plans, par Jeffery Vacante, Toronto Globe and Mail, 17 mai 2023 - https://www.theglobeandmail.com/opinion/article-francophone-minorities-should-worry-about-the-liberals-language-plans/


mercredi 17 mai 2023

La cornemuse et le clairon...

Capture d'écran de TVA Nouvelles

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Je n'avais jamais vu cela, du moins pas en personne. À l'imposant cimetière Beechwood, à Ottawa, sous un soleil éclatant dans ce magnifique lieu fleuri et verdoyant, les participants au cortège funèbre s'assemblaient, prêts à marcher ensemble la centaine de mètres jusqu'au lieu d'inhumation, quand un cornemuseur portant l'uniforme rouge de la Gendarmerie royale du Canada s'est placé en tête du défilé.

J'accompagnais mon épouse Ginette aux funérailles de Bruce Marr, conjoint d'une de ses cousines, Charlotte Lavoie, et ancien membre de la GRC des années 1950 jusqu'à 1988. Les cendres du sergent Marr devaient être placées dans un monument pour urnes au Cimetière national commémoratif de la GRC, situé au coeur du cimetière Beechwood. Les accents plaintifs de la cornemuse marquaient le début de l'hommage rendu par ses frères d'armes.

Le son de cet instrument n'atteint pas seulement l'oreille, du moins pas pour moi. Il remue aussi les tripes et charrie dans ses tuyaux des mélodies qu'on dirait de temps révolus et dont les échos, ayant quitté au fil des siècles les terres d'Écosse, de Bretagne, d'Irlande, se font désormais entendre en Nord-Amérique. On se sent moins seuls devant l'éternité, me semble-t-il, quand la musique des ancêtres encadre le réconfort essentiel de proches et amis, créant une ambiance qui transcende l'immédiat, ravivant souvenirs anciens et générations disparues.

La cornemuse s'est tue sur les lieux de la mise en urne, où attendaient au garde-à-vous quatre membres actuels ou retraités de la CRC en tunique rouge, médailles à la poitrine, formant une ultime garde d'honneur en hommage au disparu. Avant le début de la courte cérémonie religieuse, un autre membre de la GRC a fait entendre au clairon le Dernier appel, suivi quelques prières plus tard d'un émouvant Amazing Grace à la cornemuse. À la toute fin, les quatre membres de la haie d'honneur de la Gendarmerie ont rendu un ultime salut au défunt avant de quitter les lieux au pas militaire, cornemuseur et claironneur en tête.

Ce rituel à la fois simple et digne est davantage répandu chez les militaires, policiers et pompiers et peut, quand un camarade meurt au front, donner lieu à des rassemblements poignants. Ainsi, lors des funérailles récentes de l'agence Maureen Breau de la SQ, tuée au cours d'une opération policière à Louiseville, plus de 3000 policiers en tenue officielle - de partout au Québec, au Canada et même des États-Unis - ont accompagné à pied le cortège funèbre à Trois-Rivières. Mais qu'il s'agisse d'une mort violente ou du décès paisible d'un retraité comme Bruce Marr, le symbolisme est le même. La solidarité et les amitiés forgées en devoir, et encore davantage au combat, restent jusqu'à la fin.  Au cercle intime des parents et amis rassemblés pour célébrer la vie du défunt se greffe un rappel opportun d'autres liens durables qui ont marqué son séjour ici-bas, de personnes qui ont gravité près de lui et qui ne l'ont pas oublié.

Tous, toutes, nous tissons des appartenances durant notre vie... à l'école, au travail, en société, dans nos loisirs, nos engagements, nos luttes, nos épreuves, nos succès et nos échecs. Mon quartier d'enfance à Ottawa s'est effrité au cours du dernier demi-siècle, mais des centaines d'anciens résidants, toujours fortement attachés à ses rues et ruelles, échangent quotidiennement des souvenirs (et des annonces de décès) au sein d'un groupe Facebook. Mon emploi de journaliste au quotidien Le Droit avait fait de la salle de rédaction un second chez-moi (je n'étais pas le seul à penser ainsi) et encore aujourd'hui, quand décède un ancien scribe de la boîte, ou même un employé d'autres services du journal, cela nous touche et on verra au salon funéraire d'anciens collègues. Ils n'apporteront pas de rituel, n'endosseront pas d'uniforme comme les militaires, policiers et pompiers, ne se tiendront pas au garde-à-vous et n'auront pas de cornemuse ou de clairon, mais leur présence aura la même signification: l'importance de marquer, au moment du départ ultime, les anciennes solidarités.

