dimanche 26 juillet 2020

SOS lac Sinclair?


D’autres ont sans doute craint, comme moi, le lent dépérissement d’un territoire qu’ils affectionnaient depuis longtemps, impuissants à freiner les mixtures toxiques d’agression industrielle et de négligence gouvernementale qui peuvent transformer un milieu attrayant en casse-tête de paysages désolants…

En 1973, j’ai découvert pour la première fois le lac Sinclair, situé aux confins de la municipalité actuelle de La Pêche, à 70 km au nord-ouest du centre-ville de Gatineau, où l’une de mes futures belles-sœurs avait fait construire un chalet. Il fallait rouler sur plus de 20 km de chemins de terre (de laveuse, plutôt) pour y arriver mais cela valait la peine.

Après avoir traversé le joli village de Ste-Cécile de Masham, le carrefour de Duclos et la localité d’East Aldfield avec sa coquette petite église blanche, on débouchait sur le sympathique magasin général de M. et Mme Bernier, porte d’entrée du sinueux chemin qui mène au lac Sinclair, magnifique plan d’eau d'une longueur de 5 km avec de nombreuses baies, bordé de chalets adossés à une forêt de feuillus qui rayonnait à perte de vue.

Mon épouse Ginette et moi y avons passé notre lune de miel en 1975. Nos enfants y ont emmagasiné des tas de souvenirs… à saveur de bonbons achetés chez Mme Bernier. Depuis le début des années 1990, nous sommes copropriétaires d’un petit chalet, voisin de la propriété de ma belle-sœur, maintenant résidente permanente au lac Sinclair. D’une année à l’autre, les chênes, les érables, les grands pins blancs, les fleurs sauvages, les couleurs automnales, sans oublier la vue sur le lac, ont laissé une empreinte indélébile.

Bien sûr, tout change avec le temps, mais pas toujours pour le mieux. Bien que les 22 km de laveuse aient été pavés, l’entretien des routes laisse souvent à désirer et à de nombreux endroits, en attendant des réparations qui tardent, les voitures doivent rouler au ralenti pour tenter d’éviter des nids de poule capables de crever un pneu ou déboîter une roue… Mais l’état des chemins suscite sans doute des jérémiades dans bien d’autres localités et s’il ne s’agissait que de ça, on pourrait passer l’éponge. Il y a plus, bien plus.

L’attrait du lac Sinclair, comme bien d’autres endroits de villégiature, tient à la beauté de son cadre naturel, à sa tranquillité ainsi qu’à son éloignement de la ville, des industries et des autoroutes bruyantes. On pouvait, autrefois, s’y entendre parler à l’extérieur en n’ayant dans les oreilles que le bruissement des feuilles dans le vent et les chants des oiseaux, interrompus occasionnellement par le ronronnement d’un moteur de voiture ou de bateau. Pour un citadin, cela ressemble beaucoup à un coin de paradis.

Depuis une dizaine d’années, cependant, la quiétude des environs (du moins près de la rive ouest du lac) est sérieusement mise en péril. On voyait déjà, de temps en temps, de gros camions chargés de billes de bois rouler sur nos routes de campagne, mais ils semblaient venir de secteurs éloignés. Plus récemment, cependant, le déboisement s’est sérieusement rapproché, au point de devenir visible même aux abords des chalets.

De grosses brèches apparaissent dans la forêt sur des terres appartenant à des particuliers, et on peine à s’imaginer les ravages causés plus loin, sur les terres de la Couronne, par des industries comme Lauzon, de Papineauville (ses activités sont heureusement suspendues durant cette période de pandémie), dont les routes d’accès forestières débouchent directement sur le chemin du lac Sinclair, au milieu de la zone de chalets…

Certains travaux en cours, tout près du secteur habité, peuvent être fort bruyants et commencent parfois vers 7 heures le matin… Pensez à l’effet sur une famille qui arrive pour quelques semaines de vacances et qui doit endurer pendant des heures, tous les jours, le vrombissement de scies mécaniques et de camions qui sont tout sauf silencieux… Cet été, peut-être est-ce l’effet de la COVID, une tranquillité relative est revenue, mais certains remarquent qu’on entend beaucoup moins qu’avant les chants d’oiseaux… ce qui n’est guère surprenant vu que leur habitat rétrécit…

Quand les activités reprendront, les camions lourds retrouveront leurs trajets et continueront à maganer les routes au pavage fragile et à rouler avec fracas, parfois à des vitesses excessives sur des routes sinueuses et étroites. À la pollution-par-le-bruit des opérations industrielles forestières s’ajoute celle des motocross, des 4-roues et des autos et camions sans silencieux qui semblent prendre plaisir à assourdir les passants à toutes heures du jour. Il doit y avoir là-dedans quelque violation de règlements municipaux, mais on a parfois l’impression que les élus de La Pêche ont peu d’intérêt pour l’avenir du secteur, ou pire, s’accommodent trop d'activités qui semblent parfois louches aux résidants et villégiateurs.

