vendredi 26 mai 2023

«Anglais ou français... Who cares?»

Capture d'écran du groupe Facebook Mechanicsville of Ottawa

----------------------------------------------------------------

J'ai hésité à écrire cette fois. Parce que cela concerne avant tout le décès d'une personne et la peine de son enfant. Mais ce n'est pas que cela. Des échanges sur la page Facebook du groupe Mechanicsville of Ottawa (mon quartier natal), auquel participent près de 2 500 internautes, ont fait quelques vagues très publiques. Et les quatre-vingt signataires de commentaires et messages de sympathie sont identifiés, à la vue de tous, toutes sur Internet.

Les faits se résument à ceci: une dame qui a enseigné à quatre écoles françaises du quartier St-François-d'Assise-Mechanicsville est décédée et sa fille annonce son décès en anglais au groupe Mechanicsville of Ottawa. Cela n'a rien d'anormal, étant donné que l'immense majorité des Franco-Ontariens qui utilisent cette page n'y écrivent qu'en anglais. Ce qui tranche, cette fois, c'est qu'une personne ait osé écrire: «son message aurait pu être en français.» Un commentaire accueilli par quelques répliques cinglantes, y compris de la fille de la défunte.

Le décès d'une personne était peut-être un moment mal choisi pour amorcer un petit débat linguistique, mais à bien y penser, peu importe l'occasion, rappeler aux gens leur identité francophone à Ottawa suscitera presque toujours gêne et controverse. La personne décédée, Mme Thérèse Joanette, avait enseigné à trois des écoles primaires franco-ontariennes que j'ai fréquentées (St-Conrad, St-François d'Assise et Notre-Dame des Anges), toutes situées dans mon petit quartier jadis francophone de l'ouest de la ville d'Ottawa. Je ne me souviens pas d'elle mais clairement, à lire les messages Facebook, elle était aimée et admirée.

La page Mechanicsville of Ottawa serait un excellent laboratoire pour des professeurs de sociologie. L'ancien quartier, aujourd'hui à peu près disparu, était à plus de 80% francophone et l'immense majorité des membres de ce groupe Facebook sont d'anciens résidants du coin. Ce sont donc, ou étaient, pour la plupart des Franco-Ontariens qui se remémorent, presque toujours en anglais, leurs souvenirs du vieux quartier. Soit ils sont anglicisés, soit ils adoptent le comportement linguistique typique... passer à l'anglais dès que des unilingues anglophones peuvent se profiler dans le décor. Ou un mélange des deux. Mais certains persistent à communiquer en français, et cela peut provoquer des malaises... même chez les francophones.

Cette fois, pour l'annonce du décès de Mme Joanette, le statut de sa fille a suscité environ 80 commentaires au sein du groupe Facebook mais ce qui m'a frappé, c'est qu'environ 25 d'entre eux ont été rédigés en français. C'est moins que les 55 en anglais mais quand même considérable et j'en conclus que l'ancienne enseignante les avait marquées sur le plan culturel. Le message de la fille de Mme Joanette étant spécifiquement dirigé aux anciens élèves de cette dernière, on peut conclure que plus souvent qu'autrement, les condoléances en anglais provenaient de francophones. D'ailleurs, plus de 20 des messages de sympathie rédigés en anglais étaient signés par des personnes qui avaient eu Mme Joanette comme professeure à l'élémentaire dans une de ces quatre écoles de langue française.

La remarque sur l'absence de français a valu à son auteure quelques rebuffades. «C'est pas le temps pour ce commentaire. Anglais ou français... who cares», affirme une ancienne élève de Mme Joanette. Un autre francophone parle de «childish inappropriate comments», ajoutant «people can be so heartless». Finalement, la fille de Mme Joanette dit avoir mis le message en anglais «parce que la plupart de mes amis sur Facebook sont anglophones», ajoutant «je n'apprécie pas ton commentaire du tout. Si je décide de parler en français ou en anglais ce sont mes choix». Personne n'a offert d'appui à celle qui, disant bien connaître Thérèse Joanette, suggérait que cette dernière aurait préféré un message tout au moins bilingue.

Je comprends les deux points de vue, ayant été témoin depuis plus de 60 ans des effets du déclin accéléré du français à Ottawa, lié à la disparition de tous les quartiers urbains francophones de la capitale fédérale. De plus en plus, les Franco-Ontariens ayant grandi et vécu en français mourront en anglais dans les médias sociaux. C'est triste mais on aurait tort de blâmer ceux qui s'anglicisent, comme on devrait éviter de faire des reproches à ceux qui continuent à défendre le français.

Le rouleau compresseur de l'assimilation a fait son oeuvre, c'est tout, et les pages du groupe Facebook Mechanicsville of Ottawa (comme celles des groupes de l'ancienne Basse-Ville francophone) en font la démonstration quotidienne. Je termine avec une citation d'Omer Latour, un Franco-Ontarien qui évoquait dans les années 1970 la situation du français dans sa ville natale, Cornwall, mais dont les propos auraient pu s'appliquer aussi bien à Ottawa en 2023... Quand tout le monde parlera anglais, y'en aura plus, de problème...

M. Latour écrivait:

«Dieu merci, le combat est presque fini.

L'assimilation totale apporte enfin le repos

et la paix à tous ces gens obscurs qui ont

lutté dans un combat par trop inégal.»

---------------------------------------------------

Lien à la page Facebook de Mechanicsville of Ottawa https://www.facebook.com/groups/1477234445837976


Aucun commentaire:

Publier un commentaire