Titre fantaisiste du Journal de Montréal. Il y a beaucoup de $ pour les Anglo-Québécois...
Comme d'habitude, la stratégie fédérale en langues officielles, un opus quinquennal qui sert essentiellement à renflouer les coffres d'organismes en milieu minoritaire et à envahir sans vergogne les compétences provinciales en éducation, en santé et en culture, a reçu une attention plus que mitigée des grands médias, francophones comme anglophones, lors de son dévoilement, fin mars.
Heureusement que la journaliste Mylène Crête, de la Presse canadienne, a pondu un texte relativement complet sur l'annonce de ce «Plan d'action pour les langues officielles 2013-2018» du gouvernement Trudeau, parce que l'immense majorité des quotidiens n'avaient affecté aucune ressource maison à cette couverture, pourtant fondamentale en matière de «bilinguisme» au sein de la fédération canadienne.
Le texte de Mme Crête a été reproduit dans Le Devoir, La Presse, Le Droit, Métro et je ne sais combien d'autres médias, qui n'ont pas jugé cette question suffisamment importante - ou trop compliquée - pour assurer une rédaction à interne. Le Journal de Montréal a également publié un court texte d'agence (QMI) avec un titre fantaisiste. Radio-Canada et TFO ont nettement assuré les meilleurs suivis. Je n'ai vu qu'un éditorial dans un quotidien, celui de Pierre Jury dans Le Droit.
Et comme c'est le cas dans la plupart des «feuilles de route» complexes, ce qu'on ne dit pas est souvent plus important que ce que l'on énonce clairement. J'ai tenté un simple exercice en épluchant le document de Patrimoine canadien intitulé Plan d'action pour les langues officielles 2018-2023: Investir dans notre avenir: essayer de savoir quelle proportion des 2,7 milliards de dollars du programme était destinée aux francophones hors Québec, et quelle part était réservée aux Anglo-Québécois...
Après avoir épuisé mes limites en additions, soustractions, multiplications et divisions plutôt confuses, j'ai fait ce que font sans doute de nombreux journalistes. J'ai téléphoné à l'équipe médias du ministère de Mélanie Joly et leur ai posé la question directement. On m'a demandé de formuler la question par écrit et de la leur expédier par courriel, ce que j'ai fait promptement, me disant qu'avec leurs puissants logiciels, un ordinateur ne tarderait pas à cracher la réponse.
Le lendemain, Patrimoine canadien m'a adressé ce nébuleux courriel. Je reproduis ici ma question et la réponse reçue:
Question: «Dans la première année (2018) du Plan d’action, est-il possible de savoir quels montants ou quelle proportion du total sont dirigés vers:
1) la francophonie hors-Québec
2) les Anglo-Québécois
Réponse: Il n’y a pas de règle générale, ou absolue, qui dicte le partage des sommes entre les communautés. Selon des différents volets de programme, les ressources sont attribuées en se fondant sur l’historique de développement du réseau communautaire, l’évolution des besoins et les retombées attendues des investissements fédéraux.»
La réalité, la réalité crue, c'est qu'au Canada (et ici j'inclus le Québec), une seule langue décline: le français. Elle chambranle au Québec, se fait bousculer au Nouveau-Brunscick, mange des claques solides en Ontario et agonise ailleurs au pays. Au Québec, entretemps, l'anglais fait des gains partout, même chez les francophones. Mais cette situation ne correspond pas à la mission de Patrimoine canadien, qui persiste à vouloir mettre sur un pied d'égalité les difficultés rencontrées par les francophones hors Québec et les Anglo-Québécois.
Alors, sans que les savants bonzes de Patrimoine canadien ne puissent nous donner des montants même approximatifs, le Plan d'action pour les langues officielles prévoit des sommes importantes pour soutenir des réseaux anglophones déjà surfinancés au Québec et même, pour accélérer l'apprentissage de l'anglais chez les Franco-Québécois. Combien, exactement? Impossible de le savoir, mais une chose est sûre: rien n'est prévu pour protéger le français, pourtant une langue officielle, sur le territoire québécois...