Aux funérailles de M. Marr, des membres de la GRC en tenue officielle étaient venus dire tout haut, en présence de son épouse, de ses enfants, de ses amis et proches: Bruce était l'un des nôtres et nous sommes venus apporter les saluts de ses anciens frères d'armes. J'ai été ému et cela m'a donné à réfléchir sur les «célébrations de vie» (c'est ainsi qu'on les appelle désormais) et leur évolution depuis les vieux rituels religieux de mon enfance. Les journalistes, c'est le seul métier que je connaisse, n'ont pas d'uniforme, et je n'en connais aucun qui joue de la cornemuse ou du clairon. Et ils sont le plus souvent allergiques à la rigidité des rituels. Mais quand même, n'y aurait-il pas moyen, quand meurt un collègue, ancien ou actuel, de songer à quelque moyen de...

Je laisse à chacun, chacune, le soin de compléter cette réflexion.


lundi 15 mai 2023

Le silence incompréhensible de la FPJQ

Extrait du site Web de la Fédération professionnelle des journalistes du Québec (FPJQ): «Depuis 1969, la FPJQ défend la liberté de presse et le droit du public à l'information. Elle intervient chaque fois que la liberté de presse est menacée. Elle fait entendre la voix des journalistes partout où c'est nécessaire. (...) La FPJQ est un organisme sans but lucratif qui rassemble environ 1600 journalistes dans plus de 250 médias écrits et électroniques.»


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Au cours des derniers mois, l'organisme qui se veut représentant de la collectivité journalistique québécoise a évoqué dans ses communiqués, nouvelles et info-lettres des centaines d'activités et d'actualités de tous genres, de remises de prix et bourses au programme des semaines de la presse et des médias, des emplois menacés à Métro Média à la fin des éditions imprimées de 24 heures.


1. Or, depuis le 22 mars 2023, six de nos quotidiens de langue française ont cessé d'exister comme entités distinctes, fusionnés en une seule coopérative nationale après (pour certains d'entre eux) plus de 100 ans d'existence. L'annonce officielle de la fusion avait été faite le 15 mars.

QUE JE SACHE, LA FPJQ N'EN A PAS SOUFFLÉ MOT.


2. Le 29 mars 2023, les mêmes six quotidiens (Le Soleil, Le Droit, Le Quotidien, Le Nouvelliste, La Tribune et La Voix de l'Est) annoncent le lancement prochain de nouvelles plates-formes numériques et la fin des éditions imprimées du samedi à la fin de 2023.

LA FPJQ S'EST LIMITÉE À PUBLIER LES COMMUNIQUÉS DE DEUX DE SES SECTIONS (OUTAOUAIS ET SAGUENAY-LAC-SAINT-JEAN), qui s'inquiètent surtout des pertes d'emploi associées au virage numérique en cours. LA FPJQ NATIONALE N'A PAS COMMENTÉ L'ABANDON DU PAPIER, JUGÉ «UNE GRANDE PERTE» PAR LA SECTION OUTAOUAIS.


3. Le 19 avril 2023, les six quotidiens cessent de publier, remplacés par des pages Web d'information mises à jour en continu. Une des grandes tragédies médiatiques du siècle au Québec!

QUE JE SACHE, LA FPJQ N'EN A PAS SOUFFLÉ MOT! La fédération professionnelle des journalistes québécois a publié sur son site Web un texte annonçant que Le Soleil venait de lancer son nouveau site Web, en continuant d'utiliser l'appellation «quotidien» pour l'ex-quotidien de la capitale nationale. RIEN DE PLUS!

