samedi 29 février 2020

«L'armée contre les civils»... De Trudeau père à Trudeau fils...

Le matin des mesures de guerre à Montréal, 1970...

En marge de la crise autochtone de 2020, de nombreux commentateurs ont insisté sur le contraste entre Justin Trudeau et son père Pierre Elliott qui, semble-t-on croire, aurait agi de façon beaucoup plus vigoureuse et décisive que son fils faiblot...

Devant sa déclaration qu'«on utilise pas l'armée contre les civils», on ne peut s'empêcher de penser à la crise d'octobre 1970, alors que Trudeau père avait décidé d'utiliser l'armée (et la Loi sur les mesures de guerre) pour tenter de mater le FLQ et, du même coup, asséner un coup qu'il espérait fatal au mouvement indépendantiste québécois en emprisonnant près de 500 civils innocents.

Pierre Elliott combattait le nationalisme québécois, tel qu'il le percevait, depuis l'époque de Duplessis. Sa vision d'un nationalisme québécois conservateur, replié sur soi, était incrustée et immuable. J'ai la conviction que l'apparition d'un nationalisme progressiste et indépendantiste au début des années 1960 l'a traumatisé, au point de le pousser à poursuivre la lutte dans l'arène fédérale. Les Anglo-Canadiens ont immédiatement compris, voyant en lui cette féroce volonté de mettre la «nation» québécoise à sa place...

Trudeau père était plus complexe que son fils. Sur le plan intellectuel, il était essentiellement citoyen du monde, presque un apatride. Sur le plan des convictions, il était Canadien d'adoption et, à ce titre, plus catholique que le pape... Mais sur le plan identitaire profond, il est resté Québécois pur laine, jusque dans ses tripes. Au référendum de 1980, son NON était aussi authentiquement québécois que le OUI de René Lévesque. Les adversaires étaient le pile et le face d'une même pièce.

Sa haine du nationalisme était enracinée au Québec, pas au Canada. Cela explique sans doute sa hargne tenace, voire son mépris, pour les fédéralistes nationalistes du Québec, les Claude Ryan, les Robert Bourassa et leurs semblables. Il avait réussi à diaboliser les «séparatistes» dans une forte frange du Canada anglais, au point de n'avoir aucune réticence à utiliser contre eux l'arsenal militaire, mais il lui était impossible d'agir ainsi avec les «autonomistes», qu'il détestait autant. Du haut de son trône, il s'est contenté de traiter Robert Bourassa de «mangeur de hot dogs» mais s'il avait pu...

C'était pour lui un combat très personnel. En octobre 1970, Pierre Elliott Trudeau déclarait agir au nom du gouvernement canadien qu'il dirigeait, mais quiconque le regardait dans les yeux savait que ses paroles venaient bien plus des tripes que de la tête... C'était à se demander, pendant cette crise, qui était le véritable premier ministre du Québec, Trudeau ou Bourassa...

Et quiconque aurait des doutes sur les motivations de ses interventions n'a qu'à regarder la vidéo de sa célèbre entrevue avec Tim Ralfe, de CBC (bit.ly/38aCEPt). Celle de son «Just watch me!» Le mot-clé ici, c'est «me». Ce n'est pas le gouvernement, le Parlement, le premier ministre qui fonce. C'est lui. Quand il abordait ces questions, son regard autoritaire et glacé intimidait tout le monde, y compris les journalistes de la presse parlementaire. Le ton et l'émotion n'y étaient pas, ou moins, quand il traitait de dossiers n'ayant rien à voir avec le statut du Québec au sein de la fédération.

Trudeau père avait une plus grande ouverture et une volonté de conciliation avec les nations autochtones du Canada. Il aurait sans doute fait preuve de plus de souplesse pour régler une crise majeure avec ceux qu'il ne voyait pas intrinsèquement comme des ennemis, même s'il avait fait face à des incidents violents et à des enlèvements politiques. Sans doute aurait-il été plus énergique dans la recherche de solutions que son fils Justin, mais j'ai peine à croire qu'il aurait pu dépoussiérer la Loi sur les mesures de guerre et mobiliser l'armée pour envahir les réserves.

