lundi 20 février 2017

Francophone... un mot galvaudé...

«Francophone»... Tous, toutes en connaissent le sens? Pas si sûr. Pour le moment, la première définition du Larousse suffira. Elle est précise, et courte:

«francophone
adjectif et nom
* qui parle le français.»

Et voilà. Le mot clef, ici, est «parle». Pas «écrit», mais bien «parle». Franco«phone».

Ça n'existe pas, un journal francophone. C'est un journal français, ou un journal de langue française. Jadis, quand La Presse était un vrai quotidien papier, imprimé, on pouvait lire sous l'en-tête: «Le plus grand quotidien français d'Amérique». Les seuls livres francophones sont ceux qu'on écoute. Ceux qu'on regarde, format papier ou sur écran, sont des livres français, ou de langue française. Il s'ensuit qu'une librairie ne peut, elle non plus, être francophone...

Il en va de même pour les écoles, les collèges et les universités, ainsi que leurs programmes, départements et facultés. Le mot francophone est inopportun. Ce n'est pas parce qu'on y enseigne en français que la bâtisse ou le cours est francophone. Et l'institution peut fort bien abriter des administrateurs, profs et étudiants allophones ou anglophones qui s'instruisent en français ou qui apprennent le français. De toute façon, une école ne «parle» pas.

La radio et la télé peuvent être qualifiées de francophones parce qu'elles véhiculent un langage parlé aux auditeurs et auditrices. On dira un chanteur ou une chanteuse francophone au besoin, mais leurs chansons sont françaises. On pourra toujours varier, dans certaines régions, en utilisant un adjectif qui inclut la territorialité et la langue. Par exemple, une chanson franco-ontarienne, ou une école franco-ontarienne, ou une université acadienne...

Le mot francophone, à n'en pas douter, est de plus en plus galvaudé. On a même entendu des horreurs comme la langue francophone et la culture francophone... Il faut dire la langue et la culture françaises... Encore une fois, on peut introduire la notion de territorialité: la culture wallonne, la culture québécoise. On peut aussi utiliser francophone pour décrire un pays, un État ou une région où les habitants parlent, en proportion appréciable, le français.

L'omniprésence, excessive, du mot «francophone» est tout de même relativement récente, du moins au Québec et dans les collectivités canadiennes-françaises et acadiennes des autres provinces. On peut situer son élan avec l'arrivée de Pierre Elliott Trudeau et l'adoption de la Loi sur les langues officielles en 1969, suivies d'une consécration constitutionnelle après la nuit des longs couteaux et l'adoption de la Charte canadienne de 1982 (sans le Québec)...

Engagé dans sa stratégie de multiculturalisme et de droits individuels (surtout pas collectifs), Ottawa a entrepris d'intervenir pour éliminer dans la mesure du possible les identités collectives et les remplacer par des identités individuelles. Ainsi on préférera «francophone» à Canadien français, ou Acadien, ou Québécois, ou Franco-Ontarien, etc...

L'historien Michel Bock, de l'Université d'Ottawa, a étudié le phénomène dans un livre intitulé Comment un peuple perd son nom, publié aux Éditions Prise de parole en 2001. Il aborde la question dans son chapitre sur les subventions fédérales (fin années 60 début années 70) aux organismes représentant les minorités canadiennes-françaises (en particulier les Franco-Ontariens) et acadiennes hors-Québec:

«Le cadre idéologique dans lequel s'inscrivait cette intervention de l'État fédéral était porteur d'un nouveau paradigme qui cherchait à réaménager de fond en comble le discours identitaire des minorités françaises, voire du Canada français. Dès lors, les Canadiens français ne devaient plus se considérer que comme des francophones», note-t-il... Sept ou huit millions d'individus francophones d'un océan à l'autre, sans identité collective... Les Trudeau-Chrétien aimaient ça...

Ce n'est pas un hasard si, au début des années 1970, le mot «francophone» a supplanté les appellations «franco-ontarienne» et «canadienne-française» dans les journaux communautaires de Sudbury, que l'historien Michel Bock avait recensés... Et ce n'est pas un hasard si l'Association canadienne-française d'Ottawa est devenue l'Association des communautés francophones d'Ottawa... et que l'Association canadienne-française de l'Ontario est devenue l'Assemblée de la francophonie de l'Ontario...

Une identité fondée uniquement sur le fait de pouvoir parler et écrire le français n'augure rien de bon pour l'avenir. Sans y ajouter l'appartenance à un peuple, un territoire, une histoire et une culture qui font de cette masse d'atomes francophones une communauté, une collectivité, encore mieux une nation, surtout dans notre contexte nord-américain anglo-dominant, on risque de passer en quelques générations de «francophones» à «bilingues» à «anglophones»...

Une suggestion... On pourrait commencer par employer le mot francophone avec un peu plus de parcimonie, et recourir plus souvent, quand le sens l'exige, à «français», ou à l'expression «de langue française», ou aux adjectifs identitaires qui englobent la francité d'une collectivité, d'un peuple ou d'un territoire. Pour qu'un jour, «francophone» et «québécois» soient réellement synonymes dans un pays où le français sera et restera la langue commune. Pour le moment, on semble s'éloigner de cet objectif, plutôt que de s'en approcher...







2 commentaires:

  1. On pourrait aussi s'intéresser à l'adjectif très souvent utilisé à tort et à travers de francophile... Je serais curieux de vous lire là-dessus M. Allard :-)

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