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A-t-on affaire ici à de l'incompréhension, de l'aveuglement ou tout simplement de l'indifférence? Je ne sais plus comment qualifier l'inaction de la FPJQ et le silence relatif des structures syndicales devant:

1. l'abandon définitif du papier par huit quotidiens de langue française (ne reste que les deux quotidiens de Québecor et Le Devoir);

2. la disparition des structures coopératives locales qui incarnaient la continuité et l'identité de ces six quotidiens;

3. et peut-être surtout, la disparition des éditions quotidiennes du Soleil, du Droit, du Nouvelliste, du Quotidien, de La Tribune et de La Voix de l'Est.

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À quand un grand débat national au Québec? On aurait dû l'entamer il y a une dizaine d'années quand Power/Gesca avait signé l'arrêt de mort de l'imprimé à La Presse et annoncé la disparition éventuelle des six quotidiens qui viennent, justement, de disparaître après avoir été drainés de leurs ressources par l'empire de Gesca, passés au tordeur de Martin Cauchon et sa bande, puis s'être fait hara-kiri sous la bannière coopérative.

La FPJQ dit faire «entendre la voix des journalistes partout où c'est nécessaire». Alors pourquoi ce silence déplorable devant la disparition de six quotidiens québécois de langue française?

S'il existe toujours quelqu'étincelle de résistance et de rébellion au sein de la collectivité journalistique québécoise, qu'elle se manifeste et vite! Pourquoi ne monte-t-on pas aux barricades? Au rythme où vont les choses, il ne restera plus grand chose de la presse écrite au Québec...

-30-

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Liens aux deux textes que j'ai retrouvés sur le site Web de la FPJQ depuis la mi-mars:

Suppression de postes chez CN2i - La section Saguenay-Lac-St-Jean de la FPJQ est inquiète (5 avril 2023) - https://www.fpjq.org/fr/nouvelles/suppression-de-postes-chez-cn2i

La section Outaouais de la FPJQ réagit aux suppressions de postes chez CN2i (5 avril 2023) - https://www.fpjq.org/fr/prises-de-position/la-section-outaouais-de-la-fpjq-reagit-aux-suppressions-de-poste-chez-cn2i

...et deux captures d'écran de l'infolettre de la FPJQ, éditions du 30 mars et du 20 avril 2023







jeudi 11 mai 2023

Le couronnement de Monsieur III...

Capture d'écran de TVA Nouvelles

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S'il restait, quelque part, un ultime micro-gramme de sympathie monarchique dans mon corps et mon esprit, il n'en subsiste plus aux lendemains de la sombre et excessive cérémonie de couronnement de Charles III à l'abbaye de Westminster. Un rite religieux médiéval sans joie, sans humanité, réaffirmant dans un faste obscène le règne altier et stérile d'une tête couronnée sur des «sujets» tenus à bonne distance, dans les rues, pendant que dans la vieille cathédrale s'entassent rois, reines, riches et puissants de ce monde.

J'avais presque sept ans quand j'ai regardé pour la première fois un écran de télévision, à travers le moustiquaire d'une porte chez des cousins. C'était au début de juin 1953, et on pouvait vaguement y apercevoir, en noir et blanc sur fond gris enneigé, Elizabeth Windsor accédant au trône britannique. Je n'y comprenais rien mais l'empreinte de ces images est restée, indélébile, comme un heureux souvenir d'enfance. Mes parents n'avaient pas atteint la trentaine, la reine et son prince avaient la vie devant eux. Tout respirait printemps, jeunesse. Adolescent, puis adulte, je suis devenu anti-monarchiste, républicain convaincu, mais j'ai toujours associé à mes moments de bonheur l'accession d'Elizabeth au trône du Royaume-Uni.

Ce souvenir vieux de 70 ans a ressurgi quand que je me suis installé devant la télé un peu après 5 heures du matin, ce 6 mai 2023, pour suivre en direct le couronnement de Charles Windsor. Mais le repère jadis joyeux de 1953 s'est vite dissipé à la vue de ce vieillard (j'ai le droit de l'appeler ainsi, je suis plus vieux que lui) vêtu d'un costume d'allure médiévale, portant une lourde et laide couronne d'or pur sertie de 444 pierres précieuses, reprenant avec sa mine patibulaire paroles et gestes archaïques qui faisaient de lui souverain et chef religieux. Le rite entier évoquait le déclin et la corruption des symboles auxquels s'attache l'ancienne puissance royale d'outre Manche.