C'est du moins ce que je pense, en me remémorant cette époque et cette crise d'octobre que j'ai couverte du début à la fin comme courriériste parlementaire à Ottawa.



mercredi 26 février 2020

Ces votes «soviétiques» contre la Loi 21...

photo La Presse

Le conseil municipal d'Ottawa vient de dénoncer à l'unanimité, sans débat, la Loi 21 sur la laïcité de l'État québécois (bit.ly/2TlTqWt). Il y a quelques jours, la plus importante organisation de juristes du Canada, l'Association du Barreau canadien, s'opposait elle aussi, apparemment sans débat, à la Loi 21. Son communiqué (bit.ly/2TasuZF) ne mentionne aucune opposition à la motion. Quelques mois auparavant, les députés de la législature ontarienne faisaient de même, également à l'unanimité...

Le Canada anglais, animé par ses franges francophobes depuis plus de 150 ans, n'a jamais fait dans la dentelle quand venait le temps de juger le Québec ou de persécuter ses minorités francophones. Mais cette fois, une grande partie de la faune politique et médiatique anglo-canadienne, multiculturaliste à l'excès, semble avoir perdu tout sens des repères et de l'équilibre. On attaque tous azimuts la laïcité de l'État, pourtant un noble combat mené depuis des centaines d'années autour du monde, comme une manifestation évidente - une de plus - d'un soi-disant racisme-xénophobie bien québécois...

Que cela soit faux n'a aucune importance. Le procès est entendu d'avance. On ne sent même plus le besoin d'écouter un quelconque avocat de la défense qui viendrait, sait-on jamais, perturber la vérité tranquille qui anime tous ces vaillants protecteurs des minorités religieuses qu'ils estiment opprimées par l'État laïc du Québec... Qu'ils nagent en pleines contradictions chemin faisant, cela ne semble guère les préoccuper. Il ne faudrait surtout pas laisser la réalité dissiper les mirages vers lesquels ils foncent à vive allure...

La résolution de la législature ontarienne (bit.ly/32wy4cM) mérite d'être passée au crible de l'analyse factuelle. On peut y lire, comme motif de s'opposer à la Loi 21, le texte suivant: «Considérant que la discrimination sur la base de la religion est interdite par la Charte canadienne des droits et libertés»...

Au-delà du fait que la laïcité de l'État ne soit pas discriminatoire à l'endroit des croyances religieuses et que la plupart des religions, par contre, conservent des pratiques nettement discriminatoires (notamment à l'égard des femmes), comment prendre au sérieux ces politiciens quand ils décident de chanter tous les mois le God Save the Queen (bit.ly/37ZUnZL), un hymne dédié au chef d'État canadien, cette reine qui est aussi chef religieux, et dont le trône est réservé aux seuls Anglicans? Ça c'est de la discrimination fondée sur la religion.

Et comment concilier cette résolution avec le préambule de la Charte canadienne des droits et libertés, qui affirme «la suprématie de Dieu», une mention clairement discriminatoire envers tous ceux et celles qui ne croient pas à l'existence de l'être suprême - et ils sont nombreux - ou qui croient à une nette séparation entre les religions et l'État... Cela ne semble nullement déranger tous les pourfendeurs de la modeste laïcité québécoise, à supposer qu'ils y aient pensé...

Tous ces votes «soviétiques» contre la Loi 21 dans les contrées anglo-canadiennes augurent mal pour la suite des choses...





lundi 24 février 2020

Une résolution qui donne froid dans le dos...


La résolution (bit.ly/37SWtKH) contre la Loi 21 (laïcité de l'État québécois) adoptée jeudi dernier à Ottawa par l'assemblée annuelle de l'Association du Barreau canadien (ABC) donne froid dans le dos, tant par son libellé que par la façon dont elle a été présentée aux délégués. Quand, de plus, on considère que l'immense majorité des juges fédéraux sont issus des cohortes de l'ABC, on peut vite écarter tout espoir de neutralité des tribunaux supérieurs du Québec et du Canada.

Mais revenons à cette résolution condamnant «la discrimination religieuse» (sic) engendrée par la Loi 21 (voir bit.ly/2TasuZF). A-t-on assisté à un débat équilibré sur la question, avec présentations équitables des points de vue pro et anti laïcité? Si on se fie au communiqué officiel de l'Association, publié le 20 février, la réponse est non. Soulignons d'abord que la résolution n'était pas présentée par un membre quelconque sur le plancher du congrès... Elle émanait de la prestigieuse Section du droit constitutionnel et des droits de la personne de l'ABC.

