vendredi 29 juin 2018

La soupe des Franco-Ontariens va être claire pour quatre ans...

Doug Ford (Source: Wikipédia)

Le jour même de son assermentation comme premier ministre de l'Ontario, Doug Ford a aboli le ministère des Affaires francophones. Dans cette nouvelle «FordNation» ontarienne à la Trump, les Franco-Ontariens sont déjà des parias... et le pire reste à venir.

Quand un grossier chef populiste compte parmi ses priorités d'abolir l'éducation sexuelle à l'école, d'étendre aux dépanneurs la vente de la bière et du vin, d'abolir la taxe carbone, de réduire le prix de l'essence, de supprimer la prochaine hausse du salaire minimum et de geler les embauches dans la fonction publique, croyez-moi: on enverra paître (sans doute poliment) les représentants des francophones avec leurs demandes qui paraissent parfois complexes et coûteuses.

S'il fait comme Trump, il voudra plaire à sa base électorale, provenant surtout des banlieues, petites municipalités et milieux ruraux, parmi les moins syndiqués et les plus francophobes de la province. Presque toutes les villes - Toronto, Hamilton, Windsor, London, Guelph, St. Catharines, Kingston, Sudbury - ont élu des députés néo-démocrates. La capitale fédérale a élu pour sa part trois libéraux et un néo-démocrate... L'ouest de la ville a élu un conservateur, de justesse.

La base électorale de Trump - excusez, de Ford - n'a que faire d'une université de langue française, même s'il ne s'agit que d'un mini-campus dans la région torontoise. Comment, pensez-vous, le gouvernement Ford réagira-t-il à des projets d'expansion de services en français dans l'est et le nord ontariens, ou à une bonification de l'offre en français en santé, en justice ou en éducation? Et que fera cet Ontario à l'Organisation internationale de la francophonie?

La majorité des Anglo-Ontariens trouvent déjà que les francophones en ont trop obtenu depuis 150 ans. S'ajoutant à un courant de haine viscérale et durable de la langue française et du Québec, issue d'un vieux fond orangiste, les comités d'accueil de la FordNation présenteront aux francophones des mines patibulaires. Surtout n'allez pas leur demander un 7up en français...

Le pire, c'est que les Franco-Ontariens partent en position de faiblesse. Leurs organisations ont applaudi (avec certaines réserves) l'ancien gouvernement Wynne qui ne leur avait pourtant donné que des «pinottes» en légalisant le statut quo linguistique à Ottawa (qu'on dit maintenant bilingue) et en torpillant le coeur du grand projet d'université franco-ontarienne lancé en 2012 par le RÉFO (Regroupement étudiant franco-ontarien).

Ces mêmes organisations seront bien mal placées maintenant pour tenter de fouetter l'ardeur de leurs troupes contre le gouvernement Ford si ce dernier continue d'honorer quelques-uns des engagements des libéraux. On a applaudi. On ne peut désapplaudir. Le résultat est souvent la démobilisation et l'indifférence. Parlez-en à l'ACFO de Prescott-Russell, qui peine à trouver des membres pour son conseil d'administration... Et au quotidien Le Droit, qui n'a même pas commenté en éditorial ou en chronique l'entrée en scène de la horde Ford.

Au moins, Doug Ford dit aimer le Québec. J'ai peine à le croire mais il l'a affirmé durant la campagne. Peut-être cet «amour» pour les voisins québécois l'incitera-t-il à ne pas trop écoeurer les parlant-français de sa propre province. Et encore faudrait-il que quelqu'un à Québec lui frotte les oreilles de temps à autre, ce qui n'arrivera pas avec les anglophiles du gouvernement Couillard.

Les réactions molles des dirigeants franco-ontariens étaient prévisibles et compréhensibles. Personne ne veut se mettre à dos un nouveau gouvernement le jour de son assermentation, même quand on sait que la FordNation donnera beaucoup de fil à retordre à la Franco-Ontarie. Alors on félicite la nouvelle ministre «déléguée» aux Affaires francophones, Caroline Mulroney, tout en «regrettant» que le «ministère» des Affaires francophones ait été exécuté sans procès.

Et le jour du budget, félicitera-on encore le premier ministre Ford pour la minuscule enveloppe brune laissée à la porte d'entrée du futur mini-campus torontois (alias Université de l'Ontario français), tout en «regrettant» que ce soit insuffisant pour combler les besoins les plus élémentaires? En espérant que l'enveloppe brune suivante, après beaucoup de supplications, soit plus épaisse?