La cérémonie, essentiellement religieuse (de fait c'est une messe), rappelle aux citoyens-sujets que c'est le Dieu chrétien lui-même (sans doute un Anglican) qui a installé Charles III et sa famille sur ce trône, et fait de lui à la fois un monarque héréditaire et le chef de son Église d'Angleterre (défenseur de la Foi...). Ils doivent être rares, ceux et celles qui peuvent toujours croire de telles fables. Et qu'ont dû penser tous ces humains de multiples confessions ou athées qui, dans la cathédrale et à travers le monde, ont entendu Monsieur III affirmer sa défense du protestantisme anglais et jurer de transmettre sa couronne aux seuls Anglicans? Un tel engagement porte en lui une vision de l'inégalité des humains, l'intolérance religieuse, la rigidité doctrinaire, une réfutation de la démocratie et plus qu'une pincée de racisme.

En plus d'affirmer un assujettissement perpétuel de la masse de l'humanité, ce ramassis de rites et symboles d'époques révolues étale sur la place publique l'opulence de la famille Mountbatten-Windsor et de l'aréopage d'élites fortunées qui les accompagne, ainsi que les sommes exorbitantes investies pour ce spectacle télévisuel dans un monde où les mains tendues de la pauvreté, de la famine et de la maladie sont écrasées par les carrosses en or. J'ai vérifié. Le couronnement de Monsieur III a coûté plus de 400 millions $! Et c'est sans compter tous les autres millions que les invités de marque et leurs pays ont déboursés pour s'y rendre ou pour souligner l'événement (y compris le Canada), les factures colossales d'une mobilisation médiatique mondiale, ainsi que les fortunes en achats de souvenirs et de produits dérivés de tous genres. Quel gaspillage!

Je n'ai rien contre Charles Windsor et sa famille. Ce sont sans doute de bonnes gens. Mais ce sont des humains comme nous. Nos égaux! Ni Dieu (s'il existe) ni l'hérédité ne peuvent faire d'eux des rois et des reines et, du même coup, de nous des sujets de ces rois et reines. Louis XVI est passé de roi de France à citoyen Capet dans la nouvelle république. Je ne l'aurais pas guillotiné (je suis contre la peine de mort) mais après avoir vu le luxe débridé de Versailles je peux comprendre, sans les approuver, certains des excès de la ferveur républicaine. Heureusement pour nous, l'industrie contemporaine du marketing et divertissement, s'appuyant sur Internet et dérivés, n'existait pas à cette époque: les descendants toujours couronnés de Louis Capet et Marie-Antoinette auraient été assis en 2023 à l'abbaye de Westminster pour saluer Charles et sa bande. Que le président de la république française, Emmanuel Macron, se soit rendu à Londres pour rendre hommage à la monarchie  britannique ne semble avoir soulevé aucune controverse au sud de la Manche. Quel reniement des valeurs républicaines!

Historiquement, la plus grande partie de l'humanité a été asservie ou assujettie, et trop longtemps accoutumée à laisser des dictateurs, monarques ou oligarchies de riches et puissants exercer le pouvoir à sa place. La démocratie républicaine est exigeante. Les dirigeants y sont les serviteurs, les mandataires du peuple, et non l'inverse. Au Canada, les citoyens sont toujours, en 2023, les sujets d'un roi... étranger par surcroit. En France comme dans toute république démocratique, le peuple occupe le sommet de la hiérarchie, et délègue son pouvoir à un président chef d'État. Bonnet blanc blanc bonnet, diront certains, et pourtant la différence est profonde sur le plan des valeurs. Le débat actuel sur la laïcité de l'État au Québec en fait foi. Le principe même de la laïcité heurte de front une constitution canadienne fondée sur la reconnaissance de l'autorité divine et l'obligation de fidélité à un monarque religieux anglican.

