samedi 31 décembre 2016

Commémorer pour une réflexion féconde

En ce 31 décembre 2016, à la veille d'une année où on nous inondera de propagande cent-cinquantenaire, je relance ce texte déjà publié sur mon blogue, en espérant qu'un regard renouvelé sur notre histoire - avant et depuis la Confédération - fera de 2017 une année de réflexion féconde sur notre avenir comme peuple francophone d'Amérique.
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En 1845, quelques années après l'échec des Patriotes de 1837-1838 et l'imposition de l'Acte d'Union de 1840 qui enlevait à la langue française tout statut officiel, notre premier grand historien national, François-Xavier Garneau, écrivait dans le 1er tome de son Histoire du Canada depuis sa découverte jusqu'à nos jours: «Quoiqu'on fasse, la destruction d'un peuple n'est pas chose aussi facile qu'on pourrait se l'imaginer.»

Nous n'étions que 60 000 quand la Nouvelle-France a été cédée à la Grande-Bretagne après la défaite des Plaines d'Abraham en 1759. Entre la domination britannique et l'expansion anglo-américaine, nos chances de survie étaient fort limitées. Le grand sociologue et philosophe Alexis de Tocqueville, qui a visité la vallée du Saint-Laurent en 1831, écrivait à l'automne de la même année: «Il n'y a pas six mois, je croyais, comme tout le monde, que le Canada était devenu complètement anglais.»

Et le voilà tout à coup devant une nation francophone en devenir (et en péril) de 600 000 habitants. Il note dans sa correspondance: «Je ne puis vous exprimer quel plaisir nous avons éprouvé à nous retrouver au milieu de cette population. Nous nous sentions comme chez nous. (…) Nous avons retrouvé là, surtout dans les villages éloignés des villes, les anciennes habitudes, les anciennes moeurs françaises… autour d'une église, surmontée du coq et de la croix fleurdelisée…»

Curieux, unique, notre petit peuple poursuivait au 19e siècle son exploration du continent nord-américain dans les «pays d'en haut» et les Prairies en amitié et métissage avec les Amérindiens, mais son coeur restait solidement ancré dans le bassin fertile du fleuve Saint-Laurent. Langue française, foi catholique et natalité hors du commun ont formé pendant longtemps un bouclier contre l'assimilation... et un tremplin vers un avenir toujours incertain.

La répression d'abord militaire, puis politique et religieuse, n'a jamais complètement refroidi les braises d'un esprit rebelle et libre qui couvent depuis deux siècles. Contre les autorités de l'État et de l'Église, nous avons été à l'occasion désobéissants - rébellion de 1837-38, révolte des Métis, conflits scolaires, crises de la conscription, etc. Défiant une morale étouffante imposée par le clergé, nos aïeux - tout en allant tous les dimanches à la messe - continuaient de danser, de prendre un p'tit coup et de donner à leurs enfants des noms proscrits comme Émile et Napoléon…

Durant le premier siècle de la Confédération, toutes les provinces à majorité anglaise ont aboli les droits scolaires des collectivités francophones… L'objectif était clair: limiter l'usage du français à la seule «réserve» du Québec en espérant que même là, avec l'accroissement de la population de langue anglaise et la main-mise de cette dernière sur les leviers de l'économie et de l'immigration, la majorité francophone finirait un jour par s'effriter...

Ça n'a pas donné les résultats escomptés et en cette fin de 2016, la nation demeure - envers et contre tous, y compris le gouvernement Couillard - essentiellement francophone. Mais la structure se lézarde, l'érosion gruge les fondations et les avant-postes tombent, un à un, dans le vide de l'indifférence. Avons-nous survécu à tant de combats, depuis deux siècles, que pour redevenir à la toute fin, comme le craignait le poète Paul Chamberland, «une page blanche de l'histoire»?

Les puissances qui auraient voulu notre anéantissement culturel se sont butées à la résistance des patriotes de 1837, à toutes ces familles de dix enfants à table, à ces colons qui s'entêtaient à défricher des terres de roche, à ces explorateurs qui partaient à la découverte des pays d'en haut et d'ailleurs, à ces auteurs et compositeurs qui signaient en mots et en musique notre existence, à ces institutrices et instituteurs qui enseignaient le français en cachette dans les provinces de persécution, à ces ouvriers et ouvrières qui ont levé la tête contre la répression, à ces générations successives d'étudiants et d'étudiantes qui nous relancent, à tous ces projets d'espoir de naissance d'un pays à notre image…

Que ferons-nous aujourd'hui, au Québec, de ce précieux héritage? La réponse à cette question m'inquiète. Heureusement, comme le disait Garneau, «la destruction d'un peuple n'est pas chose aussi facile qu'on pourrait se l'imaginer»...

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