Un juriste québécois favorable à la laïcité de l'État a-t-il été invité à s'adresser à l'assemblée? Le document de l'ABC n'en dit mot... Ce que le communiqué affirme, cependant, c'est que Nour Farhat, une jeune avocate québécoise musulmane voilée, bien connue pour son opposition à l'interdiction des signes religieux pour les employés de l'État, a prononcé un «émouvant témoignage personnel» sur les conséquences «dévastatrices» de cette «atteinte aux droits de la personne».

Et que Sameha Omer, directrice des Affaires juridiques au Conseil national des musulmans canadiens, a qualifié la Loi 21 d'«une des atteintes aux libertés civiles les plus importantes de l'histoire canadienne»... Quels propos insignifiants! On croirait que cette personne ne connaît pas grand chose à l'histoire du Canada, ou qu'elle l'a apprise tout croche... En octobre 1970, le gouvernement canadien a suspendu les libertés civiles du pays tout entier pour mettre en prison près de 500 innocents à cause de leurs opinions politiques. Ça c'est du sérieux.

S'il avait existé le moindre souci d'équité à ce congrès de l'ABC, on aurait donné la parole à une juriste pro-laïcité comme Julie Latour, qui a milité pendant plusieurs années au sein de l'Association et de sa division québécoise. Elle aurait répété aux délégués que la Loi 21 est «sobre, modérée et efficace», et qu'«avec l'avènement de sociétés pluralistes, la laïcité est le socle qui permet à toutes les convictions religieuses de s'exprimer».

L'Association du Barreau canadien aurait aussi pu offrir le micro à quelques-unes des nombreuses femmes musulmanes favorables à la laïcité, et qui dénoncent en plus le port du voile comme un symbole d'asservissement de la femme et une atteinte au principe de l'égalité des sexes. Mais c'aurait été sans doute trop demander à une organisation qui semble donner raison aux intégristes religieux... comme si leur argument de «discrimination» relevait de l'évidence.

Et comme si ce n'était pas suffisant, l'assemblée annuelle de l'ABC a adopté une résolution additionnelle exhortant les gouvernements à établir des lignes directrices pour limiter le recours à la clause dérogatoire. Non seulement on veut continuer de nous imposer une charte que le Québec n'a jamais signée, on veut aussi s'assurer que toute tentative de s'en dissocier par la clause «nonobstant» devienne inopérante... surtout en matière de laïcité de l'État.

Le quotidien Globe and Mail de Toronto a dévoilé, il y a quelques jours, l'existence d'un réseau très large de partisans et de dirigeants libéraux pour attribuer les postes de juges des cours supérieures du pays. La grande majorité de ces juges portant le sceau d'approbation des libéraux, avec tout ce que cela entraîne, proviendront des rangs de l'Association du Barreau canadien. Et c'est le premier ministre fédéral qui peut décider, tout seul, de ces nominations...

Justin Trudeau n'a pas besoin de légiférer pour saboter la laïcité québécoise. Il n'a qu'à s'assurer la loyauté des tribunaux et de la profession juridique. Il n'aura pas de problème au sein de l'Association du Barreau canadien...

Ça va être laid, Monsieur Legault...

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Texte paru dans Le Droit sur la résolution de l'ABC - bit.ly/2T5hXi4



jeudi 20 février 2020

Langue française... Pour une résistance informée...

image Francopresse

Jamais la langue et la culture françaises n'auront-elles été menacées à ce point en Amérique du Nord... Même dans le château-fort québécois, le parler transmis par les ancêtres de France s'effrite devant la poussée de l'anglo-américain... Les interventions de l'État, de la Loi 101 aux programmes de francisation des immigrants, n'ont pas enrayé la tendance... Et les cris d'alarme des uns semblent avoir peu d'effet sur l'indifférence des autres, beaucoup plus nombreux...

La solution, si solution il y a, nous échappe pour le moment... Peut-être posons-nous mal la question. Au lieu de s'interroger sur les moyens à prendre pour assurer la pérennité d'un Québec français et des avant-postes acadiens et canadiens-français ailleurs au pays, pourquoi ne pas réfléchir aux facteurs qui déterminent l'acquisition, l'utilisation et la transmission d'une langue?