Se débarrasser de Monsieur III et de son trône obligerait le Canada tout entier à enclencher un remue-méninges qui mènerait bien au-delà du remplacement de la famille Windsor par un chef d'État élu. Les séquelles de l'ancienne monarchie, présentes partout dans les textes constitutionnels, permettent au premier ministre fédéral (et jusqu'à un certain à ceux et celles des provinces) de gouverner comme de quasi-dictateurs pendant quatre années avec un mandat majoritaire. Les vieilleries en politique, même lorsqu'elles paraissent inoffensives, ont parfois leur utilité et peuvent servir à éviter des remises en question salutaires. Alors on continuera de sortir le vieux trône d'Édouard, les sceptres, les couronnes bijoutées, les costumes médiévaux et les rites archaïques pour les descendants de Charles Windsor et sa bande. On continuera de voir leurs faces sur les timbres et la monnaie. Et les héritiers fédéraux des vieux pouvoirs monarchiques pourront continuer à imposer leurs constitutions sans consulter les Québécois (et les Canadiens), contrôler les tribunaux supérieurs, envahir des compétences qui ne sont pas les leurs, saper nos petites Loi 21, 96, 101 et semblables.

J'aimerais bien, avant de quitter ce monde, nous voir guillotiner ces liens constitutionnels avec l'édifice décadent, tout rouillé, de la monarchie britannique, et créer une république québécoise à notre image, dans le respect de valeurs démocratiques qui sont à la fois nôtres et universelles. Voilà ce que je retiens des quelques heures passées à écouter et regarder le couronnement de Monsieur III, Charles de son prénom, ce 6 mai 2023.

samedi 6 mai 2023

Sous les griffes du «Diocese of Pembroke»...

Capture d'écran de la page d'accueil française du «Diocese of Pembroke»

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J'ai lu avec intérêt le texte, publié dans Le Droit, portant sur l'annexion du diocèse d'Alexandria-Cornwall par l'archidiocèse d'Ottawa, qui portera désormais le nom d'Ottawa-Cornwall (voir lien en bas de page). La demande a été présentée en 2017, et la fusion était complétée en 2020 en dépit d'inquiétudes exprimées par des catholiques de la région d'Alexandria-Cornwall. Ce que je trouve intéressant dans cette nouvelle, c'est qu'il soit possible en peu de temps, au sein de l'Église catholique, de modifier les frontières d'un ou de quelques diocèses.

Cela signifie qu'il serait sans doute possible, facile même, pour l'archidiocèse de Gatineau de récupérer les paroisses catholiques du Pontiac, toujours sous l'emprise du diocèse ontarien de Pembroke, reconnu historiquement pour sa francophobie. Mgr Paul-André Durocher a raté une belle occasion de le faire en 2013, quand l'archidiocèse a fêté son cinquantenaire. Nous voici en 2023, à l'heure du soixantenaire, et rien ne semble avoir été fait pour rapatrier le seul territoire diocésain du Québec rattaché à l'Ontario. Un autre péché mortel au compte de l'Église... 

Le 19 juillet 2013, Le Droit avait publié un éditorial que j'avais rédigé pour le quotidien sur cet enjeu. Dix ans plus tard, malheureusement, le texte pourrait être republié mot pour mot et demeurerait tout à fait opportun. Le revoici donc:

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L’archidiocèse incomplet

 

par Pierre Allard

 

Dans sa toute première encyclique, publiée au début de juillet (2013) et intitulée La lumière de la foi, le pape François écrit : «Comme toute famille, l’Église transmet à ses enfants le contenu de sa mémoire.» Ces paroles méritent d’être gravées alors que l’Archidiocèse de Gatineau (créé en 1963 sous le nom de Diocèse de Hull) fête son cinquantenaire. En effet, s’il existe un moment privilégié de transmission de la mémoire, c’est bien l’occasion des grands anniversaires. Or, force est de constater qu’un oubli majeur marque ces célébrations.

