Grandes lignes de ma conférence du dimanche 12 novembre 2017 au colloque sur la langue française du Parti québécois de Vaudreuil-Dorion
Peu de gens – les
journalistes inclus - se donnent la peine d’éplucher les recensements. Tous ces
milliers de colonnes de chiffres empilées sur d’autres milliers de colonnes de
chiffres laissent la grande majorité des gens indifférents…
Cela tient sans doute
au rapport que bien des humains ont avec les mathématiques. Le chiffre cinq, ou
sept, ou tout autre chiffre, n’est qu’une abstraction. Cinq quoi? Pour la
plupart d’entre nous, le chiffre 5 prend forme quand on voit cinq doigts sur
une main, cinq pommes sur une table ou un billet de cinq dollars.
Il en va sans doute de
même pour les statistiques de nos recensements… Pour qu’elles deviennent
réelles, concrètes, il faut vraiment voir les humains qu’elles représentent.
Quand on décortique les
données sur la langue maternelle ou la langue d’usage, ou qu’on consulte les
chiffres sur la compréhension des langues officielles, il faut savoir que tous
ces nombres décrivent le vécu réel de gens comme vous et moi dans leurs milieux
de vie – à l’école, au travail, au foyer, dans les loisirs et activités
culturelles, et bien plus encore.
C'est la vraie vie qui m’a fait découvrir les statistiques du recensement, pas l’inverse.
Personnellement, n’ayant pas une tête de mathématicien, je dois avouer que c’est la vraie vie qui m’a fait découvrir les statistiques du recensement, et non l’inverse. Je suis né et j’ai grandi Franco-Ontarien, dans l’ouest de la ville d’Ottawa. Ma mémoire y a emmagasiné des souvenirs à partir des années 1950….
J’ai vu mon quartier
canadien-français s’angliciser depuis les années 1960. Je me souviens de la
génération de mes grands-parents, plus francophone que celles de mes parents,
et celle de mes parents plus francophone que la mienne…
Ma génération était
complètement bilingue. Chez certains de mes amis, la culture française dominait.
Chez d’autres c’était la langue anglaise et la culture américaine. Dans les générations
qui suivent la mienne, l’anglais s’impose de plus en plus, au point où plein
d’Ontariens avec des noms de famille français sont désormais unilingues anglais.
C’est en cherchant à
mieux comprendre ce phénomène que j’ai – pour la première fois, à l’âge de 17
ans – ouvert un cahier du recensement, celui de 1961… Je n’ai jamais arrêté
depuis et à force de calculer, de comparer, d’accumuler, j’ai en tiré un
certain nombre de constantes linguistiques – je dirais presque de lois
linguistiques.
Et ces lois gouvernent
non seulement mon ancienne collectivité canadienne-française d’Ottawa mais
aussi l’ensemble de l’Ontario français, les Acadiens, les francophones de
l’Ouest canadien… Elles s’appliquent également (et peut-être surtout) au
Québec, où bat le cœur nord-américain de la langue française…
Je tiens à répéter
pour que ce soit bien clair. Il ne s’agit ici pas de mes opinions ou de quelconques
préjugés, mais bien de réalités démontrables. C’est la vraie vie des gens, mise
en chiffres, sans lunettes roses ou ferres fumés. Alors, allons-y :
Loi numéro un. Plus la proportion de bilingues augmente chez les
francophones, plus il y a érosion de la langue et de l’identité francophones.
Loi numéro deux. Quand les chiffres de la langue d’usage (la langue le
plus souvent parlée à la maison) sont inférieurs à ceux de la langue
maternelle, il y a assimilation.
Quand, au
contraire, le français langue d’usage surpasse
le français langue maternelle, on peut conclure que le français est devenu la
langue au foyer pour un certain nombre d’anglophones et d’allophones.
Loi numéro trois. La proportion d’unilingues français (ou
anglais) dans une localité constitue un
bon indicateur des possibilités d’y vivre exclusivement dans sa langue.
Regardez chez vous voisins ontariens, Prescott-Russell
Je vous propose un exemple avant de passer à la situation de Vaudreuil-Dorion. Tournons les yeux vers Prescott-Russell. C’est tout près de chez vous. C’est la région la plus francophone de l’Ontario, et elle s’anglicise à vue d’œil depuis un demi-siècle, surtout dans les régions les plus proches d’Ottawa.
Je vous propose un exemple avant de passer à la situation de Vaudreuil-Dorion. Tournons les yeux vers Prescott-Russell. C’est tout près de chez vous. C’est la région la plus francophone de l’Ontario, et elle s’anglicise à vue d’œil depuis un demi-siècle, surtout dans les régions les plus proches d’Ottawa.
Or voici ce qu’on
trouve en consultant les recensements :
1.
De 1951 à
2016, la proportion de bilingues est passée de 39% de la population totale à
67,4%. Et la grande majorité de ces bilingues sont de langue maternelle
française…
2.
