mardi 21 septembre 2021

À chaque jour, un mot de plus...

Désirant me renseigner davantage sur le Québec des années 1930 et 1940, j'ai ressorti ma collection (malheureusement incomplète) de l'Histoire de la province de Québec, rédigée par le vieil historien conservateur Robert Rumilly, et couvrant, en 41 volumes, la période entre 1867 et 1945.

J'ai lu, coupe-papier à la main, les 257 pages non coupées du volume XXXVII, portant sur les années 1938-1939 du premier gouvernement Duplessis. Je reviendrai dans un autre texte de blogue sur les actualités de l'époque qui, sous certains aspects (litiges constitutionnels, sort de la langue française, laïcité de l'État, rapports gauche-droite, situation mondiale), demeurent fort instructifs pour les débats de l'heure en 2021.

Cette redécouverte d'une époque révolue en amena une autre, tout aussi agréable: le plaisir de retrouver ou d'apprendre des mots qu'on ne voit plus au 21e siècle dans le vocabulaire de plus en plus mince de nos salles de rédaction. Il me semble que certains de ces mots méritent de retrouver leur place dans les médias d'aujourd'hui. En voici trois qui ont capté mon attention.

rogaton

Je cite Rumilly à la page 127:

«Un député (du parti au pouvoir) peut, à la rigueur, se conduire en automate à la législature, voter des lois sans les comprendre; il ne peut absolument pas perdre ses rogatons de patronage!»

Le mot signifie des bribes de nourriture, les restes d'un repas, un peu comme les miettes de la table. Le sens est clair ici.  De nombreux députés ministériels accordaient plus d'importance aux outils de réélection (notamment le patronage) qu'à leurs devoirs législatifs...

Quand Trudeau se promenait, pendant des mois avant la campagne électorale, distribuant des bonbons pré-électoraux d'un bout à l'autre du pays avec les deniers publics dans un but évident de réélection, il me semble que le mot «rogaton» aurait pu servir quelque part...

trigauder

Le débat sur l'attitude que prendra le Canada en cas de guerre européenne fait rage en 1938. De nombreuses pétitions réclament la neutralité du pays. Rumilly commente, à la page 211: «Certaines déclarations ministérielles (du gouvernement de Mackenzie King) semblent le promettre. D'autres déclarations ministérielles l'écartent nettement. Le gouvernement trigaude ainsi depuis trois ans.»

Le verbe «trigauder» signifie agir avec duplicité, de manquer de franchise, se servir de détours.

Durant la campagne électorale fédérale qui vient de se terminer, dans certains dossiers comme les vaccins obligatoires, l'interdiction des armes à feu ou le racisme et la laïcité au Québec, trigauder aurait pu enjoliver de nombreux comptes rendus médiatiques...

morigéner

En 1939, la situation financière de Montréal est tragique. Voici ce qu'écrit Rumilly à la page 244: «La Ville ne pourra peut-être pas payer ses fonctionnaires, ni secourir les chômeurs. Les banquiers morigènent le maire de Montréal: "La ville emploie trop de fonctionnaires. Quand nous avons des employés en trop, nous les renvoyons." "Oui, réplique le maire Camilien Houde, vous les renvoyez et c'est nous qui les nourrissons."»

Le verbe «morigéner» signifie réprimander, sermonner.

Il me semble que le soir du débat anglais de la campagne électorale, les journalistes auraient pu affirmer que l'animatrice Schachi Kurl et la cheffe des Verts, "Ennemie" Paul, avaient morigéné le chef bloquiste et, par extension, la nation québécoise...

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J'oserais lancer un défi à notre classe journalistique: utiliser l'un (ou l'ensemble) de ces mots dans un reportage. On les trouvera étrange(s) la première fois. Un peu moins la deuxième. Un jour, peut-être, seront-ils couramment employés... et notre vocabulaire s'enrichira.


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