Ce laisser-aller, qui s'accompagne de multiples pollutions visuelles (signes visibles d'activité industrielle, détritus le long des chemins), s'ajoute à la perte de nombreux attraits locaux au fil des décennies - l'incendie de l'épicerie Labelle, renommée pour sa boucherie; la fermeture du magasin général Bernier au lac Sinclair et de tous les restos et bars du coin (Château Louise, le Carrousel, Chez Ghislaine); la démolition par le diocèse anglais de Pembroke (Ontario) de l'église française d'East Aldfield construite en 1885; la disparition du plus beau terrain de golf de normales 3 de l'Outaouais, le Club de golf Pontiac, laissé à l'abandon par le nouveau proprio). Heureusement nous avons toujours «Le p'tit magasin général» d'East Aldfield, sous excellente direction.

Il nous reste bien sûr le lac, et des territoires jusqu'à maintenant épargnés... mais pour combien de temps? Espérons une prise de conscience, par les autorités, des menaces qui pèsent sur ce joyau de l'Outaouais...






samedi 25 juillet 2020

Québec 1970-2020: rien n’a été réglé…


L’été 1970… Déjà un demi-siècle… Au pays du Québec, bien des choses ont changé depuis la fin de la Révolution-pas-si-tranquille-que-ça… Mais quand on y pense, aucun des problèmes de fond qui tiraillaient il y a 50 ans les Canadiens-français-devenus-Québécois n’a été réglé… En retournant sur les écrits d'un magazine de l’époque, les déjà-vus se succèdent…

J’épluche ces jours-ci les éditions pré-crise d’octobre 1970 de la revue indépendantiste Point de mire. Des grands noms du Parti québécois la dirigeaient ou y collaboraient, y compris Pierre Bourgault, Jacques-Yvan Morin, Bernard Landry et André d’Allemagne. L’équipe du magazine comprenait aussi des sommités culturelles, dont les auteurs Gaston Miron et Claude Jasmin.

Au départ, ce qui frappe, c’est la perception que le mouvement indépendantiste est porté essentiellement par les jeunes, que la défense du fédéralisme rassemble les vieilles gardes et qu’à ce titre, l’accession du Québec au rang de pays n’est plus qu’une question de temps. «En 1974 (année prévue de l’élection suivante), écrit Jean Meunier dans Point de mire en juin 1970, les 14, 15, 16 et 17 ans iront aux urnes. Plus politisés que leurs aînés, mieux avertis des problèmes du Québec, ils iront dans un fort pourcentage grossir les effectifs du PQ.»

Et Pierre Bourgault d’ajouter en éditorial (juillet 1970), s’adressant aux ténors du fédéralisme, «vos troupes meurent de vieillesse pendant qu’il nous en arrive des fraîches à tous les jours». Personne ne s’exprimerait ainsi en 2020…

Cet optimisme de 1970 est cependant tempéré par un sentiment, déjà répandu, que le temps joue contre les souverainistes, faute de mesures de protection et de promotion de la langue française. Le Québec vit sous le règne de la Loi 63, adoptée par le gouvernement précédent de l’Union nationale, qui permet le libre choix de la langue d’enseignement. «À la suite de l’adoption de la Loi no 63, poursuit le rédacteur en chef Bourgault, les immigrants (italophones) de St-Léonard s’inscrivent massivement à l’école anglaise».

«Pour 97 immigrants qui vont grossir la nation canadienne anglaise, seulement trois vont au groupe francophone», affirme Joseph Costisella (auteur du livre Le scandale des écoles séparées en Ontario), dans un article de Point de mire de juin 1970 intitulé «Doit-on interdire l’immigration?»

Dans un éditorial qui ferait sûrement frémir d’indignation les multiculturalistes de 2020, Pierre Bourgault lance en septembre 1970 cet appel : «Nous n’avons pas le choix. Il faut désormais stopper l’entrée de tous les immigrants au Québec. Pour ma part, je suis à la veille de suggérer que nous rendions par milliers à Dorval, le jour de l’arrivée d’un avion d’immigrants, pour forcer cet avion à retourner d’où il vient, avec son chargement de futurs citoyens québécois anglophones.»

Dans un autre texte à l’été 1970, un journaliste de Point de mire évoque les fraudes électorales dénoncées par le PQ à la suite de l’élection du 29 avril 1970, portant notamment sur les votes exercés en faveur des libéraux par des immigrants récemment arrivés, n’ayant pas la citoyenneté canadienne. Dans la circonscription montréalaise de Mercier (celle de Robert Bourassa), allègue-t-on, «des citoyens non canadiens avaient voté pendant que des centaines de Québécois, surtout âgés de 18 à 25 ans, ont été privés du droit de voter».

«Un jour ce pays parlera français, coûte que coûte, prophétise-t-il hardiment. Nous y accueillerons alors les immigrants avec sympathie et respect.» Le débat n’a pas beaucoup changé de ton en ce début de 21e siècle... Peut-être est-il opportun aussi de rappeler que le ministre libéral de l’Immigration était alors Pierre Laporte, «assurément la créature la plus détestée des indépendantistes» (Point de mire, juin 1970) qui serait enlevé et assassiné quelques mois plus tard par des membres du Front de libération du Québec (FLQ).