 

Dans un devoir de souvenance qui s’impose, il y a lieu de revenir sur la genèse du diocèse. Réclamé depuis le 19siècle mais refusé à plusieurs reprises pour assurer une majorité de langue française au sein de l’archidiocèse d’Ottawa, le projet d’un diocèse ayant siège à Hull a évolué dans un contexte historique de lutte linguistique, opposant les évêques francophones du pays à leurs collègues irlandais anglophones de l’Ontario. «Les intérêts de la nation canadienne-française dans son ensemble passent avant ceux de l’Outaouais québécois», avait-on expliqué, dans un langage plus politique que religieux.

 

D’autre part, il faut aussi rappeler que la demande d’un siège épiscopal sur la rive québécoise portait sur un territoire et une population qui englobait le territoire actuel de l’Archidiocèse de Gatineau, mais aussi l’ensemble des paroisses du Pontiac, alors et toujours rattachées au diocèse ontarien de Pembroke. Et n’oublions pas que jusqu’au début des années 1960, l’Église constituait une puissance redoutable, tant par les instruments de la foi que par son contrôle quasi total des écoles au Québec. Or, le diocèse de Pembroke persécutait ouvertement les francophones avec une politique avouée d’anglicisation.

 

Dans les années 1920 et 1930, les catholiques francophones étaient désespérés au point de lancer un appel à l’aide aux organisations franco-ontariennes, en lutte contre le Règlement 17 (qui interdisait l’enseignement en français) et ses séquelles. Les francophones du Pontiac étaient soumis au même régime, une partie du clergé anglophone appliquant un simili-règlement 17 en Outaouais et imposant même des manuels ontariens. Le livre Les sacrifiés de la bonne entente (voir https://lettresdufront1.blogspot.com/2022/11/les-sacrifies-de-la-bonne-entente.html) retrace, pas à pas, le calvaire des francophones du Pontiac sous les griffes du diocèse de Pembroke, où la charité chrétienne ne s’étendait pas toujours aux fidèles de langue française.

 

Au moment de souligner les 50 ans de l’archidiocèse «gatinois», il est de la plus grande importance d’insister sur le fait qu’il s’agit d’un archidiocèse incomplet, amputé d’une dizaine de milliers de fidèles et de la moitié de son territoire. Bafoués et humiliés depuis plus d’un siècle, les Pontissois de langue française ne sont plus que l’ombre de ce qu’ils auraient pu devenir. La résistance est réduite à l’état de braises et les revendications, quand elles se manifestent, se font tout en douceur, par crainte de ne pas froisser les anglophones… L’Église catholique a une dette – une énorme dette – envers ces gens et envers ce territoire.

 

S’il existe encore un brin de justice politique dans le grand édifice ecclésiastique canadien, si on regarde bien au fond du contenu de cette mémoire trop souvent enfouie, on complétera le cinquantenaire de l’Archidiocèse de Gatineau en lui remettant ce qu’il aurait dû obtenir dès l’année de sa fondation en 1963: l’autorité sur le Pontiac. Mgr Durocher n’a qu’à en faire vigoureusement la demande. L’Assemblée des évêques du Québec l’appuiera, et la Conférence des évêques catholiques du Canada n’aura pas un seul argument valable à lui opposer, autre que les cris qui s’élèveront des Anglo-Pontissois et du diocèse de Pembroke. Les cris de ceux qui n’ont jamais fait de quartier à leurs concitoyens de langue française…


Le moment est venu. L’occasion est belle. Mgr Durocher doit comprendre. Lui-même est issu des milieux franco-ontariens. Il reste une injustice à réparer.

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Lien à l'article du Droit L'archidiocèse Ottawa-Cornwall bientôt reconnu légalement - https://www.ledroit.com/actualites/actualites-locales/est-ontarien/2023/05/05/larchidiocese-dottawa-cornwall-bientot-reconnu-legalement-QUJQKQSUZ5DIJEOGWBUENGKPSI/

Balayage de la page éditoriale du Droit du 19 juillet 2013. Le texte est devenu introuvable dans les archives Web charcutées du journal. Heureusement j'ai conservé la coupure papier:


 

jeudi 4 mai 2023

Insécurité linguistique, mon oeil!