Je n'ai pas d'expertise particulière en la matière, autre que d'avoir vécu mes 73 ans dans un milieu - Ottawa d'abord, puis Gatineau - où les collectivités francophones et anglophones sont en contact quotidien, et où un interminable combat d'usure continue de miner la vitalité de la langue française.

Mon expérience dans la région «bilingue» de la capitale fédérale, ontarienne et québécoise, m'a permis de déceler quatre motifs principaux d'apprentissage et de conservation du français:

1. Pour s'intégrer et communiquer avec le milieu environnant. Si la famille parle français, si le quartier est francophone, si on fréquente une école française, la langue normale, commune, sera le français. J'ai grandi dans un quartier franco-ontarien à Ottawa. Il n'y en a plus aujourd'hui...

2. Parce qu'on en a constamment besoin, dans les commerces, dans les établissements publics, à l'ouvrage, dans la société. Un motif presque inexistant dans la ville d'Ottawa, davantage présent dans certains quartiers de Gatineau, sur la rive québécoise.

3. Parce qu'on est obligé. Des enfants inscrits à l'immersion française par leurs parents, une affectation ponctuelle dans un milieu où le français est essentiel, une exigence pour une promotion dans la fonction publique fédérale (phénomène répandu à Ottawa), allophones québécois obligés de fréquenter l'école primaire et secondaire française, etc.

4. Parce qu'on veut. Des milliers de personnes apprennent le français par choix, pour élargir leurs horizons culturels.

À ces motifs correspondent aussi leurs contraires... pourquoi on n'apprendra pas le français, pourquoi on le perdra graduellement ou pourquoi on ne le transmettra pas à la génération suivante:

1. Parce qu'on a surtout besoin de l'anglais, imposé dans les commerces, dans les établissements publics, à l'ouvrage, dans la société. L'unilinguisme anglais est omniprésent à Ottawa, occasionnel à Gatineau. L'anglais comme langue de travail s'impose même, souvent, à Gatineau.

2. Parce qu'on n'a pas besoin du français, la communication pouvant se faire en anglais (même si elle est disponible en français) dans les commerces, dans les établissements publics, à l'ouvrage, dans la société. P. ex. le phénomène des «For an English message, press nine»...

3. Pour s'intégrer au milieu environnant, dans une famille exogame, dans un quartier anglophone, dans un milieu scolaire anglo-dominant. Deux tiers des jeunes Franco-Ontariens vivront avec un(e) conjoint(e) anglophone. Tous les quartier urbains francophones ont disparu. Et 13 000 francophones sont inscrits à l'Université d'Ottawa, bilingue mais où plus de deux tiers du campus est anglophone...

4. Parce qu'on choisit, ou qu'on préfère consommer en priorité des produits culturels anglo-américains (médias, cinémas, journaux, livres, etc.). L'étude de Statistique Canada de 2010 sur les Franco-Ontariens est probante à ce sujet. J'ai la conviction qu'une étude similaire à Gatineau (à dans la région montréalaise) révélerait des données inquiétantes.

Voilà. Vous avez maintenant une grille qui vous permet d'évaluer la vitalité de la langue et la culture française dans votre localité. Que vous soyez à Sudbury, St-Boniface, Moncton, Montréal ou Saguenay, vous serez en mesure de poser un diagnostic assez précis... et capables de distinguer entre la réalité et la propagande des «lunettes roses» et des «lunettes sombres»...

En cas de doute, consultez les données des recensements fédéraux... Comparez les chiffres de la langue maternelle à ceux de la langue d'usage (la langue la plus souvent parlée à la maison)... Les résultats seront éclairants...

Quand j'utilise ma propre grille de motifs pour analyser Gatineau et Ottawa, j'arrive vite à la conclusion que la langue et la culture françaises subissent un assaut quotidien qu'elles ne réussissent pas à contrer. À Ottawa, c'est catastrophique. À Gatineau, où la Loi 101 est constamment violée, ce le sera bientôt...

Comme le chantait Zachary Richard aux Acadiens: «Réveille! Réveille!»
https://www.youtube.com/watch?v=3_AescSs6GA






dimanche 16 février 2020

Le Québec français court au suicide...