Cette arrivée massive d’immigrants aussitôt en voie d’anglicisation, combinée à une dénatalité foudroyante au sein de la société québécoise francophone, tourmente plusieurs analystes y compris Joseph Costisella, lui-même immigrant, qui s’intéresse beaucoup à la situation des Franco-Ontariens et de la francophonie hors-Québec. «Dans 50 ans (donc en 2020), les Canadiens français ne représenteront plus que 16,8% de la population totale (du Canada), prédit-il en ajoutant que si le rythme d’anglicisation n’est pas freiné, la population de langue française pourrait n’être qu’«une minorité de 10%»…

Personne ne pouvait alors prévoir les effets de la future Loi 101, qui obligerait les immigrants à fréquenter l’école française, ainsi que des autres mesures de francisation, qui n’ont pas stoppé le recul du français mais l’ont bel et bien ralenti au Québec.

La même édition de Point de mire rapporte à cet égard les propos de Ken Pearson, de la Chambre de commerce des jeunes de l’Ontario (comparaissant devant la Commission B-B). Il n’y a que 30% de francophones au Canada (à l’époque), et bientôt, dit-il, ce ne sera que 15%. Selon lui il est alors inutile de s’occuper des revendications canadiennes-françaises, car les Canadiens français «ne représenteraient bientôt qu’une force négligeable»…

Au Québec de 1970, la situation linguistique suscite la colère de l’Association des professeurs de français. «Ce qui nous préoccupe, disent-ils, c’est que le Québec n’est pas français. Il est anglais et français, il est bilingue. Dès lors, il ne faut pas s’étonner si le français québécois est dans une trop large mesure du franglais.» (Comme en 2020…)

«Le problème de la collectivité québécoise et de sa langue, estiment les profs de français en 1970, ne tient pas à ses voisin, américains ou canadiens. Il est dû à la présence en son sein d’une minorité anglophone, qui n’est en réalité que le front solidement établi, au Québec, de la majorité anglophone canadienne.»

Cette perception est partagée par nombre d’exilés américains (déserteurs, objecteurs de conscience à la guerre du Vietnam). «Nous avons fait l’erreur, déclare l’un d’eux, de nous coller à la minorité anglaise de Montréal. Puis nous avons découvert que le peuple québécois était français. Et nous sommes du côté du peuple.»

Le racisme des Anglo-Canadiens à l’endroit des francophones hors-Québec, et des «Rhodésiens» de Westmount à l’endroit des Franco-Québécois, avait suscité de multiples réactions, y compris de nombreuses manifestations et même de la violence (celle du FLQ notamment). Les policiers de l’époque utilisaient leurs matraques bien plus sur les jeunes Québécois blancs et indépendantistes (les «nègres blancs», aurait dit Pierre Vallières) que les citoyens d’autres cultures et d'autres races.

La situation était telle qu’une fraction appréciable de l’opinion publique de langue française manifestait de la sympathie pour les terroristes felquistes, approuvant leurs objectifs sans souscrire à leurs méthodes. À ce sujet, le syndicaliste Michel Chartrand déclarait en août 1970 : «Jamais on ne me fera cracher sur les gars qui posent des bombes. Ils ont le droit de ne pas être contents ces gens-là. Le système capitaliste est fondé sur la violence et il engendre nécessairement la violence.»

Quelques mois plus tard, Michel Chartrand se retrouvait derrière les barreaux sous l’emprise des mesures de guerre, innocent de tout crime et emprisonné, comme près de 500 autres innocents, pour le simple fait d’avoir milité en faveur de l’indépendance du Québec et d’un socialisme démocratique et laïc.

Cinquante années plus tard, l’avenir de la nation québécoise de langue française est toujours en péril, pour essentiellement les mêmes motifs qu’en 1970. La survie des minorités francophones hors-Québec est gravement menacée. La proportion des parlant français au pays diminue à chaque recensement, et le projet d’indépendance du Québec semble maintenant l’étendard des vieux plutôt que celui d’une jeunesse trop peu politisée, plus individualiste et, pour plusieurs, docilement soumise à la propagande anglo-canadienne déguisée en soi-disant bienveillance multiculturaliste.

Ça s'annonçait mal en 1970… Avec l’échec de la génération montante de l’époque, c’est pire en 2020… Il est ironique que la pérennité de la seule nation française d’Amérique du Nord semble maintenant reposer sur les épaules vacillantes des vieux qui étaient les jeunes de 1970…



jeudi 16 juillet 2020

Juillet 1970... Sur le pouce...

Ma mini-tente et mon sac à dos, près de Rivière-du-Loup...

Il y a 50 ans aujourd'hui, le 16 juillet 1970, je me plantais au bord de la route 17, à l'est d'Ottawa, avec un sac à dos pesant 25 kilos (52 livres à l'époque), et partais à l'aventure pour deux semaines «sur le pouce». J'étais âgé de 23 ans, franco-ontarien, journaliste au quotidien Le Droit depuis un an et je ne connaissais du Québec que la région montréalaise et le coeur de la Vieille Capitale...

Comme je n'avais pas de voiture et peu d'argent (mes premières vacances payées), il ne restait que l'auto-stop pour sillonner le Québec... Jusque là j'avais mené une vie tranquille, partagée entre la lecture, l'étude, la musique et les causes franco-ontariennes. Célibataire, pas sportif pour un sou, rebelle jusqu'aux tripes, ayant refusé de fréquenter une académie militaire au secondaire, hostile aux rangs, commandements et uniformes (même ceux des scouts...), personne n'aurait été surpris de me voir passer deux semaines de vacances le nez enfoui dans des livres et magazines...