Environ
63% de la population de Prescott-Russell est de langue maternelle française,
mais seulement 57% parlent le français le plus souvent à la maison. Pour les
anglos c’est le contraire : Langue maternelle 31%. Langue d’usage à la
maison ? 39%. La minorité anglaise qui assimile la majorité française…
3.
En 1951,
près de la moitié de la population de Prescott-Russell était unilingue
française. En 2016, c’est à peine 11%... En 1951, il y avait 14% d’unilingues
anglophones. Cette proportion a dépassé le seuil des 20% en 2016…
Ainsi, même dans une
région à forte majorité francophone, chaque génération de bilingues lègue aux
suivantes une proportion croissante d’unilingues anglais – un nombre modeste
dans Prescott-Russell, énorme ailleurs en Ontario. Les Peter Dubois, enfants de
de Pierre Dubois…
La situation à Vaudreuil-Dorion
Vous pensez être à l’abri de ces transferts linguistiques au pays de la Loi 101 ? Détrompez-vous. L’effet est certes plus lent à Vaudreuil-Dorion, mais il reste le même à long terme… Ici comme chez vos voisins de l’Est ontarien, la minorité anglaise se renforce aux dépens de la majorité française…
Et si la tendance se
maintient, vous ne serez plus majoritaires très longtemps. J’ai comparé les
recensements de 2006, 2011 et 2016 et découvert ce qui suit :
1. Langues officielles
Parlons d’abord des langues officielles. La proportion de gens qui ne connaissent que le français a chuté de 31,5% en 2006 à 23,6% en 2016.
Pendant
ces dix années, la part des gens qui ne connaissent que l’anglais comme langue
officielle grimpait ici de 6,3% à 10,1%.
Et la
proportion de bilingues dans Vaudreuil-Dorion ? Sans surprise, elle est
en hausse appréciable: 61,8% en 2006,
63% en 2011, 65,4% en 2016…
2. Langue maternelle, langue d'usage
Maintenant langue maternelle versus langue d’usage. Selon le recensement de 2016, 21 665 résidents de Vaudreuil-Dorion disent être de langue maternelle française. Il y a très légère baisse (21 520) pour le français langue d’usage.
Maintenant langue maternelle versus langue d’usage. Selon le recensement de 2016, 21 665 résidents de Vaudreuil-Dorion disent être de langue maternelle française. Il y a très légère baisse (21 520) pour le français langue d’usage.
On
peut ainsi conclure que le français présente peu d’attrait pour les
non-francophones et que, pire, des francophones sont déjà ici en voie d’assimilation…
Et les
anglophones à Vaudreuil-Dorion ? Pour 8860 personnes de langue maternelle
anglaise, on en dénombre 10 120 qui donnent l’anglais comme langue principale à
la maison… C’est un gain de près de 15%…
3.
Ça c’est
pour 2016. Maintenant regardez l’évolution entre 2006 et 2016.
La
proportion de francophones (langue d’usage et langue maternelle) est passée de
73% à 57%.
Comparez
à la langue maternelle anglaise (de 16,4% à 21%) et surtout, l’anglais langue
d’usage (de 20,9% à 26,9% de la population totale).
Pas besoin de faire de dessins
Le score en 2006 : français 73, anglais 21. En 2016 ? Français 57, anglais 27. Pas besoin de faire de dessins… Ici comme dans Prescott-Russell, la minorité a tendance à assimiler la majorité, lentement mais sûrement.
Si vous vérifiez les
chiffres pour l’Île Perrot, où nous sommes présentement, vous retrouverez exactement
les mêmes tendances qu’à Vaudreuil-Dorion…
La grande différence
entre Prescott-Russell et Vaudreuil-Dorion, c’est la rapidité de l’anglicisation,
plus intense dans l’Est ontarien que dans la couronne montréalaise.
Alors quand vous vous
arrêterez à un Tim Hortons de Rigaud et
qu’on vous dira «Bonjour-Hi», puis à un Tim Hortons à Hawkesbury, où on vous
accueillera avec un «Hi», sans le bonjour, dites-vous bien que les deux ne sont
qu’une étape du même phénomène… en Ontario en accéléré, au Québec au ralenti…
Vous me direz que
cela relève de la langue de travail. Il y a aussi un chapitre du recensement là-dessus
et il sera rendu public très bientôt.
Je vous assure qu’à l’exception
de quelques joueurs et de rares scribes médiatiques, à peu près personne ne se
donnera la peine d’en prendre connaissance…
Bonjour,
RépondreEffacerJe constate tristement ce phénomène d'assimilation principalement parce que ma mère est née à Bourget et que ma famille, d'environ 45 cousins et cousines vivants, demeurent dans la région ou en outaouais ou à l'ouest de la Montéérégie. Je les visite à l'occasion.
Comment peut-on renverser la vapeur ? Je n'ai pas de recette magique.
Gilles Sauvageau
L'Assomption
Bonjour, Bien d'accord au sujet de certains enjeux que vous soulevez. Mais quelles sont la ou les source.s de ces données statistiques? Est-ce que je me trompe?...je ne les vois pas. Mme Mercier, Saint-Zotique.
RépondreEffacer