mercredi 30 décembre 2020

L'ultime assaut des vieux...

Moi, jeune... Moi, vieux...

Il y a 50 ans, j'étais jeune. Journaliste, syndicaliste. Les cheveux longs, la barbe. Frais sorti d'années contestataires aux sciences sociales de l'Université d'Ottawa. Solidaire des Afro-Américains, des Vietnamiens, des mouvements de libération en Amérique latine. Dynamisé par l'élection de Salvador Allende au Chili. Coude à coude avec les partisans de l'indépendance, de l'unilinguisme français et de la laïcité au Québec (même si j'étais alors franco-ontarien). Vivant d'espoir que le socialisme démocratique en viendrait à bout des dictatures et du capitalisme débridé autour du monde. En un mot, à gauche!

Je n'étais pas seul. Ma génération était en voie de devenir le fer de lance d'un vaste mouvement, issu de la Révolution tranquille, qui menaçait d'ébranler le socle de nos anciens asservissements, tant à Québec qu'à Ottawa. Les ténors d'un fédéralisme intransigeant à la Trudeau et les défenseurs du statu quo économique nous voyaient monter aux barricades avec anxiété. Ce n'est pas un hasard si plusieurs des nôtres ont été emprisonnés durant la crise d'octobre. Nos opinions étaient jugées séditieuses. La véritable démocratie a toujours été séditieuse. Ici, ailleurs, partout.

Nous croyions à nos chances de réussite. Nous semblions portés par un élan irrésistible. Avec l'élection du Parti québécois en 1976, la victoire pointait à l'horizon. On avait sous-estimé le pouvoir, la ténacité et la mauvaise foi de l'adversaire. La Loi 101 a été charcutée par les tribunaux fédéraux. Avec la nuit des longs couteaux de 1981, le reste du pays nous a imposé une camisole de force constitutionnelle. Même un faible compromis comme Meech a été saboté sans merci. Au référendum de 1995, les forces du Non (Ottawa en tête) n'ont pas hésité à violer toutes les règles du jeu pour nous arracher notre pays... Depuis 20 ans, l'usure a refroidi les braises des anciens combats. En cette fin de 2020, où va-t-on?

Autour de la planète, les victoires de la gauche ont été rares et peu contagieuses. Les Noirs luttent toujours pour l'égalité et la justice aux États-Unis. Les Vietnamiens ont repoussé les Américains mais attendent toujours la démocratie. Allende a été assassiné et les Latino-Américains, pour la plupart, n'ont pas échappé aux griffes de puissants capitaux étrangers. Le projet d'un Québec indépendant, français et laïc agonise. Les vieux intégrismes religieux (musulmans, juifs, chrétiens) empoisonnent de nouveau nos sociétés et nos lois. De nouvelles rectitudes politiques charrient de nouvelles censures, jusque dans les universités. Les technologies modernes nous asservissent plus qu'elles ne nous libèrent.

Dans une situation semblable, on devrait pouvoir s'attendre que les jeunes montent au front pour reprendre le flambeau porté par les générations précédentes. Pour mener à terme l'oeuvre inachevée, en marche depuis plus de 250 ans. Pour que les efforts consentis par des millions de Québécois et Canadiens français depuis la conquête de 1760 n'aient pas été en vain. Parce que le but est noble. La démocratie. La souveraineté. L'égalité. La laïcité de l'État. La justice. La paix. Pour permettre aussi à notre petit peuple de s'affirmer au sein du concert des nations, d'apporter notre modeste contribution à la diversité mondiale. 

Malheureusement, rien ne semble indiquer que nos plus jeunes générations aient l'étoffe de combattants. Elles connaissent trop peu notre histoire. Ont trop peu de respect pour la langue et la culture françaises que les aïeux leur ont transmis au prix d'efforts parfois herculéens. Sont obnubilées par les rectitudes politiques de l'heure, par les motifs voilés d'un soi-disant multiculturalisme, par tous ces écrans qui les accaparent. N'ont aucune notion de ce qu'est véritablement la gauche et la démocratie. Une génération où les étincelles jaillissent encore, de temps à autre, pour s'étouffer dans une mer de lavettes...

Je ne cherche pas à défendre outre-mesure ma vieille génération. J'ai 74 ans. Quand je fais le bilan de notre présence sur cette terre nord-américaine, je suis obligé de conclure que nous avons échoué là où ça comptait le plus. Mais au moins, il me semble, nous avons essayé!

Aujourd'hui, cette génération des années 1960 et 1970 vieillit. Vieillit vite, même. Nous commencerons bientôt à croupir dans des résidences pour personnes âgées. Mais j'ai la conviction que les braises de notre combat historique demeurent plus chaudes chez nous qu'ailleurs, et que cet attroupement de boomers n'a peut-être pas dit son dernier mot. Une mission finale, avant la décrépitude. Monter une dernière fois au front pour assurer une relève qui franchira le Jourdain à notre place.

Nous avons des connaissances. Un vécu aussi. Des idéaux que nous avons portés quand la vie était devant nous, des idéaux qui méritent un engagement renouvelé. Nous sommes encore suffisamment nombreux pour peser dans les débats de l'heure. Je ne sais pas comment, individuellement et collectivement, les vieux pourraient faire basculer des enjeux aujourd'hui, mais cela vaut bien un débat, une réflexion, un dialogue. Je ne veux pas mourir en voyant mon peuple s'éteindre à petit feu. Mon coeur et mon cerveau ont toujours 20 ans... quand il le faut. Et j'ai la conviction de ne pas être seul.

Hé les vieux, un dernier sursaut? Un ultime assaut?

Photo libre de droit de Quebec National Flag And Patriote Flag banque  d'images et plus d'images libres de droit de Canada - iStock

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Certains me trouveront injuste envers les plus jeunes dans mes critiques. Ils ont sans doute raison. Mais en cette fin de 2020, ce texte reflète bien mon état d'âme. Bonne année 2021 malgré tout, à toutes et tous! 

lundi 28 décembre 2020

Le franglais et l'anglais à Radio-Canada

Si une chose a changé dans ma vie depuis le début du confinement pandémique en mars dernier, c'est que je regarde plus qu'auparavant les informations à la télévision de Radio-Canada. Les bulletins de midi, 18 heures, 22 heures. Des heures et des heures de lecture de nouvelles, de reportages, d'interviews, de bulletins de météo... Et aussi une quantité indigeste de publicités en grappes, parfois une douzaine d'affilée, occupant une part disproportionnée du temps d'antenne...

L'autre soir, en écoutant André Tourigny, entraîneur-chef de l'équipe junior du Canada, affirmer que les joueurs devaient «focusser» sur la «game» et de voir une telle déclaration, exemple parmi d'autres du massacre de la langue française dans les milieux sportifs, passer comme du beurre dans la poêle, je me suis souvenu de l'époque de René Lecavalier où Radio-Canada servait de phare à ceux qui oeuvraient à l'amélioration du français parlé et écrit, notamment au hockey.

Il fut une époque où les médias de langue française, les journaux en particulier mais aussi la télé et la radio, prenaient au sérieux leur devoir de présenter un français sans faute aux lecteurs et auditeurs. Au quotidien Le Droit, quand j'y suis arrivé en 1969, il y avait en poste une équipe de correcteurs à l'atelier de composition qui passaient au peigne fin tous les textes et les titres des nouvelles (et des publicités) pour offrir au lectorat la plus haute qualité possible de rédaction. Et les auteurs d'erreurs en étaient informés!

Manifestement, sur les ondes de la télé française d'État en 2020, ce genre de souci fait partie de lointains souvenirs. Jour après jour, l'absence de respect pour notre langue nationale est scandaleuse. C'est à croire que Radio-Canada a complètement oublié ses obligations linguistiques. Comment la télé française peut-elle présenter sans hésitation des pubs (Heineken, Pandora) où la totalité ou la quasi-totalité de la trame sonore est constituée d'une chanson anglaise, à laquelle on ajoute de peine et de misère quelques sous-titres ou une conclusion en français?

Comment Radio-Canada peut-elle offrir en toute conscience à son auditoire francophone une annonce du VUS Rogue (prononcé ROWGG en anglais) de Nissan qui s'adresse à votre «gang» d'explorateurs, à votre «gang» de plongée, à votre «gang» d'astronomes... Ou encore cette pub de Skip qui montre un couple québécois en train d'engouffrer un repas à bloquer les artères, avec le gars qui plonge son hamburger gras-dégoulinant dans une épaisse sauce en soufflant à sa conjointe, «Oh yeah!»... En matière linguistique, ces jours-ci, les publicités se campent au dénominateur commun le plus bas...

Si au moins tous les animateurs, reporters et invités des bulletins de nouvelles compensaient en offrant un français châtié, ce serait un moindre mal mais nombre d'entre eux commettent des fautes impardonnables sans sourciller. Combien de fois ai-je entendu au fil des mois «les (choses) que j'ai besoin», «se mériter» au lieu de mériter, débuter comme transitif, des verbes mal accordés, des problèmes maladroitement promus au rang de problématique, des anglicismes, ou même une expression ou un terme anglais quand un mot français tout à fait approprié est disponible. Et que dire des personnes interviewées durant les reportages? Parfois, les déclarations sont faites en anglais, sans sous-titre, sans explication, ou la qualité du français (même chez un francophone) est pauvre au point d'être quasi incompréhensible... Si c'est ça le français moderne, alors j'mets mon drapeau en berne comme diraient les Cowboys fringants.

Et je n'aborde ici que les bulletins de nouvelles à Radio-Canada. Quand j'écoute d'autres émissions, plus rarement, à la télé ou à la radio d'État, les oreilles me frisent. Les membres de la communauté artistique québécoise, qui circulent d'une émission à l'autre en boucle à l'année, trônent trop souvent au sommet des utilisateurs de mots anglais alors qu'ils accordent une entrevue en français.

Et je ne peux résister à mentionner la dominance des chansons anglaises à des émissions comme En direct de l'univers... Pourquoi Radio-Canada n'établit-elle pas une règle claire pour ce genre d'émissions: le réseau est français, les chansons sont en français. Les invités sauraient à quoi s'en tenir et proposeraient uniquement des chansons de langue française.

Même règle pour les émissions de variétés comme Tout le monde en parle, Parlons parlons, etc... Si un artiste est invité à présenter une de ses compositions, on établit clairement qu'il doit s'agir d'une chanson en français. S'ils veulent chanter en anglais, eh bien qu'ils s'en aillent à CBC ou à la télé privée de langue anglaise... ou à la radio anglaise. Ce n'est pas trop demander à la télé d'État française de respecter et de promouvoir la langue dans laquelle elle diffuse. Une langue menacée, qui en a bien besoin.