Si les Québécois se donnaient la peine de s'informer - vraiment s'informer - des combats menés ailleurs au pays depuis plus de 150 ans pour défendre et promouvoir la langue française, et en tiraient les enseignements qui s'imposent, la Loi 101 retrouverait vite, très vite, toute sa vigueur originale. Elle serait même renforcée. Et dans ce Québec de 2020, la langue et la culture françaises seraient traitées avec beaucoup plus de dignité et de respect.

Allez demander aux Franco-Ontariens, là où sont mes racines, comment ils accueilleraient un programme d'anglais intensif dans leurs écoles françaises, ou des programmes en français dans une institution scolaire de langue anglaise ou à majorité anglophone. Ils vous diraient qu'ils ont déjà subi tout ça pendant près d'un siècle et plus, et que le résultat est toujours le même: une anglicisation - lente ou rapide selon les régions - des jeunes générations franco-ontariennes.

Ils vous parleraient de la nécessité du «par et pour»... une expression peu entendue au Québec mais qui prend tout son sens en milieu minoritaire. Il s'agit, en l'occurrence, d'écoles gérées «par» les francophones, «pour» les francophones. Des institutions scolaires que la collectivité francophone contrôle et administre, et dont le principal objectif est d'être au service de cette collectivité. C'est le coeur de la revendication actuelle d'une université ontarienne de langue française, comme ce le fut pour les réseaux d'écoles, primaires, secondaires et collégiales.

L'immense majorité des étudiants universitaires franco-ontariens fréquentent deux grandes institutions bilingues - l'Université d'Ottawa et l'Université Laurentienne à Sudbury - où ils sont fortement minoritaires. Ils étudient en français dans un environnement anglo-dominant, avec des conséquences prévisibles. C'est un peu le régime qu'on s'apprête à imposer, au Québec, aux étudiants de l'Outaouais en médecine, qui auront enfin finalement «droit» à des cours en français mais qui évolueront à McGill, une université administrée «par» et «pour» la collectivité anglo-québécoise.

Les Franco-Ontariens vous diraient que la «bilinguisation» collective des écoles françaises n'a pas que de sérieuses conséquences pour la qualité, voire la pérennité, de la langue française. Elle a aussi de graves effets identitaires, avec une jeune génération qui se voit de plus en plus comme «bilingue» et non comme francophone. Ne vous surprenez pas d'apprendre que dans les écoles primaires franco-ontariennes, on en soit rendu à mettre sur pied des programmes de «construction identitaire» pour sauver les meubles...

Les minorités canadiennes-françaises et acadiennes ont besoin d'un Québec français, fort et dynamique, comme point d'appui. Si on leur demandait ce qu'elles pensent de l'anglais intensif au primaire, des programmes en anglais dans des cégeps et universités de langue française, des cours en français sous gestion d'une université anglaise, elles vous diraient que le Québec francophone court au suicide. Et elles auraient raison. Mais leur expérience ne semble pas intéresser les Québécois...

Le gouvernement Legault, en partenariat avec la Fédération des communautés francophones et acadiennes (FCFA) des autres provinces, a organisé un Sommet sur le rapprochement des francophonies canadiennes, qui aura lieu les 16 et 17 juin à Québec. C'est la première rencontre du genre depuis les États généraux du Canada français à la fin des années 1960. Souhaitons que le dialogue engendré par ce Sommet puisse non seulement profiter aux minorités francophones hors-Québec, mais aussi à la majorité francophone du Québec, si cette dernière se donne la peine  d'être à l'écoute du vécu de sa diaspora.










lundi 10 février 2020

Explosion de crimes haineux: pire au Québec?

Que Le Devoir choisisse, dans ses pages d'opinion, de glisser lentement sur la pente du multiculturalisme à l'anglo-canadienne, c'est son affaire. Que notre quotidien national laisse de plus en plus tomber la nation qui lui a donné vie, cela me déçoit mais il s'agit d'un choix éditorial que je dois respecter tout en conservant ma liberté de le critiquer. Ce qui me hérisse, cependant, comme journaliste, c'est que l'on puisse tolérer des erreurs de fait sans les corriger et s'en excuser.