Mais quelque chose me disait que si je devais un jour faire une folie, c'était maintenant... ou jamais, surtout que la société québécoise était en ébullition après l'élection du 29 avril. Alors je me suis acheté un sac à dos, une mini-tente, le nécessaire de camping et une carte routière du Québec (que j'ai toujours) pour y tracer l'itinéraire que j'espérais suivre jusqu'à la fin de juillet. Seul oubli voulu, mon rasoir... j'avais l'intention de laisser pousser une barbe...

En fin de matinée, ce jeudi 16 juillet, quand mon père m'a laissé près d'Orléans, j'étais convaincu que je serais de retour chez moi en soirée et que personne n'arrêterait pour m'offrir un lift. Mais non, après une demi-heure à sortir le pouce, une auto a ralenti et le conducteur m'a demandé où j'allais. Faire le tour du Québec, lui ai-je répondu. Bon bien, embarque jusqu'à Hawkesbury... De là, je pourrais traverser le pont Perley jusque' à la route 8 (l'actuelle 148). Et c'était parti!

Six tours d'auto plus tard j'arrivais à ma première destination -- St-Roch-de-l'Achigan, entre Lachute et Joliette -- à la ferme des parents d'un autre scribe du Droit, Normand Dugas, où l'on m'a hébergé pour la nuit en me demandant pourquoi je voudrais marcher pendant des semaines avec plus de 50 livres sur le dos... Une excellente question, à laquelle j'avais de la difficulté à répondre...

Le lendemain, retour sur la route avec un autre bon samaritain, un homme dans la soixantaine, ancien combattant anti-Franco durant la guerre civile espagnole à la fin des années 1930, qui m'a raconté avec force détails les horreurs vécues au front contre les fascistes. Nous roulions enfin sur le chemin du Roy, en direction de Trois-Rivières et Québec. À la fin du deuxième jour, mon pouce et moi étions arrivés à Sainte-Anne de Beaupré, sous un ciel menaçant...

Une première nuit sous la tente (les clochers de Ste-Anne de Beaupré à l'arrière)

Je n'avais jamais de toute ma vie couché sous la tente (et encore moins monté une tente)... En dépit de mon incompétence en camping, mon mini-abri a lentement pris forme sur un terrain vague à l'ombre des clochers de la basilique. Installé inconfortablement dans un espace exigu collé contre mon sac à dos, les éclairs, le tonnerre et la pluie ajoutant du piquant à l'expérience, j'ai réussi quand même à dormir et à rester bien au sec... Ste-Anne veillait sur moi...

Tout est désormais découverte... Les paysages de Charlevoix, la traversée du Saint-Laurent à Saint-Siméon. Après une autre nuit sous la tente dans un champ près de Rivière-du-Loup, mon pouce m'amène vers le bas du fleuve et la Gaspésie... Je me revois assis sur la rue principale de Trois-Pistoles avec ma carte routière ouverte et mon sac à dos sur le trottoir. Le temps de le dire, quatre ou cinq résidents m'avaient rejoint pour me demander si j'avais besoin d'aide ou de conseils, curieux de savoir d'où je sortais et où j'allais... Des gens accueillants, chaleureux...

Le Centre d'art de Percé en juillet 1970

Le fleuve n'est plus le fleuve, c'est la mer et je remonte la péninsule gaspésienne en deux ou trois jours, à mon rythme, pour passer une nuit à Gaspé où un cordonnier a dû réparer mon sac à dos (coût: 75 cents) puis une journée entière à Percé où je me suis permis un congé de mini-tente en couchant à l'auberge de jeunesse. En plus des touristes venus voir le Rocher Percé (j'en étais un), j'ai rencontré de jeunes militants indépendantistes qui distribuaient des journaux et des tracts qui semblaient sympathiques au FLQ, et ce, à moins de trois mois de la crise d'octobre 1970...

Ma première vue du Rocher Percé

Grâce à la bienveillance de plus d'une vingtaine d'inconnus qui m'ont embarqué, j'étais rendu aux portes de la Matapédia, ayant fait le tour de la péninsule gaspésienne, quand j'ai vu le pont menant à Campbellton, au Nouveau-Brunswick. J'avais eu des amis acadiens à l'université et je n'ai pu résister à la tentation d'une incursion sur la rive sud de la Baie des Chaleurs... J'ai réussi à atteindre Caraquet, servant en chemin d'interprète entre un vendeur de tracteurs unilingue anglais et un acheteur acadien unilingue français...

Si je voulais revenir au travail à temps, il fallait rebrousser chemin et tourner le pouce en direction d'Ottawa, qui me semblait bien loin... Un retour sans histoire par la vallée de la Matapédia, sauf pour les trois ou quatre km que j'ai dû courir avec mon poids de 25 kilos pour arriver à temps au traversier de Rivière-du-Loup, et la rencontre d'un couple d'auto-stoppeurs à La Malbaie qui avaient été brutalement agressés par ceux qui leur avaient offert un lift, la fille étant violée sous les yeux de son copain qui avait un couteau sur la gorge... C'est là que je me suis dit que ces vacances sur le pouce étaient mes premières et mes dernières...