On m'accusera sans doute de cibler injustement Radio-Canada, qui fait peut-être mieux que toutes les autres chaînes. C'est bien possible. Je n'écoute pas les autres chaînes. Je n'en sais rien.

Des fin-finauds me rappelleront la vieille maxime: que celui qui n'a pas péché lance la première pierre. J'accepterais cette critique. J'en fais, des fautes. J'ai appris dans mon enfance le français de la rue dans mon petit quartier francophone d'Ottawa, avec ses fautes et ses anglicismes. J'ai tenté tout au long de ma vie de corriger les erreurs et de m'améliorer. Je dois bien ça à ceux qui m'ont transmis la langue et la culture françaises, ainsi qu'à ceux à qui je voudrais bien la léguer.

Avec mes petits moyens, j'ai fait des progrès. Mais Radio-Canada, avec de puissants moyens, ne semble faire aucun effort. Et cela me met en beau joual vert...


lundi 21 décembre 2020

COVID... Quand on se compare, on ne se console pas...


Durant la première vague de la pandémie de COVID-19, le Québec aura été l'un des territoires les plus malmenés de la planète. On y a recensé plus de la moitié des cas et des décès pour l'ensemble du Canada, même si la province ne compte que 23% de la population du pays.

Pas surprenant que depuis le début de la deuxième vague, on sent un certain soupir de soulagement en voyant quotidiennement le nombre de cas en Ontario surpasser ceux du Québec. L'impression c'est que, en dépit des chiffres très élevés, quelque chose va mieux qu'en mars et avril... Et les médias ne font pas grand chose pour contrecarrer ce sentiment...

Aussi, quand j'ai entendu ce midi le reporter de Radio-Canada signaler en passant que malgré les sombres tableaux de plus de 2000 nouveaux cas par jour, l'Ontario enregistrait des hausses proportionnellement moins élevées que celles du Québec, je me suis dit: il était grand temps!!! De fait, je ne comprends pas que les reportages (du moins ceux que j'ai vus et lus) ne rappellent pas tous les jours à quel point la situation au Québec demeure pire qu'en Ontario...

Il faudrait peut-être commencer par rappeler que selon les données du plus récent recensement, celui de 2016, le Québec compte environ 8 165 000 habitants, tandis que la population de l'Ontario oscille autour de 13 500 000. Ramené à sa plus simple fraction, cela donne 6 Québécois pour 10 Ontariens. Et cela signifie, traduit en COVID, que si l'Ontario enregistre 1000 cas de COVID en une journée, le Québec ne doit pas atteindre le cap des 600 nouveaux cas pour pouvoir se comparer favorablement aux voisins...

Les derniers totaux au moment de la rédaction de ce texte, ceux du 21 décembre 2020, font état de 2183 nouveaux cas de COVID au Québec et de 2202 en Ontario. Pour que le Québec s'en sorte au moins aussi bien que l'Ontario, il aurait fallu que le nombre de nouveaux cas ne dépasse pas 1321 (ce qui représente 60% du total ontarien). Ou, formulé autrement, pour que ce chiffre de 2183 ne représente que 60% des cas ontariens, il aurait fallu que l'Ontario enregistre 3646 nouvelles infections (pas 2202)!!!

Regardons les nouveaux cas de COVID-19 pour la semaine se terminant le 20 décembre:

Nouveaux cas               Ontario        Québec        (60% de l'Ontario)

14 décembre                2275            1741                (1365)

15 décembre                2139            1897                (1283)             

16 décembre                2432            1855                (1459)

17 décembre                2290            1773                (1377)

18 décembre                2357            2038                (1414)

19 décembre                2316            2146                (1390)

20 décembre                2123            2108                (1274)

21 décembre                2202            2183                (1321)

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Quand le total quotidien du Québec dépasse le chiffre entre parenthèses ci-dessus, le territoire québécois compte plus d'infections par tête qu'en Ontario. On a du chemin à faire! Cela ne signifie pas que les choses aillent bien chez nos voisins. Au contraire, ça va très mal, notamment dans la grande région torontoise. Et toute proportion gardée, c'est bien pire chez nous! 

Les médias de langue française devraient marteler ce clou tous les jours pour informer la population québécoise du bien-fondé de prendre les mesures les plus sévères possibles pour freiner l'évolution de la pandémie!


samedi 19 décembre 2020

Une bouteille à la mer... vers les côtes de l'Acadie...


J'avais 23 ans quand j'ai mis les pieds à Caraquet, au Nouveau-Brunswick, pour la première fois. J'étais jeune journaliste franco-ontarien au quotidien Le Droit et pour mes premières deux semaines de vacances, n'ayant pas d'économies, j'avais décidé de partir à pied avec mon sac à dos et de traverser le Québec vers l'est «sur le pouce». J'ai fini par atteindre la péninsule acadienne avant de revenir sur mes pas...

En tant que reporter, je me faisais bien sûr un devoir de feuilleter le quotidien ou l'hebdo de chaque localité sur mon chemin. Arrivé à Caraquet, j'ai fini par mettre la main sur un exemplaire du journal mensuel «Le Voilier», un petit bijou d'information locale imprimé de façon artisanale avec une merveilleuse devise d'inspiration acadienne: «Il est battu par les flots, mais ne sombre pas.» J'avais en main la parution de juillet 1970 (volume 5, numéro 11). Je l'ai toujours, en décembre 2020.

J'ai beau faire le ménage dans mes paperasses, tenter d'élaguer comme me le propose souvent (avec raison) mon épouse, je n'arrive pas à mettre cet exemplaire du «Voilier» au bac de recyclage. Après 50 ans, il a sans doute acquis une valeur historique. Combien reste-t-il de copies de ce numéro de juillet 1970? Peut-être plusieurs, peut-être sont-elles rares. Et si c'était l'une des dernières? Je ne veux pas risquer de perdre pour l'éternité toute l'information qui s'y trouve...

Cela me rappelle un peu Le Droit de jadis (disons avant les années 1950). Le Voilier propose à son lectorat des nouvelles locales comme on n'en voit plus dans ce qui reste de notre presse écrite en 2020. C'est la vie intime de la communauté acadienne de Caraquet qui habite ses pages. Le Voilier ne se contente pas d'apprendre à ses lecteurs et lectrice que la cohorte de diplômés de l'École régionale de Caraquet compte 150 élèves. On inclut dans le texte le nom de chacun, chacune des 150 diplômé(e)s!

Un texte raconte avec force détails les événements entourant le 25e anniversaire de la Fédération des caisses populaires acadiennes, auxquels assistaient des représentants des 75 caisses pop du Nouveau-Brunswick! Combien en reste-t-il aujourd'hui? Le Voilier propose aussi un article sur une visite en canot-automobile du site du futur «Village acadien» à la Rivière-du-Nord. «Nulle part au Nouveau-Brunswick pouvait-on trouver un lieu qui rappelait davantage Grand-Pré», écrit-on.

Sous le titre «Nos chers disparus», le mensuel transforme parfois en petites nouvelles les avis de décès. Ainsi pour la mort de M. Emond Doucet, on apprend, au-delà des noms des proches parents et des détails sur les funérailles, toutes les circonstances de l'accident tragique de motocyclette qui lui coûta la vie. Les textes sont rédigés dans un français châtié, et emploient des formulations qu'auraient avantage à imiter les nécrologies du 21e siècle. Ainsi peut-on lire que le 23 juin 1970, «la mort enlevait à l'affection des siens M. Adélard Boudreau».

La rubrique «Quoi de plus heureux?» informe les gens de Caraquet des mariages, en y incluant le déroulement de la cérémonie, les noms des invités, les lieux de la réception et même des détails sur le voyage de noces à venir... Le Voilier fait même la description du mariage de Jean-Claude Haché et d'Anne-Lise Duguay dans le petit village de Marathon, situé sur les rives du lac Supérieur, en Ontario. Pourquoi? Parce que la mère du marié et ses frères, résidents de Caraquet, y assistaient. Le voyage de noces devait aussi amener le jeune couple dans la péninsule acadienne.

Le mensuel propose même une section intitulée «Nos visiteurs» où l'on apprend le nom d'à peu près tous les visiteurs à Caraquet. Entre autres, on peut y lire que «M. et Mme Freddie Doucet et leur  fils Donald et sa dame de Montréal ont visité des parents à Pokesudie et Caraquet. M. Donald devint un amateur de pêche au maquereau avec la chance qu'il avait.» 

Avec une publication vieille de 50 ans, on tombe inévitablement sur des noms d'associations ou d'organismes disparus. Ainsi cet «Institut de Sheila» auquel Mme Azade McGraw rend hommage dans les pages du Voilier. Fondé en 1948, le groupe fait partie d'un réseau d'instituts féminins acadiens qui oeuvrait dans la région de Caraquet depuis 1920... Est-un précurseur de l'actuel Institut féminin francophone du Nouveau-Brunswick? Je n'en sais rien...

La publication d'une quarantaine de pages fait aussi état de «belles manifestations» au Festival marin du Bas-Caraquet et d'activités à venir au Festival acadien en août. «Décorons... Pavoisons... Illuminons... pour le Festival acadien et surtout, costumons-nous! Donnons-nous la main!»

Je lance ce petit texte de blogue comme une bouteille à la mer. Me refusant à détruire ce journal, précieux témoin d'une autre époque, j'espère qu'il pourra trouver refuge ailleurs. Si des organismes ou des médias acadiens, ou quelque organisation à vocation historique de la région de Caraquet collectionnent et conservent ce genre de document, laissez-moi un message...



 

jeudi 17 décembre 2020

Soins de santé. Trudeau flaire l'occasion... Il veut l'affrontement avec Legault...


Quand ça compte, quand ça compte vraiment, le gouvernement fédéral a peu de respect pour les compétences des provinces. Il a utilisé à répétition son pouvoir constitutionnel de dépenser (ou de ne pas dépenser) pour casser les dirigeants provinciaux. Le fédéral s'est servi des tribunaux (Ottawa nomme tous les juges de cours supérieures) pour invalider des lois provinciales. Parfois, des politiciens fédéraux n'ont pas reculé devant l'illégalité pour contrer des projets québécois...