L'argumentaire de Patrimoine canadien pour soutenir les Anglo-Québécois est faible au point d'être risible, mais quand on n'a que ça, il faut s'en servir. Devant le déclin dramatique de la francophonie hors Québec (de 6,1% en 1971 à 3,0 en 2036 selon les prévisions) et la stagnation, voire le déclin, du taux de bilinguisme chez les Anglo-Canadiens, tout ce qu'on trouve comme problème pour les anglophones du Québec, c'est ce qui suit: «Les membres des communautés anglophones du Québec, notamment ceux vivant à l'extérieur du Grand Montréal, ont mentionné les défis particuliers que présente le maintien d'une vie communautaire.» Il faut du culot pour mettre une telle insignifiance en parallèle avec la menace d'extinction de la francophonie dans plusieurs provinces anglaises.
Si au moins ces minuscules collectivités anglophones hors-Montréal étaient véritablement en danger, on pourrait s'émouvoir un brin... Mais c'est faux! Dans des municipalités comme New Carlisle (Gaspésie), Grosse-Île (Îles de la Madeleine), Blanc-Sabon (Basse-Côte-Nord), Bristol et Clarendon (Pontiac), mentionnées comme exemple, ce sont les francophones qui se font assimiler. Les recensements de 2011 et de 2016 sont très clairs là-dessus. Les politiciens et commentateurs ne se donnent même pas la peine de vérifier les données du recensement, seuls indicateurs fiables de la dynamique linguistique de ces régions québécoises.
Le Québec offre aux anglophones des services de santé en anglais immensément supérieurs àa ceux que proposent les provinces anglaises dans des régions où les collectivités francophones représentent une infime minorité de la population. Pourtant, le Plan d'action sur les langues officielles présente «une augmentation du financement à hauteur de 3,5 millions de dollars sur cinq ans sera fournie au Réseau communautaire de santé et de services sociaux pour l'ajout de 3 nouveaux réseaux de santé anglophones aux 20 réseaux existants et de 10 réseaux satellites dans les régions rurales et éloignées du Québec qui ont peu d'accès ou n'en ont aucun. L'élargissement des réseaux permettra de couvrir des régions telles que le Saguenay-Lac-Saint-Jean, la Mauricie-Centre-du-Québec, et Montérégie-Centre».
Dans une région comme le Saguenay, les anglophones représentent à peine 1% de la population... Dans une municipalité hors Québec où les francophones formeraient 1% de la population, on ne songerait même pas offrir des services en français... On s'attendrait, normalement, que les francophones puissent communiquer en anglais, langue commune d'une province anglophone. Au Québec, dans les régions où les anglophones affichent une présence marginale, il serait tout aussi normal pour eux d'utiliser la langue commune, le français, et non se faire subventionner pour imposer l'anglais à la majorité.
Près de 20% (235 millions $ pas année) des fonds du Plan d'action pour les langues officielles sont destinés à l'apprentissage de «la langue de la minorité» ou de «la langue seconde». Au Québec, cela signifie qu'annuellement, quelque 46 millions de dollars sont affectés à la promotion de l'anglais pour les anglophones (qui n'en ont pas besoin) et plus de 18 millions au perfectionnement en anglais des francophones (qui n'en ont surtout pas besoin). Plus de 320 millions $ sur cinq ans pour contribuer à l'anglicisation du Québec, alors que la langue officielle menacée, c'est le français... Incroyable!
Est-ce trop espérer que nos grands médias finissent par faire leur boulot, et fouiller cette affaire de façon à faire comprendre les chiffres et les enjeux à leurs lecteurs et auditeurs? Ou est-ce plus simple de laisser une journaliste de l'agence Presse canadienne rédiger un texte que tous utiliseront, plus ou moins, pour ensuite enterrer la question jusqu'au prochain Plan d'action en 2023? Les francophones du Québec et d'ailleurs au Canada méritent mieux...
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