Une petite intro musicale appropriée avant de lire? Québécois de souche, par les Cowboys fringants bit.ly/2CubXbe...
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Le refus de voir la réalité de l'assimilation en face au sein des minorités franco-canadiennes (ah, tant qu'à y être, au Québec aussi) atteint de nouveaux sommets.
On a d'abord trafiqué les données linguistiques pour gonfler le nombre et la proportion de francophones dans les provinces à majorité anglaise. Délaissant les points de repère traditionnels de la langue maternelle et de la langue d'usage (langue la plus souvent parlée à la maison), trop pessimistes au goût de certains, nos cerveaux statistiques fédéraux et provinciaux ont concocté, entre autres, la PLOP (première langue officielle parlée), la DIF (définition inclusive de la francophonie) et, bientôt, une nouvelle définition de francophone, encore plus «généreuse», émanant de Mélanie Joly...
Alors faites votre choix. Examinons le nombre des Franco-Ontariens selon ces cinq critères*, en utilisant les données du recensement fédéral de 2016:
*Méthode Mélanie Joly - 767 000 (5,8%)
*DIF - 622 000 (4,7%)
*PLOP - 552 000 (4,1%)
*Langue maternelle - 528 000 (4,0%)
*Langue d'usage - 348 000 (2,6%)
Laquelle préférer pour bien saisir la réalité, la vraie? Je laisse la parole à la Commission d'enquête sur le bilinguisme et le biculturalisme. Dans son rapport de 1967, après une vaste étude, les commissaires évoquaient la nécessité d'une nouvelle question linguistique au recensement, qui s'ajouterait aux deux questions de l'époque, celles sur l'origine ethnique et la langue maternelle.
«Nous ne suggérons pas de supprimer ces deux questions, écrivent-ils, mais d'en ajouter une. Cette question complémentaire porterait précisément sur la langue principale de chaque Canadien. Elle permettrait d'apprendre quelle langue il parle le plus, et de façon habituelle, à la maison et au travail. Quand on possédera ce renseignement, c'est sur lui surtout qu'on devra s'appuyer par la suite.»
Ainsi, selon la Commission B-B, la donnée la plus fiable pour évaluer la vitalité linguistique des collectivités était la langue d'usage, bien plus que la langue maternelle. André Laurendeau aurait sans sourcillé devant les notions de francoPLOP, de francoDIF et de francoJOLY. Et que dire de la Fédération des communautés francophones et acadienne (FCFA), qui tente de faire passer pour francophones tous les anglophones bilingues... Cela ferait plus d'un million et demi de francophones en Ontario seulement... En plein pays des merveilles!
Ces jours-ci, cependant, il appert que ce maquillage quantitatif ne suffit plus. On a trouvé et propagé le concept de l'«insécurité linguistique» pour expliquer pourquoi tant de «vrais» francophones en situation minoritaire parlent surtout l'anglais. Que ce phénomène d'insécurité linguistique existe, je n'en doute pas. Ce que je crains, c'est qu'on lui mette sur le dos cette tendance, chez plusieurs francophones hors Québec (et même au Québec), à préférer l'anglais au quotidien, dans les loisirs, les médias, la musique, au travail et bien avec proches et amis.
Il faudrait d'abord comprendre ce qu'on entend par «insécurité linguistique». Dans son cahier du 16 mars 2019 sur la francophonie, Le Devoir cite à cet égard la sociolinguiste Phyllis Dalley de l'Université d'Ottawa: il s'agit, selon elle, d'un sentiment d'infériorité ou d'incompétence vécu par plusieurs francophones en contexte minoritaire lorsqu'ils s'expriment en français, même s'il s'agit de leur langue maternelle. Cette impression prend sa source dans l'idée que sa langue n'a pas la même valeur qu'une autre, par exemple l'anglais, ou que l'on ne s'exprime pas dans la bonne variété de la langue, comme certains francophones du Canada peuvent le ressentir à la rencontre de Québécois ou comme certains Québécois peuvent le ressentir à la rencontre de Français.