Mais jamais un premier ministre n'est allé aussi loin que Justin Trudeau - même pas son père - pour justifier ces intrusions constitutionnelles. Pour imposer des normes fédérales aux États provinciaux en matière de soins de santé de longue durée, une compétence clairement provinciale, le premier ministre Canadian a déclaré, en anglais: «La dignité des aînés, la sécurité des personnes âgées, ne relève pas vraiment d'une compétence particulière. Pas quand on parle de leur survie.»

Non mais se rend-on compte de ce qu'il vient d'énoncer? Trudeau affirme qu'Ottawa peut, de son propre chef, décréter que les politiques ou pratiques d'une province, agissant démocratiquement dans son domaine de compétence, mettent en jeu la dignité, la sécurité et la vie des vieux qui vivent dans des centres de soins de longue durée. Ainsi, quand le gouvernement de la majorité anglo-canadienne à Ottawa estimera que les malades âgés du Québec sont maltraités, eh bien le reste du Canada aura le droit d'imposer sa volonté au gouvernement québécois, et de retirer à l'Assemblée nationale et aux citoyens qui l'ont élue des droits consacrés par la Constitution.

Et il en rajoute en déclarant que les provinces qui ne choisissent pas d'offrir à leurs aînés les normes de qualité les plus élevées - il faut comprendre qu'il parle ici de ses propres normes fédérales, bien sûr - devront en subir les conséquences. Elles n'auront pas l'aide financière d'Ottawa, et auront le fardeau de la preuve devant leurs propres citoyens, qui voudront savoir pourquoi leur gouvernement provincial ne prend pas les sous de ce gouvernement fédéral qui a tant à coeur le bien-être des vieux... C'est à la fois méprisant et arrogant. Digne de Pierre Elliott. Comme s'il était évident qu'Ottawa sait mieux que Québec, ou Toronto, ou les autres, quelles sont les normes de qualité les plus élevées...

Avec de tels arguments, plus aucune constitution ne tient. Au nom d'un pouvoir sans limite de dépenser, au nom de la dignité, de la sécurité et de la vie, au nom d'un savoir supérieur apparemment évident, Ottawa pourrait piétiner toutes les compétences des provinces, celles du Québec en particulier, sans exception, et finir par obtenir l'aval de tribunaux de plus en plus serviles, remplis de nominations sympathiques aux priorités fédérales. On a vu le sort de la Loi 101 depuis 1977. Et que dire de la Loi 21, qui passe présentement dans le tordeur judiciaire. Le domaine de la santé n'y échappera pas.

La seule solution durable, pour le Québec, passe par l'indépendance, mais de toute évidence le moment n'est guère propice pour relancer une telle démarche. Par contre, le gouvernement québécois n'est pas sans arme devant les assauts d'Ottawa. Sans volonté peut-être, mais pas désarmé. Du moins pas politiquement. Sans modifier cette constitution qui nous étouffe, Québec peut refuser une fois pour toutes de jouer le jeu fédéral-provincial, et surtout le jeu d'Ottawa.

Après l'échec de l'Accord du lac Meech, Robert Bourassa avait juré que le «un contre dix», c'était fini et que désormais, le gouvernement de la nation québécoise négocierait d'égal à égal avec le Canada anglais. Que Bourassa ne l'ait pas fait n'enlève rien à la valeur de cette stratégie, qui aurait le mérite de modifier le rapport de force traditionnel d'un Québec à la table face à Ottawa et neuf provinces. Quand la sauce se gâte et qu'Ottawa fait son chantage habituel, on sait d'avance de quel côté se rangeront la majorité des autres capitales. À un contre un, le jeu n'est plus le même.

Québec peut aussi une fois pour toutes dénoncer cette Loi constitutionnelle de 1982 qu'il n'a jamais signée et qu'on lui impose contre son gré depuis 1982. Qu'en tant que représentant de la nation francophone du pays, il juge illégitime la démarche de la nuit des longs couteaux de 1981 et n'accepte plus les conditions de l'entente à laquelle il n'était pas signataire. Qu'il ne reconnaîtra plus les arbitrages constitutionnels de tribunaux dont tous les membres sont nommés par le premier ministre fédéral. Que le «nonobstant» devient la règle plutôt que l'exception tant que ce régime continue sans modification.

Enfin, le gouvernement Legault devrait se rappeler, même sans foncer vers la souveraineté, même sans trop bouger sur le plan constitutionnel, que Robert Bourassa avait raison quand il déclarait en juin 1990 que «le Québec est aujourd'hui et pour toujours une société distincte, libre et capable d'assumer son destin et son développement». Et aussi, en tirer les conclusions, c'est-à-dire gouverner non comme une province parmi d'autres mais comme «une société distincte, libre et capable d'assumer son destin». C'est ce qu'il a fait avec la laïcité de l'État. 

L'occasion se présente d'agir avec la même fermeté en santé, puis avec la Loi 101. Mais les occasions, sans volonté, ne mènent à rien. Surtout quand ceux d'en face semblent avoir de la volonté (et de l'argent) à revendre...


Retrouver la vraie «castonguette»...

Magistrale caricature d'Ygreck dans le Journal de Montréal

Durant son deuxième mandat, au milieu des années 1960, Jean Lesage avait fait appel aux services de l'actuaire Claude Castonguay dans le dossier entourant le projet fédéral de régime de pensions du Canada. Le projet élaboré par Castonguay a permis au Québec de créer son propre régime des rentes, la fondation sur laquelle a été érigée la Caisse de dépôt et de placement du Québec.

Pour cette seule réalisation, Claude Castonguay aurait pu figurer au palmarès des grands bâtisseurs de la Révolution tranquille. Mais l'histoire ne faisait que commencer. Après sa victoire surprise contre les libéraux de Lesage en 1966, le gouvernement de l'Union nationale sous Daniel Johnson a eu recours à l'expertise de Castonguay pour jeter les bases d'un régime universel d'assurance-maladie au Québec.

Les travaux de la Commission Castonguay-Nepveu ont mené à la création de la Régie de l'assurance-maladie du Québec en 1969. L'année suivante, Robert Bourassa a recruté Claude Castonguay comme candidat libéral dans Louis-Hébert pour lui permettre de compléter l'oeuvre entreprise: la mise en place du régime d'assurance-santé.

Le politicien Clause Castonguay a siégé moins de quatre années à l'Assemblée nationale, mais son empreinte sur l'assurance-maladie québécoise fut telle que la carte d'assurance-maladie, avec son image flamboyante de coucher de soleil abitibien, est vite devenue «la castonguette» dans le langage populaire.

Au moins de juin 2020, l'ancien ministre accorda une entrevue d'une heure à Michel Lacombe pour l'émission «Le 21e», à la première chaîne de Radio-Canada. L'interview a porté sur une diversité de sujets mais Lacombe a commencé par ce pour quoi on le connaît le mieux: la santé.

Rappelant que l'appellation originale d'assurance-maladie avait été troquée pour assurance-santé au fil des ans, l'animateur a demandé à Claude Castonguay ce q'il pensait du changement de nom. Ce dernier a indiqué sa préférence pour la première (on a d'alleurs conservé le nom de la RAMQ), estimant toutefois que la mise sur pied d'un système de santé public et cohérent (qui n'existait pas avant 1970) pourrait justifier une identification à portée plus vaste.

Ainsi, qu'on ait changé l'appellation «assurance-maladie» pour «assurance-santé» ne le dérangeait d'aucune façon... «Par contre, ce que je n'aime pas c'est qu'on ait changé la carte!», ajouta aussitôt Claude Castonguay en réponse à Michel Lacombe. 

Pourquoi, lui demanda l'intervieweur, amusé et curieux? «Bien, c'est quelque fonctionnaire qui a décidé qu'il fallait changer la carte pour profiter, je suppose, des progrès au plan technologique, mais on aurait pu garder l'image parce que la carte soleil il me semble que ça faisait symbole et aujourd'hui c'est une carte comme une autre». Ouais, ça ressemble en effet à une carte de crédit, remarqua Michel Lacombe. «Exactement», de répondre M. Castonguay...

Le décès de Claude Castonguay ne passera pas inaperçu. Au-delà des témoignages, on voudra sûrement plaquer son nom sur quelque bâtisse ou lieu public, rebaptiser une route ou quelque chose du genre. Ou même lui dédier une statue que des générations futures voudront sans doute déboulonner. Pourquoi, plutôt, ne pas répondre à son voeu et revenir à la carte-soleil d'avant, qui avait effectivement «valeur de symbole» et qui lui était étroitement associée?

La nouvelle carte, plutôt insipide, a conservé en arrière-plan fade et pâle un soleil forestier mais l'image est à peine visible. Ne soyez pas surpris que je sorte parfois mon permis de conduire quand on me demande ma carte de la RAMQ. Elles se ressemblent beaucoup... Comme le disait Claude Castonguay, elle est devenue «une carte comme une autre»...

Revenir à la carte soleil, à la vraie «castonguette», serait le meilleur hommage à rendre à cet éminent bâtisseur d'une époque charnière du Québec. Car Claude Castonguay, comme la carte qui a porté son nom, demeure un symbole de ce qu'il est possible de faire quand l'occasion et la volonté se conjuguent. 




jeudi 10 décembre 2020

Le combat contre le racisme a besoin de guerriers, pas de mauviettes...

Image du Huffington Post Québec

La professeure Veruschka Lieutenant-Duval a fait couler beaucoup d'encre cet automne après avoir prononcé à des fins pédagogiques le mot «nigger» (oui, c'était bien en anglais!) devant une classe d'étudiants à l'Université d'Ottawa.

Il a suffi qu'un auditeur se sente déstabilisé pour que la professeure soit suspendue, qu'une pétition réclamant des sanctions contre Mme Lieutenant-Duval recueille plus de 10 000 signatures et que le recteur Jacques Frémont rappelle à l'ordre un groupe de 34 professeurs qui, au nom de la liberté académique, s'étaient portés à la défense de leur collègue.

Les étudiants offusqués ont vite réussi à transformer des propos pédagogiques en incident racial. Les interventions du recteur de l'Université d'Ottawa ont eu pour effet de renforcer les rages étudiantes et de répandre davantage la thèse voulant qu'il y ait eu là un incident raciste, même si Mme Lieutenant-Duval n'avait fait que son travail d'enseignante.

Et comme s'il n'était pas suffisant qu'on lance faussement des accusations de racisme, l'affaire a pris une sale tournure linguistique, les francophones défendant à peu près seuls la liberté universitaire. Le grand débat qui a suivi dans les médias de langue française n'a pas trouvé d'écho chez les Anglo-Canadiens, où l'on semble tenir pour acquis l'évidence d'une injure raciale.