Dans son texte intitulé La pensée unique (bit.ly/39hcfjX), publié le 5 février 2020, quelques jours après le troisième anniversaire de l'attentat meurtrier contre la mosquée de Québec, la chroniqueure Francine Pelletier écrit: «De 2016 à 2017, les actes haineux ont explosé partout au Canada, mais nulle part plus qu’au Québec — à l’égard des musulmans notamment. Selon Statistique Canada, il y a eu une augmentation des crimes haineux de 49 % au Québec, contre 47 % pour l’ensemble du pays.» Sur sa lancée, elle ajoute que dans la foulée de la tuerie à la mosquée de Québec, «les incidents islamophobes ont triplé dans la province».

Pourtant, Statistique Canada, auteur de cette compilation de crimes haineux (bit.ly/2ud3Y1C), indique que «parmi les provinces, l’augmentation globale la plus marquée du nombre de crimes haineux déclarés 
par la police a été observée en Ontario — la province la plus peuplée du Canada —, où le nombre d’affaires de crimes haineux est passé de 612 en 2016 à 1 023 en 2017 (+67 %). Cette croissance est en grande partie liée à l’augmentation du nombre de crimes motivés par la haine à l’égard des musulmans (+207 %), des Noirs (+84 %) et des juifs (+41 %)

Par ailleurs, la même étude de Statistique Canada confirme qu'au Québec, le nombre de crimes haineux contre des musulmans «presque triplé pour passer de 41 en 2016 à 117 en 2017». C'est une hausse de 187%. Ce que l'agence fédérale ajoute, cependant, c'est que ces mêmes crimes haineux contre des musulmans ont plus que triplé en Ontario, pour un bond de 207%. Je ne dispute pas le caractère faramineux de ces hausses, mais le «nulle part plus qu'au Québec» n'est pas démontré.

Le taux de crime haineux par 100 000 habitants est aussi considérablement plus élevé en Ontario, à 7,2 (contre 5,8 au Québec et une moyenne canadienne de 5,7). Si l'on considère les régions urbaines du pays, la ville championne pour les crimes haineux est Thunder Bay, Ontario avec un taux de 17,6 crimes haineux par 100 000 habitants. Elle est suivie, dans l'ordre, par Hamilton (Ontario), Guelph (Ontario), la ville de Québec, Peterborough (Ontario), Kitchener (Ontario), Ottawa (Ontario), Toronto (Ontario), Kingston (Ontario), Montréal (Québec) et Vancouver (C.-B.). Les taux des autres villes sont inférieurs à la moyenne canadienne.

Forte de sa prémisse contestable, la chroniqueure du Devoir en rajoute: «On pourrait même, écrit-elle, soupçonner le Québec d'être l'un des endroits en Amérique où les préjugés antimusulmans sont les plus tenaces». Cette allégation est d'autant plus douteuse qu'il reste à démontrer la véritable nature de cette soi-disant «haine». Vise-t-elle l'islam ou l'islamisme, les musulmans ou les islamistes? (voir bit.ly/39nwVqf) Est-ce bien une forme de xénophobie ou une réaction viscérale, souvent irréfléchie, d'un peuple déjà menacé face à une perception de radicalisme et d'intolérance dirigés contre sa culture et ses traditions?


Le peuple visé le plus souvent par des «crimes haineux» depuis la Confédération, c'est nous. Les francophones. Partout au pays, même au Québec. À tous les jours, dans les réseaux sociaux, dans les médias de langue anglaise, on tient à notre endroit des propos diffamatoires et haineux. Les recenser est un jeu d'enfant. Le problème, c'est qu'ils ne correspondent pas à la définition canadienne de crime haineux. Les dénigrements parfois violents qu'on nous dirige, s'ils étaient proférés contre la collectivité juive ou musulmane, ou contre des gens d'autres races, vaudraient à leurs auteurs des accusations criminelles d'incitation à la haine.

Mais au Canada, la chasse aux francophones est toujours ouverte...



samedi 1 février 2020

Le plus-que-parfait du subjonctif???


Dans nos milieux politiques, plus personne ne s'exprime comme Jean-Noël Tremblay. En écoutant cet ancien ministre québécois des Affaires culturelles de l'époque de Daniel Johnson, décédé le 23 janvier 2020 à l'âge de 93 ans, on se rendait compte que la qualité de son français oral était fort supérieure au français écrit de la plupart d'entre nous. Il était l'un des rares hommes politiques à pouvoir verbaliser avec aisance tous les temps du subjonctif dans ses conversations...