Distances en pieds, pas en mètres

Arrivé à Québec, je devais prendre le train jusqu'à Ottawa. Il fallait que je sois de retour le lendemain. Le billet m'ayant pris mes derniers sous, j'étais résigné à dormir sur un banc dans la gare, mais on nous a mis à la porte en fin de soirée. C'est la seule fois de ma vie que j'ai couché toute une nuit sur un banc de la terrasse Dufferin, éveillé à quelques reprises par des gars qui voulaient mettre en péril mon hétérosexualité...

À mon retour, fin juillet, j'ai rangé mon sac à dos, accroché encore aujourd'hui dans notre garage, et repris mes activités de courriériste parlementaire au Parlement fédéral. La seule différence? J'avais maintenant une barbe rousse et les cheveux un peu plus longs... Je ne savais pas que l'automne serait plus turbulent que mes vacances sur le pouce...

Quelques années plus tard, j'étais marié et sur le point d'avoir des enfants... Il n'y aurait plus jamais d'auto-stop... Si je n'avais pas sorti mon pouce ce 16 juillet, je ne l'aurais jamais fait, et je l'aurais regretté toute ma vie...


Quelqu'un peut identifier cette bâtisse à Percé? N'oubliez pas, c'est en juillet 1970...




dimanche 12 juillet 2020

Il y a 50 ans... L'humiliation...

Il y a 50 ans... juillet 1970... Un «calme» relatif avant la tempête d'octobre...

Durant tout le mois d'avril, j'avais couvert la campagne électorale québécoise dans la grande région montréalaise pour mon quotidien, Le Droit d'Ottawa. Une campagne tumultueuse dans la métropole, surtout dans les quartiers plus francophones où le Parti québécois de René Lévesque talonnait les libéraux de Robert Bourassa, broyant sur son chemin les anciens châteaux-forts de l'Union nationale.

Avec une finale marquée par le célèbre coup de la Brinks et l'élection d'à peine sept députés du PQ en dépit d'un vote populaire de 23%, les résultats du 29 avril 1970 étaient restés comme une arête dans la gorge de nombreux militants indépendantistes. En juillet, j'ai passé mes vacances à faire «du pouce» (chargé d'un sac à dos de 25 kilos) et me suis retrouvé, entre autres, à Percé où des jeunes qui semblaient proches du FLQ distribuaient des journaux et des tracts...

Ce même mois, j'ai acheté le numéro de juillet 1970 de la revue indépendantiste Point de mire, fort courue à l'époque, et je crois, en rétrospective, que l'éditorial de Pierre Bourgault, intitulé L'humiliation, avait bien flairé l'air du temps et constituait, à certains égards, un texte prémonitoire. J'en reproduis ici des extraits:

«La semaine dernière, je me faisais littéralement "sortir" en compagnie de quelques amis, d'une discothèque de l'ouest de Montréal parce que nous avions osé commander une bière en français: pire, nous avions osé insister pour nous faire servir en français. La patronne, une dame vieillissante du nom de Monroe, nous affirma avec tous les cris hystériques d'usage qu'elle ne voulait pas de politique chez elle.

«À Montréal, en 1970, commander une bière en français c'est faire de la politique»...

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«Et puis je ne me remettrai sans doute jamais du profond sentiment de frustration que j'ai ressenti le soir du 29 avril quand j'ai vu le système électoral dont on nous vante les mérites n'était qu'une machine à inventer l'injustice, qu'une vaste fumisterie déployée pour servir de façade aux écoeuranteries de l'establishment. Quand j'ai vu des milliers de citoyens québécois se voir refuser le droit de voter pendant que des milliers d'immigrants dépourvus de citoyenneté, inconscients du geste qu'on leur faisait poser, décidaient du sort de la nation québécoise à son insu.

«Quand j'ai vu la nouvelle arrogance briller aux yeux des Anglais. Quand je me suis senti étranger dans mon propre pays. Quand j'ai vu des milliers de jeunes cassés en deux par le désespoir, conscients d'avoir été roulés et se retournant contre leurs plus fidèles alliés.

«Quand j'ai vu que les bombes éclataient et que, sans m'en réjouir je ne m'en offusquais pas; quand j'ai senti qu'au fond de moi-même je n'étais pas loin de les justifier.

«Quand j'ai compris que l'argent justifie tout aux yeux de ceux qui n'en ont pas mais qu'il n'est rien aux yeux de ceux qui en ont et qu'ils sont prêts à le perdre pour animer le fanatisme qui les habite.

«Aujourd'hui mon humiliation est profonde. Et je suis certain que l'humiliation que je ressens est partagée par des centaines de milliers de Québécois.

«Individuellement et collectivement nous sommes humiliés. Malheur à ceux qui entretiennent cette humiliation...

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«Nous ne rions plus. L'humiliation collective prépare des éruptions volcaniques. Vous nous croyez "cassés", brisés dans nos forces vives? Vous vous trompez.»

L'éditorial de l'ancien chef du RIN, désormais membre du PQ, traduisait sans doute assez bien les sentiments de milliers de jeunes et d'adultes frustrés dans leur quête d'un Québec indépendant, social-démocrate (voire socialiste) et laïc. J'ai surtout la nette conviction que les analystes au service du gouvernement fédéral de Pierre Elliott Trudeau croyaient eux aussi que Bourgault avait vu juste. Et ils en avaient pris bonne note...