Mais l'élément le plus frustrant de cette escalade automnale, c'est la piètre performance des médias. Si la couverture journalistique des derniers mois constitue un indicateur de la rigueur des journaux (du moins ce qui en reste) et des nouvelles télé, ça va mal. Très mal. Les salles de rédaction semblent être devenues ici des courroies de transmission trop souvent teintées de rectitude politique, au point où il est devenu impossible pour lecteurs et auditeurs de savoir vraiment ce qui s'est passé à l'Université d'Ottawa.

Le brouhaha est tel que le recteur, après avoir proféré des énormités, a jugé bon de jeter de l'huile sur le feu en créant un comité d'action contre le racisme. Rappelons-le: tout cela résulte de l'incident Lieutenant-Duval, qui n'avait rien de raciste. Pire, le geste du recteur Frémont a été considéré comme nettement insuffisant par les militants soi-disant anticracistes, et certains d'entre eux ont occupé pendant quelques jours le rez-de-chaussée du pavillon principal de l'Université, près du bureau du recteur.

Et que rapportent nos médias de langue française? Un texte de Radio-Canada rappelle que l'Université d'Ottawa a été secouée par «plusieurs événements à connotation raciale», le plus récent (le déclencheur) étant celui où «une professeure a prononcé le mot en N dans le cadre d'un de ses cours. Cet incident a plongé l'institution dans la tourmente et créé de profondes divisions sur le campus».

Ce paragraphe est une horreur journalistique dans la mesure où aucun sens critique ne se manifeste (peut-être l'auteur ou les chefs de pupitre n'avaient-il pas suivi le dossier). D'abord il n'explique pas que le «mot en N» n'est pas le mot «nègre» prononcé en français. Puis, au lieu de donner le crachoir aux militants, on aurait dû demander aux porte-parole en quoi le fait d'enseigner l'histoire d'une injure raciale constitue un geste raciste.

Et si, comme il l'écrit, les événements d'automne ont plongé le campus dans la tourmente et créé de «profondes» divisions, comment se fait-il que seule une vingtaine d'étudiants ont participé à l'occupation du pavillon administratif de l'Université? Le texte encore plus court du quotidien Le Droit, maintenant numérique, ne parle pour sa part que d'une dizaine d'étudiants...

L'article du Droit évoque aussi l'utilisation du «mot en N» sans spécifier qu'il s'agit du mot anglais. Pourtant le quotidien avait inclus cette précision dans un article antérieur beaucoup plus étoffé. Et le texte range l'affaire Lieutenant-Duval parmi les incidents à caractère racial, peut-être le plus important puisqu'il a «causé une onde de choc sur le campus et partout au pays». On ajoute que la prof a été suspendue et que le «mot en N» a été proscrit sur le campus...

Les journalistes semblent tenir pour acquis, dans leur couverture, que les étudiants noirs ont subi une agression raciale par le simple fait d'entendre une prof prononcer le mot «nigger» à des fins pures et simples d'enseignement. C'est cet incident somme toute banal qui est à l'origine des interventions du recteur Jacques Frémont, de la création d'un comité d'action contre le racisme à l'Université, de l'occupation d'un pavillon universitaire, de l'interdiction apparente du «mot en N», et de la nomination d'un conseiller spécial qui, dans ses premières interventions, semble beaucoup plus proche des censeurs de la liberté académique que des défenseurs de la professeure Lieutenant-Duval.

Dans une entrevue accordée à Radio-Canada, ce conseiller spécial, Boulou Ebanda de B'béri (lui aussi professeur à l'Université d'Ottawa), tient des propos qui ne sont guère rassurants pour les tenants de la liberté d'expression. Il propose d'éviter «le mot en N» (encore sans dire de quel mot il s'agit) et de protéger les étudiants qui vivent des microagressions au quotidien. Il ajoute: «Qu'on ne froisse pas nos étudiants, surtout des étudiants (qui ont des) sensibilités, ou bien des étudiants qui ont déjà la résistance à fleur de peau. Parce que ce sont des personnes qui vivent des microagressions tout le temps. Alors pour le besoin pédagogique et pour la liberté académique, je pense qu'il faut ménager ces étudiants-là».

On en est rendu là. Il faut protéger les étudiants sensibles des mots qui pourraient les blesser, de ces «microagressions», jugées trop fréquentes. Hé, réveillez-vous. L'université est un lieu de combat. Les idées s'affrontent, s'écorchent, jusqu'à ce que la lumière jaillisse. Sur le plan de la parole et de l'écrit, ce sont des agressions, pas des microagressions. Si on veut être protégé des mots qui peuvent blesser, même dans un contexte pédagogique, allez ailleurs qu'à l'université.

Le combat contre le racisme, le vrai, a besoin de guerriers de la parole,  prêts à rendre coup sur coup sans répit, jusqu'à la victoire, et non de timorés et de mauviettes qui se réfugient trop rapidement derrière le bouclier d'un soi-disant «racisme systémique». Quant aux médias, ils doivent sans délai trouver leurs colonnes vertébrales et reprendre leur rôle - que dis-je, leur devoir - de rapporter les faits et les contextes sans se plier à la censure et aux diktats des nouvelles rectitudes politiques.


lundi 7 décembre 2020

Avec le multiculturalisme, l'unilinguisme anglais...

Des élus manifestent contre le projet de loi 21 | Politique | Actualités |  Le Quotidien - Chicoutimi

Crédit photo: le quotidien.ca

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Au Canada, multiculturalisme égale, ou égalera un jour, unilinguisme anglais.

Quand j'ai finalement compris cela, tout s'est éclairci. Deux plus deux faisaient enfin quatre!

Je suis assez vieux pour me souvenir de la création, en 1963, de la Commission royale d'enquête sur le bilinguisme et le biculturalisme.

Personne n'aurait eu l'idée d'enquêter sur le bilinguisme et le multiculturalisme. Cela n'aurait aucun sens à l'époque.

Cette commission présidée par André Laurendeau et Davidson Dunton allait étudier ce que tout le monde reconnaissait comme étant le coeur de l'expérience pan-canadienne : la coexistence de deux peuples, de deux nations, chacun ayant sa langue et sa culture.

D'un côté, les collectivités canadiennes-françaises partageaient la même langue, mais avaient aussi en commun un certain vécu historique et des valeurs à l'image de l'expérience et de la culture françaises.

Les anglophones avaient leur propre trajet jonché de valeurs culturelles individualistes, principalement issues de la grande tradition anglo-britannique et anglo-américaine.

Deux langues. Deux cultures. Se touchant parfois, mais largement parallèles. Bilinguisme. Biculturalisme.

Quand Pierre Elliott Trudeau est arrivé au pouvoir en 1968, tout a été chambardé. Trudeau père n'avait jamais été friand des valeurs collectives et nationales des Canadiens français du Québec, préférant les valeurs individuelles à l'anglo-saxonne.

La politique du multiculturalisme, inaugurée en 1971, avait pour effet de consacrer l'égalité juridique du français et de l'anglais, mais de reléguer la culture historique canadienne-française (devenue québécoise) au rang d'une parmi tant d'autres.

Un exemple? La Loi sur les langues officielles affirme le droit d'un francophone de travailler en français dans la fonction publique fédérale, mais ne prévoit aucune mesure pour assurer le respect de ce droit. Pas de ministère ou de grandes unités administratives où la langue de travail serait obligatoirement le français, permettant aux nôtre de s'y sentir chez eux.

Le résultat? Noyés dans une majorité de langue anglaise, celle-ci devenant le vecteur d'intégration de la quasi-totalité des immigrants, les Canadiens français s'anglicisent de plus en plus au travail, et leur culture, ne trouvant plus de milieu favorable à son épanouissement, s'effrite avec la langue.

Au cours du dernier demi-siècle, hors-Québec et même à Montréal, l'arrivée massive d'immigrants a entraîné une diversification des collectivités culturelles et une multiplication de valeurs souvent opposées, coexistant tant bien que mal sous le parapluie du multiculturalisme.

Mais le le lien commun, le fil conducteur de cette cacophonie, c'est la langue anglaise. Au Canada, les gouvernements hors Québec semblent prêts à tous les accommodements pour les manifestations culturelles ou religieuses jadis étrangères, à condition que la langue commune de communication soit l'anglais. Et elle l'est!

Au Québec, où la majorité de langue française épouse des valeurs culturelles collectives différentes, on attend des nouveaux-venus qu'ils adoptent non seulement le français comme langue commune, mais qu'ils fassent des compromis lorsque certaines de leurs valeurs entrent en contradiction avec celles de leur foyer d'accueil. C'est un rejet du multiculturalisme à la Trudeau.

Ainsi la Loi 101, Charte de la langue française, la Loi 21 énonçant la laïcité de l'État, conformes aux valeurs et à la tradition françaises, mais une hérésie dans l'univers multiculturaliste pan-canadien de langue anglaise.

Pour de nombreuses franges multiculturelles, l'adversaire est désormais la nation québécoise, qui incarne la langue et la culture françaises vues comme un ensemble, comme un tout, comme porteuses de valeurs qu'on associe volontiers, et faussement, à l'exclusion, à la xénophobie et même au racisme.

Le partisans les plus radicaux du multiculturalisme ont raison de croire langue et culture indissociables au Québec, au Canada français et en Acadie. On ne peut attaquer l'une sans attaquer l'autre. On perd l'une, on perd l'autre. L'anglicisation entraîne des abandons culturels. Adopter les valeurs du multiculturalisme canadien mènera tout droit vers une assimilation linguistique.

Personne ne se surprend de voir des pancartes en anglais à une manif contre la Loi 101. C'est normal. Les Anglais se défendent. On sursaute cependant à chaque fois que les slogans et pancartes en anglais abondent à des manifestations contre la Loi 21 ou contre le soi-disant racisme «systémique». On ne devrait pas. Dans les deux cas, le même multiculturalisme est à l'oeuvre. On cible la langue, on cible les valeurs associées à cette langue.

Dans l'esprit des multiculturels, le Québec est d'abord canadien. Ils ne se voient pas comme minoritaires au Québec mais majoritaires au Canada. De plus, ils ont hérité des préjugés les plus vils et les plus tenaces des Anglo-Canadiens à notre endroit. Ils n'arrêteront pas de nous confronter, avec tous les moyens à leur disposition, jusqu'à ce que nous soyions prêts à hisser le drapeau blanc et accepter d'intégrer le «melting pot» canadian. 