À un intervieweur qui l'interrogeait sur les circonstances entourant je-ne-sais-quelle décision, le député de Chicoutimi avait répondu quelque chose comme: «Qu'eussiez-vous voulu qu'il en fît?» Je comprends que le grand public, dont je fais partie, ne manie pas l'imparfait et le plus-que-parfait du subjonctif avec autant de facilité que le présent de l'indicatif, mais leur rareté me rappelle que dans nos grammaires et dictionnaires sommeillent de nombreuses conjugaisons, ainsi que des dizaines de milliers de mots et d'expressions françaises qui pourraient émailler nos échanges verbaux et écrits.

Pourquoi ne les utilise-t-on pas, ou si peu? Soit on les connaît mal (ou pas), soit on craint d'attirer les regards en ne parlant pas «comme tout le monde»... Peu importe les motifs, on se prive des richesses de la langue française en demeurant au plus bas dénominateur commun qui, ces jours-ci, est farci de vulgarités, de joual et d'anglicismes, sans compter une abondance de termes et de phrases en anglais. Pour s'en convaincre, il suffit d'épier les jasettes pendant une petite heure dans une salle d'attente d'hôpital, d'écouter quelques entrevues de vedettes et de sportifs à la télévision ou, pire, de lire une brochette de messages affichés sur Facebook et Twitter...

Dans une société comme la nôtre, encerclée dans une Amérique du Nord unilingue anglaise où nous ne formons que 2% de la population, la tâche n'est certes pas facile. Encore faut-il vouloir retrousser nos manches et mettre à notre service le seul État que nous contrôlons, le Québec, pour que notre langue commune soit effectivement le français - un français de qualité - à l'école (du primaire à l'université), dans la société, au travail, à Rimouski comme à Montréal... même dans le West Island.

Mais à voir ce qui se passe ici depuis quelques décennies, on croirait par moments qu'un Québec français agonisant se prépare à demander «l'aide médicale à mourir»... Alors que l'anglais s'impose de plus en plus comme langue de travail et que la qualité du français s'effrite à vue d'oeil, Québec a créé des programmes d'anglais intensif au primaire dans les écoles françaises, annonce des DEC bilingues dans nos cégeps et tolère l'infiltration de cours en anglais dans les universités de langue française. Notre gouvernement oblige même, en 2019-2020, des étudiants francophones de Gatineau à faire leur année préparatoire en médecine en anglais à McGill... Non seulement cela témoigne-t-il d'une érosion de fierté nationale, c'est surtout un manque flagrant de respect pour cette langue que des générations d'ancêtres ont vaillamment transmise.

Quand, au début des années 1960, René Lévesque, alors ministre des Richesses naturelles dans le gouvernement de Jean Lesage, a voulu nationaliser les compagnies d'hydroélectricité et annoncé son intention de construire des barrages en français, bien des anglophones (et peut-être des francophones) lui ont dit qu'il rêvait en couleurs. Il a réussi. Aujourd'hui, devant l'omniprésence de l'anglais autour de nous, trop des nôtres baissent les bras et préconisent un bilinguisme de masse au lieu de tenter de redonner au français la maîtrise des lieux. C'est une stratégie suicidaire.

Une prise de conscience collective et individuelle s'impose. Il ne suffit pas d'obtenir une intervention énergique de l'État. Chacun, chacune doit y mettre du sien en exigeant le français partout, en le lisant davantage, en l'écrivant mieux, en soignant son français parlé. Ne rien faire est bien plus facile, j'en conviens. Mais on sait déjà ce que cela donnera. Une nouvelle Louisiane aux bords du Saint-Laurent dans quelques générations...

Pour ma part, j'ai commencé à introduire dans mes conversations des mots précis, un peu plus recherchés, pour remplacer les «affaires» et les «choses» qu'on leur a trop souvent substitués. J'ai aussi entrepris de franciser la prononciation de certains termes, noms et lieux qu'on verbalise trop souvent à l'anglaise... La première fois que j'ai dit «i»Pad et non «aille»Pad, j'étais un peu inconfortable et mon interlocuteur a sourcillé... Maintenant je suis habitué et plusieurs personnes autour de moi ont commencé à prononcer le «i» du iPad comme un «i» français...

Vous me direz que c'est une goutte dans un océan. Certes. Mais si des millions de personnes s'y mettent quotidiennement, le paysage linguistique changera... Le pays aussi, peut-être...