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Que l'Ontario ait refusé de financer le projet d'université de langue française à Sudbury constitue à tout le moins un scandale. La députée néo-démocrate France Gélinas y voit avec beaucoup d'à-propos un «coup de poignard». Mais c'est bien pire que ça. Cette décision est carrément d'ordre génocidaire, et ce, à tous points de vue!
Cela doit être proclamé sur la place publique. Partout... y compris au Québec où les dirigeants anglo-québécois sont en guerre contre un gouvernement qui verse tous les ans environ 400 millions $ en subventions à McGill, la plus grande des trois universités anglaises de la province. Il faut que l'on sache que la bande à Doug Ford refuse même les miettes de la table aux Franco-Ontariens qui n'ont aucune université de langue française digne de ce nom.
Mais revenons aux motifs de refuser 10 millions $ par année (des pinottes!) pour assurer la création d'une université «par et pour» les francophones dans la région de Sudbury. Dans ce petit torchon de lettre que le ministère ontarien des Collèges et Universités n'a même pas eu la décence de mettre en ligne, on déclare sans gêne que le projet d'université de langue française «ne correspond pas à la demande actuelle et aux tendances relatives aux inscriptions».
Plus injurieux que ça, tu étouffes! Comment peut-on parler de demande quand il n'y a pas d'offre? À part le mini campus qu'on a pompeusement appelé Université de l'Ontario français à Toronto et la petite Université de Hearst, les Franco-Ontariens sont obligés de suivre leurs cours universitaires en français dans des machines à assimilation «bilingues» nommées Université d'Ottawa et Laurentian University. Comment peut-on évaluer la «demande actuelle» pour une véritable université dans le Nord ontarien dans un décor semblable?
Quant aux «tendances relatives aux inscriptions», j'imagine qu'on évoque les inscriptions, sans doute stagnantes, aux programmes universitaires existants en français. La majorité des élèves issus des écoles secondaires et collèges de langue française, déjà sérieusement anglicisés, sont portés à poursuivre leurs études supérieures en anglais, et ceux et celles qui voudraient s'inscrire à des programmes français doivent le faire dans des milieux bilingues anglicisants. Les portes du haut savoir en français sont fermées à clef en Ontario! Oser porter un jugement sur les tendances d'inscription relève de l'indécence. On saura qui veut fréquenter une véritable université franco-ontarienne le jour où une telle université verra le jour. À Sudbury? Pourquoi pas?
Décodés, les propos du ministère des Collèges et Universités disent que les Franco-Ontariens ne veulent pas d'une Université de Sudbury française, qu'ils sont bien heureux de fréquenter les institutions bilingues (ou celles de langue anglaise). Que cette jeunesse jadis francophone agonise et qu'on ne dépensera pas inutilement quelques millions pour faire semblant. Que l'assimilation a fait son oeuvre. Que les nouvelles générations sonneront le glas de l'Ontario français. Que le projet d'université de langue française laisse la clientèle potentielle largement indifférente. Si ce n'est pas un «coup de poignard», c'est certainement une claque en pleine face ou une botte au derrière.
Il y a 10 ans, quand le Regroupement étudiant franco-ontariens (RÉFO) atteignait son zénith, une provocation semblable en provenance de Toronto aurait peut-être suscité une levée de boucliers, des manifestations, une mobilisation. Le projet de regrouper tous les programmes de langue française sous une université par et pour les francophones aurait pu faire trembler les colonnes du temple. Mais la trahison des libéraux en 2015, ayant réduit ce grand espoir d'université provinciale à quelques centaines de nouvelles places à Toronto, a sapé l'énergie du mouvement. Le RÉFO est sombré dans une relative inactivité et ne semble même pas avoir réagi à cette plus récente gifle du gouvernement ontarien. Que faut-il en conclure?
Quant aux dirigeants de l'Assemblée de la francophonie de l'Ontario (AFO), de l'Université de Sudbury ou de la Coalition pour une université de langue française, les réactions varient entre l'étonnement, la stupéfaction, la déception, l'incompréhension, mais rien qui ne ressemblerait à la colère ou une déclaration de guerre au gouvernement qui vient de leur administrer une solide taloche. Jamais cause n'aura-t-elle été si facile à défendre sur les tribunes médiatiques, d'un bout à l'autre du pays. Au Québec en particulier, où les institutions post secondaires de langue anglaise ont toujours été surfinancées et choyées. Il serait temps de se souvenir que l'avenir est à ceux qui luttent. Le racisme anglo-ontarien historique à l'endroit des francophones suinte dans ce refus et le combat est la seule issue.
La lettre du ministère tourne le fer dans la plaie en ajoutant que le projet d'université de langue française à Sudbury «ne correspond pas (...) à la capacité actuelle des établissements post secondaires existants. à offrir une programmation en langue française dans le Grand Sudbury et aux quatre coins de l'Ontario». Bien sûr la capacité n'est pas là. Les francophones ne contrôlent aucune grande université en Ontario. L'Université dOttawa et la Laurentian sont des universités à majorité anglaise. L'absence de l'équivalent d'une Université de Moncton en Ontario français comporte de lourdes conséquences. Pourquoi n'y en a-t-il pas? Voilà une bonne question. Une chose est sûre: à l'universitaire, les centaines de millions de dollars qui seraient passées entre les mains d'administrations franco-ontariennes, Toronto les a gardées ou les a investies dans des milieux d'assimilation. Ces millions? milliards? ont été volés pendant plus d'un siècle et aujourd'hui, l'Ontario a le culot de refuser 10 millions $ par année aux francophones de Sudbury.
On me demandera sûrement de quoi je me mêle, étant Québécois et indépendantiste par surcroit. J'ai passé les 29 premières années de ma vie en Ontario et j'ai lutté pour la francisation totale de l'Université d'Ottawa à la fin des années 60 au sein de mouvements franco-ontariens. Comme journaliste, j'ai couvert les rébellions d'étudiants franco-ontariens au début des années 1970, et comme éditorialiste au Droit, j'ai soutenu le projet du RÉFO dès le début, jusqu'à ce qu'on me retire le droit d'écrire dans les pages de mon quotidien. Une partie de mes tripes s'accroche à ce projet qui, malheureusement, montre de sérieux signes de fatigue.
D'ici peu, quelqu'un, quelque part, devra monter aux barricades en tenant bien haut le drapeau vert et blanc, pour que Toronto le voie. Pour que tout le pays le voie.
Je me suis permis, M. Allard, de reprendre votre texte dans mon propre blogue, le sujet me paraissant très important. Je vous en attribue bien sûr le crédit. J'ai profité de l'occasion pour ajouter un texte de mon cru, que je vous invite à parcourir. Pensez-vous que cela pourrait être réalisable? https://thehumanarchipelago.blogspot.com/2023/07/mcgill-toronto-le-combat-des-francos-2.html
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