Des Franco-Ontariens se sont tenus debout, jadis, pour lutter contre le Règlement 17, puis plus récemment pour gifler le gouvernement conservateur qui voulait tuer l'hôpital Montfort. C'est la seule façon de combattre dans cette province. J'ai l'impression, parfois, qu'on se contente de plus en plus de vivre à genoux... au Québec français comme en Ontario français... La soupe va être claire pour quatre ans, à moins que...


mercredi 20 juin 2018

Les deux solitudes se rapprochent-elles vraiment au Québec?



Dans Le Devoir du samedi 16 juin, le titre «Les deux solitudes se rapprochent au Québec» m'avait intrigué. Étant franco-ontarien d'origine et résident de l'Outaouais québécois depuis plus de 40 ans, mon vécu me disait qu'il y avait là anguille sous roche, et qu'en dehors des rapports obligés et polis entre francophones et anglophones, le noir des uns restait largement le blanc des autres...

Le texte du Devoir, en manchette de la page A3, propose un aperçu des résultats d'un sondage de l'Association d'études canadiennes portant «sur les perceptions mutuelles des anglophones et des francophones au Québec» (voir texte à bit.ly/2K3uVrf). L'essentiel du message? L'immense majorité des anglophones ont des contacts réguliers avec des francophones ainsi que des amis francophones. Même phénomène chez les francophones. Et que, voilà la clé, «70% des répondants jugent de façon "positive" ou "très positive" les relations entre les deux groupes linguistiques».

Ces données semblent suffire pour conclure que nos deux ex-solitudes marchent désormais coude à coude... J'ai 71 ans et j'ai côtoyé des anglophones toute ma vie, à Ottawa comme à Gatineau, et je peux vous assurer que les rapports entre «nous» et «eux» ont toujours été polis et cordiaux, à condition qu'ils se déroulent en anglais, un jeu auquel continuent de se prêter la majorité des francophones bilingues des deux rives de l'Outaouais... Quand un francophone insiste pour qu'un anglo, même bilingue, lui parle français, le mercure passe vite de 30 degrés au point de congélation.

Je serais curieux de savoir dans quelle langue se déroulent ces rapports «positifs» entre francophones et anglophones, particulièrement dans la grande région montréalaise et en Outaouais...

Enfin, quand on gratte sous le vernis de cette soi-disant bonne entente, on s'aperçoit vite que la perception de la réalité linguistique au Québec oppose fondamentalement les parlant-français et les parlant-anglais (ainsi que les allophones) du Québec. Et j'ajouterais que les résultats du sondage démontrent chez les francophones un constat beaucoup plus réaliste que celui des vierges offensées anglo-québécoises...

Prenons la Loi 101 comme point de repère. Cette loi a cristallisé tous les débats linguistiques au Québec depuis plus de 40 ans. Que dit l'article du Devoir? «Ainsi, 89% des francophones jugent positivement la Charte de la langue française, contre à peine 35% chez les anglophones»... Comme rapprochement entre les deux solitudes, j'ai déjà vu mieux... Neuf francophones sur 10 appuient la Loi 101. Deux anglophones sur trois s'y opposent. La conclusion qui s'impose n'est pas celle du titre de l'article du Devoir.

Mais il y a plus. À la question «La Charte de la langue française protège-t-elle-bien le français?», moins de la moitié des francophones (45,9%) répondent «oui». Plus de la moitié des parlant-français se rendent compte que notre Loi 101 trouée, abîmée, n'a plus la robustesse du début. Quant aux anglophones, ils estiment que la Charte protège bien la langue française dans une proportion de 67,2%. Chez les allophones, c'est même 75,6%... Une preuve que la majorité des allophones s'alignent, en matière linguistique, sur nos anciens Rhodésiens.

À la question plus générale «Le français est-il bien protégé?», on découvre le même clivage que pour l'effet de la Loi 101, en pire... Seulement 40% des francophones répondent «oui» à cette interrogation. Pendant ce temps, 87,5% des anglophones et 82,2% des allophones déclarent que la langue française est bien protégée au Québec. Comme perception, c'est diamétralement opposé. Et encore une fois, les répondants francophones ont davantage le compas dans l'oeil.

Enfin, à peine 16,7% des anglophones et 13,3% des anglophones estiment que les droits des anglophones sont bien protégés au Québec. Les francophones, plus réalistes, estiment les droits des anglos bien protégés dans une proportion de 72,2%. Si les anglophones veulent comparer leur «protection» à celle d'une autre minorité, qu'ils traversent un pont de l'Outaouais pour en parler aux Franco-Ontariens, qui peinent toujours à arracher à Queen's Park une seule université de langue française, alors que les Anglo-Québécois en ont trois, surfinancées par ailleurs...

