Y'a des sujets tabous chez les Franco-Ontariens... Avouer que les choses vont mal, très mal, en est un. Peut-être même le pire des tabous. On maquille allègrement les statistiques d''assimilation. On distribue généreusement les lunettes roses pour dissimuler les cieux d'orage. On multiplie les propos optimistes sur le dynamisme du présent et sur les brillants projets d'avenir... pendant que le sol se dérobe sous les pieds collectifs. Au lieu de dresser des barricades et lever les boucliers, on glisse en somnambules vers le gouffre!
Un exemple parmi d'autres? Le 14 avril 2018, le quotidien Le Droit révèle qu'à l'hôpital Montfort, symbole par excellence de la résistance franco-ontarienne, à peine 39% des patients hospitalisés demandent d'être servis en français (bit.ly/2ENWxNw]... Pire que cela, une infirmière (sous le couvert de l'anonymat et je la comprends...) affirme que l'anglais gagne du terrain au sein de l'administration, avec une infiltration croissante de notes de médecins en anglais, d'embauches de personnel anglophone et de formations unilingues anglaises. «On est en train d'en faire un hôpital anglophone», dit-elle.
Et ce n'est pas la première fois que circulent de telles affirmations. Dans un article de Philippe Orfali, publié dans Le Droit en novembre 2013 sous le titre L'anglais gagne du terrain à l'Hôpital Montfort, un professionnel de la santé (encore dans l'anonymat...) dénonçait l'introduction d'un nouveau logiciel unilingue anglais des dossiers médicaux. «Nous continuons à nous péter les bretelles avec la langue française quand en fait, la langue de travail devient de plus en plus l'anglais à Montfort.»
En mars 2015, toujours dans Le Droit (bit.ly/2Ino6Ql), le chroniqueur Denis Gratton racontait l'histoire d'un patient de Montfort, Collin Pigeon, qui n'arrivait pas à faire prononcer son nom en français par le personnel de l'hôpital. «Call-in Pidgeon, please...» Ayant refusé de se présenter tant qu'il ne serait pas appelé par son vrai nom, une infirmière l'a grondé... «On s'adresse de plus en plus aux gens en anglais et ça m'inquiète», devait ajouter M. Pigeon.
Denis Gratton en a rajouté dans sa chronique. Rappelant que sa conjointe s'était fracturée la cheville quelques mois plus tôt, on lui avait posé à Montfort une botte Aircast qu'il devait payer (ce n'est pas couvert par l'assurance-maladie). Se présentant à la vitrine avec la facture, le jeune préposé lui demande: «What can I do for you sir?» Est-ce un incident banal? Peut-être, avoue-t-il, mais - et c'est un gros mais - «on ne s'est pas battu pour ça»...
C'est un fait indiscutable - pour ceux et celles qui acceptent de voir la réalité en face - que l'Ontario français s'anglicise à un rythme alarmant, y compris dans la capitale fédérale où le taux d'assimilation dépasse les 30%... L'an dernier, le journaliste Sébastien Pierroz d'#ONfrI révélait (bit.ly/2rGrQpG) qu'à peine 6% des appelants au 3-1-1 d'Ottawa s'exprimaient en français, alors que les francophones forment plus de 16% de la population (ça, ce sont les chiffres inclusifs officiels... en réalité c'est environ 10%).
Cela signifie tout de même que la moitié des Franco-Ontariens d'Ottawa auront le réflexe de s'adresser en anglais au 3-1-1. Mais se peut-il que ce phénomène ne se limite pas à ce service municipal? L'an dernier, un article dans #ONfr notait qu'à Ottawa, les francophones n'ont pas toujours le réflexe de demander des services en français, pourtant disponibles, au palais de justice. En 2009, l'Assemblée de la francophonie de l'Ontario avait dû lancer une campagne pour exhorter les francophones à se prévaloir de leurs droits et à utiliser les services en français existants... De toute évidence, ce problème est loin d'être réglé...
Revenant à Montfort, il est encore temps de sauver l'essentiel, si au moins quelque autorité se donne la peine de reconnaître qu'il existe un problème. Cet hôpital devant lequel flotte le drapeau franco-ontarien offre nécessairement des services bilingues avec 60% de patients «anglophones», mais la langue de travail et de l'administration demeure essentiellement le français. Il suffit de tendre l'oreille dans les bureaux et aux postes infirmiers sur les étages pour s'en rendre compte. Hé, on parle même français au Tim Hortons de l'établissement (un miracle à Ottawa).
Pour protéger les acquis et qui sait, faire de nouveaux gains, l'existence d'une collectivité franco-ontarienne est un préalable. C'est bien évident, direz-vous... Mais la question se pose de plus en plus, du moins à Ottawa, avec la disparition des quartiers francophones traditionnels et la dispersion des parlant-français dans les secteurs à majorité anglaise. Selon Statistique Canada, près de 70% des jeunes Franco-Ontariens auront une ou un conjoint de langue anglaise, et 75% de leurs enfants ne parleront pas français. Faites les maths et que restera-t-il dans quelques générations?
On ne peut rien contre l'exogamie (on ne devrait pas s'y opposer non plus, l'amour étant plus fort que tout), mais on pourrait sans doute reconnaître davantage la gravité du problème culturel que cela cause et l'aborder de front... en public. Les écoles de langue française en sont rendues à faire ce qu'elles appellent de la «construction identitaire» avec les jeunes écoliers, c'est-à-dire essayer de les franciser. Et elles remportent un certain succès, tout au moins en s'assurant que la langue est transmise à une nouvelle génération.
L'ancien ministre fédéral Stéphane Dion déclarait en 2012 à un colloque sur la francophonie hors-Québec que le plus grand défi des collectivités minoritaires de langue française était l'exogamie. Je ne suis pas sûr qu'il ait raison. D'autres facteurs tout aussi importants sont en cause. De toute façon, on ne peut - et on ne devrait pas - s'opposer à l'exogamie. Il faudrait plutôt apprendre à vivre avec, sans que la langue française en soit trop souvent la victime. Là se trouve le défi...
De toute façon, l'anglicisation des Franco-Ontariens ne s'explique pas seulement par l'exogamie. Loin de là. Une proportion appréciable des foyers où les deux conjoints sont francophones s'anglicise aussi... Les statistiques de Montfort ne sont, de fait, que la pointe d'un iceberg qui touche l'ensemble de la collectivité francophone d'Ottawa, voire de l'Ontario français tout entier. Si le rythme de décroissance des demandes de services en français se maintient, on finira par se demander «si le nombre justifie» le maintien d'un hôpital de langue française à Ottawa...
Faudra-t-il de nouveau scander «S.O.S. Montfort», comme en 1997?
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