Ce sera alors l'accélération de la fin de l'épopée nord-américaine de la langue française. Le bilinguisme et le biculturalisme auraient pu à la limite se concevoir. Mais le bilinguisme et le multiculturalisme, ici, au Québec, au Canada, ne s'accorderont jamais. Le multiculturalisme est, et restera, le fer de lance de l'anglais langue commune, langue d'intégration, même au Québec.

Malheureusement, quand cette réalité apparaîtra finalement au grand jour, il risque d'être trop tard.

L'identité, la langue, la culture, les valeurs, la nation que nous incarnons ont une noblesse, une humanité et une fibre démocratique qui rivalisent facilement avec celles du multiculturalisme anglo-canadien.

Nous avons le droit de défendre notre différence, notre contribution à la diversité culturelle mondiale, notre existence comme peuple. Ils ne nous aimeront pas. Tant pis!

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«S'il y en a qui sont pas contents, laissez-les faire leur petit drame.» Raymond Lévesque, La grenouille

 


samedi 5 décembre 2020

Langues officielles... Les menteries...

Justice en langues officielles - La Loi sur les langues officielles de 1988  a 25 ans - Le Bulletin No 10

Empêtré dans ses menteries officielles depuis plus de 50 ans, le gouvernement fédéral a enfin admis que la langue française a besoin de protection au Québec. Pas seulement à Moncton, Sudbury ou St-Boniface, mais oui... à Montréal aussi! Fini ce «pays des merveilles» où les politiques linguistiques sont fondées sur une fictive symétrie entre la situation des francophones hors-Québec et celle des Anglo-Québécois.

Il était temps! Mais que fera-t-on du «plan d'action» quinquennal des langues officielles inauguré par le gouvernement de Justin Trudeau et Mélanie Joly en 2018? On continue toujours de s'appuyer sur ce document aux prémisses ridicules pour distribuer tous les ans des centaines de millions de dollars aux minorités linguistiques, y compris quelque 80 millions $ pour protéger et promouvoir la langue anglaise soi-disant minoritaire au Québec...

Le constat démographique initial du «plan d'action» fédéral tripote les statistiques du recensement de 2016 pour adoucir une réalité amère. «Au Canada, y écrit-on, il y a plus d'un million de francophones qui vivent hors Québec et plus de 1,1 million d'anglophones qui vivent au Québec.» Et on ajoute que «ces populations sont dynamiques et continuent de croître.» Voilà la première fausseté, et l'une des plus fondamentales. Un maquillage statistique dissimulant des choses qui, sur le terrain, crèvent les yeux!

Je sais que les gens baillent aux corneilles devant des colonnes de chiffres, mais ici, derrière chacun de ces chiffres se trouve un humain et son milieu de vie. Les critères traditionnels pour mesurer l'appartenance linguistique au Canada sont la langue maternelle (depuis fort longtemps) et la langue la plus souvent parlée à la maison, aussi appelée langue d'usage (disponible depuis le recensement de 1971). Comparer la première à la seconde permet de saisir la dynamique linguistique d'une collectivité et de mesurer les taux d'assimilation d'une langue à une autre.

La langue maternelle désigne celle qu'on a apprise en premier, généralement des parents, tandis que la langue d'usage reflète la réalité linguistique d'aujourd'hui au foyer. Aucun des deux critères n'est idéal, mais la langue le plus souvent parlée à la maison constitue un indicateur plus fiable du comportement linguistique d'un individu. On considère généralement que si - disons pour le français - les chiffres de la langue d'usage sont plus élevés que ceux de la langue maternelle, le milieu favorise des transferts linguistiques d'autres langues vers le français. Le contraire indique une érosion du français.

Là-dessus, les recensements sont sans pitié et ce qu'ils révèlent n'a rien à voir avec les mirages du Plan d'action fédéral pour les langues officielles. S'il est vrai qu'environ un million de personnes ont le français comme langue maternelle à l'extérieur du Québec, seulement 620 000 conservent le français comme langue la plus souvent parlée à la maison... Ce déficit de près de 40% par rapport à la langue maternelle contredit de toute évidence la thèse de collectivités francophones dynamiques et en croissance l'extérieur du Québec. On y voit plutôt un signal de détresse, d'un océan à l'autre.

Dans son plan d'action, le fédéral se dit préoccupé par la diminution du pourcentage de francophones hors Québec, leur nombre augmentant moins rapidement que celui des anglophones. Mais la réalité est bien pire. Au chapitre de la langue d'usage, on comptait 676 000 francophones à l'extérieur du Québec en 1971,  alors qu'il n'en reste que 620 000 en 2016. Non seulement le pourcentage (hors Québec) est-il passé de 4,3 à 2,4% mais on enregistre une perte appréciable en nombres absolus. Dans au moins sept provinces, le français sera au bord de l'extinction d'ici quelques générations. Dans plusieurs localités, il l'est déjà...

Parlons maintenant du Québec, où les savants analystes de Patrimoine canadien se disent inquiets devant «les défis auxquels sont confrontées les communautés rurales anglophones du Québec»... Au-delà du fait que les anglophones de communautés dites rurales représentent une très faible proportion des Anglo-Québécois, qui vivent massivement dans la grande région montréalaise, elles sont à peine touchées par l'assimilation. De fait, dans la plupart des petites localités où on compte plus de 20 ou 25% d'anglophones, ce sont les Franco-Québécois qui enregistrent des pertes devant l'assaut de l'anglais!

Que l'on se trouve à Morin Heights dans les Laurentides, à New Carlisle ou Newport en Gaspésie, à Sutton ou Stanstead en Estrie, à Grosse-Île chez les Madelinots ou à Blanc Sablon en Basse Côte-Nord, le nombre de personnes ayant l'anglais comme langue d'usage est toujours supérieur à celui de langue maternelle anglaise. Ai-je besoin d'ajouter que dans ces localités, ce sont les francophones qui se font lentement assimiler à l'anglais... Ah oui j'avais oublié les villages du Pontiac, en Outaouais, où les taux d'assimilation des francophones sont tellement élevés qu'ils avoisinent ceux des Franco-Ontariens...

Si je cite en exemple Stanstead, dans les Cantons de l'Est, on compte même 750 unilingues anglophones pour une population totale de 2780... La moitié des Anglos sont incapables de se débrouiller en français, et ce, dans une région administrative à forte majorité francophone. On y dénombre 1445 individus de langue maternelle anglaise (choix uniques) et 1655 personnes disant parler l'anglais le plus souvent à la maison. Cela fait quelques centaines d'individus de langue maternelle française qui ont maintenant l'anglais comme langue d'usage... Un phénomène impensable en francophonie hors-Québec. 

Alors quand Mme Joly, M. Trudeau et les autres artisans du Plan d'action des langues officielles affirment que la situation des «communautés rurales anglophones du Québec» est préoccupante, c'est de la bouillie pour les chats... Quant aux Anglo-Québécois urbains de la région montréalaise, ils en mènent tellement large qu'ils sont en train d'angliciser notre seule métropole... Et le Plan d'action fédéral sur les langues officielles continue de verser plus de 80 millions $ tous les ans pour protéger et renforcer la langue anglaise au Québec... C'est un scandale public.

Un changement de cap s'annonce. Il était plus que temps. Verra-t-on des millions fédéraux s'acheminer vers la caisse du Mouvement Québec français, du Mouvement Montréal français, d'Impératif français ou des autres organisations qui luttent pour l'affirmation du français comme langue commune du Québec? Cela me surprendrait beaucoup... Enfin, on verra...



  

lundi 30 novembre 2020

Le devoir de résister...


Vers la mi-novembre, le chroniqueur Patrick Duquette, du quotidien Le Droit, présentait un Ottavien de 84 ans, Jean-Marie Leduc, qui mène un vaillant combat contre la bureaucratie et les nouvelles technologies. Le problème? Les gouvernements tiennent de plus en plus à communiquer avec lui par courriel mais M. Leduc n'a pas d'ordinateur et n'en veut pas. Il tient à recevoir ses documents en papier, par la poste, et son journal imprimé.

Le chroniqueur lui offre dans ce texte un appui sympathique, mais ce soutien bien intentionné s'est logé comme une arête dans ma gorge. Parce qu'il est vieux, M. Leduc a le droit d'«assumer sans complexe son obsolescence technologique», écrit-il. Puis, enfonçant de nouveau le clou, il ajoute: «À partir d'un certain âge, on a le droit de résister»... J'ai toujours cru qu'on avait le droit de résister à tout âge, mais enfin...

Revenons au mot «obsolescence», qu'on associe à désuet, vieux, démodé, dépassé, périmé. Le fait de monter aux barricades contre l'envahissement des écrans constitue-t-il un geste qui nous relègue au rang des obsolètes? Je ne crois pas. L'obsolescence technologique, c'est peut-être d'essayer de naviguer sur Internet avec un Commodore 64 ou un Vic 20 (oui je suis vieux...), mais pas de résister à l'utilisation imposée de connaissances et d'équipements technologiques qu'on n'a jamais acquis. 

Cela suggère-t-il donc, plutôt, une incapacité d'apprendre à maîtriser l'Internet et dérivés à un certain âge? Ça, ce serait certainement sombrer dans l'âgisme, et le chroniqueur n'a clairement pas cette intention. Mais le message ne trompe pas. Bien des vieux sont périmés, ils tiennent toujours aux méthodes qu'ils ont apprises à une autre époque, n'apprécient guère les bienfaits des nouvelles technologies. Graduellement, ils mourront et les générations suivantes pourront se «technologiser» à souhait sans traîner de boulet.  En attendant, on gardera une réserve de papier et de timbres pour les accommoder...

J'ai 74 ans. Seulement dix années me séparent de M. Leduc et je partage son combat. Pas parce que je n'ai jamais été initié aux outils informatiques. Au contraire, je travaille avec des ordis depuis près de 40 ans. Je ne pourrais me passer des sites Web, du courriel, de Facebook, de Twitter et bien plus. Loin de moi de renier l'ère électronique-numérique et les bienfaits de l'Internet et de ses dérivés: j'en raffole. Mais (il y a toujours un mais...) comme j'écrivais en 2014, «j'en raffole pour ce qu'ils ajoutent à la connaissance et à la communication, et non pour ce qu'ils ont ou auront la prétention de remplacer».