La morale de cette histoire? En dépit d'une couverture médiatique médiocre, la question linguistique continue d'intéresser l'ensemble des Québécois francophones (et anglophones). Ce n'est pas le PQ qui l'affirme, mais un sondage de l'Association d'études canadiennes... Et à en juger par l'attitude des Québécois francophones, la nation reste disposée à prendre des mesures énergiques pour protéger et promouvoir sa langue, y compris en renforçant la Loi 101.

À bon entendeur, salut !

mardi 19 juin 2018

Gatineau: la mentalité de colonisé cloue notre cercueil collectif...

Photo Tourisme Outaouais


Non seulement a-t-on dû subir en 2017 les appels incessants à célébrer aveuglément le cent-cinquantenaire de la Confédération pendant qu'on gardait un silence total sur les injustices infligées aux francophones du Québec et d'ailleurs au pays depuis 1867, mais voilà que notre comité municipal du 150e propose un suivi: accorder à l'anglais une place égale au français le long du sentier culturel qui serpente au centre-ville de Gatineau... (voir bit.ly/2thYZbj dans Le Droit)

Mais c'est le boutte du boutte !!!

Ce sentier culturel (voir bit.ly/2yyg5rt), c'est un peu nous, Gatinois francophones, qu'on offre en vitrine aux visiteurs d'un peu partout. Lieux d'intérêt, expositions, patrimoine bâti, art mural, programmation culturelle, visites guidées, tous reliés par une ligne rouge qui nous rappelle que le secteur Hull fut français avant les Terrasses de la Chaudière, Place du Portage, Place du centre, condos de Zibi, W/E, Viu et Tours Brigil qui donneront d'ici quelques décennies une majorité anglaise à notre centre-ville...

Au moment où la Loi 101 s'effrite à vue d'oeil, où la frontière entre Ottawa et Gatineau semble de plus en plus floue, où les chiffres du recensement montrent un recul inquiétant du français des deux côtés de la rivière, la mentalité de colonisé de plusieurs de nos dirigeants municipaux et «provinciaux» cloue tranquillement notre cercueil collectif. Au lieu d'affirmer fièrement l'âme française de la métropole de l'Outaouais, le Comité du 150e propose pour notre sentier culturel la double identité, le bilinguisme, comme si nous vivions en territoire fédéral.

Pas besoin de dessins pour savoir qu'un forte proportion des touristes à Gatineau ne comprennent pas le français. Et puis? Un grand nombre de touristes en Espagne ne parlent pas l'espagnol. À Moscou, les visiteurs ne sont pas tous russophones. Loin de là. Même chose pour l'Allemagne, l'Italie, la Belgique, etc. Les pays ne modifient pas la signalisation de leurs municipalités parce que des étrangers ne parlent pas la langue nationale. Et les visiteurs en sont le plus souvent ravis. C'est ainsi qu'ils goûtent au cachet culturel unique de chaque pays.

Qu'on offre des services de traduction dans d'autres langues, cela va de soi. Des visites guidées, des dépliants explicatifs, des audio-guides, tous peuvent être disponibles en plusieurs langues... et pas seulement l'anglais. En plus du français, Gatineau peut fort bien publier une brochure sur le sentier culturel en anglais, en espagnol, en portugais, en italien, en arabe, en chinois, en japonais. Tous ces documents écrits ou audio en langues étrangères expliqueront aux visiteurs le sens de la signalisation française, en plus de les renseigner sur le caractère québécois et francophone de la ville de Gatineau.

Je vois déjà les objections pleuvoir... mais les affiches sont bilingues à Ottawa, pourquoi pas à Gatineau? Pour une raison bien simple. La seule similitude culturelle entre Ottawa et Gatineau, c'est que le français y soit constamment menacé. D'une rive comme de l'autre. Le mieux que les Franco-Ontariens puissent espérer en situation fortement minoritaire, c'est le bilinguisme. Et encore, à 10% de la population, ils ne l'auraient pas si Ottawa n'était pas la capitale d'un pays soi-disant bilingue. Mais à Gatineau et au Québec, nous formons la majorité et nous pouvons faire mieux. Nous avons le droit - je dirais même le devoir - de protéger et de promouvoir le français. L'anglais, chez nous comme à Ottawa, n'a besoin d'aucune protection...

À quelques jours de la Fête nationale, nos élus devraient s'inquiéter bien plus de l'anglicisation rapide du centre-ville de Gatineau que de l'absence de l'anglais sur le sentier culturel. Mais je ne me fais pas d'illusion. Quand vient le temps de protéger et promouvoir le français, c'est l'indifférence générale... quand ce n'est pas carrément l'hostilité...