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L'observation et l'analyse de la situation de la langue française dans notre coin d'Amérique du Nord constitue l'un de ces chantiers où, à force de fixer quelques branches de quelques arbres, on perd de vue la forêt.

Nous occupons un territoire entouré d'anglophones, 40 fois plus nombreux et porteurs de l'actuelle première langue internationale. Les îlots francophones à l'extérieur de ce territoire fondent à vue d'oeil. Le verdict des recensements fédéraux est implacable: le français décline partout au pays, et ce, même dans le château-fort québécois. Les transferts linguistiques vers l'anglais s'accélèrent d'une génération à l'autre. Cela s'entend à la télé, dans la rue; se lit dans les médias; se vit au travail et dans les foyers. Ça s'appelle l'assimilation. Sa réalité est facile à comprendre. Elle crève les yeux.

Alors quand je lis sur la page de l'excellent réseau franco-ontarien ONFR+ un texte comme celui intitulé Protection du français: l'insécurité linguistique plus dangereuse que le «franglais» (voir lien en bas de page), je me gratte la tête. Les experts cités sont reconnus et crédibles, ont consacré des décennies à étudier de l'extérieur un phénomène que j'ai vécu à l'interne. Et pourtant, parfois, je me demande si nous vivons sur la même planète...

L'article commence par quelques généralisations rédigées après une interview avec deux sociolinguistes de l'Université d'Ottawa, Shana Poplack et Nathalie Dion. Je cite: «Dans l'imaginaire collectif, la langue française glisse sur une longue pente qui la mènera éventuellement à sa perte. Mais visons-nous la bonne cible quand nous pointons le langage parlé des jeunes, les anglicismes ou le franglais?» Quel est cet «imaginaire collectif» évoqué? Le mot imaginaire évoque un éloignement de la réalité, et collectif renvoie nécessairement à une collectivité, mais laquelle? Et d'où vient ce «nous» indéfini qui jette un blâme sur le langage parlé des jeunes, les anglicismes et le franglais?

Cette introduction, sur laquelle s'appuie l'ensemble du texte, est un peu gratuite et, de fait, erronée. La longue pente sur laquelle le français glisse ne relève pas d'un quelconque imaginaire. C'est une réalité objective, scientifique, démontrée, palpable. Si on écrivait que dans l'«imaginaire collectif», le français se portait bien partout au Canada, je comprendrais mieux l'emploi de l'expression comme reflet d'une réalité imaginée et espérée, mais irréelle. La corruption du langage parlé, les anglicismes et le franglais sont régulièrement condamnés mais rarement, sinon jamais, ai-je pu croire que «nous?» voyions là des causes du déclin du français. Ce sont bien davantage des symptômes ou des conséquences du déclin du français.

Les sociolinguistes mettent la table en affirmant que le «bon» français est un mythe, et qu'au fil des siècles, les grammairiens «ne sont pas d'accord les uns avec les autres». Que les grammairiens de 1530 puissent ne pas s'accorder avec ceux de 1750 ou de 2023, ça va de soi. Que le «bon français» de 1675 ne soit pas toujours celui de 1975 va aussi de soi. Que le «bon français» varie selon qu'on soit en France, au Québec ou en Afrique va également de soi. Que plusieurs «bons» français se côtoient à la même époque me paraîtrait plausible. Mais tous ces «bons» français existent. Ce ne sont pas des mythes. Partout, les «mauvais» français se reconnaissent et font grincer les dents.

Ayant culpabilisé les ténors d'un «bon» français apparemment mythique, les deux expertes s'attachent à innocenter les anglicismes et l'emploi de mots anglais dans une conversation en français. Comme s'il suffisait, pour un verbe par exemple, de le conjuguer en français pour qu'il devienne acceptable. Supporter (to support) une cause, au lieu de l'appuyer, ne devient pas moins horrible parce qu'on le prononce et conjugue correctement. Quant à l'emploi de mots anglais dans une phrase en français, Mme Poplack n'y voit pas un signe de la perte du français. Au contraire, dit-elle, «ça requiert une habileté bilingue énorme pour penser tout le temps à la syntaxe des deux langues simultanément». Faudrait-il croire que les locuteurs de ce qui devient vite du franglais sont supérieurs sur le plan linguistique? Foutaise!