Tout en embrassant les nouvelles technologies, on peut défendre la nécessité de ne pas tourner le dos aux centaines d'années de civilisation de l'imprimé qui nous ont menées jusque là. On peut plaider la supériorité sensorielle des journaux, magazines et livres papier. L'éminente fragilité d'un univers numérique sur lequel on n'exerce qu'un faible contrôle. L'importance de l'activité économique liée au papier. Enfin, peu importe, il y a là matière à débat de société qui dépasse largement la nostalgie des vieux pour un temps de plus en plus perdu.

Ma mère a 96 ans. Elle tient à son journal imprimé, tout comme son Prions en église à gros caractères, lit des tas de livres (papier bien sûr) et écrit toujours avec cette belle calligraphe qu'on enseignait autrefois. Par contre, elle préfère ses casse-tête à l'ordi, surfe l'Internet depuis 1997, lit ses courriels, entretient sa page Facebook et communique par FaceTime avec son iPad...

La morale de cette histoire? Pas sûr... Peut-être Patrick Duquette a-t-il raison. Mais j'espère, pour l'avenir et la liberté de l'humanité, que le numérique finisse par coexister avec le passé, au lieu d'essayer de le supprimer. Je regarde mes belles bibliothèques remplies de livres et je les imagine un jour vides, avec un petit lecteur numérique sur chaque tablette... C'est ça, le progrès?


samedi 28 novembre 2020

La non-couverture du procès de la Loi 21... Où étaient les quotidiens québécois?


Le procès contre la Loi 21 sur la laïcité de l'État, qui achève ces jours-ci en Cour supérieure, aura eu comme principal effet de démontrer l'état lamentable de la presse quotidienne de langue française au Québec. On sait à quelle point cette contestation judiciaire est cruciale. Les journaux ont souligné le début du procès. Ils accorderont leurs gros titres à la décision du juge Blanchard, quelle qu'elle soit. Alors pourquoi n'ont-ils pas suivi assidument les audiences?

En effet, à l'exception du Journal de Montréal, aucune direction de l'information n'a jugé ce procès suffisamment important pour affecter un journaliste aux trois semaines d'audiences. Ni Le Devoir ni La Presse n'ont couvert l'ensemble des témoignages et, pour le faible nombre de textes publiés, ont accordé plus d'espace aux adversaires de la Loi 21 qu'à ses défenseurs. Quant aux autres quotidiens régionaux, ils avaient accès (comme La Presse et Le Devoiraux articles de Stéphanie Marin, que la Presse canadienne avait déléguée au procès, mais ont le plus souvent laissé cette ressource sur le carreau.

J'ai toujours cru qu'un des grands mérites d'un bon journaliste - et à plus fort titre d'un bon chef des nouvelles - était de savoir juger l'importance d'une information. Doit-on l'inscrire au cahier d'affectation? Lui accorde-t-on un peu, ou beaucoup d'espace? Fera-t-elle la une ou une colonne en page 37? Ce n'est pas une technique qu'on acquiert avec l'expérience. C'est l'instinct, le pif. J'ai peine à croire que les salles des nouvelles, même amaigries, n'ont pas ce talent en abondance.

Or, ce procès est bien plus qu'une simple contestation constitutionnelle d'une loi du Québec... C'est une attaque contre le principe même de la laïcité de l'État, et par extension, contre le Québec tout entier. Nos quotidiens doivent en être conscients... Les adversaires de la Loi 21 en Cour supérieure sont largement anglophones (p. ex. la Commission scolaire English Montréal) ou hors-Québec (Conseil national des musulmans canadiens, Association canadienne des libertés civiles). Des spécialistes du Québec bashing ne comprenant rien à la laïcité qu'ils associent trop souvent, et faussement, au racisme ou à l'intolérance.

Derrière ces puissantes organisations, auxquelles s'était jointe inexplicablement la Fédération autonome de l'enseignement (FAE), on sentait à plein nez les multiples manoeuvres d'Ottawa, tant gouvernementales que de l'Opposition (sauf le Bloc québécois bien sûr). Cette fois, cependant, le gouvernement du Québec avait décidé de se défendre, appuyé par des individus et des groupes désireux de soutenir la légalité et la légitimité de la Loi 21. Pour un journal quotidien québécois, il y avait là tous les éléments d'une bonne manchette quotidienne et de nombreux textes de substance.

À l'époque où j'étais chef des nouvelles au quotidien Le Droit, principalement dans les années 1970 et 1980, ce genre de procès aurait été suivi à la loupe. C'est le genre d'affectation où l'on autorise du temps supplémentaire, où chaque texte est décortiqué avec minutie, où les éditions des autres journaux sont épluchées tous les matins pour comparer la couverture et s'assurer que le reporter affecté n'a rien manqué.  Cela témoigne non seulement d'un souci de concurrence mais aussi du désir de fournir au lectorat une information complète, à partir de laquelle celui-ci peut juger les faits et former une opinion. Le bon journalisme est ainsi fait.

Évidemment, en 2020, il ne reste plus beaucoup de vrais journaux quotidiens (imprimés, j'entends) au Québec. Le Devoir, le Journal de Montréal, et... et... Les autres ont pris ou prennent le virage numérique. On trouve, ou pas, les nouvelles en ligne, sur un écran. Dans les éditions électroniques, sur les sites Web. Pas moyen de prendre La Presse, le Journal de Montréal, Le Soleil, Le Droit, les étaler devant soi sur une table et feuilleter les pages, découper les articles, souligner les passages. Il faut d'abord les repérer, ce qu'on ne réussit pas toujours, puis les imprimer soi-même pour en faire une comparaison utile.

La culture du numérique semble avoir jeté à la «corbeille» de l'histoire non seulement la civilisation de l'imprimé, mais aussi les réflexes journalistiques que celle-ci avait engendrées. Lire une nouvelle à la fois sur un écran prive le lecteur du regard d'ensemble sur le journal et dissimule les priorités de l'information que propose l'échafaudage d'une page ou d'un cahier imprimé. Un cadre d'information n'a plus à se préoccuper des comparaisons avec ses concurrents. À peu près personne, au sein du public, n'est désormais en mesure de le faire. Quant au souci d'offrir une information complète qui permettra aux lecteurs actuels et à ceux de l'avenir de reconstruire un événement majeur s'étant déroulé sur des semaines, oubliez ça!

Les journaux, comme témoins quotidiens fidèles de l'actualité, c'est chose du passé. J'ai tenté, tant bien que mal, de suivre le procès contre la Loi 21 et après la bordée de textes du début mettant surtout en scène les anti-laïcité et les anti-Québec, c'est devenu chaotique. Heureusement le Journal de Montréal a publié une dizaine de textes, principalement sous la plume du reporter Antoine Lacroix. Je n'ai lu que trois textes  (un seul cependant en imprimé) dans Le Devoir,  notre quotidien national, cinq dans La Presse (dont trois textes maison) et un seul dans mon quotidien d'Ottawa-Gatineau, Le Droit.  J'ai pourtant cherché... Peut-être aurais-je dû chercher davantage?

Quelques sites Web, dont ceux des Libres penseurs athées et du Rassemblement pour la laïcité, permettent à l'internaute de lire un résumé de tous les témoignages entendus pendant trois semaines au procès de la Loi 21... Cela fait une lecture passionnante. Être éditeur d'un des quotidiens fautifs, j'aurais honte...

Un jour, dans un siècle ou deux, quelque chercheur reviendra sur nos époques pour se pencher sur la couverture journalistique des procès judiciaires, et il se demandera pourquoi il parvient à reconstituer le fil des événements dans les années 1960, 1970, 1980 mais se bute à des parcelles déconnectées et, à la fin, incohérentes à partir du 21e siècle...

Il n'est pas trop tard pour revenir à la presse imprimée, et à la culture dont elle avait héritée depuis des siècles. Celle-ci, semble-t-il, n'a pas été pleinement transmise aux générations qui ne jurent que par la tablette et le téléphone «intelligent»...



mercredi 25 novembre 2020

Les «enseignants de la diversité»...

En écoutant les nouvelles régionales de Radio-Canada à 18 heures, récemment, j'ai entendu le reporter annoncer que l'Association des enseignants franco-ontariens (AEFO), une organisation syndicale, était contestée par «les enseignants de la diversité», qui avaient fondé leur propre association... Spontanément je me suis demandé: ça veut dire quoi, «enseignants de la diversité»? Le journaliste ne l'a pas expliqué, comme si cela était évident pour tout le monde...

Comme le président et porte-parole des «enseignants de la diversité» était de race noire, et selon toute vraisemblance, originaire d'Afrique, j'ai cru qu'il s'agissait d'un regroupement de Noirs originaires de pays étrangers. Mais non, il appert que cette nouvelle association vise à représenter tous les éducateurs noirs ou issus de l'immigration. Donc, si je comprends bien, tous les enseignants qui ne sont pas de souche ou de culture canadiennes-françaises... C'est une accusation à peine voilée de racisme contre la collectivité franco-ontarienne blanche d'origine française...

Qu'il existe ou non des courants ou des manifestations de racisme au sein de l'AEFO constitue un sujet préoccupant qui mérite qu'on s'en occupe immédiatement, mais ce qui me chicote le plus, c'est l'appellation «enseignants de la diversité» et le message qu'elle véhicule. Il est clair - on est habitué à ça au Québec - qu'on accuse ainsi les Canadiens français de souche d'être des adversaires de la «diversité», du moins de celle incarnée par les nouveaux arrivants, peu importe la race.

On gifle ainsi quelque 12 000 enseignants franco-ontariens d'ici, apparemment peu réceptifs à leurs collègues venus d'ailleurs. Sans doute y a-t-il des pommes pourries dans le lot, mais c'est l'ensemble de la collectivité qu'on fustige en créant cette association dissidente. C'est un refus très net d'intégration à la culture traditionnelle canadienne-française, une affirmation du droit de conserver et d'imposer d'autres cultures et identités au sein des organisations qui les accueillent.

Comment interpréter autrement le fait que ces enseignants «noirs et immigrants» choisissent de se regrouper en fonction de leurs origines raciales, ethniques et culturelles, plutôt que de persister à s'intégrer à la collectivité en place et graduellement la métisser? Les membres issus de la majorité «caucasienne», Franco-Ontariens de souche, luttent depuis plus de 150 ans pour conserver leur identité nationale et culturelle contre une majorité anglo-saxonne souvent raciste et intolérante, et aujourd'hui, on les met au banc des accusés comme adversaires d'une soi-disant «diversité»?