Ainsi, si je comprends bien, le fait de se sentir jugé (et possiblement critiqué) par un interlocuteur de même langue à cause d'un accent, ou encore de mots et expressions différents, découragerait un grand nombre de francophones qui, autrement, parleraient français plus souvent. Cela arrive à l'occasion. Je l'ai vécu et c'est frustrant. Mais il m'apparaît que c'est surtout un moyen commode de blâmer les autres pour des problèmes de compétence linguistique, liés à l'assimilation, qui n'ont rien à voir avec l'accent ou avec le jugement que pourraient porter d'autres francophones.
Les parlant français en milieu minoritaire, sauf dans certains coins de l'Acadie et de l'Ontario, sont largement immergés dans des milieux unilingues anglais. La majorité d'entre eux travaillent en anglais, consomment des médias de langue anglaise, font leur épicerie et leur magasinage en anglais, contractent des mariages exogames, fréquentent des amis unilingues anglais. La langue française ne sert pas à grand-chose dans plusieurs de ces collectivités. Même dans les cours et couloirs d'écoles françaises, la langue commune est plus souvent qu'autrement l'anglais. Pas surprenant qu'ils s'assimilent à un rythme plus qu'alarmant, quoiqu'on fasse dire aux statistiques.
Cette fixation sur les accents et l'insécurité ne sert qu'à détourner le débat des vrais enjeux. On ne compare pas ici l'accent du Saguenay à celui de Québec, le parler de la Gaspésie à celui de la péninsule acadienne, ou même l'accent de Montréal à l'argot parisien. Les uns valent les autres (même avec un accent anglais) à condition de posséder un vocabulaire suffisant et de respecter les structures de la langue française. Mais quand on entend dans une région entière un accent anglicisé chez des gens de langue maternelle française, avec un langage parsemé de mots, d'expressions et de structures anglaises, voire de pensée anglaise, c'est bien plus qu'une question de variétés de langage et d'accents régionaux. Ces collectivités jadis francophones sont en transition bilingue en attendant de léguer des générations en majorité unilingues anglaises.
Tenter de réduire ce phénomène à un problème d'insécurité linguistique ne fera que maquiller une situation qui, pour avoir des chances de se redresser, devra fonder toute attaque sur la vraie réalité, sur ce qui reste vraiment de forces vives francophones, individuelles et collectives, plutôt que sur des populations largement fictives, à l'image des statistiques linguistiques trafiquées.
Le 1er décembre 2018, environ 14 000 Franco-Ontariens sont descendus dans la rue pour clamer leur colère devant les mesures francophobes du gouvernement de Doug Ford. Il n'y avait pas ce jour-là de statistiques gonflées ou d'insécurité linguistique. Ces 14 000 francophones engagés ont, finalement, bien plus de valeur que toutes ces dizaines de milliers d'«insécures» (excusez l'anglicisme), de francoPLOP, de francoDIF ou de francoJOLY bien calés dans leurs divans.
Le mot de la fin. À mes compatriotes québécois qui pourraient regarder de haut les «accents» des francophones minoritaires, faites le tour des réseaux sociaux, écoutez la radio, la télé, nos politiciens, nos artistes, nos politiciens, les conversations autour de vous. Êtes-vous toujours fiers de ce que vous voyez, de ce que vous entendez? Cela paraît-il que nous sommes analphabètes fonctionnels à près de 50%? Une bonne majorité d'entre nous n'est-elle pas prête, désireuse même, de précipiter la prochaine génération de Québécois dans des programmes d'anglais intensif, voire un bilinguisme tous azimuts?
Quand on se compare, on ne se console pas toujours...
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«Un jour, prédit le dernier des Franco-Ontariens, il y aura peut-être le dernier des Québécois»... (Pierre Albert, Le Dernier des Franco-Ontariens, Éditions Prise de parole, 1992)
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* voir article «Les héritiers de Lord Durham», de Charles Castonguay, sur le site Web de la Société Saint-Jean Baptiste de Montréal à bit.ly/2Y6xvUH.
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