Aussi, quand le Front de libération du Québec déclencha ce qu'on a appelé par la suite la «crise d'octobre», Ottawa s'attaqua immédiatement aux milieux indépendantistes, bien plus qu'aux ravisseurs de James Cross et Pierre Laporte, suspendant les libertés civiles du pays tout entier et faisant emprisonner quelque 500 Québécois innocents. De toute évidence, humilier n'avait pas suffi. Il fallait désormais écraser.

C'était du moins ma perception comme journaliste du Droit à la Tribune de la presse parlementaire fédérale... et ce l'est toujours.

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page couverture de l'édition de juillet 1970 de Point de mire





samedi 11 juillet 2020

Je m'ennuie déjà de Miss Alfred...


Pour les vrais amateurs de hot dogs, hamburgers et frites, le village franco-ontarien d'Alfred comptait - du moins jusqu'à tout récemment - parmi les destinations incontournables. Dans un concours de capitale mondiale pour ce genre de bouffe, cette localité d'un millier d'habitants sur la vieille 17 entre Ottawa et Montréal aurait probablement remporté la palme... Or, je viens d'apprendre par Radio-Canada (bit.ly/2Crjcn4) que trois des quatre derniers casse-croûtes d'Alfred ont fermé leurs portes, y compris mon préféré, le Resto Miss Alfred...

En allant à Montréal ou en revenant vers Gatineau, j'ai toujours préféré l'ancienne route 17 à la demi-autoroute 50 du côté québécois et à la 417 en Ontario. Entre le trajet terne et endormant de l'autoroute ontarienne et l'inquiétude constante d'éviter les collisions frontales sur la 50 à deux voies, pourquoi ne pas suivre la route qui frôle ou traverse les villes et villages de l'Est ontarien...

Au coeur de l'itinéraire, entre Hawkesbury et Plantagenet, se dresse le clocher de St-Victor d'Alfred, que l'on peut apercevoir à des kilomètres de distance quand on roule en direction d'Ottawa. La route 17 étant aussi la rue principale (rue St-Philippe) et la limite de vitesse étant sévèrement contrôlée à 50 km-h, on a le temps d'apprécier l'allure authentique de village qui caractérise Alfred.

Il n'y a pas de doute qu'on se trouve ici en territoire franco-ontarien. La plupart des affiches sont bilingues mais plusieurs noms et descriptifs de commerce sont présentés en français seulement. On remarquera la maison funéraire, qui s'appelle Lamarre... Mais surtout, du moins jusque'à l'an dernier, on guettait les célèbres casse-croûtes qui ont fait la renommée du village...

Je ne sais pas si beaucoup de gens agissaient comme nous, mais mon épouse et moi faisions un peu exprès d'arriver dans le secteur d'Alfred vers l'heure du lunch pour s'arrêter à notre casse-croûte préféré, le Resto Miss Alfred, dernier du village en roulant vers la métropole, premier en sens inverse. Avec ses gros barils aménagés en table et le grand auvent bordé de rouge, on pouvait difficilement le manquer.

On plaçait les commandes à l'intérieur dans un mini-espace resto, et je dois avouer que nous commandions toujours le même repas - un hot dog moutarde sucrée maison et une frite, avec une boisson gazeuse. Si ce n'avait été que de l'accueil souriant en français (pas de bonjour-hi...) et de la saveur de la bouffe, c'aurait déjà été suffisant. Mais il y avait plus...

En attendant de recevoir notre commande, la propriétaire Suzanne Villeneuve avait toujours quelque mets à offrir gratuitement aux clients. La dernière fois que nous y sommes allés, elle nous avait servi des casseaux remplis de soupe au pâté chinois, une invention maison. C'était délicieux. Et elle avait ajouté un morceau de gâteau maison comme dessert, sans frais additionnels. Pas étonnant qu'on retournait à chaque occasion (ce qui n'était pas souvent, malheureusement).

Cette année, avec la pandémie, nos déplacements vers Montréal (où demeure l'une de nos filles) ont été annulés et là, je viens d'apprendre que Miss Alfred, qui aurait célébré bientôt ses 50 ans, n'y sera plus. Décidément, tout ne sera plus jamais comme avant. Jadis, en empruntant la route 148 du côté québécois, il y avait un excellent casse-croûte à Fassett. Faudra peut-être renouer, faute de Miss Alfred.

On n'a pas à chercher longtemps ce qui a tué les casse-croûtes d'Alfred. Le premier coup a été asséné avec l'ouverture de l'autoroute 417 durant les années 1970. Elle a entraîné loin vers le sud une grande partie des automobilistes qui prenaient la 17... Puis vlan, le demi-autoroute 50, qui a sans doute rapatrié au Québec une partie de ceux et celles qui empruntaient une route ontarienne entre Montréal et l'Outaouais urbain. Et enfin, le dernier mais non le moindre, un Tim Hortons a ouvert ses portes à quelques pas du Miss Alfred il y a quelques années... C'était probablement le clou dans le cercueil...