Les francophones de l'Ontario, en défendant leur héritage français, ont été et demeurent les plus authentiques défenseurs de la diversité culturelle dans leur province. Avec leurs cousins québécois, acadiens et canadiens-français, ils ont protégé les droits minoritaires depuis quelques siècles contre le rouleau compresseur anglo-américain, véritable oppresseur de la diversité. Qu'on se dresse contre eux au nom d'une «diversité» qui ne l'est pas vraiment ressemble à une trahison de la véritable diversité.

Les Franco-Ontariens, confrontés à une assimilation galopante, ont certes besoin de renforts d'immigrants francophones. Et ils ont le devoir de leur faire bon accueil, dans le respect de leurs compétences et de leurs traditions culturelles. Mais ils n'ont pas à trahir leurs propre culture, ou à sacrifier leur identité, pour que les nouveaux arrivants se sentent davantage à l'aise. Ce sont eux qui viennent chez nous. Ils sont les bienvenus, mais il sont chez nous. C'est à eux de s'intégrer, pas à nous de s'adapter à leurs us et coutumes. Au fil des générations, le métissage fera son oeuvre et la culture canadienne-française sera de nouveau enrichie d'apports venus de l'extérieur.

Plus vite les «enseignants de la diversité» comprendront notre situation, plus vite ils seront des nôtres. Plus vite ils feront partie de notre «diversité» sans égard à la race, à l'origine ethnique ou au pays d'origine.

Je ne suis plus Franco-Ontarien depuis 45 ans, mais je sais que l'ayant été, on le demeure (plus qu'un peu...) dans les tripes. Dans cette histoire, je me sens agressé. Si certains de nos concitoyens de souche française ont des comportements racistes, qu'on les dénonce et qu'on règle leur compte. Je n'aurai aucune pitié. Mais quand des personnes dites «de la diversité», pour quelque motif que ce soit, rejettent la diversité franco-ontarienne en plein combat, ne fut-ce qu'au sein d'un seul syndicat, et optent pour une forme d'apartheid, c'est l'ensemble de la Franco-Ontarie qu'ils agressent... et qu'ils affaiblissent.

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Un mot sur les journalistes et les médias, de plus en plus frileux en matière de langage... Après le «mot en n» dont on ne sait jamais avec certitude à quels mots (français ou anglais) il fait référence, voici maintenant les enseignants «de la diversité» dont le flou laisse place aux interprétations... Si l'on parle d'enseignants «noirs et immigrants», pourquoi ne pas tout simplement l'écrire?

mardi 24 novembre 2020

Le dernier esclandre du recteur...

Le recteur de l'Université d'Ottawa, Jacques Frémont, vient de prouver une fois de plus qu'il ne mérite pas de diriger une grande institution universitaire. Sa déclaration du 23 novembre annonçant la création d'un «Comité d'action antiracisme et inclusion» en témoigne. Les motifs invoqués pour la création d'un tel comité, ainsi que ses analyses et conclusions, en témoignent. 

Les événements ayant mené à cette plus récente intervention du recteur découlent clairement de l'emploi en classe, à des fins pédagogiques, de l'injure raciale «nigger» (oui, c'était le mot anglais, et non le mot «nègre» comme persistent à le croire nombre de journalistes de langue française). Le recteur Frémont y voit là l'«incident» déclencheur du brouhaha des semaines suivantes.

Voilà sa première fausseté! Elle est énorme puis qu'elle ébranle les fondements mêmes de son argumentaire. La professeure Lieutenant-Duval n'avait fait que son boulot. Les hostilités ont été déclenchées par le ou les étudiants qui se sont dits agressés par l'emploi du «n-word» (ce qu'on dit en anglais américain). L'incident premier, il est là, pas dans l'enseignement de la professeure.

Le second volet de l'«incident», c'est la suspension sans procès de la professeure. Un geste sauvage accréditant les «sensibilités» étudiantes et condamnant du même coup la liberté d'expression si essentielle à toute université. Cette décision a servi de tremplin aux actions intempestives et irréfléchies des étudiants, déchaînés dans les médias sociaux où une pétition réclamant des sanctions robustes contre Mme Lieutenant-Duval a vite rallié plus de 10 000 signatures.

Le conflit, pour les tenants des nouvelles rectitudes politiques, largement anglophones, portait sur le racisme (alors qu'il n'y avait eu aucun incident raciste!). Les intervenants francophones, dont un groupe de professeurs et un contingent d'intellectuels et personnalités médiatiques, mettaient l'accent - avec raison - sur le caractère fondamental de la liberté d'expression universitaire.

Pendant ce temps le recteur, non content semble-t-il d'avoir donné son aval à la suspension de Mme Lieutenant-Duval et, par le fait même, son approbation aux grenouillages étudiants, a jeté de l'huile sur le feu en réduisant au silence toute personne de race blanche qui aurait voulu mettre son grain de sel (ou de poivre) dans le débat... Seules les personnes noires ou «racisées», lança-t-il, avaient «la légitimité pour décider ce qui constitue une micro-agression»...

Et nous voilà aujourd'hui rendus à la création d'un «Comité d'action antiracisme et inclusion». Personne ne peut s'objecter à cela. Toute personne sensible combattra le racisme et l'exclusion. Le problème, c'est la raison pour laquelle le recteur en arrive à la nécessité de mettre sur pied ce comité aux airs de Robespierre.  La décision est fondée sur «l'incident» Lieutenant-Duval et ses séquelles. Mais c'est affreux!

En agissant ainsi, le recteur vient de condamner la professeure à la guillotine d'une coterie triée sur le volet pour arriver aux mêmes conclusions que les accusateurs de Mme Lieutenant-Duval.

S'il avait eu un seul gramme de bon sens, il aurait reconnu que l'enseignante avait tout simplement enseigné, que la critique fait partie des études supérieures, et que les débats doivent être vus comme étant dans la normalité des choses à l'université. Un recteur avec une colonne vertébrale aurait expliqué cela aux étudiants crinqués et dressé les barricades pour protéger l'enseignement des excès de la rectitude politique.

Mais non. M. Frémont accrédite la thèse voulant que l'emploi d'une vieille injure raciale à des fins purement pédagogiques constitue un «incident» (???) et justifie la création d'un comité «d'action» sur le racisme et l'inclusion à l'Université d'Ottawa. Existe-t-il du racisme à mon ancienne alma mater? Sans doute. A-t-on besoin d'un tel comité? Peut-être bien. Mais fonder sa création sur un «incident» qui n'a rien, mais absolument rien de raciste dépasse l'entendement.

À cette aberration s'ajoutent des erreurs et des dissimulations dans la déclaration du 23 novembre du recteur Frémont. Il évoque l'emploi du «mot en n» dans le texte français, alors que la prof enseignait en anglais. Elle n'a pas dit «nègre»... Il attaque «des membres de notre communauté (ayant) tiré des conclusions basées sur des informations (sic) incomplètes», mais ne les nomme pas. Fait-il allusion aux 34 profs qui se sont portés à la défense de Mme Lieutenant-Duval?

Il dit avoir demandé à certaines personnes et certains petits groupes de «tenter de restaurer le civisme dans leurs interactions avec autrui». Encore une fois, qui vise-t-il? Les défenseurs de la professeure et de la liberté d'expression ont fait preuve de bien plus de civisme que les intégristes de la rectitude politique, mais les canons du recteur semblent résolument tournés vers les véritables victimes dans cette affaire - la professeure Lieutenant-Duval et ses défenseurs...

Si j'étais l'un de ces derniers, je m'inquiéterais. Le nouveau comité a pour mandat d'«éliminer les obstacles aux efforts de l'Université à l'égard de la diversité et de l'inclusion». Mme Lieutenant-Duval, les 34 profs qui l'appuient et toute personne dans le camp de la liberté d'expression font peut-être partie des «obstacles» à «éliminer»...

Préparez-vous. La guillotine va sortir sur la place publique.

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voir texte intégral du communiqué du recteur dans la section médias du site Web de l'Université d'Ottawa

mercredi 18 novembre 2020

Le déclin des quartiers urbains franco-ontariens...

La une d'une édition de La Rotonde (U. d'Ottawa), fin années 1960

Dans un texte récent d'Étienne Fortin-Gauthier, publié par ONFR+ au début de novembre, on apprenait que près de la moitié des finissants dans les écoles secondaires franco-ontariennes poursuivront leurs études au collège ou à l'université en anglais. Pourquoi? Certains pointent du doigt la faiblesse de l'offre en français, d'autres le sous-financement chronique des institutions offrant des programmes en français, et d'autres, comme le chercheur Frédéric Lacroix, identifient comme facteur la faible maîtrise du français d'un trop grand nombre de Franco-Ontariens...

Puis-je suggérer que pour vraiment comprendre ce qui se passe, il faut avoir vécu en Ontario français à l'époque où les Canadiens français de l'Ontario avaient des quartiers bien à eux dans les régions urbaines, comme la Basse-Ville et le secteur St-François d'Assise d'Ottawa, l'ancienne ville de Vanier, l'est de Cornwall, le Moulin-à-fleur de Sudbury, le French Town de Welland... De petits et moins petits territoires urbains où la langue de la rue était le français...

J'ai grandi sur la rue Hinchey à Ottawa, dans un coin de la paroisse St-François d'Assise qu'on avait surnommé Mechanicsville, entre la voie ferrée du Canadien Pacifique et la rivière des Outaouais. Nous étions quatre familles - les Allard, Longpré, Pouliotte, Desrochers - dans l'ancienne maison de mes grands-parents paternels. Nos voisins s'appelaient Carrière, Lapointe, Bastien, Lalonde, Papineau, Lafleur, Chartier, Bourguignon, Jubinville, Meunier...

Deux familles exogames, les Corcoran et les Connolly, vivaient sur notre rue, mais les enfants parlaient français et fréquentaient l'école française. Le dépanneur du coin appartenait à M. Bissonnette et l'épicerie (un des premiers IGA) était la propriété de la famille Fournier. Quand j'avais 8 ans, on a construit l'église Notre-Dame-des-Anges sur notre rue et l'année suivante, une nouvelle école primaire franco-ontarienne, du même nom, nous accueillait à quelques centaines de mètres de la maison...

Pourquoi je raconte ça? Parce que les assises urbaines d'une minorité comme les Franco-Ontariens étaient essentielles à sa survie, à sa pérennité. C'est la concentration urbaine des Anglo-Québécois qui fait leur force. À l'époque où j'étais enfant, on pouvait vivre en français dans deux ou trois grands quartiers de la capitale fédérale. Nos voisins, nos amis parlaient français. La vie associative et culturelle y était intense. Ce n'est pas hasard que l'Université d'Ottawa s'était enracinée près de la Basse-Ville francophone.

