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Les accusations délirantes de racisme et de xénophobie étaient déjà dérangeantes. L'allégation fort médiatisée de nettoyage ethnique par un maire anglophone l'était encore plus. Les menaces de recourir à la désobéissance civile sont venues envenimer le débat davantage. Et maintenant, la décision de puissants acteurs (notamment les policiers et les juristes) de ne pas participer à la consultation sur le projet de loi 21 laisse carrément planer une crise majeure de démocratie en notre demi-pays.
Le plus étrange, c'est que l'ensemble de la société québécoise paraît s'entendre pour appuyer le principe de la laïcité de l'État. Cependant, ce consensus plus apparent que réel éclate au sein de nos «élites» dès qu'on adopte la moindre mesure concrète pour l'appliquer ou, tout au moins, le faire respecter. Le gouvernement Couillard, modéré à l'excès, s'était limité à demander que la prestation et réception de services de l'État se fasse «à visage découvert». Cette disposition a été contestée avec succès en Cour supérieure et la ministre Stéphanie Vallée a renoncé, en août 2018, à porter le jugement en appel pour défendre sa propre loi.
Si la simple exigence de donner et recevoir des services de l'État à visage découvert a suscité une contestation judiciaire accueillie par les tribunaux, imaginez ce qui attend un projet de loi interdisant le port de signes religieux pour les enseignants et enseignantes. Le hachoir! Et ce n'est pas l'inclusion du recours à la clause de dérogation qui freinera l'ardeur des défenseurs de l'intégrisme religieux. Ils attaqueront la légitimité du «nonobstant» jusqu'à la Cour suprême, y ajoutant force interventions médiatiques et publiques d'élites favorables à leur position, pour créer un climat de crise.
Présentement, le plus préoccupant, ce pourrait bien être la décision de sept groupes (organisations de policiers, Barreau du Québec, directions d'établissements d'enseignement, FTQ) de ne pas participer à la consultation du gouvernement Legault sur le projet de loi 21. Au coeur d'un grand débat de société, le silence des uns est parfois plus perturbant que les excès de vocifération des autres, surtout quand on compte parmi les premiers des acteurs d'avant-plan - les forces de l'ordre, la profession juridique et la plus grande centrale syndicale du Québec!
Quand des joueurs clés quittent la mêlée, il y a toujours une ou plusieurs raisons. Des divisions internes qu'on ne souhaite pas étaler en public. Un agenda caché de ceux et celles qui tiennent les rênes des organisations (les «politburo»). La crainte de se retrouver coude à coude avec des éléments jugés trop extrémistes, ou de voir son image ternie dans les médias. Des pressions internes et externes (y compris des pressions politiques et l'opinion publique) exercées sur le leadership. Des animosités plus personnelles entre individus peuvent même intervenir. Etc.
La Fédération des travailleurs et travailleuses du Québec (FTQ) représente plus de 600 000 syndiqués québécois. Quand on sait que plus des deux tiers de la population favorise l'interdiction des signes religieux au sein de l'État, y compris chez les enseignants, il est difficile de croire que cette proportion ne trouve pas son écho dans les rangs d'une centrale qui représente plus de 40% des syndiqués du Québec. Or, le Conseil régional FTQ Montréal participait à la conférence de presse d'organismes qui ont traité le projet de loi 21 de «raciste» et «dangereux». Ça doit certainement barder là-dedans.
Quant au Barreau du Québec, il est difficile de comprendre comment son refus de participer à une consultation sur un projet de loi aussi majeur peut servir l'intérêt public qu'il a le mandat de défendre. La direction de l'ordre professionnel a peut-être encore en mémoire le fiasco de l'an dernier quand elle avait contesté la constitutionnalité de lois québécoises parce que leur adoption n'avait pas été suffisamment bilingue, suscitant l'ire de plusieurs de ses membres. Dans le débat de la laïcité et de l'interdiction des signes religieux, il y a des tas de juristes dans les deux camps.
S'ajoutent à ces luttes intestines les subtiles pressions politiques qui ne manquent pas d'influer sur les prises de position publiques de nombreux juristes, surtout ceux et celles qui aspirent à la magistrature. Ce sont les politiciens qui nomment les juges. Québec a la charge des juges de première instance, mais le gouvernement fédéral nomme tous les juges des cours supérieures et tribunaux d'appel, jusqu'à la Cour suprême du Canada. Je discutais l'an dernier avec un juriste et lui demandais pourquoi les avocats défendant les causes de francophones en Cour suprême ne contestaient pas l'unilinguisme anglais de deux membres du tribunal. Ce ne serait pas bon pour la carrière, m'avait-il relancé...
Restent les policiers. Qu'on les aime ou pas, ils demeurent le bras armé de nos gouvernements et sont chargés d'assurer le respect des lois. On ne les appellera pas pour appliquer l'interdiction des signes religieux, mais les débordements du débat dans les rues et une possible désobéissance civile risquent fort de les toucher. Compte tenu du pouvoir qu'ils exercent, il est dans l'intérêt public - et dans l'intérêt de la démocratie - qu'ils participent à ce processus de consultation avec tout le monde, plutôt que de rester dans l'ombre d'on ne sait trop quoi.
Le débat sur la laïcité prend ces jours-ci une tournure malsaine. Entre les dérapages croissants des opposants au projet de loi 21, qui virent à l'intimidation, et le silence plus que suspect d'acteurs qui devraient se faire un devoir de participer au débat public, de noirs nuages s'amoncellent à l'horizon démocratique du Québec. Je n'ai pas voté pour la CAQ, je ne voterai sans doute jamais pour la CAQ, mais le gouvernement Legault a été élu. Il présente une loi somme toute très modérée sur la laïcité de l'État, et fait face à un barrage d'adversaires (minoritaires) qui jouent dans l'extrémisme et remettent en cause sans motifs valables la légitimité d'une majorité qui gouverne sans excès. Cela devrait nous inquiéter.
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