mercredi 17 mai 2023

La cornemuse et le clairon...

Capture d'écran de TVA Nouvelles

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Je n'avais jamais vu cela, du moins pas en personne. À l'imposant cimetière Beechwood, à Ottawa, sous un soleil éclatant dans ce magnifique lieu fleuri et verdoyant, les participants au cortège funèbre s'assemblaient, prêts à marcher ensemble la centaine de mètres jusqu'au lieu d'inhumation, quand un cornemuseur portant l'uniforme rouge de la Gendarmerie royale du Canada s'est placé en tête du défilé.

J'accompagnais mon épouse Ginette aux funérailles de Bruce Marr, conjoint d'une de ses cousines, Charlotte Lavoie, et ancien membre de la GRC des années 1950 jusqu'à 1988. Les cendres du sergent Marr devaient être placées dans un monument pour urnes au Cimetière national commémoratif de la GRC, situé au coeur du cimetière Beechwood. Les accents plaintifs de la cornemuse marquaient le début de l'hommage rendu par ses frères d'armes.

Le son de cet instrument n'atteint pas seulement l'oreille, du moins pas pour moi. Il remue aussi les tripes et charrie dans ses tuyaux des mélodies qu'on dirait de temps révolus et dont les échos, ayant quitté au fil des siècles les terres d'Écosse, de Bretagne, d'Irlande, se font désormais entendre en Nord-Amérique. On se sent moins seuls devant l'éternité, me semble-t-il, quand la musique des ancêtres encadre le réconfort essentiel de proches et amis, créant une ambiance qui transcende l'immédiat, ravivant souvenirs anciens et générations disparues.

La cornemuse s'est tue sur les lieux de la mise en urne, où attendaient au garde-à-vous quatre membres actuels ou retraités de la CRC en tunique rouge, médailles à la poitrine, formant une ultime garde d'honneur en hommage au disparu. Avant le début de la courte cérémonie religieuse, un autre membre de la GRC a fait entendre au clairon le Dernier appel, suivi quelques prières plus tard d'un émouvant Amazing Grace à la cornemuse. À la toute fin, les quatre membres de la haie d'honneur de la Gendarmerie ont rendu un ultime salut au défunt avant de quitter les lieux au pas militaire, cornemuseur et claironneur en tête.

Ce rituel à la fois simple et digne est davantage répandu chez les militaires, policiers et pompiers et peut, quand un camarade meurt au front, donner lieu à des rassemblements poignants. Ainsi, lors des funérailles récentes de l'agence Maureen Breau de la SQ, tuée au cours d'une opération policière à Louiseville, plus de 3000 policiers en tenue officielle - de partout au Québec, au Canada et même des États-Unis - ont accompagné à pied le cortège funèbre à Trois-Rivières. Mais qu'il s'agisse d'une mort violente ou du décès paisible d'un retraité comme Bruce Marr, le symbolisme est le même. La solidarité et les amitiés forgées en devoir, et encore davantage au combat, restent jusqu'à la fin.  Au cercle intime des parents et amis rassemblés pour célébrer la vie du défunt se greffe un rappel opportun d'autres liens durables qui ont marqué son séjour ici-bas, de personnes qui ont gravité près de lui et qui ne l'ont pas oublié.

Tous, toutes, nous tissons des appartenances durant notre vie... à l'école, au travail, en société, dans nos loisirs, nos engagements, nos luttes, nos épreuves, nos succès et nos échecs. Mon quartier d'enfance à Ottawa s'est effrité au cours du dernier demi-siècle, mais des centaines d'anciens résidants, toujours fortement attachés à ses rues et ruelles, échangent quotidiennement des souvenirs (et des annonces de décès) au sein d'un groupe Facebook. Mon emploi de journaliste au quotidien Le Droit avait fait de la salle de rédaction un second chez-moi (je n'étais pas le seul à penser ainsi) et encore aujourd'hui, quand décède un ancien scribe de la boîte, ou même un employé d'autres services du journal, cela nous touche et on verra au salon funéraire d'anciens collègues. Ils n'apporteront pas de rituel, n'endosseront pas d'uniforme comme les militaires, policiers et pompiers, ne se tiendront pas au garde-à-vous et n'auront pas de cornemuse ou de clairon, mais leur présence aura la même signification: l'importance de marquer, au moment du départ ultime, les anciennes solidarités.

Aux funérailles de M. Marr, des membres de la GRC en tenue officielle étaient venus dire tout haut, en présence de son épouse, de ses enfants, de ses amis et proches: Bruce était l'un des nôtres et nous sommes venus apporter les saluts de ses anciens frères d'armes. J'ai été ému et cela m'a donné à réfléchir sur les «célébrations de vie» (c'est ainsi qu'on les appelle désormais) et leur évolution depuis les vieux rituels religieux de mon enfance. Les journalistes, c'est le seul métier que je connaisse, n'ont pas d'uniforme, et je n'en connais aucun qui joue de la cornemuse ou du clairon. Et ils sont le plus souvent allergiques à la rigidité des rituels. Mais quand même, n'y aurait-il pas moyen, quand meurt un collègue, ancien ou actuel, de songer à quelque moyen de...

Je laisse à chacun, chacune, le soin de compléter cette réflexion.


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