Bien sûr, la qualité de notre français laissait à désirer. On s'appelait «moé», «toé», la voie ferrée c'était la «track», on disait «sour» (une déformation de l'anglais «sewer») plutôt qu'égout, les camions de pompiers étaient devenus des «riles» (de l'anglais «reel», mais tout était prononcé avec un accent français. Dans la Basse-Ville, les Canadiens français très majoritaires parlaient de la rue «Cate-carte» et non «Cathcart» avec sa prononciation anglaise... de la rue «Botelier», alors que le panneau anglais lisait Boteler...

Les traditions canadiennes-françaises avaient été transmises par les générations précédentes. Mes grands-parents, et bien d'autres, avaient participé à la lutte contre le Règlement 17. L'Ordre de Jacques-Cartier (l'ancienne Patente) avait été fondé à Eastview, près du centre-ville d'Ottawa. Dans notre coin de la ville, on fêtait la St-Jean-Baptiste, pas le 1er juillet. En marchant sur le trottoir, en revenant de l'église, dans les années 1950, on entendait les conversations sur les perrons, en français. J'imagine que pour les Franco-Ontariens de même époque ayant grandi dans des milieux urbains similaires, les souvenirs se ressemblent.

Si j'en parle ici, c'est qu'aucun Franco-Ontarien vivant aujourd'hui dans les villes mentionnées ci-haut n'aura cette chance. Des milliers d'entre eux continueront de résister à l'assimilation - certains s'en tireront même très bien - mais à chaque fois qu'ils sortiront de la maison ou de l'école, ils devront affronter un milieu anglo-dominant. L'anglais sera de plus en plus nécessaire... avec les voisins, les amis, les passants, les commerçants... Le réflexe sera alors de s'adresser en anglais, qui devient la langue première de la rue... L'accent français se transforme peu à peu en accent anglais. Le vocabulaire s'appauvrit, la langue anglaise structure le parler français et même l'écriture. 

Pourquoi accorder tant d'importance aux villes, direz-vous? Dans de nombreuses agglomérations plus petites, de Hawkesbury à Hearst, les collectivités franco-ontariennes ne sont-elles pas presque intactes? Mais voilà, le rayonnement culturel émane généralement des villes ou de leurs périphéries. Elles abritent les grandes institutions postsecondaires à forte présence francophone (Université d'Ottawa, Université Laurentienne, collèges La Cité, Boréal) et les sièges sociaux des grandes associations franco-ontariennes. De plus, à Ottawa, personne n'oublie la présence de 250 000 Québécois de langue française à jet de pierre, sur l'autre rive de la rivière des Outaouais.

Le problème en Ontario, c'est que les plus importantes universités «bilingues» proposent maintenant des campus et des choix de cours à majorité anglais, et ces campus anglo-dominants sont désormais entourés d'un milieu urbain tout aussi anglicisant. À moins d'aller étudier au Québec ou en France (et encore...), les élèves sortant du secondaire ou du collégial franco-ontariens n'ont devant eux aucune option vraiment francophone (sauf peut-être le petit campus de langue française à Hearst, dans le Nord ontarien, qui baigne dans une collectivité à forte majorité canadienne-française).

Alors voici le portrait. Les jeunes Canadiens français des villes ontariennes s'assimilent de plus en plus vite depuis la dislocation des quartiers francophones d'Ottawa, de Sudbury, de Cornwall, de Welland, etc.  Plus ils sont anglicisés, plus grandes sont les chances qu'ils étudieront en anglais à l'université. Quant aux Franco-Ontariens des petites villes ou des régions rurales, choisir de s'inscrire à l'Université d'Ottawa ou à l'Université Laurentienne les fera aboutir dans un milieu fortement anglicisant où, à l'usure, la culture française qu'ils ont acquise à l'enfance aura tendance à s'effriter...

La disparition, parfois graduelle, parfois foudroyante, des quartiers urbains de langue française a propulsé à la hausse l'anglicisation des Franco-Ontariens des villes. Depuis le recensement de 1971, le premier où l'on a mesuré la langue d'usage (la langue la plus souvent parlée à la maison), les taux d'assimilation - déjà en hausse dans les années 1950 et 1960 - sont passés de 15% à 32,5% en 2016 à Ottawa, de 17,2% à 49,4% à Sudbury, de 18,2% à 56% à Cornwall, et de 22,2% à 66,4% à Welland! Dans la capitale fédérale, la population a plus que doublé depuis 1971 mais le nombre d'individus parlant le plus souvent français à la maison stagne - de 82 115 à 85 910...

L'ancien patriarche ottavien Séraphin Marion écrivait en 1950 dans la revue Vie française qu'à Ottawa, «une armée» de francophones «préparaient pour leurs descendants un somptueux jardin (culturel) qui rappellera, à certains égards, ceux de la France elle-même». » L'Ottawa français de 1950, poursuivait-il, est au diapason du Canada français de 1950 et du Canada français d'autrefois.» Les Canadiens français représentaient à cette époque près du tiers de la population de la capitale (moins de 10% aujourd'hui) et avaient leurs quartiers bien à eux. Aujourd'hui, la Basse-Ville d'Ottawa, jadis massivement francophone, est à près de 80% anglaise... 

On peut bien se plaindre du sous-financement chronique (et c'est vrai), de la faiblesse de l'offre de programmes universitaires en langue française et même d'une faible maîtrise du français (qui se propage vite au Québec par ailleurs)... Mais on n'a qu'à marcher dans les quartiers urbains jadis francophones d'Ottawa, de Sudbury, de Cornwall et tendre l'oreille... Après quelques heures, on ne se demandera plus pourquoi la moitié des étudiants franco-ontariens poursuivront leurs études post secondaires en anglais... 

On s'étonnera qu'il en reste toujours la moitié qui persistent, contre vents et marées, à poursuivre jusqu'au bout leurs études dans la langue de Molière... Cette moitié mérite une université bien à elle, située dans ses capitales historiques, Ottawa et Sudbury, prise à même l'Université d'Ottawa et l'Université Laurentienne, et non un minuscule campus pompeusement appelé «Université de l'Ontario français» à Toronto...

Quant à nous, au Québec, surveillons bien ce qui arrive aux Franco-Ontariens... Notre situation risque de ressembler de plus en plus à la leur à mesure que Montréal, Laval et Gatineau s'anglicisent à vitesse grand V...


vendredi 13 novembre 2020

Gardez-la, votre pétition!

Amnistie internationale - Directeur / Directrice de la mobilisation et  impact - Association québécoise des organismes de coopération internationale  (AQOCI)


J'ai reçu un courriel d'Amnistie internationale (Canada francophone) m'invitant à signer une pétition pour protester contre la position du gouvernement québécois en matière de «racisme systémique» et pour favoriser une mobilisation en faveur d'un «Québec inclusif en antiraciste». On connaît la chanson... Voici ce que je leur ai répondu...


«À qui de droit,


Je lutte pour les droits de la personne et contre le racisme sous toutes ses formes depuis plus de 50 ans et ce que vous écrivez sur le Québec est de la bouillie pour les chats. Le Québec francophone, ainsi que les francophones ailleurs au Canada, sont victimes de racisme culturel depuis près de 200 ans. Quand on nous ordonnait de parler anglais, on nous disait «Speak white»! Clairement une insulte raciale. Comme collectivité, nous avons été traités en inférieurs assez longtemps pour ne pas réserver ce sort aux autres. Dès que nous levons la tête pour défendre notre langue et notre culture menacées par le rouleau compresseur nord-américain, on nous traite de racistes et xénophobes. Si vous preniez le temps d’étudier l’histoire et la situation actuelle des Franco-Québécois et Franco-Canadiens (de toutes races), vous verriez peut-être ce que vous appelez le «racisme systémique» ailleurs que chez nous. Les jugements comme ceux que vous portez sur le Québec dans le texte ci-dessous sont honteux, et indignes d’un organisme comme Amnistie internationale. Gardez-la, votre pétition!

 

Pierre Allard»

 

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J'inclus pour votre bénéfice le contenu du courriel qu'Amnistie internationale (un organisme que j'appuie dans ses autres causes) fait circuler au Québec ces jours-ci...

«Refusant de reconnaître l'existence du racisme systémique, le Québec s’est retiré de la rencontre des ministres fédéraux, provinciaux et territoriaux responsable des droits humains, des 9 et 10 novembre.

Québec - La participation du Québec à cette rencontre est importante puisque le Canada fait présentement face à des défis importants en matière de droits humains. Les préoccupations abordées sont liées à la pandémie de COVID-19, au racisme systémique, à l’urgence climatique et à la réconciliation avec les peuples autochtones.

Cette rencontre représentait une occasion de collaborer et d'échanger sur les meilleures pratiques en matière de droits humains. À l’issue de la rencontre, un communiqué conjoint de tous les ministres participants reconnaissant l’urgence d’agir envers le racisme systémique a été émis. Contrairement aux autres provinces canadiennes, le Québec a refusé d'envoyer un ministre et s'est retiré de la rencontre, précisément parce qu'il refuse de reonnaitre l'existence du racisme systémique . 

 

« Amnistie internationale déplore qu’à cause de son déni du racisme systémique, le gouvernement du Québec se retire complètement de cette rencontre qui représente une occasion unique pour l’ensemble des ministres responsables des droits humains au Canada de se concerter et d’agir, comme si aucun des enjeux n’avait de réelle importance pour le Québec. » 

 

- France-Isabelle Langlois, directrice générale d’Amnistie internationale Canada francophone.

 

L’existence du racisme systémique au Québec (comme dans la majeure partie des sociétés) a été démontrée, avec chiffres et données à l’appui, dans de nombreux rapports officiels tant sur le plan national qu’international. Nous ne pouvons pas permettre que le gouvernement du Québec continue de nier l'existence du racisme systémique, encore moins quand ce déni interfère sur la prise de mesures sur des enjeux de droits humains au pays.

 

Vous pouvez agir.

 

Envoyez un courriel au Premier ministre Legault et aux sept député.e.s qui forment le Groupe d’action contre le racisme pour demander la reconnaissance du racisme systémique, ainsi que l’élaboration d’une politique et la mise en œuvre d’un plan d’action contre le racisme systémique.

 

Mobilisons-nous pour un Québec inclusif et antiraciste, avec des leaders qui n’ont pas peur de nommer nos défis et d’agir pour bâtir une société meilleure.»