Je n'ai rien contre les Tim Hortons, ou les McDo, ou les A&W et autres du même genre, mais aucun d'eux n'arrivait à la cheville de Miss Alfred, tant pour la saveur que pour le prix que pour le service. J'aimerais bien que Mme Villeneuve reconsidère sa décision de fermer, ou qu'elle trouve un successeur capable de poursuivre la tradition...

Une pétition, peut-être???




lundi 6 juillet 2020

Racisme systémique? Ras-le-bol...

J'en ai ras-le-bol d'entendre les gens galvauder l'expression «racisme systémique». On en étire le sens. Pire, on le déforme, on le fausse. Au point où l'on voit le «racisme systémique» partout... Si l'expression doit avoir un véritable sens, il en est de même pour les deux mots qui la composent.

Le racisme, ce n'est pas la xénophobie ou la discrimination même s'il peut les englober. Le racisme, c'est la conviction et l'expression d'un sentiment de supériorité d'une race, d'un groupe ethnique ou d'une culture par rapport à une (ou plusieurs) autre race, groupe ethnique ou culture. Le mot clé est supériorité. Le raciste est convaincu de la sienne, et de l'infériorité des autres.

Le qualificatif systémique fait référence au système, au régime, aux institutions, aux lois qui donnent au racisme une légitimité reconnue par l'État et ses émanations. Ainsi, l'esclavage légalisé des Afro-Américains aux États-Unis jusqu'à la guerre civile. Les régimes d'apartheid en Afrique du Sud (et dans les États du Sud américain jusqu'aux années 1960). Les lois et règlements canadiens visant à réprimer, voire supprimer la langue et la culture françaises. Le régime imposé aux Autochtones partout au pays.

Quand les États du Sud des États-Unis déployaient une armée de policiers pour empêcher des Noirs, par la force, de fréquenter des établissements réservés aux Blancs, c'était une manifestation de racisme systémique.

Quand le gouvernement canadien envoyait la GRC arracher des enfants autochtones à leurs parents pour les attrouper dans des pensionnats indiens, c'était une manifestation de racisme systémique.

Quand les provinces à majorité anglaise, au nom de la supériorité de la civilisation anglo-saxonne, adoptaient des lois répressives contre leurs minorités francophones pour les angliciser, c'était aussi une forme de racisme systémique.

Dans tous ces cas, le racisme émane du «système». Les individus qui l'appliquent peuvent être ou ne pas être racistes. Tous «exécutent les ordres» cependant. L'immoralité de telles actions a été établie aux procès de Nuremberg mais la nature du racisme systémique tend à déculpabiliser les individus et à jeter la responsabilité sur l'ensemble de l'appareil étatique ou bureaucratique.

C'est le côté le plus pernicieux du racisme systémique. En reconnaissant son existence, on blâme l'État, un ministère, une entreprise, une nation entière, mais pas les individus qui la forment, ces derniers devenant en quelque sorte victimes du système au même titre que les véritables victimes du racisme. En avouant un «péché» collectif, on se trouve à innocenter les individus coupables.

L'accusation récente du chef néo-démocrate Jagmeet Singh contre le député bloquiste Alain Therrien en fait une démonstration éclatante. M. Singh postule dans sa motion l'existence d'un racisme systémique (sans définir racisme, sans définir systémique) à la GRC et affirme que tous ceux qui s'opposent à la motion sont des racistes.

Ainsi, selon le chef du NPD, c'est de l'institution même, de la GRC, qu'émane le racisme. Le coupable, c'est le système, pas les membres de la Gendarmerie royale. Que des policiers soient racistes ne fait aucun doute. Que d'autres ne le soient pas ne fait aussi aucun doute. Mais la motion de M. Singh fait de ces derniers des complices d'un système jugé raciste dans lequel ils ou elles oeuvrent. Pire, il condamne comme racistes tous ceux et celles, fussent-ils militants anti-racistes, qui voudraient remettre en question ses définitions ou y apporter des nuances...

Historiquement, au Canada, le racisme systémique s'est surtout exercé contre les Autochtones et les Canadiens français. La mainmise de la culture états-unienne sur le Canada anglais influence à l'excès la perception des rapports entre Canadiens blancs et noirs. Que ces derniers soient victimes de racisme, de discrimination et d'injustices diverses apparaît évident, mais les défis que ces situations posent ne sont pas d'ordre systémique comme chez nos voisins du Sud.

La reconnaissance d'un racisme systémique par tout ce qui bouge, en commençant par Justin Trudeau, ne sert qu'à donner bonne conscience à ceux et celles qui se confessent sur la place publique, sans apporter de solution réelle aux situations créées par la présence d'individus racistes, y compris dans des postes de commande, un peu partout. Et que dire du rôle des médias, qui continuent de colporter des amalgames simplistes, brouillant ainsi les enjeux dans l'opinion publique. Leur crédibilité dans les dossiers de racisme dit systémique est maintenant quasi nulle.