Les anglicismes et le recours aux mots et expressions anglaises sont un reflet de la pauvreté du vocabulaire des francophones, surtout mais pas exclusivement en milieu minoritaire (on n'a qu'à écouter les gens dans la rue à Montréal et à Gatineau). Si on se limite cependant à la situation des Franco-Ontariens, on constate que la majorité d'entre eux vivent des quartiers anglophones urbains. Les générations montantes auront en forte majorité des conjoints anglophones. Selon Statistique Canada, les Ontariens francophones consomment très majoritairement des produits culturels en anglais (Internet, journaux, télé, etc.), travaillent en anglais et communiquent en anglais dans les établissements publics et privés. Près de 40% d'entre eux parlent surtout l'anglais à la maison. Les adultes franco-ontariens sont presque tous bilingues, mais pas leurs enfants qui comptent un nombre d'unilingues anglais en hausse constante. Pas surprenant, par conséquent, que la plupart des jeunes parlent de plus en plus un français appauvri avec un accent anglo, que les anglicismes abondent et le franglais se propage.

Enfin, ces jours-ci, il est difficile d'échapper à l'évocation de ce qu'on a appelé «l'insécurité linguistique» comme l'une des causes du déclin du français dans des milieux (comme l'Ontario) où les francophones sont minoritaires. En vertu de cette théorie, des francophones, percevant leur incapacité à se conformer aux normes du «bon» français qu'on leur apprend à l'école, éprouvent «un sentiment de malaise, d'anxiété ou de peur» qui «bloque» leur utilisation du français. Je ne doute pas que ce phénomène existe chez de nombreux individus, mais il m'apparaît comme un facteur négligeable dans l'ensemble des rouages sociaux, économiques et politiques qui régissent le déclin du français au Canada et au Québec. Les transferts linguistiques sont un phénomène essentiellement social, et non l'expression de phobies individuelles.

Au sujet des interventions de l'école et des parents (vraiment? les parents?) pour améliorer le français parlé, Mme Poplack dit: «On veut tout faire pour appuyer l'utilisation du français. Mais ce n'est pas la bonne façon. Comme ça, on arrive à faire croire que si on parle naturellement comme notre groupe de pairs, on fait quelque chose de mal. Alors, si c'est mal, pourquoi parler français?» Des chercheurs auraient avantage à séjourner dans des écoles franco-ontariennes. Sauf pour quelques coins de l'Est et du Nord ontariens, ils arriveraient vite à la conclusion que même si l'on enseignait aux jeunes que c'est «bien» de parler un français tout croche et corrompu, la plupart passeraient de toute façon à l'anglais avec leur «groupe de pairs» en sortant de la classe. Les jeunes parleront la langue de l'intégration sociale et dans l'Ontario de 2023 (comme celui des années 1960 quand j'y étais), cette langue, c'est presque partout l'anglais. Le phénomène de l'anglicisation reste sociologique, pas psychologique.

Se peut-il que dans les tours universitaires d'Ottawa on ne voie pas, tout autour, ces générations de vieux qui parlent surtout français, ces générations d'adultes davantage bilingues que francophones, et cette génération montante de jeunes plus anglicisés que bilingues? Peut-on croire, même pour un instant, que l'insistance sur un «bon» parler français à l'école puisse avoir même un minuscule effet sur cette gigantesque machine sociale en mouvement? Peut-on croire, même pour un instant, qu'on puisse associer la corruption et l'anglicisation du français à des «innovations linguistiques des jeunes»? Les «chiacs», qu'ils nous arrivent de Shediac, de Montréal ou d'Ottawa, ne sont qu'une étape, plus ou moins longue, entre un passé français et un avenir anglais. Insécurité linguistique mon oeil!

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Lien au texte d'ONFR+ - https://onfr.tfo.org/protection-du-francais-linsecurite-linguistique-plus-dangereuse-que-le-franglais/