Le rapprochement entre laïcité et racisme systémique au Québec dans les médias anglo-canadiens recèle hypocrisie et malhonnêteté, et suinte de relents du vieux fond de racisme anti-francophone à travers le pays. La Loi 21 porte sur la laïcité de l'État québécois et n'a rien à voir avec race, ethnie ou culture. Elle interdit les symboles religieux (de toutes les religions) pour certaines catégories d'employés du secteur public. Les plaintes larmoyantes en faveur des femmes musulmanes voilées, comme si la loi ne visait qu'elles, sont particulièrement indigestes. En les obligeant à retirer leur voile dans certaines fonctions, la Loi 21 les met sur un pied d'égalité avec toutes les autres femmes et tous les hommes dans la même situation, alors que le voile imposé par leur religion leur conférait un statut d'infériorité.

Les Anglo-Canadiens, héritiers d'une culture impériale britannique éminemment raciste, ont beaucoup de difficulté à comprendre le racisme. Les Noirs, les Autochtones et les francophones d'ici (Québécois, Acadiens et Canadiens français) ont été historiquement victimes de formes de racisme, y compris de racisme systémique. Leurs combats pour assurer la pérennité de leur culture et de leurs institutions ne peuvent d'aucune façon être associés au racisme.

Aux États-Unis, les Afro-Américains qui manifestent contre la violence policière ne sont pas des racistes anti-blancs. Ils se défendent. Cela relève même de la plus légitime défense. Comme les combats des Autochtones et des collectivités francophones au Canada. La victime qui combat le racisme ne peut, par définition, être raciste.

Le temps est venu de clarifier les enjeux et les concepts liés au racisme. Cela est essentiel si on veut vraiment régler les problèmes. Mais je n'attends plus grand chose des dirigeants politiques, ni des médias qui ont, dans ce dossier, abandonné les principes journalistiques d'enquête en faveur de conclusions jugées faussement évidentes... 



mercredi 1 juillet 2020

Les indépendantistes de la région d'Ottawa?

Récemment, Bibliothèque et Archives nationales du Québec (BAnQ) a mis en ligne la série complète du journal du Rassemblement pour l'indépendance nationale (RIN), intitulé tout simplement «L'indépendance» et publié de 1962 à 1968. Une lecture fascinante qui nous replonge au coeur de la révolution pas si tranquille qui a mis le Québec traditionnel sens dessus dessous...

Comme je suis né et j'ai grandi à Ottawa, j'ai toujours été intéressé par le rôle qu'ont joué les Franco-Ontariens dans l'éclosion de l'indépendantisme des années 1960... Le RIN comptait plusieurs francophones de l'Ontario parmi ses membres fondateurs et l'article ci-dessous, publié dans le numéro de septembre-octobre 1963, fait état de leur présence active et de l'intérêt que suscitent pour les mouvements indépendantistes le sort des Franco-Ontariens, particulièrement en matière de droits scolaires.


Le titre du texte publié en page 16 (le dos du journal) attire immédiatement l'attention: «Les indépendantistes de la région d'Ottawa dénoncent Maurice Lamontagne». Député fédéral d'Outremont et ministre dans le cabinet libéral de Lester Pearson, M. Lamontagne avait dénoncé les «séparatistes» au congrès de l'Association canadienne-française d'éducation de l'Ontario (ACFEO) en 1962.

Les sections outaouaises du RIN et du PRQ (Parti républicain du Québec) ont répliqué ainsi à l'intervention du ministre fédéral:

«S'efforçant de diviser notre nation, selon une stratégie classique, le ministre (Lamontagne) a déclaré (devant l'ACFEO) ceci: "Vous n'ignorez pas sans doute que les séparatistes québécois parlent toujours avec un certain mépris de la vie française en Ontario. À les entendre, on serait porté à croire que les Franco-Ontariens ne sont que des Canadiens français de seconde classe, qui ne font que survivre avant de trahir définitivement leur langue et leur culture."

«Au fait, nos sections du PRQ et du RIN comptent dans leurs rangs une forte proportion de Franco-Ontariens, et ne cessent de prêcher une solidarité englobant d'abord les Canadiens français du Québec, de l'Ontario et du Nouveau-Brunswick, puis ceux des autres provinces, et enfin les francophones du monde entier.

«Cette attitude, entièrement positive, ne s'accompagne d'aucune hostilité envers les autres collectivités linguistiques.

«Le RIN et le PRQ considèrent les Franco-Ontariens comme des leurs, mais ne peuvent s'empêcher de ressentir une profonde tristesse devant les difficultés auxquelles ceux-ci sont en butte. M. Lamontagne, dont le souci pour la langue française remonte aux premiers succès d'opinion des mouvements séparatistes, ne saurait nier lui non plus que la vie française des Franco-Ontariens est infiniment plus difficile que si elle pouvait s'appuyer sur un système d'enseignement complet.

«Et la situation de nos frères ontariens serait beaucoup moins précaire si M. Lamontagne et ses amis s'étaient avisés plus tôt de l'inégalité scolaire dont les Canadiens français sont victimes au Canada, hors du Québec.»

Le journal du RIN avait consacré un article, en 1962, au livre de Joseph Costisella intitulé «Le scandale des écoles séparées en Ontario». Ces liens entre les indépendantistes québécois du début des années 1960 et de nombreux sympathisants franco-ontariens feraient l'objet d'une belle recherche. Il y a même eu un membre franco-ontarien du FLQ...

Si j'étais plus jeune, j'entreprendrais la rédaction d'un livre là-dessus...